Saint-Etienne, la misère de Le Monde

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Saint-Etienne, la misère de Le Monde
Saint-Etienne, la misère de Le Monde
Le Monde en Pire.fr I 10.12.2014 à 20h23
Par Sylvain Zappé
Ce qui frappe d’emblée lorsque l’on pénètre à Saint-Etienne (Sainté, comme disent les autochtones) c’est l’extrême
état de misère dans lequel se vautre cette ville et dont elle semble ne pas vouloir sortir. Tout y est gris, poisseux,
délabré, dépressif, décrépi, misérable, mal entretenu, sale, souillé, ruiné.
Les stéphanois laissent leurs bâtiments à l’abandon. Et quand ceux-ci ne sont pas écroulés ils sont squattés par
des réfugiés des ex pays de l’Est qui retrouvent là, paradoxalement, la misère qu’ils ont fuit. Et tous ces bulgares,
roumains, kosovars envahissent les rues de la ville pour mendier quelques centimes d’euros à des stéphanois qui
peinent à boucler leurs fins de mois, et qui n’ont rien à leur donner.
Une fois qu’ils ont quitté leur taudis, les stéphanois se lancent dans les rues, armés de vieux sacs défraichis ou de
poussettes poussives, pour glaner dans les poubelles et dans les caniveaux ou à la fin des marchés des croûtons
de pain ou des légumes blettes ; voir parfois un poste de télévision dont ils n’auront aucune utilité puisque chez eux
l’électricité est coupée.
Lorsque l’on arpente les rues de cette capitale française des taudis on est frappé par l’air absent des habitants,
probablement shootés aux antidépresseurs (et on les comprend) ou fortement alcoolisés, dès tôt le matin, par la
fréquentation des nombreux bistrots que compte la ville.
Les jeunes stéphanois, conscients qu’ils n’ont aucun avenir dans cette ville, se regroupent à plusieurs pour monter
des go-fast, et, pour les moins chanceux d’entre eux, se faire arrêter par la gendarmerie nationale sur l’autoroute en
provenance d’Espagne. Quant aux autres, dès la nuit tombée, ils parcourent les rues à la recherche de proies
faciles ; ce qui fait que la ville est morte dès 18 h.
Les adultes et les personnes âgées passent le reste de leurs journées à essayer de grappiller des aides à la Caisse
d’allocations familiales, au Centre communal d’action sociale, dans les associations caritatives qui pullulent dans
cette cité, ou à essayer de faire en sorte que leurs misérables retraites de prolétaires soient revalorisées.
Malgré tous les équipements culturels de la ville, les stéphanois ne sortent pas parce qu’ils n’ont pas d’argent à
mettre là dedans. Et puis qui aurait envie d’aller dépenser quelques pièces pour visiter un Musée de la mine, un
Musée d’art et d’industrie, un Musée d’art moderne à la façade d’un noir charbonneux. Il ne leur resterait alors que
la Cité du design, à laquelle, par atavisme congénital, ils ne comprennent rien de toute façon.
La saison que les stéphanois redoutent le plus est l’hiver (qui durent à peu près 6 mois dans cette région), car faute
de moyens pécuniaires ils ne peuvent faire face aux frais chauffages, d’où l’intérêt qu’ils portent aux cagettes et aux
palettes abandonnées sur les places et sur les trottoirs. A cette occasion, ils se mettent massivement « en caisse »
(expression locale pour désigner un arrêt maladie) afin de bénéficier des bienfaits de la sécurité sociale.
Il existe une expression usitée qui dit qu’à Saint-Etienne on pleure deux fois : quand on y arrive et quand on en
part. C’est un peu vite oublier qu’on y pleure aussi quand on y vit.