Un secret de Polichinelle

Transcription

Un secret de Polichinelle
UN SECRET DE POLICHINELLE
d’après Bella E Perduta de Pietro Marcello
à Sarchiapone
Asseyez-vous sur l’herbe italienne, et laissez-moi vous conter un brin d’histoire ! L’histoire
de celui qui n’a connu comme maison que le ventre de sa mère, Sarchiapone, bufflon de son
état, c’est du moins ce que nous enseigne le réalisateur. Savez-vous ce qu’il advint lorsque
Polichinelle se rendit sur la tombe de Tommaso afin d’écouter les morts pour parler aux
vivants ? Il tendit l’oreille, certes, nous le savons ; mais ce qu’il entendit, nulle image ne le
dévoile ; et les images savent taire le cœur solitaire des bergers. Les pensées de Tommaso ne
devaient pas être dévoilées ; aussi dois-je prendre le mauvais rôle et trahir ce secret si bien
gardé. Voici donc, tirées du grand théâtre de la vie, ces tirades que vous ne pouviez
entendre…
« Tu te croyais prisonnier, Sarchiapone, chaque fois que tu contemplais ta chaîne d’acier,
mais si tu eusses daigné la rompre, elle se fût brisée à l’instant même, car ce que tu croyais
acier n’était que paille. Cette prison apparente, cette illusion qui te tourmentait n’était qu’une
preuve de l’amour de Tommaso, cet amour qu’il te porte toujours malgré cette lourde dalle
qui vous sépare. Il te regardait et savait ton secret. Le voile de tes yeux délicieux t’a toujours
caché la vérité : tu es une vache sacrée, Sarchiapone ! Sa voix d’outre-tombe n’était que
vérité ; je reconnais cette vérité car je sais lire dans le cœur des hommes. Tu ne vis jamais ta
grâce, ta beauté, ni ta force ; mais Tommaso le silencieux aimait à les contempler ; il en est
ainsi de l’amour ineffable qu’il te voue à jamais ». Ainsi parla Polichinelle.
Sarchiapone ne répondit point. Sa parole s’était éteinte à l’instant même où Polichinelle avait
jeté son masque ; et tandis que le regard de ce personnage fantasque s’envolait vers l’immense
œil jaune avec lequel Tommaso communiait les soirs de grande solitude, on entendit
Sarchiapone susurrer : « comment pourrais-je croire à ce secret de Polichinelle » ?
Deux rayons de lune s’écoulaient le long de ses joues…
A.F.

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