Messe et motets pour la Vierge
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Messe et motets pour la Vierge
213 Samedi 9 octobre 2004 - 21 h 00 Chapelle royale Messe et motets pour la Vierge Assumpta est Maria, Missa sex vocibus cum simphonia, Mélanges Bibliothèque nationale de France, Département de la Musique 214 Programme Canticum in honorem Beatæ Virginis Mariæ [H.400] Stabat Mater pour des religieuses [H.15] Litanies de la Vierge à 6 voix et deux dessus de violes [H.83] Missa Assumpta est Maria [H. 11a] Judith Scherrer-Kleber, dessus Adriana Savall, Adriana Fernandez, dessus Pascal Bertin, Emmanuel Bardon, hautes-contre Lluis Vilamajo, taille John Elwes, taille Furio Zanassi, basse-taille Daniele Carnovich, basse LE CONCERT DES NATIONS direction JORDI SAVALL Le Concert des Nations a le soutien de la Generalitat de Catalunya et la collaboration de Fondacio Centre International de Musica Antiga 215 À la suite du Concile de Trente et de la Contre-Réforme catholique, le culte marial connaît un nouvel essor au XVIIe siècle. De fait, une partie importante de l’œuvre religieux de MarcAntoine Charpentier est consacrée à la dévotion à la Vierge. Riche de nombreuses antiennes mariales, d’une dizaine de Magnificat, de pas moins de neuf Litanies de la Vierge, de ce Stabat mater pour des religieuses ou encore de quatre Salve Regina, l’œuvre de Charpentier témoigne de cet engouement considérable. Cette musique est fonctionnelle, et donc polymorphe : effectifs, disposition et même langage harmonique et contrapuntique dépendent des moyens disponibles mais également des prises de position esthétiques des différentes institutions pour lesquelles Charpentier composa ses œuvres, partis pris inhérents quant à eux à des cadres théologiques voire politiques précis. Ce contexte est fort hétérogène, puisque le musicien composa aussi bien pour Mlle de Guise que pour le dauphin, pour les religieuses de PortRoyal de Paris, que pour le Collège et la Maison professe des Jésuites à Paris, ou encore pour les offices de la Sainte-Chapelle du Palais. Entre lieux de pouvoir et de contre-pouvoir, foyers de musique italienne ou lieux officiels et proches de la cour, entre modernisme et austérité, sa musique a su chaque fois s’adapter et même proclamer la singularité de chaque lieu. Le présent programme propose un double panorama de cet univers exceptionnel qu’est la musique religieuse de MarcAntoine Charpentier. Il explore différents aspects et supports d’expression de la dévotion mariale : la litanie, la plainte douloureuse de la Vierge à la Croix (Stabat mater dolorosa), le dialogue didactique en son honneur (Canticum in honorem Beatæ Virginis Mariæ inter homines et angelos), enfin la grande messe concertante à sa gloire (Assumpta est Maria, Missa sex vocibus cum simphonia). Dans le même temps, il réunit des œuvres d’une étonnante variété, non seulement du point de vue des effectifs déployés, mais aussi du style musical, tel l’espace qui sépare le Stabat mater pour voix (de soliste et de chœur 216 alternativement) et basse continue de la messe Assumpta est Maria pour solistes, chœur et orchestre. Deux de ces œuvres, le Canticum (1680) et les Litanies (1684) furent composées pour les musiciens de Mlle de Guise. À six voix, dont trois parties de dessus, deux violes et basse continue, les Litanies représentent du reste un dispositif propre à la musique de Mlle de Guise : l’ensemble musical qui résidait en son hôtel était dépourvu de grand orchestre et, surtout, privilégiait les parties de dessus vocal. Cet effectif particulier induit naturellement une écriture concertante qui oppose, juxtapose et fait dialoguer de manière symétrique le grave et l’aigu, les trois dessus d’un côté et les voix de haute-contre, de taille et de basse de l’autre, en renouvelant continuellement le support et donc la force de cette multiple évocation des qualités de Marie, la Sainte, la Vierge, la Mère et la Reine. En réponse à cette pièce liturgique, le Canticum, pièce en dialogue que l’on pourrait désigner comme petit oratorio, au texte latin sans doute écrit spécifiquement pour l’occasion, confronte les hommes (haute-contre, taille et basse) aux anges (deux dessus). Le Stabat Mater, l’une des rares séquences qui survécurent à la restructuration drastique des textes et du répertoire liturgique qu’initia le Concile de Trente, est une bouleversante évocation de la douleur de Marie et, par là même, une véritable médiation vers les humains de la souffrance du Fils, du Christ mourant sur la croix. Dans ce Stabat Mater pour des religieuses, Charpentier fait alterner de manière strophique une partie de soliste et un chœur à l’unisson accompagnés de la basse continue. Les lignes, à la fois syllabiques et diatoniques, se veulent épurées et revendiquent l’intelligibilité du texte. Cette indéniable austérité associe la pièce au groupe des œuvres que le musicien composa pour les religieuses de Port-Royal : destinées à des chanteuses non professionnelles, elles excluaient volontiers la virtuosité ainsi que tout effet concertant qui pourrait nuire à la compréhension du Verbe ou plaire aux sens de par leur qualité esthétique au détriment, par conséquent, de la dimension spirituelle. En s’interdisant tout « artifice » et en se pliant ingénieusement, comme il a souvent su le faire, à des exigences musicalement fort contraignantes, Charpentier met en musique ce Stabat Mater de manière étonnamment efficace et émouvante. 217 Opposée à tous points de vue (ampleur, effectif, style…) à ce Stabat Mater, la messe Assumpta est Maria est ce qu’on appelait alors une « messe ad imitationem moduli », autrement dit fondée sur un chant préexistant, sur une monodie que le compositeur « imite », qu’il met « en musique », c’est-à-dire en polyphonie. Les moyens sont importants, puisqu’il s’agit de solistes, chœur et orchestre, dans un des rares cas du genre de la « messe concertante » pour la France du XVIIe siècle, dont Charpentier fut le principal représentant (mentionnons toutefois les cas, tout aussi rares, de Guillaume Minoret, Sébastien de Brossard et Henry Desmarest, puis des messes de Requiem d’André Campra et de Jean Gilles). Ici, le titre fait référence au matériau mélodique originel, à savoir le plain-chant de l’antienne « Assumpta est Maria », extraite de l’office des Vêpres de la fête de l’Assomption (15 août). L’emploi de ce matériau n’est évidemment pas anodin, puisqu’il induit clairement l’association de la messe au culte de la Vierge et plus précisément au jour de l’Assomption, ce qui ne semble pas pour autant exclure la possibilité d’exécuter à nouveau cette messe en dehors des principales fêtes mariales. En effet, si cette œuvre fut exécutée très vraisemblablement le 15 août 1702, les sources manuscrites qui nous sont parvenues, majoritairement autographes, témoignent sans ambiguïté d’au moins deux versions différentes de la messe, ainsi que d’états antérieurs à 1702 ; ces différents états multiplient les possibilités d’exécution. Plus précisément, les parties séparées de l’orchestre, qui ne sont pas toutes conformes à la partition autographe incluse dans les célèbres Mélanges de Charpentier, suggèrent l’existence, outre la « grande version » pour quatre parties de cordes et deux dessus de flûte, d’une « petite version » pour deux dessus instrumentaux et basse continue. C’est cette « petite version », datant des années 1701-1703, qui est jouée ce soir. Composée lorsque le musicien était maître de musique de la Sainte-Chapelle du Palais et dernière parmi pas moins de onze messes concertantes, l’Assumpta est Maria est la plus ample d’entre elles et sans doute l’une des œuvres les plus abouties de Charpentier. Humaine, donc mortelle, et Mère de Dieu à la fois, la figure de Marie fut amplement célébrée, admirée, solennellement glorifiée et tendrement contemplée au XVIIe siècle. La partie de l’œuvre religieux de Charpentier qui lui est consacrée, fort variée mais 218 toujours très belle et émouvante, incarne une dévotion particulièrement chère et intime qui consistait « à se donner tout entier à la très sainte Vierge, pour être tout entier à Jésus-Christ par elle ». « Toute notre perfection consistant à être conformes, unis et consacrés à Jésus-Christ, la plus parfaite de toutes les dévotions est sans difficulté celle qui nous conforme, unit et consacre le plus parfaitement à Jésus-Christ. Or, Marie étant la plus conforme à Jésus-Christ de toutes les créatures, il s’ensuit que plus une âme est consacrée à Marie, plus elle le sera à Jésus-Christ. C’est pourquoi la parfaite consécration à Jésus-Christ n’est autre chose qu’une parfaite et entière consécration de soi-même à la très sainte Vierge, qui est la dévotion que j’enseigne, ou autrement dit une parfaite rénovation des vœux et promesses du saint baptême. Cette dévotion consiste donc à se donner tout entier à la très sainte Vierge, pour être tout entier à Jésus-Christ par elle ». Louis-Marie Grignion de Monfort (1673-1716) Traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge, articles 120-121 THÉODORA PSYCHOYOU