Messe et motets pour la Vierge

Transcription

Messe et motets pour la Vierge
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Samedi 9 octobre 2004 - 21 h 00
Chapelle royale
Messe et motets pour la Vierge
Assumpta est Maria, Missa sex vocibus cum simphonia, Mélanges
Bibliothèque nationale de France, Département de la Musique
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Programme
Canticum in honorem Beatæ Virginis Mariæ [H.400]
Stabat Mater pour des religieuses [H.15]
Litanies de la Vierge à 6 voix et deux dessus de violes [H.83]
Missa Assumpta est Maria [H. 11a]
Judith Scherrer-Kleber, dessus
Adriana Savall, Adriana Fernandez, dessus
Pascal Bertin, Emmanuel Bardon, hautes-contre
Lluis Vilamajo, taille
John Elwes, taille
Furio Zanassi, basse-taille
Daniele Carnovich, basse
LE CONCERT DES NATIONS
direction
JORDI SAVALL
Le Concert des Nations a le soutien de la Generalitat de Catalunya
et la collaboration de Fondacio Centre International de Musica Antiga
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À la suite du Concile de Trente et de la Contre-Réforme
catholique, le culte marial connaît un nouvel essor au XVIIe siècle.
De fait, une partie importante de l’œuvre religieux de MarcAntoine Charpentier est consacrée à la dévotion à la Vierge. Riche
de nombreuses antiennes mariales, d’une dizaine de Magnificat,
de pas moins de neuf Litanies de la Vierge, de ce Stabat mater
pour des religieuses ou encore de quatre Salve Regina, l’œuvre
de Charpentier témoigne de cet engouement considérable. Cette
musique est fonctionnelle, et donc polymorphe : effectifs,
disposition et même langage harmonique et contrapuntique
dépendent des moyens disponibles mais également des prises de
position esthétiques des différentes institutions pour lesquelles
Charpentier composa ses œuvres, partis pris inhérents quant à
eux à des cadres théologiques voire politiques précis. Ce contexte
est fort hétérogène, puisque le musicien composa aussi bien pour
Mlle de Guise que pour le dauphin, pour les religieuses de PortRoyal de Paris, que pour le Collège et la Maison professe des
Jésuites à Paris, ou encore pour les offices de la Sainte-Chapelle
du Palais. Entre lieux de pouvoir et de contre-pouvoir, foyers de
musique italienne ou lieux officiels et proches de la cour, entre
modernisme et austérité, sa musique a su chaque fois s’adapter et
même proclamer la singularité de chaque lieu.
Le présent programme propose un double panorama de cet
univers exceptionnel qu’est la musique religieuse de MarcAntoine Charpentier. Il explore différents aspects et supports
d’expression de la dévotion mariale : la litanie, la plainte
douloureuse de la Vierge à la Croix (Stabat mater dolorosa), le
dialogue didactique en son honneur (Canticum in honorem
Beatæ Virginis Mariæ inter homines et angelos), enfin la grande
messe concertante à sa gloire (Assumpta est Maria, Missa sex
vocibus cum simphonia). Dans le même temps, il réunit des
œuvres d’une étonnante variété, non seulement du point de vue
des effectifs déployés, mais aussi du style musical, tel l’espace qui
sépare le Stabat mater pour voix (de soliste et de chœur
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alternativement) et basse continue de la messe Assumpta est Maria
pour solistes, chœur et orchestre.
Deux de ces œuvres, le Canticum (1680) et les Litanies (1684)
furent composées pour les musiciens de Mlle de Guise. À six voix,
dont trois parties de dessus, deux violes et basse continue, les
Litanies représentent du reste un dispositif propre à la musique de
Mlle de Guise : l’ensemble musical qui résidait en son hôtel était
dépourvu de grand orchestre et, surtout, privilégiait les parties de
dessus vocal. Cet effectif particulier induit naturellement une
écriture concertante qui oppose, juxtapose et fait dialoguer de
manière symétrique le grave et l’aigu, les trois dessus d’un côté et
les voix de haute-contre, de taille et de basse de l’autre, en
renouvelant continuellement le support et donc la force de cette
multiple évocation des qualités de Marie, la Sainte, la Vierge, la
Mère et la Reine. En réponse à cette pièce liturgique, le Canticum,
pièce en dialogue que l’on pourrait désigner comme petit oratorio,
au texte latin sans doute écrit spécifiquement pour l’occasion,
confronte les hommes (haute-contre, taille et basse) aux anges
(deux dessus).
Le Stabat Mater, l’une des rares séquences qui survécurent à la
restructuration drastique des textes et du répertoire liturgique
qu’initia le Concile de Trente, est une bouleversante évocation de la
douleur de Marie et, par là même, une véritable médiation vers les
humains de la souffrance du Fils, du Christ mourant sur la croix.
Dans ce Stabat Mater pour des religieuses, Charpentier fait alterner
de manière strophique une partie de soliste et un chœur à l’unisson
accompagnés de la basse continue. Les lignes, à la fois syllabiques
et diatoniques, se veulent épurées et revendiquent l’intelligibilité du
texte. Cette indéniable austérité associe la pièce au groupe des
œuvres que le musicien composa pour les religieuses de Port-Royal :
destinées à des chanteuses non professionnelles, elles excluaient
volontiers la virtuosité ainsi que tout effet concertant qui pourrait
nuire à la compréhension du Verbe ou plaire aux sens de par leur
qualité esthétique au détriment, par conséquent, de la dimension
spirituelle. En s’interdisant tout « artifice » et en se pliant
ingénieusement, comme il a souvent su le faire, à des exigences
musicalement fort contraignantes, Charpentier met en musique ce
Stabat Mater de manière étonnamment efficace et émouvante.
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Opposée à tous points de vue (ampleur, effectif, style…) à ce
Stabat Mater, la messe Assumpta est Maria est ce qu’on appelait
alors une « messe ad imitationem moduli », autrement dit fondée
sur un chant préexistant, sur une monodie que le compositeur
« imite », qu’il met « en musique », c’est-à-dire en polyphonie. Les
moyens sont importants, puisqu’il s’agit de solistes, chœur et
orchestre, dans un des rares cas du genre de la « messe
concertante » pour la France du XVIIe siècle, dont Charpentier fut le
principal représentant (mentionnons toutefois les cas, tout aussi
rares, de Guillaume Minoret, Sébastien de Brossard et Henry
Desmarest, puis des messes de Requiem d’André Campra et de Jean
Gilles). Ici, le titre fait référence au matériau mélodique originel, à
savoir le plain-chant de l’antienne « Assumpta est Maria », extraite
de l’office des Vêpres de la fête de l’Assomption (15 août). L’emploi
de ce matériau n’est évidemment pas anodin, puisqu’il induit
clairement l’association de la messe au culte de la Vierge et plus
précisément au jour de l’Assomption, ce qui ne semble pas pour
autant exclure la possibilité d’exécuter à nouveau cette messe en
dehors des principales fêtes mariales. En effet, si cette œuvre fut
exécutée très vraisemblablement le 15 août 1702, les sources
manuscrites qui nous sont parvenues, majoritairement autographes,
témoignent sans ambiguïté d’au moins deux versions différentes de
la messe, ainsi que d’états antérieurs à 1702 ; ces différents états
multiplient les possibilités d’exécution. Plus précisément, les parties
séparées de l’orchestre, qui ne sont pas toutes conformes à la
partition autographe incluse dans les célèbres Mélanges de
Charpentier, suggèrent l’existence, outre la « grande version » pour
quatre parties de cordes et deux dessus de flûte, d’une « petite
version » pour deux dessus instrumentaux et basse continue. C’est
cette « petite version », datant des années 1701-1703, qui est jouée
ce soir. Composée lorsque le musicien était maître de musique de la
Sainte-Chapelle du Palais et dernière parmi pas moins de onze
messes concertantes, l’Assumpta est Maria est la plus ample d’entre
elles et sans doute l’une des œuvres les plus abouties de
Charpentier.
Humaine, donc mortelle, et Mère de Dieu à la fois, la figure de
Marie fut amplement célébrée, admirée, solennellement glorifiée et
tendrement contemplée au XVIIe siècle. La partie de l’œuvre
religieux de Charpentier qui lui est consacrée, fort variée mais
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toujours très belle et émouvante, incarne une dévotion
particulièrement chère et intime qui consistait « à se donner tout
entier à la très sainte Vierge, pour être tout entier à Jésus-Christ par
elle ».
« Toute notre perfection consistant à être conformes, unis et
consacrés à Jésus-Christ, la plus parfaite de toutes les dévotions
est sans difficulté celle qui nous conforme, unit et consacre le plus
parfaitement à Jésus-Christ. Or, Marie étant la plus conforme à
Jésus-Christ de toutes les créatures, il s’ensuit que plus une âme
est consacrée à Marie, plus elle le sera à Jésus-Christ. C’est
pourquoi la parfaite consécration à Jésus-Christ n’est autre chose
qu’une parfaite et entière consécration de soi-même à la très
sainte Vierge, qui est la dévotion que j’enseigne, ou autrement dit
une parfaite rénovation des vœux et promesses du saint baptême.
Cette dévotion consiste donc à se donner tout entier à la très
sainte Vierge, pour être tout entier à Jésus-Christ par elle ».
Louis-Marie Grignion de Monfort (1673-1716)
Traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge, articles 120-121
THÉODORA PSYCHOYOU

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