comptes rendus - Revue militaire canadienne

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comptes rendus - Revue militaire canadienne
COMPTES RENDUS
SEIZE THE FIRE – HEROISM,
DUTY, AND NELSON’S
BATTLE OF TRAFALGAR
par Adam Nicolson
New York, Londres, Toronto et Sydney : Harper Perennial, 2005
341 pages, 18,95 $ (broché)
Compte rendu de Mark Tunnicliffe
L
e rôle d’un historien pourrait se comparer
à celui d’un pont reliant non pas deux
lieux, mais deux sociétés. Chaque extrémité
représente un point dans le temps : l’extrémité
distale est définie par les événements, le
temps et la société faisant l’objet de l’exposé, tandis
que l’extrémité proximale correspond
à la société à qui l’historien s’adresse.
En l’absence de données historiques,
d’éclaircissements
ou
d’analyses
nouvelles, toutefois, l’extrémité distale
du pont ne bougera guère. Cependant,
la société moderne poursuivant son
évolution, il est toujours utile de
se pencher une fois de plus sur les
événements passés, ne serait-ce que
pour mieux les comprendre à la
lumière des valeurs, des priorités et
de l’éthique d’aujourd’hui. Pour ce
faire, l’historien doit non seulement
posséder sa matière, mais bien comprendre
la société à laquelle il appartient.
La valeur d’un ouvrage qui relate
des événements historiques maintes fois
traités, et souvent fort bien, tient à
la nature du pont que l’auteur réussit
à ériger avec la société actuelle.
L’approche qu’Adam Nicolson a adoptée
pour décrire la plus célèbre bataille navale qu’a livrée
la Grande-Bretagne témoigne qu’il en a conscience,
comme en fait foi le sous-titre de son livre. Dans sa
préface, il déclare d’ailleurs que « toute description
adéquate de la bataille de Trafalgar ne peut se contenter
de parler de gréement, d’armement, de météo ou de
bordée » ni, du reste, de tactiques ou des conséquences
stratégiques du dénouement. Nicolson n’ignore nullement
ces aspects de l’histoire de Trafalgar. Il a choisi plutôt
de les placer en périphérie de sa thématique principale,
à savoir le caractère, l’esprit et (pour parler comme
l’auteur) le « paysage mental » des hommes qui se
sont battus. L’histoire de Trafalgar que Nicolson relate
est à la fois celle des hommes qui ont livré bataille et
celle de la société qui les a façonnés, écrite pour un
lecteur du XXIe siècle.
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L’auteur a divisé son exposé en deux parties. La
première, Morning (le matin), examine les phases
tactiques et stratégiques du combat pour présenter,
sous ses diverses facettes, le caractère national des
hommes qui ont établi les conditions de la bataille. En
particulier, on y traite du zèle, de l’anxiété, de l’honneur
et de la hardiesse des marins britanniques (surtout
des officiers), qui ont déterminé les circonstances
de la bataille, les tactiques qu’ils ont choisies et
l’incroyable confiance avec laquelle ils ont abordé
le combat. La seconde partie, Battle (la bataille),
porte sur la violence et, ce qui est étonnant, sur la
noblesse et l’humanité avec lesquelles les marins ont
exécuté les ordres.
Bien entendu, aucune de ces
caractéristiques ne peut être évaluée
isolément.
L’auteur
ayant
choisi
de
se
concentrer
principalement
sur la flotte de Nelson, son étude
des équipages français et espagnols
les décrit juste assez pour donner une
idée des adversaires auxquels Nelson
se mesurait. Il n’empêche que sa
description de ces étranges alliés,
qu’il dépeint soit comme des esprits
féodaux (les Espagnols), soit comme
des marins incompétents et indisciplinés
(les Français), est assez révélatrice.
À en croire le portrait que Nicolson
peint du corps d’officiers et des nations
dont ils sont issus, il semble évident
que Trafalgar était voué à être une
bataille asymétrique dont l’issue
était scellée (y compris le taux de
pertes de 10 contre 1 chez les alliés).
Pour les officiers alliés, le dénouement
de la bataille importait moins que la
façon dont elle allait être livrée, alors que pour les
Britanniques, la victoire, à la guerre comme dans le
commerce ou dans les affaires personnelles, comptait
plus que tout. Les participants le savaient pertinemment
et, malgré leur infériorité numérique et leurs tactiques,
que l’auteur qualifie d’immensément faibles, les
Britanniques étaient pleinement convaincus de la victoire,
tandis que les Français et les Espagnols attendaient
patiemment la défaite.
De même, la description que l’auteur fait des
traits moraux des vainqueurs s’attarde principalement
sur les officiers et, bien entendu, sur Nelson lui-même.
Le livre s’intéresse peu aux matelots qui ont pris
part à la bataille, ce dont ne se cache nullement
l’auteur. Jusqu’à un certain point, cela vaut en fait pour
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n’importe quelle bataille navale. Mis à part les cas
de mutinerie, l’équipage n’a en effet d’autre choix
que de suivre les ordres dictés par les officiers et de
s’en accommoder. Et c’est bien ce qu’ont fait les
équipages britanniques, ignorant le chaos et les horreurs
et continuant à exécuter leurs tâches avec un dévouement et
un enthousiasme sans faille. Toutefois, le fait que
le livre fasse si peu mention des équipages tient aussi
en partie à l’étonnante rareté de comptes rendus écrits
par les matelots eux-mêmes et, dans les quelques
lettres disponibles, aux formules toutes faites qu’ils
utilisaient. Comme le fait remarquer l’auteur, il en
sera autrement vers la fin du siècle, lorsqu’un plus grand
nombre de matelots sauront lire et écrire et que les officiers
se feront plus discrets.
Nicolson a donc choisi de se concentrer sur le corps
des officiers de la flotte victorieuse ainsi que sur les
mœurs de l’époque. Ce choix lui fournit une approche
assez unique. En effet, la « révolution » qui balaie
les mœurs de l’Angleterre du début du XIX e siècle
touche également toutes les strates de la société – militaire,
politique, mercantile ou artistique – et se traduit
différemment selon le milieu. Nicolson a par conséquent
décidé d’illustrer l’état d’esprit militaire en montrant
comment a évolué en parallèle l’état d’esprit des
artistes anglais. D’ailleurs, le titre du livre reprend
en partie un vers de la deuxième strophe du poème
The Tyger de Blake, écrit une décennie avant Trafalgar.
Blake et Nelson, estime l’auteur, n’auraient eu que
peu de sympathie l’un pour l’autre, mais, à leur manière
et de façon complémentaire, ces deux personnages
comprenaient très bien l’atmosphère millénariste
du jour. Blake, toutefois, ne fournit aucune réponse
à sa question poétique : De quelle main osa-t-il
s’emparer de ce brasier? Nelson et ses officiers, quant
à eux, n’ont pas hésité : ils ont tout simplement osé.
L’auteur fait appel à d’autres poètes anglais pour
illustrer l’humeur de l’époque et des gens qui y
vivaient. Wordsworth, Pye, Blake et Pope sont mis
à contribution, histoire d’étoffer les citations extraites
des lettres de l’époque. De même, les illustrations
(enrichies des commentaires de l’auteur) fournies
par des peintres anglais comme Turner, Beechey et
Head donnent un autre point de vue sur les événements
et le caractère des principaux acteurs.
Si l’on devait formuler une critique à propos de
ce livre, elle pourrait s’appliquer aux digressions
artistiques,
documentaires
et
biographiques
fort
détaillées auxquels l’auteur a parfois recours pour
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enfoncer le clou. Pour certains lecteurs, toutefois, la
richesse et la profondeur du livre reposent justement
sur ces descriptions. La beauté est dans l’œil de
celui qui regarde, paraît-il! Nicolson nous donne malgré
tout un compte rendu très utile de la bataille de
Trafalgar et, même s’il n’épuise pas complètement
le sujet, son ouvrage constitue néanmoins un ajout
intéressant à la littérature existante.
Nicolson ne fait aucun parallèle direct avec la
société actuelle, se contentant de quelques comparaisons
avec les générations de la société anglaise du XVIIIe siècle,
plus raffinées, ainsi qu’avec la société hébraïque et
celles de la Grèce et de la Rome antiques. L’auteur
semble d’ailleurs supplier le lecteur de tirer ses propres
conclusions quant à la pertinence de l’expérience
de Trafalgar pour notre époque. L’Angleterre du
début du XIX e siècle baignait dans une atmosphère
millénariste, où paix et réconciliation devaient
succéder à une période de violence quasi apocalyptique.
Et telle semble avoir été la tournure des événements,
du moins en Angleterre. Une fois l’extrême violence
de la bataille épuisée, les marins britanniques ont
travaillé de concert avec leurs ennemis français et
espagnols afin de sauver les navires et les rescapés
lors de la tempête qui a ensuite fait rage, la violence
cédant la place à l’humanité. De même, le siècle qui
a suivi les guerres napoléoniennes a été marqué par une
période de paix relative et de grande prospérité
pour l’Angleterre, venant en quelque sorte récompenser
le sacrifice d’une extrême violence, le professionnalisme
et l’honneur jumelés à l’humilité et l’humanité dont
elle a fait preuve.
On peut se demander quel est le lien avec la
guerre actuelle contre le terrorisme, la guerre
asymétrique, le relativisme moral et les ennemis
amorphes. Il revient au lecteur de tirer ses propres
conclusions. Mais compte tenu du comportement général
de l’armée britannique aux îles Malouines et plus
récemment en Irak, on pourrait trouver des
similitudes avec un recours très professionnel à la
violence,
suivi
d’une
manifestation
d’humanité
semblable. Après tout, le pont au-dessus des deux
derniers siècles n’est pas si long.
Le capitaine de frégate (à la retraite) Mark Tunnicliffe, promu
au rang de « Monsieur » en octobre dernier, occupe actuellement
le poste de scientifique de la Défense à Recherche et développement
pour la défense Canada au Quartier général de la Défense nationale.
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