Le gendarme se (re)marie.
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Le gendarme se (re)marie.
Le gendarme se (re)marie. A la dernière rediffusion télévisée du "fameux" film de Jean Girault, plusieurs élèments nouveaux surgissent. Redécouverte d'un incunable de la culture télé. Le moins que l'on puisse dire c'est que le ton de ce troisième volet de la saga tropézienne possède un côté yéyé easy listening, aujourd'hui totalement ringard, et ce en dehors de toute nostalgie possible, aussi bien intentionnée soit-elle. Première preuve implacable : le papier peint que Josépha et Nicole, la fille de Cruchot, choisisssent ensemble (un des premiers signe d'entente entre la fille et la belle-mère). Deuxième preuve indiscutable : la séquence où Cruchot apprend à danser. Je vous laisse seuls juges. Une fois le stade du ringard dépassé (trente ans de recul), force est de constater que ce film est un des plus hypocrites qui soit. Le titre en est le paradigme parfait : Le gendarme se marie est en fait l'histoire d'un remariage, . Cruchot ayant eu une fille, Nicole, lors d'une première union. L'hypothèse d'une femme décédée juste après la guerre, lors de l'accouchement de l'enfant, par exemple, est la plus probable (la fille a dix-sept ans et nous sommes au beau milieu des années soixante). Pendant toutes ces années, ce brave Cruchot ne s'est jamais posé la question de refaire sa vie : sa vie, c'est la gendarmerie (arrêter les voleurs mais surtout les nudistes, preuve d'une tenue morale exemplaire). L'hypothèse d'un homme-père sans femme avant guerre est tout à fait impensable pour un film de si bon aloi. Dans La cuisine au beurre de Gilles Grangier, le but (voir Tausend Augen #10) était de sensibiliser, à l'aube des années soixante, un large public au problème du divorce galopant. Le Gendarme se marie vise, non pas le divorce (jamais évoqué), mais le remariage qui, vingt ans après la fin de la guerre, se présente comme un autre pan croissant de la vie sociale. Tout cela pose un problème de conscience encore infime : les divorcés ne jonchaient pas encore les palais de justice, la cigarette au bec et la garde des enfants en tête. L'intention est simple : comment faire comprendre que le remariage n'est plus aussi blasphématoire qu'avant-guerre. Combien de veuves et de veufs se sont retrouvés seuls après le départ des Allemands ? Dans ce troisième Gendarme, on perçoit que le côté "arrêtez un peu de mettre toute votre vie dans votre travail" qui transparaissait dans le film de Grangier est encore bien présent. Le mélange contingence sur le monde du travail / envie de recréer un univers familial avec un nouveau "membre" (ici Josépha, femme et belle-mère à la fois) a pour principal objectif de ne pas pousser trop loin la réflexion sur le comportement à adopter pour ne pas devenir à la fois "partie civile et juge d'instruction". Tout cela se déroule dans un contexte Salut les copains (sans Dave) mélangé à une libération progressive des mœurs. Nicole, la fille de Cruchot, a 17 ans et elle sort déjà en boîte avec ses bonnes amies. La vision de la jeunesse est très soft : personne ne boit ni ne fume. Tout le monde semble atteint d'une normalité par défaut. Nicole n'échappe pas à la règle. Le film évoque longuement l'acceptation du nouveau membre de la famille, Josépha, qui est interprétée par Claude Gensac qui est loin d'être une nouvelle venue dans la "vie professionnelle" de Louis de Funès. Leurs duos (Jo, Hibernatus…) sont encore dans toutes les mémoires. L'arrivée scénaristique d'une nouvelle épouse est donc contrebalancée par la reconstitution d'un couple d'acteurs qui n'en est pas à ses premiers émois. Il s'agit évidemment d'affirmer un propos neuf et dérangeant (le remariage) avec des personnages sympathiques, connus, et donc rassurants. On notera au passage que les "effets spéciaux" (les éclairs entre De Funès et Gensac quand ils s'embrassent) n'ont d'autre but que de renforcer le côté "coup de foudre" / amour véritable entre ces deux amants qui ne sont plus tout jeunes. Restait encore la partie épineuse de cette nouvelle relation familiale : la réaction de l'infante de la gendarmerie de Saint-Tropez, Nicole, face à Josépha et ses baisers électriques. Tout est réglé en deux temps, trois mouvements : sur un quiproquo de présentation entre la fille et la future femme de Cruchot (sur l'âge de Nicole que Cruchot annonce à Josépha). Tout se résoud par une séance de shopping et de robes à grosses fleurs (pas encore de carte bleue). La mère choisit comme rôle "exemplaire" celui d'amie plutôt que celui de nouvelle mère. Le message reste limpide : pas de remplacement maternel en vue, juste une copine un peu plus vieille. Ensemble, elles vont pousser le papa presque remarié à passer un examen pour devenir adjudant-chef. C'est ainsi que se règle la friction obligatoire avec l'ami, l'adjudant-chef (Michel Galabru) ; comme le veut la règle, il n'y a pas d'amour sans dispute avec les amis de longue date. La promotion sociale découlant de ce concours est une nouvelle donnée introduite par le duo féminin fraîchement constitué. Comme si la rencontre avec Josépha (une femme qui est loin d'être dans le besoin) justifiait le nouveau grade de Cruchot. La compétition avec son ami l'adjudant-chef prend des proportions inquiétantes. Cruchot devient, pour quelques minutes, le chef : tout le monde tremble. Tout se termine évidemment avec l'aveu de l'erreur de la machine. Cruchot rétrocède au grade de sous-chef et reprend sa vie de commis. Mais un dangereux criminel (Mario David, comme souvent dans le rôle du musclé stupide) fait son apparition. Au cours d'une poursuite rocambolesque, Cruchot accomplit un acte héroïque (il sauve sa fiancée des griffes du dangereux individu). Grâce à cet acte surhumain, il est promu une nouvelle fois au grade d'adjudant-chef (sans tricher) et peut enfin épouser Josépha (une accession méritocrate et didactique, bien à la française). Peu importe la manière mais le fait est là : Cruchot se remarie après avoir gravi un échelon dans la hiérarchie. Il y a beaucoup à dire sur cet échelon supplémentaire de Cruchot face au statut social de Josépha - veuve d'un colonel, on la surnomme "Madame la colonelle". Ce surnom de supérieur hiérarchique est à prendre en compte dans le cadre de la domination sexuelle et physique (puisque plus grande) de Josépha sur Cruchot. "Madame la colonelle" descend d'un cran dans sa carrière de femme mariée et Cruchot fournit le "petit plus" (l'acte héroïque mais surtout le grade) qui permet de conclure définitivement le mariage (ou tout au moins une union heureuse). A ce titre, Cruchot représenterait à mon sens le côté conservateur tandis que Josépha incarnerait, elle, et malgré ses origines bourgeoises, une sorte de modernité (elle n'a que faire des avis extérieurs et prend la plupart des initiatives comme celle du costume "gradé" de Cruchot). Leur couple pourrait être vu comme une conciliation amiable entre les deux identifications spectatorielles possibles (Cruchot ou Josépha mais pas uniquement sous l'aspect binaire homme / femme - conservateur / moderne). L'ex femme d'un colonel épousera ce bon Cruchot grimaçant et faux cul : elle sera la femme de l'adjudant-chef Cruchot. Tout le monde peut enfin tourner la page. Un dernier baiser électrique et tout rentre dans l'ordre d'un film à Saint-Tropez : la parade des gendarmes, les majorettes… et la fanfare. Cédric Verlynde ©tausendaugen/1999