Lettre N° 80

Transcription

Lettre N° 80
Va, et tente quelque chose !
Prise de contact 80
Février 2009
Depuis son enfance, les miséreux, les indigents qui croupissent dans les taudis, les parias de la société
moderne, occupèrent la pensée de William Booth. A ces malheureux, ruinés par la pauvreté ou le vice, il
avait consacré sa vie … « mon humanité et mon christianisme, si je puis séparer l’un de l’autre,
réclament à grands cris quelque méthode plus sûre et plus large pour atteindre et sauver les foules
qui périssent. » … Le Général écrivait ces lignes au mois d’octobre 1890, quelques jours après la mort
de sa femme. Mais bien avant la publication de son livre : Les ténèbres de l’Angleterre et comment en
sortir, William Booth s’était préoccupé de secourir les miséreux. Il avait reconnu la vérité de ce
proverbe : « ventre affamé n’a point d’oreilles », ou, comme il le disait : « il est malaisé de sauver un
homme qui a les pieds mouillés. » .
Deux ans avant la publication de son livre, une nuit de 1888, William Booth rentrait à Londres après
une série de conférences dans le sud de l’Angleterre. Comme il revenait chez lui, il vit, acagnardis dans
les angles des maisons, sous les bancs des quais de la Tamise et sous les ponts du chemin de fer, des
miséreux qui se tassaient sous leurs guenilles, dormant ainsi malgré le froid et la dureté de leur couche
de pierre. Bouleversé par cette découverte, le Général ne put lui-même fermer l’œil dans sa chambre
chaude et son lit moelleux. Au matin, lorsque le Chef d’Etat-Major, son fils Bramwell, vint le voir, il le
trouva dans un état indescriptible d’agitation :
Bramwell, savais-tu que des êtres humains dorment la nuit dehors sous les ponts, couchés sur
la pierre froide ?
Mais oui, Général, ne le saviez-vous pas ?
- Tu le savais, et tu n’as rien fait pour eux ?
Le Chef d’Etat-Major de s’expliquer :
L’Armée du Salut ne peut pas accomplir tout le travail qui doit être fait ici-bas, puis il faut
songer aux dangers d’une charité imprudente.
Le Général l’interrompit :
Assez de ces non-sens. J’ai entendu ces raisonnements il y a longtemps. Va, et tente quelque
chose, Bramwell, tente quelque chose.
Il marchait de long en large, arpentant sa chambre, tout en dépeignant à son fils la pitoyable vision de
cette nuit.
Bramwell, fournis-leur un coin pour dormir, un hangar, une baraque, l’abri le plus misérable
vaudra mieux que rien du tout. Donne-leur un toit pour les protéger de la pluie, et quatre murs
pour les garantir du vent. Nul besoin de les dorloter.
Cet entretien donna naissance aux asiles de nuit de l’Armée du Salut.
(Un prophète des temps modernes, de G. Brabant, pages 178 à 180, édition de 1948)
Depuis plusieurs années maintenant, j’essaie de tenir à jour différents états concernant notre Armée
du Salut. En fait, je fais cela depuis 1994, année au cours de laquelle notre œuvre est devenue
Congrégation, alors que, jusque là, elle était Association loi de 1901. C’est aussi au cours de cette
année qu’elle a fait partie intégrante de la Fédération Protestante de France. : nous sommes donc
« re-devenus » protestants … Jusqu’alors, lorsque l’on me demandait si l’Armée du Salut était
protestante, je répondais : « on ne peut pas dire qu’elle le soit, puisque William Booth a été amené
à sa fondation parce que l’église protestante l’a « mis à la porte » … Il faut se rappeler, en effet, qu’il
avait des méthodes qui sortaient de l’ordinaire. Par ailleurs, le fait qu’il s’occupe des plus pauvres,
des déshérités, de ceux qui vivaient dans le vice, la boisson, etc. conduisait les gens « bien-pensants »
de sa communauté à ce qu’ils croyaient être juste et, de ce fait, le mettre « au pied du mur » … Et
c’est ainsi qu’au cours d’un synode, il lui fut proposé un poste de choix, mais à condition qu’il
abandonne « ses pauvres » … ou qu’il quitte sa communauté … Or, William Booth avait alors
quelque 36 ans, et une famille de 4 enfants : refuser la proposition qui lui était faite, c’était se lancer
dans l’inconnu … Et c’est son épouse qui, de la galerie, dit avec force et conviction : « Jamais ! » … Et
les voila lancés dans une aventure dont ils ne savaient où cela les conduirait, mais avec la certitude
que « leur » Dieu ne les abandonnerait pas !
… Pourtant, on ne peut pas dire qu’elle soit catholique, puisqu’elle ne reconnaît pas le Pape, encore
moins son infaillibilité … L’Armée du Salut est chrétienne, tout simplement !
Les débuts furent difficiles, mais William Booth, après avoir participé à une mission d’évangélisation
dans l’Est de Londres, se « lança » dans son nouveau ministère … il avait le don de s’entourer de
collègues enthousiastes, qu’il trouvait parfois parmi les anciens buveurs et autres, dont la vie avait
été transformée par leur foi réelle. Certains ne savaient ni lire ni écrire : mais quelle conviction que
la leur !
Lorsque, le 10 janvier dernier, notre ami Martial Castelli nous a quittés, dans sa quatre-vingtquatrième année, je l’ai noté dans ma liste des « Officiers promus à la gloire », selon notre jargon
salutiste. Cela sous-entend que, pour nous, nous croyons qu’il est allé à la rencontre de notre Dieu.
Et j’ai réalisé qu’il était le soixante-dix-septième collègue dans ce cas (depuis 1974 !), la première
étant, justement, son épouse, Blanche … Quelle tranquillité que la sienne, et quelle certitude aussi :
lorsqu’il apprit que ses jours étaient comptés, il en parla comme étant son ultime « ordre de
marche » (là encore, selon notre jargon salutiste, cela signifie un « ordre de mutation », décidé par
nos supérieurs, pour les besoins de l’œuvre, et sa progression. En principe, un tel « ordre » fait l’objet
d’une obéissance absolue).
77 … dont 74 étaient à la retraite … Et, dans le même temps, nous avons vus bien peu de personnes
se sentant appelés à prendre la relève :, une jeune fille, qui n’a rien trouvé de mieux que d’épouser
un suisse ne faisant, ainsi, plus partie de « notre territoire », un couple, et peut-être quelques autres
… Pire encore, entre 1999 et aujourd’hui, 16 collègues ont donné leur démission, appauvrissant
encore un peu plus notre mouvement, en France !
Revenant à William Booth, le voici donc qui, après avoir demandé à son fils de « faire quelque
chose », commence à mettre en place une action sociale, et cela débute par des « asiles de nuit » …
Oh, les débuts sont modestes … J’ai une diapositive qui
nous en fait voir un aspect : dans une grande pièce, il y a
des lits qui sont alignés, ressemblant plus à des cercueils
qu’à des lits ; on raconte même que les effets
vestimentaires étaient attachés et suspendus au pied de
chaque lit … et que, le matin, on se contentait de couper
la corde : les vêtements tombaient sur les pieds des
intéressés, qui se réveillaient et n’avaient plus qu’à se
préparer pour reprendre la route ! : mais qu’importe, le
principal n’était-il pas d’empêcher ces pauvres gens de
rester dehors, et d’être à l’abri, de se sentir entourés,
aidés ?
Avant cela, il nous est relaté l’histoire réelle d’une Sergente de l’Armée du Salut, émue de la situation
des pauvres filles qui vivaient du commerce de leur corps, sans ressources du moment qu’elles
s’approchaient du banc des pénitents (c'est-à-dire qui manifestaient leur désir de changer de mode
de vie, comptant désormais sur Dieu pour cela, Lui demandant pardon pour leur vie passée),
résolut de les aider à triompher de la tentation. Elle leur ouvrit sa maison, leur offrant un lit et la
nourriture. La nouvelle se répandit parmi ces malheureuses ; plusieurs, dégoûtées de leur misérable
existence, vinrent demander asile à cette brave femme. La maison fut bientôt pleine … (pages 180,181)
Oui, les débuts furent modestes, mais répondaient aux besoins de l’époque, et étaient en harmonie
avec la vision que William Booth avait du comportement qui devait être celui d’un chrétien, et que
j’ai noté, tout au début de mes « prises de contact », en juillet 2002 :
- une action sociale, qui se préoccupe de la situation de son prochain, lui venant en aide
chaque fois que cela s’avère nécessaire
- une action spirituelle, ayant pour objectif de faire comprendre que l’aide que Dieu accorde
peut être une force réelle, susceptible d’apporter un changement du mode de vie.
Cette double action est indispensable dans la vie de tout chrétien, et est conforme à ce que Jésus
disait un jour, en réponse à certains qui l’interrogeaient :
- tu aimeras le Seigneur ton Dieu
- tu aimeras ton prochain comme toi-même
Plus de 130 ans se sont écoulés … Il ne serait plus possible d’agir ainsi, semble-t-il, de nos jours, où des
lois très strictes encadrent toute action sociale et où, au moins dans notre France, la loi sur la laïcité
amène plus d’un à penser à tort que toute référence à la religion, sujette à une certaine forme de
prosélytisme (pour ne pas employer le terme de « racolage) », doit être bannie. Nos Institutions
Sociales sont l’objet, régulièrement, de transformations, de restructurations ayant à répondre à des
normes précises. Les Officiers doivent être de plus en plus qualifiés, et cela, dans les deux domaines :
social, qui devient « professionnel », et spirituel, où les nouveaux « conducteurs » pensent si souvent
qu’ils se doivent d’être de plus en plus « théologiens » : on ne peut plus être comme « avant », nous
dit-on ! J’ai lu, ces derniers jours, un article écrit par un collègue, qui définit ainsi ce qu’est, d’après
lui, un Officier de l’Armée du Salut : Le rôle de l’Officier dépasse de loin sa première fonction de
Pasteur, appelé à amener d’autres personnes à Christ. A ses heures, il peut aussi devoir être le patron,
le comptable, l’administrateur, l’intendant, le rédacteur, le responsable des ressources humaines, le
directeur des relations publiques, l’archiviste, l’inspecteur de l’action sanitaire et sociale, le conseiller
d’orientation et, par délégation, le représentant du Quartier Général aux réunions de copropriété … Il a
le mérite de ne pas se soustraire à ses responsabilités …
Il ne faut pas oublier qu’une grande partie de son activité entre dans le cadre du travail social, que
ce soit en faveur de la jeunesse ou son contraire, des malades à visiter, ou des détenus en prison, etc.
Et je n’ai pu m’empêcher d’avoir une double réaction, en lisant l’ensemble de l’article cité plus
haut :
- Mais où sont-ils, ces « Officiers », susceptibles d’assurer le prolongement d’une action en
faveur du prochain, qu’il faut aider, tant moralement, que spirituellement … et aussi
souvent, matériellement ?
- Pourquoi fait-on si peu de cas de ce dernier point, lequel définit pourtant, par excellence, la
mission particulière du « Salutiste » ?
Il y a quelques années, j’ai fait une étude, que j’ai intitulée : « Encore combien de temps pour notre
Armée du Salut, en France ? » Et j’en étais arrivé à conclure que c’était probablement l’affaire
d’une vingtaine d’années … Oh, je sais que l’on me répondra : mais non, c’est impossible car, au
contraire, jamais on n’a autant parler d’elle ! Oui, mais alors, elle aura été « vidée » de ce qui en
fait sa spécificité, son esprit, et ne sera guère plus qu’une œuvre humanitaire, où le « social » aura
pris le pas sur le « spirituel », devenu inexistant : et cela, je le répète, ce n’est plus l’Armée du Salut,
car il faut que les deux aillent de pair ! Il n’est pas normal que certaines de « nos maisons » soient
dirigées par des personnes pour qui l’existence de Dieu est secondaire, car il manque, dès lors, une
partie de notre action … peut-être l’essentiel …
Dieu, par la bouche de l’Apôtre Jacques, nous dit ; « Supposez qu’un frère ou une sœur manquent de
vêtements et n’aient pas tous les jours assez à manger. Et voilà que l’un de vous leur dit : « Au revoir,
mes amis, portez-vous bien, restez au chaud et bon appétit », sans leur donner de quoi pourvoir aux
besoins de leur corps, à quoi cela sert-il ? Il en est ainsi de la foi : si elle reste seule, sans se traduire en
actes, elle est morte.
Nous avons besoin de chrétiens qui soient prêts à faire les études indispensables pour répondre aux
exigences de notre monde actuel, et pas seulement de « prédicateurs » … Il faut que leur idéal soit à
la hauteur de leur foi. et qu’ils réalisent combien les « appels du siècle présent » éloignent ceux qui,
en d’autres temps, auraient répondu : « présent ! » à l’appel de Dieu … Je pense à ces lignes de l’un
de nos cantiques qui disent : « pour sauver la France en détresse, jeunesse, on a besoin de toi ! ». Il
est possible d’imaginer que, dans quelques années, des chrétiens à « l’esprit salutiste » prennent la
responsabilité de nos « Postes », comme c’est déjà le cas dans certaines églises, ou dans l’une de nos
villes du midi, dépourvus de Pasteur, mais animées par un « Ancien » …
Les circonstances ont changé, et celui qui s’engage n’a pratiquement plus besoin de faire « vœu de
pauvreté », les ressources qui lui sont octroyées étant à la mesure de ses compétences et de son
engagement, quelle que soit son activité, dans un « Poste » ou une « Institution » …
Alors : qui se lèvera, et répondra « présent ! » ?
Avec toute mon affection,
Khorèn

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