juridiction du premier président - Combats pour les droits de l`homme

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juridiction du premier président - Combats pour les droits de l`homme
COUR D'APPEL DE RENNES N° 2011/38
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
O RDO NN A NCE articles L 551-1 et suivants du Code de l'entrée et du
séjour des étrangers et du droit d'asile
Nous, Marc JANIN, conseiller à la cour d'appel de Rennes, délégué par ordonnance du premier
président pour statuer sur les recours fondés sur les articles L.551-1 et suivants du Code de l'entrée
et du séjour des étrangers et du droit d'asile, assisté de Nadine DHOLLANDE, greffier,
Statuant sur l'appel formé le 1er février 2011 à 9 heures 14 par :
Y. F. K. né le 14 août 1987 à Abongoua (Côte-d'Ivoire) de nationalité ivoirienne ayant pour
avocat Me Julie COHADON, avocat au barreau de Rennes
d'une ordonnance rendue le 31 janvier 2011 par le juge des libertés et de la détention du tribunal de
grande instance de Rennes qui a prolongé sa rétention dans les locaux ne relevant pas de
l'administration pénitentiaire pour une durée maximale de quinze jours ;
En la présence du représentant du préfet d'Ille-et-Vilaine, dûment convoqué,
En l'absence du procureur général, régulièrement avisé,
En présence de Y. F. K., assisté de son conseil, Maître Julie COHADON,
Après avoir entendu en audience publique ce jour à 15 heures 30, l'appelant et son avocat et le
représentant du préfet en leurs observations,
Avons mis l'affaire en délibéré et ce jour, à 17 heures, avons statué comme suit:
Considérant que, par arrêtés du 30 janvier 2011, le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé la reconduite de
Y. F. K. à la frontière et, pour l'exécution de la mesure d'éloignement, de placer celui-ci en rétention
dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire pour une durée n'excédant pas
quarante huit heures ;
Que par requête du 31 janvier 2011, le préfet a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal
de grande instance de Rennes d'une demande de prolongation de la rétention pour une durée de
quinze jours ;
Que, par l'ordonnance en date du 31 janvier 2011 dont appel, le juge des libertés et de la détention a
fait droit à la demande ;
Considérant que l'appelant sollicite l'infirmation de cette décision et sa mise en liberté en invoquant
l'irrégularité de la procédure ayant conduit à la prolongation de son maintien en rétention, en ce
que :
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- il n'a pas été informé de la possibilité que lui ouvrait l'article 7 de la directive communautaire
2008/115/CE, directement applicable faute de transposition dans le délai fixé par celle-ci, de
présenter une demande de délai pour un départ volontaire, de sorte que la procédure est irrégulière,
- contrairement à ce qu'a retenu le juge des libertés et de la détention, le fait qu'il ait pu indiquer
dans une audition qu'il ne voulait pas retourner en Côte d'Ivoire ne suffit pas à caractériser le risque
de fuite visé à l'article 15 de la directive pour permettre le placement en rétention à défaut d'autre
mesure moins coercitive suffisante, lequel doit être apprécié, selon l'article 3, sur la base de critères
objectifs ;
Considérant que le préfet, régulièrement représenté à l'audience, conteste les moyens soutenus par
Y. F. K. et conclut à la confirmation de la décision déférée, en faisant valoir :
- que l'article 7 de la directive invoquée renvoie à l'article 15, qui prévoit la possibilité de placer en
rétention un étranger en cas de risque de fuite ou d'obstacle à l'éloignement,
- qu'en l'espèce, le refus manifesté par Y. F. K. de retourner en Côte-d'Ivoire caractérise le risque de
fuite, de même que sa volonté d'éviter l'exécution de la mesure d'éloignement.
SUR QUOI
Considérant qu'il est constant que la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du
16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres
au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, n'a pas fait l'objet des transpositions
législatives, réglementaires et administratives en France nécessaires pour se conformer aux
dispositions de celle-ci à la date du 24 décembre 2010 fixée par son article 20 ;
Considérant que les justiciables peuvent se prévaloir en justice, et les juridictions nationales doivent
prendre en considération en tant qu'élément du droit communautaire, les dispositions de directives
non transposées qui énoncent une obligation qui n'est assortie d'aucune réserve ou condition et, par
sa nature, ne nécessite l'intervention d'aucun acte, soit des institutions de la communauté, soit des
Etats membres ;
Considérant qu'en l'espèce, si le paragraphe 1 de l'article 7 de la directive invoqué dispose que la
décision de retour prévoit en principe un délai de sept à trente jours pour un départ volontaire, il
résulte de ce même paragraphe ainsi que du paragraphe 4 que les Etats membres peuvent, dans leur
législation nationale, soumettre l'octroi d'un tel délai à la condition qu'il soit demandé, ou même,
dans certains cas, s'abstenir de l'accorder ;
Qu'ainsi, il ne peut être considéré que cette disposition est incondition-nelle, de sorte que Y. F. K. ne
peut l'invoquer directement dans la présente instance ;
Considérant d'autre part que, selon l'article 15 de la directive, les États membres peuvent placer en
rétention le ressortissant d'un pays tiers qui fait l'objet de procédures de retour, lorsqu'il existe un
risque de fuite, lequel s'entend, aux fins de la directive et selon son article 3 paragraphe 7, du fait
qu'il existe des raisons, dans un cas particulier et sur la base de critères objectifs définis par la loi,
de penser qu'un ressortissant d'un pays tiers faisant l'objet de procédures de retour peut prendre la
fuite, ou lorsque le ressortissant concerné d'un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour
ou de la procédure d'éloignement ;
Que si la directive renvoie à la loi le soin de définir les critères objectifs sur la base desquels doit
s'apprécier le risque de fuite, le principe de l'objectivité de tels critères affirmé par cette disposition
est suffisamment précis et inconditionnel pour trouver à s'appliquer directement ;
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Qu'en l'espèce, la seule déclaration de Y. F. K. au cours de l'enquête ayant précédé son placement en
rétention, à un moment et dans des circonstances données, selon laquelle celui-ci refuserait de
retourner en Côte-d'Ivoire, ne présente pas le caractère d'objectivité requis, étant observé par
ailleurs que selon les mêmes déclarations, non contredites par d'autres éléments de la procédure, il
vit chez sa mère à Alfortville (Val-de-Marne) depuis l'âge de quatorze ou quinze ans ;
Que par ailleurs, le préfet n'établit pas en quoi Y. F. K. évite ou empêche la préparation du retour ou
de la procédure d'éloignement, le seul fait qu'il n'ait pas, depuis son placement en rétention le
dimanche 30 janvier 2011 à 16 heures, fait venir au centre de rétention de Rennes son passeport
qu'il déclare se trouver au domicile de sa mère à Alfortville, ne pouvant suffire à caractériser une
telle obstruction ;
Considérant dès lors qu'il n'y a pas lieu de prolonger la rétention de Y. F. K., que l'ordonnance
déférée doit être infirmée et la remise en liberté de l'intéressé ordonnée.
PAR CES MOTIFS
Disons l'appel recevable en la forme ;
Infirmons l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de
Rennes en date du 31 janvier 2011 ;
Déboutons le préfet d'Ille-et-Vilaine de sa demande ; Disons qu'il est mis fin à la rétention de
Y. F. K. et ordonnons sa remise en liberté ;
Lui rappelons en outre son obligation de quitter le territoire, conformément aux dispositions de
l'article L. 554-3 alinéa 1er du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Fait à Rennes, le 1er février 2011 à 17 heures LE GREFFIER, PAR DÉLÉGATION, LE
CONSEILLER,
Notification de la présente ordonnance a été faite par fax le 1er février 2011 à Y. F. K., à son avocat
et au préfet
Le greffier,
Cette ordonnance est susceptible d'un pourvoi en cassation dans les deux mois suivant la
présente notification et dans les conditions fixées par les articles 973 et suivants du nouveau
code de procédure civile.
Communication de la présente ordonnance a été faite ce même jour au procureur général. Le
greffier
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