L`action éducative au service de la construction identitaire des

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L`action éducative au service de la construction identitaire des
Ministère de la Justice et des Libertés
Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse
Samira CHARIFI
FSE 2014/2016
L'action éducative au service de la construction identitaire des
jeunes suivis par la Protection Judiciaire de la Jeunesse :
le rôle et la place de l'éducateur dans le processus de socialisation
du jeune
Sous la direction de Monsieur Henri Lasserre, Docteur en Sociologie
Mémoire professionnel de titularisation aux fonctions d'éducateur de
la Protection Judiciaire de la Jeunesse
École Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse
Pôle Territorial de Formation de Lyon
Unité Éducative d'Hébergement Collectif de Saint Genis-les-Ollières
« L’évolution actuelle pourrait favoriser, à terme, l’émergence d’une nouvelle approche
de la notion d’identité. Une identité qui serait perçue comme la somme de toutes nos
appartenances, et au sein de laquelle l’appartenance à la communauté humaine
prendrait de plus en plus d’importance, jusqu’à devenir un jour l’appartenance
principale, sans pour autant effacer nos multiples appartenances particulières. »1
1
MAALOUF Amin, Les Identités meurtrières, Ed. Grasset, p.114
REMERCIEMENTS
Avant les remerciements, je tiens à dédier cet écrit à mon père, qui nous a quitté le 28 octobre 2015.
C'est en grande partie, grâce à lui, que je suis celle que je suis aujourd'hui. Je le remercie infiniment
pour la transmission de ses valeurs et pour son courage.
Je tiens, par ailleurs, à remercier Jean-Joël LEPRINCE, éducateur au service de milieu ouvert de
Saint-Pierre-en-Faucigny, pour son soutien, ses questions et ses réflexions qui ont étayé les
miennes.
Merci à Monsieur LASSERRE, mon directeur de mémoire, pour sa réactivité et ses conseils avisés.
Merci à toutes les équipes que j'ai côtoyées, durant mon parcours à la PJJ. Elles m'ont permis
d'évoluer et de faire évoluer mon identité professionnelle.
SOMMAIRE
INTRODUCTION……………………………………………………………………………..1 à 8
CHAPITRE I : La difficile prise en charge des mineurs, lorsque l'institution est, elle-même en
crise identitaire
I. Présentation du contexte institutionnel : identités de l'UEHC de Saint-Genis-les-Ollières, l'équipe
éducative et les jeunes
1. Histoire et historicité de la structure……………………………………………………………….10 à 12
2. Identité de l'équipe éducative……………………………………………………………………….12 à 14
3. Un public en construction…………………………………………………………………….……..14 à 16
CHAPITRE II : Adolescence, crise et quête identitaire
II. L'action éducative comme moyen d'accès du mineur à son identité propre
1. L'éducateur, comme modèle identificatoire de référence…………………………………..……19 à 22
2. L'éducateur, comme vecteur de connaissance du système familial et révélateur d'une identité
filiale…………………………………………………………………………………………………...….22 à 26
3. L'éducateur, en position de tiers médiateur…………………………………………………….…27 à 31
CHAPITRE III : La prise en compte des origines culturelles dans la construction identitaire
III. La notion d'identité, source de polémique
1. L'origine, ou l'identité « idéale » : stratégies identitaires au sein d'un collectif……………..35 à 39
2. La sphère privée, ou lieu d'expression de l'identité ?……………………………………..……39 à 42
3. Interculturalité comme approche efficiente dans l'accompagnement des jeunes en quête
identitaire……………………………………………………………………………………..……..…...42 à 44
CHAPITRE IV : L'identité professionnelle constitutive de l'identité personnelle
IV. L'identité professionnelle comme élément fondamental de l'identité personnelle
1. L'action éducative, facteur de socialisation des jeunes par
l'insertion………………………………………………………………………………………………....46 à 48
2. La part de l'affect dans l'accompagnement éducatif : frein ou accélérateur à l'accès à sa propre
identité………………………………………………………………………………………………….…48 à 53
3. La part de mon intimité, de mon identité personnelle au service de la construction de mon
identité professionnelle d'éducatrice à la PJJ………………………………………………….……53 à 56
CONCLUSION…………………………………………………………………………..…...57 à 64
0
INTRODUCTION
Pré-affectée à l’Unité Éducative d’Hébergement Collectif (UEHC) de Saint-Genis-lesOllières depuis le 1er septembre 2015, j'ai pris mes fonctions dans une structure neuve, puisque
récemment construite. Je suis donc arrivée sur le terrain dans un contexte de déménagement et de
réappropriation des lieux par l’équipe en place. J'ai découvert, avec surprise, ces nouveaux locaux
situés dans un haut lieu de l’Histoire de France durant la seconde guerre mondiale, le domaine de
Chapoly, situé dans le Rhône. Dès cette première prise de poste, je suis devenue, moi aussi, en
quelque sorte, l’héritière de ce passé chargé d’histoire et détentrice d'une véritable identité
institutionnelle que je développerai plus tard dans mon écrit.
Lorsque j'ai entamé ma réflexion concernant le sujet de mon mémoire professionnel, soit à peu près
au moment où je prenais mes marques dans la structure où j'étais pré-affectée, j'ai donc
immédiatement été confrontée à une historicité de lieu et d'équipe qui m'a aussitôt orientée vers la
question de l'identité. Je me suis longtemps interrogée sur la pertinence d'une telle notion comme
thème de mon mémoire, de par la complexité du sujet, comme de son aspect « polémique ».
Néanmoins, et malgré ces risques, ce domaine de réflexion a toujours été un sujet qui m'a interrogée
et a suscité chez moi un véritable intérêt. Bien que souvent galvaudé, le thème de l'identité m'a
toujours semblé constituer un domaine crucial d'action dans le cadre des prises en charge auxquelles
j'ai du faire face durant mes expériences passées à la PJJ (contractuelle, j'ai précédemment travaillé
en hébergement, en insertion en Classe-relais ou encore en milieu ouvert). Dans tous ces services, la
question de l'identité a toujours été, à mon sens, l'un, si ce n'est le premier, des axes à travailler avec
le jeune et sa famille afin de rompre avec ses comportements délinquants et, à terme, de l'insérer de
façon pérenne dans la société. Développé dans des domaines aussi divers qu'hétéroclites, le terme
d'identité est utilisé indistinctement en politique et dans le monde éducatif.
L'utilisation récurrente de cette notion traduit, selon moi, une préoccupation particulière de chacun
de nous : savoir qui l'on est.
Ainsi, l'éducateur qui cherche à accompagner le jeune, de manière à l'insérer socialement et
à le convaincre de rompre avec des comportements anomiques doit, en tout premier lieu, si ce n'est
lui permettre de trouver qui il est, du moins l'aider à se révéler à lui même :
1
[…] « Nous avons besoin de comprendre, et nous ne le pouvons qu'en supposant l'identité dans le
temps. C'est donc que le changement n'est qu'apparent, qu'il recouvre une identité qui est seule
réelle. »2
Avant toute démarche de recherches scientifiques, et de manière à ne pas m'éparpiller dans des
concepts abscons dans un mémoire qui se veut avant tout professionnel, j'ai pris le temps de mettre
au clair ma propre compréhension de l'identité. Tout logiquement, c'est à partir de mes propres
connaissances que j'ai initié ma réflexion : pour moi, l'identité est avant tout un processus. Elle
n'est pas figée dans le temps, bien au contraire, elle évolue tout au long de la vie.
En évoquant l'accès du mineur à sa propre identité, j'ai pu me rendre compte que ce sujet, bien que
centré sur l'adolescent pris en charge, avait également partie liée avec moi-même. Nourrie par mes
expériences passées certes, mon identité est aussi imprégnée de celle de mes parents, de leur propre
histoire familiale et personnelle. Par ailleurs, et comme évoquée précédemment, cette question de
l'identité m'a particulièrement interrogée tout au long de mon parcours de vie et elle est venue
occuper une place importante dans mon parcours de formation à la PJJ.
Ainsi, il ressort que c'est en partie sur mon identité propre que mon identité professionnelle est
venue s'appuyer. Lorsque j'ai été amenée à construire et penser mon identité professionnelle
d'éducatrice à la PJJ, je me suis donc demandée si il fallait totalement la distinguer de mon identité
personnelle ? Au contraire est-elle un prolongement de ce que je suis ou bien est-elle uniquement
inscrite dans un cadre bien précis qu'est l'institution dans laquelle je travaille ? Enfin, pour moi,
l'identité renvoie à un état civil, une filiation, une place que chacun occupe dans sa cellule familiale.
Celle occupée dans le groupe de pairs, en fait une place, en de nombreux points, similaire à celle
que nous occupons dans la société dans laquelle nous évoluons.
Des auteurs, qu'ils soient philosophes, psychologues, sociologues ou bien anthropologues, ont tenté
de donner une définition à cette notion qu'ils associent assez souvent à la notion de socialisation.
Claude Dubar, sociologue, dans son ouvrage La Socialisation, construction des identités sociales et
professionnelles parle de socialisation entendue « comme un processus de construction sociale de
l'identité »3.
Le terme « processus » indique clairement que l'identité évolue tout au long du parcours de vie de
2
3
MEYERSON Emile, Identité et réalité, Paris, PUF, 1908.
DUBAR Paul, Socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Paris, A.Colin, Collection U,
2011.
2
chacun et qu'elle se construit et se reconstruit en fonction des interactions et de l'environnement.
Les psychologues eux, pour ne citer que Piaget ou Freud, évoquent l'identité de l'individu comme
un concept complexe. L'identité est vue par deux acceptions : d'une part « […] comme une entité
que l'individu parvient progressivement à dégager de l'ensemble de ses comportements et de ses
sentiments et d'autre part, l'identité [comme] le résultat d'une série d'identifications à des
personnes extérieures et d’appropriations des rôles, de statuts et de fonctions dans la société dans
laquelle un individu évolue ou pense pouvoir évoluer »4.
En outre, un éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), particulièrement lorsqu'il
travaille en hébergement, a un véritable rôle à jouer dans l'accès du mineur à une identité qui lui est
propre (ce que Gutner nomme « l'ensemble de ses comportements et de ses sentiments ») mais aussi
en terme de figure identificatoire propice à son insertion sociale «appropriations des rôles, de
statuts et de fonctions dans la société dans laquelle un individu évolue ou pense pouvoir évoluer ».
Notons que, outre le fait que le travail en hébergement implique une prise en charge de chaque
instant, le terme de « foyer » auquel il est associé place d'emblée les éducateurs en position de
parents de substitution. Ce terme replace donc le mineur dans une position d'enfant ou l'éducateur
doit, la plupart du temps, composer avec le rôle de parent (bon ou mauvais d'ailleurs) auquel il est
assigné par les jeunes. L'institution n'est « foyer » que par le nom, et c'est bien dans cette relation
particulière, entre éducateur et jeune pris en charge, que ce dernier peut trouver une place. Colette
Eynard, dans un ouvrage consacré aux maisons de retraite développe une analyse qui, si on l'aborde
dans le cadre de l'accueil des jeunes en hébergement, informe des transferts et contre-transferts qui
peuvent s'opérer en foyer :
« Dans un domicile ordinaire, [le foyer] est le lieu par excellence de l'intimité, voire du secret. [Il] est
rarement accessible à ceux qui ne partage pas l'intimité de ceux qui l'occupent. » 5
L’interaction entre les individus est donc bien facteur d'accès à son identité et, en ce sens,
l'éducateur a tout son rôle à jouer dans cette construction. Il est celui qui permet au groupe de vivre
ensemble ; et comme dans toute société, le « vivre ensemble » passe nécessairement par des règles .
Durkheim définit d'ailleurs bien ce concept en expliquant que c'est l'intégration des règles et du
rapport aux autres qui permet aux individus de se construire et de se forger une identité propre.
4
5
Cours du Professeur Gurtner, Psychologie, pédagogie : l'adolescent, Université de Fribourg (Suisse).
EYNARD Colette, en collaboration avec Didier Salon, architecte, Architecture et gérontologie ; peut-on habiter
une maison de retraite.
3
Mais plus que cela, l'éducateur, s'il souhaite réellement accompagner le jeune dans sa quête
identitaire, doit aussi favoriser les échanges avec autrui tel que Gustave-Nicolas Fischer,
sociologue, le définit :
« L'identité peut être définie comme les différentes modalités du sentiment et de la représentation de
soi qui découlent des formes d'interaction soi/autrui, dans un contexte social donné, et qui déterminent
qui nous sommes. »6
Ainsi, Fischer informe de cette double conception de l'identité que l'éducateur doit toujours garder à
l'esprit : une identité sociale qui se forgerait par un processus psychosocial et une identité
personnelle qui trouverait corps dans un processus psychologique.
Les dénominateurs communs de ces définitions, qu'ils soient vus par le champs de la sociologie ou
de la psychologie de l'enfant, sont bien en quelque sorte, le rapport à l'autre par une forme
d'interaction, un environnement naturel dans lequel chacun évolue et enfin, une base de sécurité
interne dès la petite enfance.
Approfondir la question identitaire des jeunes adolescents, notamment ceux suivis à la PJJ,
constitue toujours, et pour chaque prise en charge, un véritable défi. En effet, la plupart des jeunes
qui nous sont confiés ont manqué d'assises psychiques stables et sécurisantes leur permettant
d'entrer en interaction avec le monde qui les entoure.
C'est à partir du terrain que j'ai, en effet, pu constater combien les adolescents mettaient à mal le
lien entre eux-mêmes et leurs pairs, ou bien entre eux-mêmes et les adultes, notamment les
éducateurs. C'est d'ailleurs d'une situation expérimentée dans les premiers temps de ma préaffectation que j'ai pu valider le choix de mon sujet de mémoire :
Marwan, 16 ans, premier jeune placé au foyer de Saint Genis-les-Ollières depuis le changement de
locaux, m'a apporté, de ce point de vue, un éclairage salutaire sur la quête identitaire des mineurs
accompagnés par nos services ainsi que sur le rôle que doit, que peut occuper, l'éducateur. C'est lui,
par son histoire personnelle, comme par ses questions, qui m'a convaincue d'aborder le thème de
l'identité. Alors que nous discutions de façon informelle du sens que ce dernier pouvait trouver à
6
FISCHER, 1996, Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale, Paris, Dunod, 2è éd., p.184
4
son placement, il m'interrompait brutalement pour me dire : « J'trouve que t'es francisée ! ». Cette
phrase qu'il semblait annoncer comme une affirmation m'a quelque peu déstabilisée. Je
m’empressais donc de lui demander ce que cela signifiait véritablement. Il me répondait alors que
mon attitude, essentiellement ma façon de m'exprimer en français, lui fait penser que j'étais « Une
vraie Française ». Je ne comprenais pas pourquoi, à ce moment là, mes origines, mon identité
apparaissaient soudainement centrales dans ses interrogations. Aujourd'hui, je ne peux pas
m'empêcher de penser que par ses questionnements là, c’est sans doute sa propre identité qu’il est
venu interroger.
La situation de Marwan n'est pas isolée car j'ai constaté que la question de mes origines culturelles
m'était assez régulièrement posée par les jeunes. A plusieurs reprises, depuis le mois de septembre,
certains adolescents m'ont demandé d'où je venais, quelles étaient mes origines ethniques, et si je
parlais la langue arabe.
Plusieurs questions m'ont alors traversé : Est-ce l’éducatrice ou la Française d’origine maghrébine
qu’ils viennent interroger ? Que veulent-ils savoir, au fond, de mon identité ? De quelle identité
parlent t-ils d'ailleurs ? Que peut leur apporter le fait de connaître mon origine culturelle ? En ce qui
concerne Marwan, est-il conscient que c’est peut-être de sa propre crise identitaire dont il vient me
parler ? Si c’est le cas, alors est-ce une manière de me dire qu’il souhaite que je l’accompagne dans
sa quête identitaire, dans la connaissance de son histoire familiale, dans la connaissance d’une partie
de sa culture ? En suis-je vraiment capable ?
En outre, la légitimité de mon action professionnelle vient s’appuyer, en partie, sur mon identité de
femme. Dès lors, d'autres questionnement sont alors venus alimenter ma réflexion autour de ce
thème : Comment séparer identité personnelle et professionnelle ? Doivent-elles l’être d’ailleurs ?
En quoi l’une peut-elle permettre à l’autre de s’affirmer dans un cadre commun d’intervention ?
C'est donc toutes ces formes d'identité que j'ai à cœur de développer dans cet écrit.
Suite à cet échange avec Marwan j'ai d'abord tenté de définir les contours de mon sujet de mémoire
professionnel par l'unique prisme de l'identité culturelle. Pourtant, si mon premier questionnement a
trouvé ses fondements dans la question relative aux origines culturelles, après réflexion, la question
de l’identité semble bien largement dépasser les thèmes relatifs à l’immigration. En effet, comme
nous l'avons vu précédemment, l’adolescence a partie liée avec la construction identitaire, que ce
sujet soit traité au travers de la famille, du groupe de pairs, de la recherche d’une place dans la
5
société, ou encore de la Loi. Ainsi, toute affirmation de son appartenance à une communauté 7,
quelle qu’elle soit, me semble constituer un premier pas vers l’accès à une identité personnelle.
A mon sens, l’éducateur, par sa connaissance particulière de la problématique adolescente, sa
capacité à créer du lien, la figure parentale qu'il représente à certains égards, ainsi que par
l’affirmation de ses identités personnelle et professionnelle, doit permettre de faciliter l’accès du
mineur pris en charge à sa propre identité et, par là même, de réduire les passages à l’acte
délictueux de ce dernier.
Mais alors en quoi l’éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, par son
accompagnement éducatif, peut concourir à la construction identitaire des jeunes placés et/ou
suivis en institution ?
De même, en quoi l’éducateur, en aidant à la construction de l’identité propre du mineur pris
en charge à la PJJ participe t-il à corriger les comportements déviants ou à éviter la
réitération des passages à l’acte délictueux?
Selon moi, l’accès à une identité propre et solidement construite, permet au mineur pris en charge
par la PJJ, de trouver une place dans la société et donc d’accéder à la considération d’autrui (victime
entre autres) pour, ainsi, rompre avec des comportements déviants ou délictueux.
Au travers de ce travail écrit de réflexion, je tenterai de confirmer ou d'infirmer les sous-hypothèses
suivantes :
– L'éducateur, par le modèle identificatoire structurant ou modèle projectif (figure parentale de
substitution) qu'il constitue, concoure à la construction identitaire du mineur suivi par la PJJ.
En effet, l'éducateur représente à certains égards une figure parentale stable et amène le jeune à
comprendre les mécanismes de fonctionnement de son système familial. Il permet également aux
jeunes de se questionner quant au système familial dans lequel il évolue. Connaître son histoire
familiale permet à chaque jeune de se projeter, de construire un projet de vie et ainsi de se
construire une identité à part entière.
7
Le terne « communauté » n'est pas à attendre ici de manière péjorative. Il s'agit de la définition de communauté
tirée du Larousse : « Ensemble des individus unis par des liens d'intérêts »
6
De plus, les écrits de Michel Lemay nous apporteront un éclairage théorique utile à la
compréhension du rôle que peut revêtir le professionnel.
– L'éducateur, par l'affirmation d'une identité propre et assumée (notamment culturelle) concoure à
la connaissance de ses origines et à l'inscription sociale du mineur suivi par la PJJ.
L'action éducative permet de combler les failles identitaires de l'adolescent en crise. En effet,
l'action éducative est portée par des agents de socialisation qui vont permettre aux mineurs confiés
de s'identifier à eux et ainsi de se construire une identité propre au sein de la société.
– L'éducateur, par son action éducative, notamment en terme d'insertion (professionnelle et sociale),
concoure à la reconnaissance du mineur suivi par la PJJ, par la société, et à son accès à une identité
sociale et professionnelle, telle qu'abordée par Durkeim ou Dubar.
Ce travail de mémoire encrera son analyse sur des situations de terrain que j'ai pu consigner dans
mon carnet de bord. Par ailleurs, les échanges formels et informels entre les professionnels et les
jeunes, viendront nourrir ce travail.
D'un point de vue méthodologique, je me suis attachée à recueillir des données qui viendront
nourrir mon analyse en m'entretenant avec des éducateurs et des jeunes à partir d'une grille
d'entretien8 définie au préalable et travaillant les axes que je souhaitais évoquer dans cet écrit.
Enfin, mes diverses lectures apporteront des éléments théoriques éclairant mon analyse et ma
réflexion sur ce sujet parfois sensible à aborder.
Il conviendra ainsi, dans une première partie, de présenter la structure dans laquelle j'ai été préaffectée en ayant à cœur de la présenter comme une entité à part entière, ayant une identité propre.
J'aborderai ainsi ses caractéristiques particulières, les spécificités du public accueilli comme celles
de l'équipe dans laquelle j'évolue et la pratique particulière qui en découle.
Dans un second temps, j'évoquerai l'interaction entre des jeunes en quête identitaire filiale et
familiale. Il s'agira, ici, de voir en quoi l'éducateur de la PJJ peut aider les mineurs au repérage de
leur place dans la cellule familiale ainsi que de les accompagner dans une identité des « origines ».
8
Grille d'entretien consultable en annexe 1 et 2 (pages 70, 71 et 72) )
7
Dans un troisième point, je m'intéresserai à l'identité culturelle/ethnique de jeunes issus de
l'immigration. En quoi mon appartenance à la même communauté peut-elle autoriser le jeune à
casser certains stéréotypes et à trouver une place dans la société française ?
Enfin, la dernière partie abordera les leviers éducatifs mis en œuvre dans l'accompagnement des
mineurs pris en charge par la PJJ. Le travail peut-il encore être tenu comme un facteur
d'intégration ? Constitue-t-il un moyen, pour le jeune, d'accéder à son identité ?
8
Chapitre I
La difficile prise en charge des mineurs, lorsque
l'institution est, elle-même, en crise identitaire…
9
I) Présentation du contexte institutionnel : identités de l'Unité Éducative d'Hébergement
Collectif (UEHC) de Saint-Genis-les-Ollières, l'équipe et les jeunes pris en charge
1. Histoire et historicité de la structure
Comme je l'annonçais en introduction, le domaine de Chapoly, situé dans la commune de Saint
Genis-les-Ollières, est connu historiquement pour son Fort qui a servi de lieu de détention des
déserteurs jusqu'à la fin de seconde guerre mondiale. Ce lieu a été détruit puis racheté par l’État.
C'est en 1969 que le Ministère de la Justice inaugure les locaux de l'Institut de l’Éducation
Surveillée. Au fur et à mesure des années, les services, aux appellations diverses, se sont succédés.
En une quarantaine d'années, le Centre d'Action Éducative, le Centre de Placement Immédiat, le
Foyer d'Action Éducative ont successivement vu le jour. Depuis septembre 2011, la restructuration
juridique des services aboutit à la création de l’Établissement de Placement Éducatif (EPE) du
Rhône rassemblant mon unité et celle de Collonges-au-Mont-d'Or. Si ces multiples changements ont
pu occasionner une forme d'instabilité relative, il me semble important de noter qu'ils ont toutefois
eu lieu dans une forme de continuité à la fois historique et géographique.
Au fur et à mesure des années, le grand complexe prévu pour accueillir des adolescents pris en
charge par l’Éducation Surveillée de l'époque a vu ses moyens décliner. Les infrastructures
(gymnase, ateliers, terrain de football) ont été progressivement abandonnées, jusqu'à ce que ne reste
plus que le lieu d'hébergement, seule enclave attestant encore de l'histoire des lieux, au centre de cet
immense terrain appartenant à la PJJ.
Par là même, la mission générale de la structure 9 s'est recentrée sur l'essentiel et s'est concentrée sur
l'accueil des jeunes dans le cadre d'un déferrement ou bien dans celui d'un accueil préparé en
application des dispositions de l'ordonnance du 2 février 1945. Force est de constater que la plupart
des accueils que nous effectuons au foyer provient d'une décision prise en urgence par des
magistrats (Juge pour Enfants, Juge d'Instruction, Juge des Libertés et de la Détention, Substituts du
procureur de la république) en alternatives à l'incarcération. Ainsi, peu d'accueil sont réellement
préparés.
Comme dans la plupart des hébergements, les éducateurs sont amenés à réaliser un travail
d'observation et d'investigation de la situation personnelle, familiale, scolaire et professionnelle du
9
Informations tirées du projet de service de l'U.E.H.C de Saint Genis-les-Ollières, rédigé en 2012
10
mineur placé en vue de proposer des solutions éducatives au magistrat qui nous les confie.
L'unité accueille particulièrement des demandes émanant du service éducatif auprès du tribunal du
Rhône. La proximité favorise le travail étroit avec les familles et les services de milieu ouvert. Par
ailleurs, les jeunes viennent de l'ensemble de la Direction Inter-régionale Centre Est. (Rhône
Alpes/Auvergne). J'ai pu constater que plus les familles et les services de milieu ouvert sont
éloignées du foyer et plus les démarches de suivis en pâtissent.
A mon arrivée en septembre 2015, l'UEHC a subi un changement notoire puisque le service a
déménagé dans de nouveaux locaux. Si l'équipe est restée, en grande partie, la même depuis
plusieurs années ; force est de constater que ce changement d'« en-placement » a eu une incidence
sur cette même équipe, un peu perdue dans ce nouveau foyer.
En outre, en changeant l'emplacement de ce lieu de placement, j'ai pu constater que l'équipe s'est,
elle aussi, trouvée dans une forme de quête identitaire. En perte de repères, il a été difficile pour les
éducateurs d'investir ces nouveaux murs (à l'image des jeunes que nous accueillons et qui, durant un
temps, ont du mal à investir ce nouveau lieu de vie que constitue le foyer).
De plus, l'architecture des locaux (construits sur les normes et le cahier des charges d'un Centre
Éducatif Fermé), liée au projet (datant de 2007, de transformer l'EPE de Saint-Genis-les-Ollières en
CEF) a constitué une rupture dans les habitudes des professionnels et les a, à n'en pas douter,
perturbé dans l'exercice de leurs missions.
L'espace construit nous signifie en retour qui nous sommes et ce que nous devons faire.10
Si, de par mon arrivée récente, je n'ai pas ressenti aussi brutalement ces changements, les temps de
réunion ou d'analyse de la pratique m'ont permis de comprendre combien il avait été compliqué
pour les agents en poste depuis quelques années, de s'inscrire dans une forme de continuité de la
prise en charge. Quelques semaines après mon arrivée, une supervision a d'ailleurs été mise en
œuvre au bénéfice de l'équipe ; équipe qui a dû se reconstruire tant en terme d'appropriation des
lieux que de sa propre identité institutionnelle.
10
GETZELS J.W. Images of the classroom an visions of the learner. In : Comprehensive handbook of Psychology,
Volume5, 2002
11
En outre, si la structure sur laquelle j'ai été pré-affectée s'inscrit dans l'histoire même de mon
institution, il demeure que les récents changements ont eu une influence sur l'équipe éducative et,
par là-même, sur l'accueil des mineurs qui nous sont confiés.
Notons que le premier groupe d'adolescents qui est arrivé sur ce nouveau lieu de placement a été
difficile à gérer : il est évident que ces difficultés émanent essentiellement du profil des mineurs pris
en charge (ruptures multiples, infractions liées à des faits de violences, problématiques en rapport
avec l'attachement et le lien… etc). Néanmoins, il semble tout aussi vrai que ces difficultés de
gestion du groupe ont un lien avec la construction de cette nouvelle « identité » institutionnelle.
Pour faire référence à mon expérimentation, au travers de ma grille d'entretien, à la question
« Comment définiriez-vous l'identité professionnelle ? », deux éducateurs sur cinq ont répondu, que
leur identité professionnelle évoluait en fonction du contexte de l'institution. A titre d'exemple, A.,
éducatrice depuis onze années à la PJJ précise : « le déménagement est venu vraiment remettre en
cause mes pratiques éducatives, cela m'a vraiment déstabilisée dans ce que je considérais comme
acquis. Je pense que le professionnel a tout intérêt à s'adapter à toutes les fluctuations que peut
connaître notre institution ».
Il aura fallu quelques mois pour que les agents puissent appréhender ce nouveau lieu ; temps
d'adaptation nécessaire à une prise en charge plus apaisée des mineurs dont nous avons actuellement
la responsabilité.
2. Identité de l'équipe éducative
Avant de prendre effectivement mes fonctions à l'UEHC de Saint-Genis-les-Ollières, j'ai pris le
temps de me renseigner sur l'équipe avec laquelle j'allais être amenée à travailler quelques années.
L'équipe est d'emblée décrite comme étant une équipe stable, solidaire, autonome et expérimentée.
En effet, lors des premières réunions institutionnelles, je fais le constat que les éducateurs sont en
poste depuis plusieurs années, et que les demandes de mutations sont très rares voire inexistantes.
L'équipe est aussi autonome car depuis plusieurs années, elle n'a pas connu d'encadrement stable.
En effet, les directeurs de service et les responsables d'unité éducative contractuels se sont succédés.
Les éducateurs ont alors développé une vraie identité d'équipe donc les devises sont la franchise et
la solidarité.
12
En discutant individuellement avec mes collègues, chacun s'accorde à dire que la stabilité de
l'équipe est l'une des raisons pour lesquelles il ou elle ne souhaite pas exercer ailleurs.
De plus, si les effectifs sont restés stables durant toutes ces années, à l'inverse des autres services où
j'ai pu exercer durant mes années en tant que contractuelle, l'équipe de Saint-Genis-les-Ollières s'est
toujours définie comme autonome. Elle est composée de vingt-deux agents : quinze éducateurs, un
responsable d'unité éducative, une psychologue, une secrétaire, deux adjoints techniques de cuisine,
un ouvrier professionnel et enfin d'une directrice, puis d'un directeur récemment arrivé. De l'aveu de
tous, les éducateurs de L'UEHC de Saint-Genis-les-Ollières ont toujours privilégié l'auto-gestion.
La fréquence des mouvements des cadres (Responsable d'Unité Éducative et/ou Directeur de
Service) a, de plus, favorisé ce type de fonctionnement. L'équipe ne s'est pas, pour autant,
recroquevillée sur elle-même puisqu'elle n'a cessé de témoigner de son souhait de disposer de cadre,
et a également activement participé au projet de service ou à la réécriture du règlement de
fonctionnement. De même, les professionnels ont toujours attaché une importance particulière à la
qualité d'accueil et à la transmission.
Par ailleurs, la particularité de cette unité est que l'équipe éducative a fait le pari qu'une réussite des
prises en charge passait par la mise en place de projet d'insertion à l'extérieur. L'équipe a opté pour
accompagner et orienter les jeunes vers les dispositifs de droit commun. Le tissu partenarial est
dense.
Cette forme de prise en charge axée sur l'accès à l'insertion professionnelle repose sans doute sur les
éléments énoncés précédemment, à savoir la situation même du foyer au centre de tout un complexe
où la mise en situation professionnelle occupait une place cruciale dans la prise en charge. En effet,
comme nous avons pu le dire précédemment, le domaine de Chapoly, comptait des ateliers
préparant les adolescents à des métiers techniques tels que la mécanique ou l'électricité. Ainsi,
l'histoire des lieux a sans doute particulièrement marqué l'équipe qui a placé dès lors, le travail
comme valeur nécessaire et primordiale à toute forme d'insertion sociale.
En somme, et durant mon parcours de formation, j'ai souvent été confrontée à cette injonction sans
vraiment savoir y répondre : « vous devez construire Votre identité professionnelle ».
Je me suis par là même souvent posée cette question : comment faire de connaissances que tout
éducateur a pu recueillir durant ses années de formation (apports théoriques que chacun partage
avec ses collègues), quelque chose de personnel ?
13
La réponse me semble essentiellement reposer sur l'individuel bien-sûr, l'application des « savoirs »
recueillis en formation ou sur les terrains de stage diffère suivant les individus ; mais acquérir une
identité professionnelle consiste également à trouver une place dans une équipe. Si j'ai pu la trouver,
c'est parce que je partage bon nombre de ses principes. En ce sens, mon action fait sens dans un
collectif et s'inscrit dans des objectifs partagés par mes collègues.
C'est, à mon sens, ce sentiment d'appartenance à un groupe et d'entraide qui constitue la meilleure
garantie d'une prise en charge effective permettant au mineur confié à notre institution de trouver
une place dans la société et ainsi, de rompre avec des comportements délinquants.
3. Un public en construction
Conformément au cahier des charges des Unités Éducatives d'Hébergement Collectif, en date du 7
avril 2008, la structure dispose de douze places pour des filles et des garçons âgés entre 13 et 18
ans. Cependant, il est à noter que les filles ne sont que très rarement admises.
Les placements sont ordonnés par des magistrats en alternatives à l'incarcération, en sortie de
détention, en aménagement de peine ou dans le cadre d'admissions préparées. La plupart d'entre eux
sont également suivis dans le cadre de mesures pré ou post-sentencielles par les services de milieu
ouvert.
Les adolescents accueillis cumulent, pour la plupart, difficultés familiales, consommation de
stupéfiants et passage à l'acte délictueux. De plus, ils sont majoritairement en rupture scolaire et/ou
déscolarisés depuis de longs mois, voire d'années.
Mon expérience en tant que contractuelle à la PJJ, et notamment les missions exercées en ClasseRelais, m'a permis de repérer une forme de confusion chez les professionnels, entre comportements
et identité. Il me semble crucial de bien faire la différence entre les « agirs » des adolescents dont
nous avons la charge et leur identité.
J'ai souvent entendu ce dangereux raccourci « jeune PJJ » ; raccourci qui tend à différencier les
jeunes qui nous sont confié de la majorité des autres adolescents de leur âge. Lors des commissions
d'admission en Classe-Relais11, des places étaient, par exemple, dédiées aux élèves décrocheurs
lambda, d'autres aux « jeunes PJJ ».
11
Dispositif tripartite entre la PJJ, l’Éducation nationale et la Ligue de l'Enseignement du Val-de-Marne
14
Ces propos, peu subtiles, viennent pourtant informer de ce que l'opinion publique considère comme
faisant partie de l'identité. L'identité relève aussi des comportements : si nous ne sommes pas que ce
que nous faisons, nous faisons souvent en fonction de ce que nous sommes.
Existe-t-il pour autant une identité délinquante ?
Les jeunes placés évoquent, eux-mêmes, ce sentiment d'appartenance à un groupe d'individus
ignorant les lois. Leurs références tiennent d'ailleurs place d’étendard, à l'instar d'un Tony
Montana12, plaqué sur un T-shirt : une identité portée mais finalement pas intégrée.
Comme je l'évoquais précédemment l'identité n'est pas un état mais demeure un processus. En ce
sens, elle ne peut-être tenue comme identité construite. Laurent Mucchielli, évoque ce mouvement
présent dans la construction identitaire, en ces termes :
« La construction de l'identité délinquante est un processus psycho-social qui passe par la
rationalisation de l'opposition à un modèle jugé inaccessible et vise une revalorisation identitaire du
sujet ».13
En outre, la délinquance confine, la plupart du temps, à des comportements anomiques issus d'une
incapacité à trouver une place, quelle qu'elle soit, dans la société. Le passage à l'acte a moins
fonction de déstabilisation du monde ou de non respect des lois, que d’anxiolytique permettant de
calmer une crise interne larvée :
« On ne devient pas délinquant en se plaignant ou en s'excusant de l'être, en courbant l'échine ou en
baissant la tête. Il s'agit, au contraire, de sortir de l'anxiété, de la honte et de la dépression en
affirmant et en affichant un contre-modèle et une contre-identité, en valorisant l'aspect hédoniste du
style de vie délinquant. »14
Le travail sur la loi que fait tout particulièrement l'éducateur de la PJJ est inséparable du travail
visant à la construction identitaire du jeune. Ce dernier devra sortir de cette illusion d'identité, de
cette « contre-identité », pour respecter la loi d'une société, qu'il le veuille ou non, dont il fait partie.
12
13
14
Héro du film de gangster Scarface, interprété par Al Pacino, en 1983.
MUCCHIELLI Laurent, Dictionnaire de l'éducation, Paris, PUF, 2004.
ibid
15
L'UEHC est donc bien un lieu où les éducateurs et les mineurs se rencontrent, se côtoient,
interagissent et vivent ensemble. C'est un espace où les jeunes peuvent déposer leur souffrance
souvent liées à des histoires familiales complexes. La crise liée à l'adolescence vient elle aussi
déséquilibrer la construction de ces jeunes en quête d'une place dans la société. L'institution, dans
un contexte de crise identitaire, comme nous avons pu l'évoquer précédemment, doit trouver les
ressources nécessaires pour accompagner au mieux les adolescents en crise dont elle a la charge.
Surmonter cette double crise passe par une cohésion d'équipe resserrée où l'éducateur, même en
relative quête de stabilité institutionnelle, trouve le bien-fondé de son intervention dans l'identité de
l'équipe toute entière. Dès lors, il peut se référer à ses compétences et permettre à l'adolescent
d'accéder à une meilleure compréhension de son parcours familial, quitte à représenter, à certains
égards, une figure parentale de substitution.
16
Chapitre II
Adolescence, crise et quête identitaire
« Si les adolescents étaient encouragés par la société à s'exprimer, cela les soutiendrait dans leur
évolution difficile. »15
15
DOLTO Françoise, La Cause des adolescents, Pocket, Paris, 2013, p.109
17
II) L'action éducative comme moyen d'accès du mineur à son identité propre
Ce triptyque « adolescence-crise-quête identitaire » est souvent utilisé dans les ouvrages liés à ce
sujet.
L'adolescence, du latin « adolescere » signifie l'être qui grandit ou l'être qui est entrain de grandir.
L'adolescence est une période de transition, de crise, de mutation, de transformation qui touchent
tous les aspects du développement humain. C'est aussi une période durant laquelle les jeunes sont à
la recherche de leur identité propre, en voulant s'affirmer en dehors du système familial. Blos 16,
psychanalyste définit l'adolescence comme « une période où l'individu laisse les figures
d'attachements infantiles pour se tourner vers d'autres figures d'attachements ». D'un point de vue
sociologique et comme le définit Lutte17, l'adolescence est « une période de marginalisation et de
subordination imposée à un groupe d'âge qui possède toutes les caractéristiques pour être vu
comme adulte. »
Ainsi, cette idée de transition et de changement renvoie inéluctablement à cette notion de crise.
Cette grande section de mon travail de recherche tâchera de présenter, point par point, les
interventions possibles de l'éducateur dans ce contexte de crise, en partant de celle qui l'investissent
le moins dans sa relation avec le jeune et sa famille, pour aller vers celles qui imposent un
engagement plus important.
Lors de la formation initiale des éducateurs à la PJJ, et au cours de mes expériences antérieures en
tant qu’éducatrice contractuelle, je me suis, en effet, rendue compte que le travail avec les familles
constitue un élément essentiel dans et pour la prise en charge des jeunes.
Ainsi, dans cette partie, à partir de situations de terrain qui viendront illustrer mon propos, je
tâcherai d’expliquer en quoi l’éducateur peut être identifié comme une figure parentale pour et par
le jeune dont il a charge. Par ailleurs, l’éducateur par ses connaissances théoriques et sa capacité à
entrer en lien avec les adolescents, mais aussi avec leur famille, permet de détecter les
problématiques familiales. De plus, il permet d’apporter sa compréhension du fonctionnement
familial et ainsi d’aider le jeune à trouver une autre place que celle qu’il occupe déjà dans sa cellule
familiale. Enfin, l’éducateur joue le rôle de tiers et de médiateur dans la relation du jeune et de sa
famille.
16
17
BLOS Peter, The Adolescent passage, International universities Pressinc, 1979.
LUTTE Gérard, Libérer l'adolescence, Pierre Mardaga éditeur, collection Psychologie et sciences humaines, Liège
1988.
18
1. L’éducateur, comme modèle identificatoire de référence
Sur mon terrain de stage, j’ai pu me rendre compte que l’éducateur pouvait occuper une place
importante dans le parcours du jeune, notamment celle de modèle identificatoire et de référence. En
effet, la situation d’Adil, 15 ans et demi, placé au foyer de Saint Genis-les-Ollières est assez
significative de ce point de vue. L’accompagnement mis en œuvre par son éducateur référent a
permis de repérer des éléments intéressants dans la construction identitaire chez ce jeune.
Adil a été placé dans le cadre d'un Contrôle Judiciaire pour des faits de vol avec violence par un
Juge des Enfants du TGI de Lyon. Adil est un adolescent assez connu des institutions puisqu’il a
déjà traversé plusieurs placements au civil. Son arrivée à l'UEHC de Saint-Genis-les-Ollières a
constitué son premier placement pénal. Le mineur a multiplié les passages à l'acte de diverses
natures au sein du foyer (altercations physiques, verbales, fugues..). Lorsqu'il a été présent au sein
du foyer (et pas en fugue dans son quartier d'origine, comme souvent), il a mis à mal le groupe de
jeunes par des comportements agressifs envers ses pairs ainsi qu'en s'opposant systématiquement au
cadre. Il a passé le plus clair de son temps à racketter les jeunes les plus vulnérables, à les inciter à
consommer du cannabis ou de l'alcool, ou bien à encourager le reste du groupe à déroger aux règles
du foyer. Ainsi, par ses nombreux débordements et comportements déviants au sein de l'institution,
il semble qu'Adil soit venu exprimer un besoin de limites, règles strictes qui, au-delà de se
confronter au cadre, lui permettent de se confronter à lui-même et d'accéder à sa propre identité. La
fonction de rencontre « entre soi » dont nous parlons est particulièrement bien exposé par Thorne
Kent :
« L'adolescent perçoit que quoi qu'il fasse de bien, ce jeu relationnel ne suffira pas à l'apaiser. Une
première réaction peut être de dénoncer, voire de combattre le jeu relationnel. L'inconvénient de cette
attitude est qu'en plus des désagréments produits, il ne parviendra pas ainsi à stabiliser son identité.
Cela peut mettre du temps avant qu'il ne réalise qu'il ne peut pas réussir contre, pas plus qu'il ne peut
réussir pour. Réussir pour, parfois contre, c'est la position de l'enfant. La réussite pour l'adolescent
n'est que au-delà, dans la rencontre avec lui-même. »18
En outre, le passage à l'acte avait bien fonction expressive de quête identitaire pour un jeune qui,
par ailleurs, apparaît isolé au sein de sa famille. A ce sujet, Adil s'est toujours montré très mutique.
Il n'a jamais voulu parler de sa mère et il n'a pas non plus souhaité que nous la contactions.
18
THOME Kent, L'identité humaine et ses avatars, in identité-humaine.blogspot.fr, 26 janvier 2013, consulté le 26
avril 2016
19
En ce qui concerne son père, nous n'avons pas disposé d'informations suffisantes pour le joindre.
Adil, par ses actes, s'est donc opposé à son placement, et est venu poser la question de l'identité ,
notamment du point de vue de sa filiation et de sa famille.
Néanmoins, si nous avons pu constater qu'il s'opposait fermement au cadre par des agissements
aussi fréquents que désagréables, nous avons également remarqué qu’il entretenait une relation
assez privilégiée avec son éducateur référent. Mon collègue était, en effet, un des seuls éducateurs à
pouvoir reprendre avec Adil ses débordements et agissements, sans que se dernier ne s'énerve ou ne
mette un terme rapide au « recadrage ».
Pourquoi en était-il ainsi ?
Outre le fait que son éducateur référent, du fait qu'il soit un homme, ait été identifié par Adil comme
une personne pouvant occuper la place de son père, absent ; il semble que l'adolescent lui ait
reconnu une forme d'autorité, souvent associée à la figure paternelle d'ailleurs.
L'adolescent est venu légitimé, à de nombreuses reprises, la parole éducative de mon collègue
comme étant supérieure à celle des autres membres de l’équipe. Dans les faits, Adil s’adressait
constamment à son référent, rejetant sciemment tout entrée en lien avec les autres adultes.
Il semble que plus qu'une simple projection, c'est bien dans la relation que s'est forgée la légitimité
de son éducateur référent. En effet, c'est bien par sa capacité à discuter avec Adil, voire à transiger
avec lui, de manière à élaborer des solutions avec lui, que mon collègue a pu constituer un modèle
identificatoire :
« Pour l'aider [l'adolescent], l'adulte doit accepter de l'aider à élaborer des solutions qui seront les
siennes, et donc de ne plus vouloir le contrôler comme il le faisait avec l'enfant. […] L'adolescent doit
découvrir, en plus des valeurs relationnelles importées, les valeurs d'existence qui lui sont propres. »19
Daniel Rocquefort20, à l'instar de Michel Lemay, évoque cette notion de « pôle identificatoire ».
Pour l’auteur, l’éducateur doit servir de repère stable et structurant dans un cadre de relation
éducative et relationnelle, lui permettant de voir en l'autre un peu de lui.
19
20
THOME Kent, L'identité humaine et ses avatars, in identité-humaine.blogspot.fr, 26 janvier 2013, consulté le 26
avril 2016
ROCQUEFORT Daniel, Le Rôle de l’éducateur, L'harmattan, Paris, 1995 (p.82)
20
« Ce n'est que dans un temps second que l'éducateur pourra jouer le rôle social dévolu à l'homme ou à
la femme et offrir à l'enfant ou à l'adolescent un pôle identificatoire ».
C'est par sa présence, sa parole éducative significative et influente à certains égards, par le privilège
de la fonction de référent, par le cadre d’intervention qui lui permet d’apporter des solutions
éducatives, que l’éducateur pourra permettre cette identification imaginaire du mineur à l'éducateur.
Ce dernier devra être en capacité de supporter la fonction parentale aux yeux de l'adolescent placé.
C'est d'ailleurs dans cet accord tacite entre le mineur et l'éducateur (compromis permettant au
professionnel d'assumer cette fonction parentale) que se fonde l'identité professionnelle de
l'éducateur en question. Assumer cette identification c'est accepter de mettre un peu de soi au
service de sa profession, pour permettre au jeune de recréer le lien de filiation nécessaire à l'accès à
sa propre identité. Éducateurs comme adolescents, s'accordent à dire qu'un lien particulier peut
parfois se jouer entre eux, une sorte de filiation qui ne dit pas son nom.
Dans le cadre de mon expérimentation, j'ai pu interroger des adolescents placés ainsi que des
professionnels en les invitant à me parler de leur identité aux travers de diverses questions 21. Deux
jeunes sur cinq interrogés ont pu expliquer qu'ils accordaient une place particulière à leurs référents
qui, selon eux, les connaissaient mieux ou leur apportaient une aide plus importante que le reste de
l'équipe : « Mon éducateur référent, c'est lui qui appelle ma mère. » ou encore « Il m'aide plus à
trouver des stages ». La préoccupation supplémentaire de l'éducateur référent envers son jeune
référé, qu'a pu nommer ce dernier lors de notre entretien, ou les contacts qui unissent ce même
professionnel à la figure maternelle, me semblent bien illustrer le rôle de « re-père » que doit
assumer l'éducateur.
Notons également que la mission de référence favorise ce type de relation entre jeune et
professionnel. Pour autant, l'identification à l'autorité paternelle, garante des règles et des lois, ne
concerne pas que la gente masculine. Les missions spécifiques que doit exercer l'éducateur/trice de
la PJJ confèrent globalement à cette position d'autorité par le travail étroit entre éducatif et loi.
En outre, le père symbolique peut être indistinctement incarné par un homme ou une femme,
puisque c'est bien à partir de la réaffirmation de la loi que cette projection a lieu.
21
Grille d'entretien, voir annexes 1 et 2 (p.67, 68, 69)
21
Néanmoins, et c'est un risque qui me semble devoir être soulevé, si il est du travail éducatif
d'assumer cette place de parent pour permettre la construction identitaire de l'adolescent, il est
primordial de ne pas se substituer aux figures parentales réelles. Ainsi, le terme de « père de
substitution » me semble inadapté aux mission de l'éducateur : il ne peut être totalement sécurisant
s'il se mue en « éduc-acteur »22. A mon sens, il doit demeurer un simple écran projectif
d'identification, et c'est seulement dans cette fonction distanciée qu'il protège le mineur, qu'il se
protège, et favorise le lien entre parents et enfants.
Paul Fustier évoque ce risque par le biais d'une analyse historique de la prise en charge en foyer
ayant, à mon sens, toujours cours actuellement :
« Les éducateurs de la première génération ont proposé aux enfants un système de liens vécu comme
parental, mais d'une parentalité idéalisée, incassable, à la mesure de la réparation des puissants
traumatismes passés [...] »23
A mon sens, si l'on veut éviter un nouveau traumatisme, liée notamment à la fin du placement et au
détachement forcé des figures identificatoires, il est crucial de préserver les liens familiaux, à
minima de révéler leurs (dys)fonctionnements au mineur pris en charge. Il pourra ainsi trouver sa
place dans le système familial et, à terme, se forger une identité propre.
2. L'éducateur comme vecteur de connaissance du système familial et révélateur d'une
identité filiale
Dans cette sous-partie, nous allons nous intéresser à la compétence de l'éducateur à amener le
mineur pris en charge à mieux comprendre les mécanismes de fonctionnement de son propre
système familial. Pour se faire, je choisi de convoquer une situation tirée du terrain. Elle se
complétera d'analyses théoriques, issues de la psychologie et notamment de l'école systémique.
Haron a 16 ans et demi et est entrée à l'UEHC de Saint-Genis-les-Ollières en novembre 2015.
Arrivée sur ma structure suite à un déferrement pour des faits de vol avec violence, il a, au début de
son placement, montré l'image d'un jeune sur la défensive. Peu ou pas enclin à respecter les règles
de fonctionnent du foyer, surtout lorsqu'elles étaient énoncées par des femmes, il a cependant
22
« Éduc-acteur » est ici un jeu de mot qui permet d'expliciter le rôle que l'éducateur est parfois obligé de jouer.
Notons toutefois que ce rôle doit être incarné de manière consciente pour pouvoir accompagner le mineur dans la
construction de son identité propre.
23
FUSTIER Paul, « D'un Temps à l'autre », in Borie Bonnet H., et al., Une maison d'enfants à caractère social dans
50 ans d'histoire. André Vialle et le Rucher, Lyon, Le Rucher, 2006, p.41-53.
22
toujours accordé une grande importance à la parole de ses référents (binôme mixte).
Haron ne connaît pas son père biologique. Avant d'être placé, il vivait au domicile de sa mère qui a
refait sa vie avec un autre homme. Ce dernier, coupable de violences conjugales et lui-même encré
dans la délinquance est actuellement incarcéré.
A l'occasion du repas du dimanche soir, Haron revenait d'un week-end chez sa mère, il questionne
les éducateurs dont je fais partie sur les raisons qui font qu'il n'y a pas de viande halal servie ce soir
là. Sans attendre notre réponse, il décide de faire un sondage auprès des autres mineurs en présence
pour savoir combien de jeunes mangent de la viande confessionnelle. Certains lèvent la main,
d'autres ne répondent pas.
Il se tourne alors vers moi et me pose la même question : « Alors tu manges halal toi ? Oui ou
non ? ». Je lui réponds, qu'en tant que fonctionnaire, et par la neutralité que je dois respecter, je n'ai
pas à lui répondre. Il m'interpelle alors violemment en ces termes « Tais toi ! J't'ai pas demandé de
me raconter ta vie... » ; ce qui est assez étonnant, puisque c'est justement l'inverse que je visais par
mes propos.
Plusieurs insultes sont ensuite lancées à l'encontre de mon collègue et de moi-même avant qu'Haron
ne quitte le réfectoire.
A la fin du repas, et alors que mon collègue et moi-même finissons de débarrasser nos couverts, le
jeune Haron revient pour demander un dessert. Nous profitons de son retour, comme de son relatif
apaisement, pour revenir sur les événements. Nous lui expliquons que notre fonction ne nous
autorise pas à dévoiler nos croyances religieuses ou même nos convictions politiques. Étant dans de
meilleures dispositions pour comprendre et entendre, nous l'encourageons à nous présenter des
excuses ; ce qu'il parvient à faire.
Plus apaisé, il explique que s'il a réagi ainsi c'est parce que le week-end qu'il a passé avec sa mère
s'est mal déroulé. Il continue en expliquant avoir eu quelques soucis avec elle, qu'elle a passé son
temps « à [lui] faire la morale ». Nous l'interrogeons alors sur cette mère, sur la connaissance qu'il
a de sa vie. Nous l'interrogeons également sur la souffrance qu'elle peut ressentir à savoir que son
fils est sous-main de Justice, qu'il est placé. D'ailleurs quelle place occupe-t-il auprès d'elle ? Auprès
de ses frères et sœurs ? Dans sa famille ?
23
L'effet que provoquent nos questions n'est pas celui escompté et Haron craque littéralement. Il
s'autorise enfin à l'émotion et pose des mots sur la souffrance qu'il ressent de ne rien connaître de
son père. Prenant acte de ses révélations, nous tâchons de faire exister cette figure paternelle
absente : Nous demandons à Haron de s'exprimer sur les sentiments que provoque chez lui
l'évocation de ce père biologique ? Comment l'imagine-t-il ? La conversation durera environ
quarante minutes, avant que le reste du groupe ne vienne nous solliciter et couper court à l'entretien.
Toutefois, notre échange semble avoir apaisé Haron qui, depuis, n'a pas eu d'autres altercations
verbales avec moi, ni avec aucun autre éducateur d'ailleurs.
Plus que le conflit de façade sur l'appartenance religieuse, cette situation me semble bien exposer
les traumatismes liés à une identité parcellaire et les comportements qui peuvent en découler. Ainsi,
j'ai pu m'interroger sur la fonction de passage à l'acte verbal :
Haron voulait il avoir des éléments sur nos vies privées, nos identités, comme pour compléter la
sienne ? En quoi nos questions ont-elles pu l'apaiser ? Quelle « solutions » ont-elles permis
d'envisager ?
La période de l'adolescence constitue un moment de la vie où le cadre parental est fortement
sollicité. Ainsi, la filiation (visibilité des liens entre ascendants et descendants d'une même famille),
lorsqu'elle est lisible, permet d'inscrire le jeune dans une lignée généalogique. Pierre Lévy-Soussan
expose les différents axes possibles en ce qui concerne cette notion de filiation24 :
[…] « La filiation désigne un lien de parenté qui unit des génération entre elles. À ce titre, la filiation
inscrit un individu dans un réseau généalogique. Nous pouvons référer la filiation à trois axes :
biologique, juridique et psychique.
La filiation biologique est celle de la procréation, [elle] ne suffit pas à être parent.
[…] La filiation juridique est celle du cadre législatif, qui définit les règles de la filiation.
[…] La filiation psychique représente une construction subjective de sa propre vérité qui permet de se
considérer comme père, mère fille ou fils ».
Dans la situation d'Haron, deux des trois axes de filiation son incomplets : du point de vue
biologique, il ne connaît pas son père et du point de vue juridique c'est son beau-père, absent car
incarcéré, qui l'a reconnu. En outre, la filiation psychique apparaît comme le ciment qui unit les
deux premiers axes. Entendons ici, la « construction subjective de sa vérité » ; vérité objective que
24
LEVY-SOUSSAN Pierre, La Filiation à l'épreuve de l'adolescence, in « Parentalité », Adolescence, N°55, Janvier
2006, p.220.
24
nos questions ont sans doute permis de faire émerger.
Oui le père d'Haron est absent,
définitivement absent, mais c'est bien l'acceptation de cette vérité qui a permis à Haron de le faire
exister psychiquement :
« Pour l'enfant, l'élaboration inconsciente et consciente de la rencontre parentale dans la construction
de son identité est l'une des composantes essentielles de ce nouage : naître du désir, d'un
« enfantement » psychique d'un couple, d'une histoire »25
Avec du recul, j'ai cherché à savoir ce qui s'était joué durant cet entretien et pourquoi ce temps
d'échange et de questionnement avait pu apaiser Haron, même s'il n'avait pas permis de répondre à
ses questions. Au fil de mes lectures, je me suis intéressée au courant systémique qui peut être
défini ainsi : « Méthode de traitement utilisant le modèle systémique, qui considère de façon
dynamique les systèmes vivants dans leur totalité et leurs interrelations avec les autres objets. » 26
En d'autres termes, cette méthode systémique, ne s'attache pas directement au passage à l'acte
(passage à l'acte vu comme un « symptôme », posé par le mineur) mais permet au système
(familial) de mobiliser ses propres ressources dans le but de trouver lui-même des solutions.
Cette définition semble, en effet, bien correspondre à la dynamique de l'entretien que nous avons eu
avec cet adolescent. En systémie, plusieurs concepts forts sont à l’œuvre et s'inscrivent dans la
conviction d'une « potentialité de la famille » à trouver des solutions à ses propres problèmes.
« Certains donnent pour finalité aux individus de « croître », de devenir plus
« responsables », plus « authentiques ».On peut affirmer alors qu'il y a là convergence étroite
entre cette approche systémique et certains courants de la psychologie humaniste, ceux du
potentiel humain par exemple.
»27
Sans m'en apercevoir, nous avons utilisé des concepts de la systémie tels que l'évocation du
« patient désigné » (questions sur la place qu'occupe Haron auprès de sa mère, de sa fratrie, de toute
sa famille), du « tiers absent » (son père ou son beau-père), ou encore par l'utilisation d'une question
circulaire (que penses-tu que cela fait vivre à ta mère de te savoir sous main de Justice ? Placé?).
Autant de questions qui, si elles n'ont pas permis d'apporter des réponses à Haron (les réponses ne
proviennent jamais de l'extérieur en systémie), lui auront permis de réinterroger sa place.
25
26
27
Ibid.
JUILLET Pierre, Dictionnaire de la Psychiatrie, Éditions CILF, Juin 2000.
MINARY Jean-Pierre, Modèles systémiques et psychologique, approche systémique et idéologie dans l'Analyse
Transactionnelle et dans le courant de Palo-Alto, Pierre Margada éditeur, collection Psychologie et sciences
humaines, Liège, 1992, p.64.
25
L'accompagnement de la construction identitaire de l'adolescent, par l'éducateur de la PJJ, passe
donc quelque fois davantage par l'acceptation des zones d'ombres que peut revêtir l'histoire d'un
jeune, plus que par des réponses qui, de toute façon, ne peuvent être apportées par l'éducateur.
Cette approche systémique (à laquelle mon collègue a peut-être été formée) mérite, à mon sens,
d'être approfondie dans le cadre de l'accompagnement du mineur vers son identité propre. Si j'avais
eu plus d'éléments sur ce courant, j'aurai sans doute poursuivi ce travail sur la famille avec Haron,
notamment par des entretiens impliquant mère et fils ou encore par l'utilisation du génogramme ou
de tout autre outil de systémie.
La formation des professionnels constitue donc bien un véritable atout dans la prise en charge des
mineurs en quête identitaire et, d'après les professionnels interrogés (cinq en tout) dans le cadre de
mon recueil de données28, la plupart évoquent une « prise de recul » quant à leur posture
professionnelle ou encore « la confirmation d'une voie professionnelle ». Cependant, compte-tenu
de la masse d'apports théoriques à intégrer en un laps de temps relativement réduit, seulement deux
d'entre eux ont évoqué la période de formation en terme de contenus techniques et théoriques. Pour
chacune des éducatrices susnommées, en grande demande de « savoir-faire », les apports ont été
trop pauvres ou trop rapidement abordés.
Ainsi, l'identité professionnelle, si elle repose sur un certain nombre de compétences acquises
durant la période de formation, trouve cependant véritablement corps dans la conviction que les
mineurs en difficultés, s'ils sont bien accompagnés, peuvent rompre avec la délinquance. Pour ce
faire, l'accès à une identité construite, acceptée malgré ses failles, me semble être un élément central
du processus de resocialisation.
En ce sens, l'éducateur doit être polymorphe s'il souhaite réellement porter le jeune dans une
construction identitaire qui a pour base la famille (tour à tour modèle identificatoire, ou
« thérapeute » dans le cadre d'une approche systémique, nous l'avons vu).
Dans les deux formes d'intervention que nous avons abordé, le professionnel travail sur l'objet
famille, mais s'en tient toujours à l'écart.
Il s'agira donc, dans une dernière sous-partie, de voir comment il peut intervenir directement auprès
28
Annexe 1, p.70 : question : « Quelle part de votre vie personnelle/privée mettez-vous au service de votre vie
professionnelle ? » .
26
des parents et de leurs enfants sans, pour autant, occuper une place dans le système familial.
3. L'éducateur en position de tiers médiateur
J’ai développé précédemment le rôle fondamental que joue l’éducateur dans l’accompagnement
éducatif auprès du jeune et de sa famille. Il amène ces derniers à avoir une meilleure compréhension
des fonctionnements de la cellule familiale et des places que chacun occupe en son sein, au travers
de quelques concepts relevant du champ de la systémie.
Néanmoins, cette approche place le professionnel à distance du jeune et de sa famille : il s'agit
d'amener à la compréhension des enjeux familiaux de manière à ce que le jeune puisse trouver une
place et s'appuyer sur des bases familiales (si elles doivent demeurer incomplètes, tout du moins
comprises dans leur incomplétude) pour construire son identité propre.
Ainsi, il semble nécessaire dans certaines situations familiales particulièrement complexes, que
l'éducateur « fasse avec » le jeune et sa famille, afin de dénouer certaines tensions qu'aucune
tentative de prise de distance par un mouvement de compréhension des difficultés (émanant du
jeune ou de ses parents) ne saurait apaiser.
Dans certains cas, donc, l'éducateur me semble devoir s'investir directement auprès des familles et
occuper une place dans un schéma de triangulation nécessaire à l'apaisement des rapports entre les
membres de cette famille, certains évoqueront la « détoxification » des paroles et des relations. Le
professionnel est donc parfois contraint de prendre la place du médiateur, ou plus explicitement le
rôle de tiers dans la relation entre l’adolescent et sa famille, tel que le définit Tosquelles29 :
« Être médiateur, c’est se mettre au milieu. En effet, l’éducateur est toujours ce personnage qui tente
d’établir un pont entre un être actuel, en devenir, et un environnement qui doit apporter sa contribution
éducative ».
« Être au milieu » signifie que l’éducateur ne prend la place ni de l’un ni de l’autre, ne prend partie
ni pour l’un ni pour l’autre : il est là avec eux et pour le jeune.
Son action vise à amener l'adolescent à grandir : c’est un être en devenir qui est entrain de
construire son identité personnelle. A la différence de la systémie, le professionnel utilisant la
médiation à des fins d'accompagnement du mineur dans sa quête identitaire, doit garder à l'esprit
29
LORENZI A, L'Educateur, objet d'amour, 2004
27
qu'il ne s'agit plus d'une « action éducative » visant à identifier les difficultés familiales.
L'éducateur devra, cette fois-ci, informer le mineur, sans le dévaloriser, de l'inachèvement de son
identité actuelle (ce que l'auteur nomme « un être actuel, en devenir » et du processus engagé dans
le cadre de cette quête identitaire. Le travail avec la famille reposera donc essentiellement sur le
soutien de cette dernière, aussi imparfaite et carencée soit-elle, à l'accès à une identité propre du
mineur suivi.
Afin d'illustrer mes propos, il me semble intéressant d'évoquer une autre situation de terrain, celle
du jeune Hassen, 17 ans, placé au foyer depuis le mois d’octobre 2015 pour des faits d’agressions
sexuelles sur sa petite sœur. Concernant ces accusations, Hassen les nie prétextant que sa sœur a
tout inventé pour que ce premier soit placé et qu’elle puisse jouir d’une relation exclusive avec sa
mère. Madame, quant à elle, a dans un premier temps soutenu la version d’Hassen et, petit à petit, a
fini par prendre le parti de sa fille.
Lors d’une synthèse qui a réuni la responsable d’unité éducative, la psychologue, l’éducateur
référent du mineur et sa mère, cette dernière a évoqué le fait de ne pas être en capacité d’accueillir
Hassen à son domicile sur le temps du week-end et qu’elle souhaitait, par là même, prendre de la
distance et limiter les contacts avec son fils.
Durant cette rencontre entre professionnels et famille, le rôle de l'éducateur référent a été, dans un
premier temps, de comprendre les enjeux de la décision de la mère pour, ensuite, pouvoir les
formuler au jeune. De cette manière, il a détoxifié des mots qui auraient pu faire violence à Hassen,
notamment en expliquant la position de sa mère, tiraillée entre ses deux enfants.
Ainsi, la fonction de tiers, portée par l'éducateur, a aidé Hassen, à accepter la séparation avec sa
mère, et cela même si elle n'émanait pas directement de sa propre volonté.
Freud informe d'ailleurs de cette nécessité, pour l'enfant, d'accepter cette individualisation, au
travers de l'évocation du « jeu de la bobine », première médiation permettant de se réparer de
l'absence de la figure maternelle :
« L'enfant dont Freud rapporte le jeu avait une bobine entourée d'une ficelle.Tout en maintenant le fil,
il lançait la bobine par-dessus le bord de son lit entouré d'un rideau.Il prononçait alors un « oooh »
prolongé qui fut alors aisé d'interpréter comme une esquisse du « fort » allemand qui veut dire loin,
parti. Il ramenait alors la bobine dans son champ de vision et saluait la réapparition d'un joyeux
28
« da » (voilà). Ce jeu, dès lors, avait la signification d'un renoncement. […] Ce jeu a montré que le
langage se détache du réel et qu'il permet au sujet de se repérer lui-même en se distançant du réel
vécu ».30
L'éducateur, par le filtre entre mère et enfant qu'il a constitué, a joué le rôle de la bobine évoquée
par Freud dans l'extrait précédemment cité. La séparation des figures parentales, l'acceptation de
cette séparation, me semble être un élément déterminant dans le processus d'individuation,
nécessaire à l'accès à une identité propre.
De ce point de vue, l'approche de la question d'identité que j'ai voulu retranscrire dans mon travail
de recherche se rapproche en tous points de celle de Margaret Mahler, psychologue qui évoque cette
phase de « séparation-individuation » à laquelle est particulièrement soumis Hassen dans la
situation choisie.
En effet, M.Mahler, dans son ouvrage La Naissance psychologique de l'être humain31, parle d'une
naissance psychologique qui, si elle s'opère essentiellement « du quatrième ou cinquième mois
jusqu'au trentième ou trente-sixième mois » de vie, ne cesse cependant d'être à l’œuvre durant le
reste de notre existence.
L'auteur note qu'une des phases du processus de séparation-individuation nommée « Permanence
de l'objet libidinal et consolidation de l'individualité », « commence vers vingt-quatre mois, mais
n'a pas de fin » :
« La séparation du self et de l'objet inaugure le sentiment d'identité. L'enfant élabore une
représentation stable de son identité individuelle par structuration extensive autour de son moi
corporel ».
Ainsi, l'accès à son identité passe par l'acceptation de la séparation d'avec sa mère et, dans ce cadre,
tout placement apparaît comme un révélateur/accélérateur de cette transition, d'autant qu'elle se fait
durant la période particulière de l'adolescence.
Annoncer la décision prise par Madame, « détoxifier » ses propos pour qu'Hassen accepte cette
séparation, qu'il puisse entrer dans un processus d' « individuation » nécessaire à la construction de
30
31
LEMAIRE Anika, Jacques Lacan, MARDAGA Pierre édition, Huitième édition revue et augmentée, Hayen, 1977.
MAHLER M., F.Pine, A.Bergman, La Naissance psychologique de l'être humain, Paris, Payot, 1980 (édition
américaine originale 1975).
29
son identité, n’a pas été la seule difficulté. Il a fallu également accueillir la souffrance d’Hassen qui
éprouvait un fort sentiment de rejet de la part de sa mère. Accueillir cette souffrance, c’est aussi
amener le jeune à travailler sur sa situation actuelle et sur les projections qu’il peut élaborer quant à
son avenir. En somme, c’est l’aider à grandir et ainsi à se construire sa propre identité ; une identité
qui ne cessera de croître tout au long de sa vie.
La construction de l’identité, si elle passe par une connaissance accrue de nos origines, filiales,
familiales (tout ou partie de notre passé commun et individuel), passe aussi par le renoncement à
certains éléments auxquels nous n'aurons jamais accès, certains membres de notre famille que nous
ne ne verrons plus, que nous acceptons de ne plus côtoyer : accepter la rupture avec l'être aimé s'est
souvent reconnaître sa responsabilité dans cette rupture.
En ce qui concerne cette situation, il est clair que la prise de distance qu'a dû effectuer Hassen vis-àvis de sa mère à eu des conséquences positives sur leur relation. De par la distance qui s'est
instaurée entre-eux, les tensions se sont progressivement apaisées et la mère s’est sentie prête, il y
peu, à rencontrer de nouveau son fils.
Son éducateur référent et moi-même, avons donc organisé une rencontre entre eux. Nous avons
assisté à leurs premières retrouvailles et avons fait tiers dans cette rencontre chargée d'émotion.
Notre rôle, cette fois-ci, a été de permettre l'expression directe des sentiments, entre mère et fils ;
sentiments qui ont pu alterner entre joie et reproches.
Par notre intervention qui a revêtue la forme d'une médiation, Hassen et sa mère ont toutefois pu se
parler calmement et il semble que le mineur ait, pour la première fois, pu reconnaître sa part de
responsabilité en s'excusant de ses agissements auprès de sa mère. En outre, accompagner le jeune
dans ce processus de différenciation, dans sa quête identitaire, c’est aussi travailler à sa propre
responsabilité et notamment à une réflexion sur ses passages à l’acte.
Le fait qu’il ait été soumis à une double séparation : séparation de sa mère, par ordonnance de
placement provisoire prononcée par un juge, mais aussi parce que cette dernière souhaiter se tenir à
distance de son fils a, visiblement, considérablement accéléré le processus d'accès à l'identité
d'Hassen. Si ce travail reste encore à compléter, il est indéniable qu'il a permis au mineur d'effectuer
un travail salutaire sur la notion de responsabilité et réduit, par la même, les risques de nouvelle
transgression de la loi.
30
Néanmoins, et dans la volonté d'une démarche la plus exhaustive possible, nous ne pouvons
considérer que le seul travail sur la famille (travail porté par l'éducateur) est suffisant pour
accompagner le jeune suivi par la PJJ dans son processus d'accès à une identité propre, garantie
d'une socialisation qui permettra l'arrêt des infractions.
En effet, mon expérience a pu me montrer que si les jeunes entraient en délinquance, c'est
également parce qu'ils avaient les plus grandes difficultés à trouver une place, à se reconnaître dans
la société française telle qu'elle est aujourd'hui. La question des origines et des communautés tient, à
mon sens, une place majeure dans cette difficulté à s'intégrer socialement.
31
Chapitre III
La prise en compte des origines culturelles dans la
construction identitaire
« Étrangement, l'étranger nous habite : il est la face caché de notre identité… de le reconnaître en
nous, nous nous épargnons de le détester en lui-même. Symptôme qui rend précisément le « nous »
problématique, peut-être impossible, l'étranger commence lorsque surgit la conscience de ma
différence et s'achève lorsque nous nous reconnaissons tous étrangers, rebelles aux liens et aux
communautés. »32
32
KRISTEVA Julia, Étrangers à nous-mêmes, Folio, collection essais, Paris, 1991.
32
III) La notion d'identité, source de polémique
Nous avons vu précédemment l’importance, pour les jeunes, d’avoir accès à une meilleure
connaissance de l’histoire de leur famille. En effet, connaître d’où l’on vient permet indéniablement
de mieux savoir où l’on va. L’éducateur à la PJJ est celui qui va accompagner les jeunes dans ce
travail de rétrospection. Il va les inviter, ainsi que leur famille, à apporter un autre regard sur le
fonctionnement familial. Pour cela, il dispose de certains outils, notamment ceux de la systémie et
de la médiation, pour concourir à la construction identitaire du jeune dont il a la charge.
Je le disais déjà en introduction : traiter la question de l’identité est un exercice périlleux, polémique
parce souvent galvaudé dans le monde politique. Les attentats de janvier et novembre 2015, ou
encore l'accueil des migrants en Europe occidentale, sont autant d'événements venus réactiver les
questions liées aux origines et à l'appartenance à la communauté nationale. Notons, cependant, que
ces questions d'identité sont déjà à l’œuvre dans la société française depuis plusieurs années, voire
décennies. Nicolas Sarkozy, alors président de la République, évoquait en son temps cette notion,
notamment au soir de son élection, en 2007. Il déclarait alors « Je veux remettre à l'honneur la
Nation et l'Identité nationale.». Plus que l'illustration de l'aspect polémique d'un tel sujet, j'ai choisi
de faire référence à ce discours pour illustrer cette préoccupation, toujours croissante, de la société
pour cette question d'identité ; et dont le monde éducatif n'est pas exclu.
A cette notion d'identité « nationale » – qui pose les jalons d'un certain nombre de valeurs partagées
par des individus résidant sur un même territoire (identité sociétale aurait peut-être été plus précis) –
on voit fleurir dans les médias des termes ayant vocation à exprimer la multiplicité des identités tels
que « Diversité ». Ce mot renvoie la plupart du temps aux origines ethniques variées dont est riche
la France : les hommes et femmes étant issus de la diversité pouvant partager, par ailleurs, une
identité nationale commune.
Si le Larousse insiste sur la notion de différence pour définir le mot Diversité : « Ensemble des
personnes qui diffèrent les unes des autres par leur origine géographique, socioculturelle, religieuse,
leur âge, leur sexe, leur orientation sexuelle, etc… » ; le dictionnaire insiste également sur
l'appartenance de ces différentes communautés à un ensemble plus grand, ici la nation : […] et qui
constituent la communauté nationale à laquelle ils appartiennent ».
L’identité, nous l'avons vu, est polymorphe parce que l'histoire familiale de chacun, ses assises
filiales, son sexe, ses orientations sexuelles diffèrent d'un individu à l'autre ; mais elle l'est aussi
33
parce que nos origines ethniques et culturelles sont différentes et peuvent, quelquefois, éloigner les
jeunes dont nous avons la charge du sentiment d'appartenance, si ce n'est à la nation, à minima les
éloigner du sentiment d'appartenir à la société et d'y trouver une place.
Ainsi, il conviendra, dans cette partie, de voir en quoi l'éducateur par son action, peut permettre au
mineur pris en charge d'accéder à une lecture plus juste de ses origines et de sa culture ; de manière
à ce qu'il entre dans un processus de socialisation lui permettant de trouver une place dans la
société.
Nous aborderons d'abord une situation tirée du terrain, qui pose la question de la revendication
d'une identité, pourtant incomplète en de nombreux points, dans un contexte ou le collectif a son
influence.
Ensuite, nous verrons comment l'éducateur peut garantir des droits permettant au mineur de
construire son identité propre au sein de l'institution, notamment par la préservation de la sphère
privée. Nous évoquerons divers notions comme celles de l'intimité et de la laïcité et tenterons
d'expliquer les difficultés auxquelles est soumis l'éducateur dans l'accompagnement des mineurs
placés (limites entre libertés individuels et protection ou encore entre prise en charge individuel et
travail avec le collectif).
Enfin, nous verrons en quoi tout éducateur peut valoriser une double appartenance culturelle du
mineur, en faisant appel à l'approche inter-culturelle, dans la construction de sa propre identité.
Avant d'entamer le développement des parties précédemment énoncées, il me semble primordial de
bien définir les termes que j'utiliserai. En effet, j'ai fais le choix de nommer les jeunes dont je vais
parler par le terme générique de « Français d'origine étrangère ». Si j'ai choisi ce terme c'est parce
qu'il me semble le mieux regrouper le public parfois hétérogène dont je parlerai : jeunes français,
nés de parents immigrés (« deuxième génération ») ou jeunes français, de parents français, euxmême de parents immigrés (« troisième génération).
34
1. L'origine ou l'identité « idéale » : stratégie identitaire au sein d'un collectif
Sur les différents lieux d'exercice où j'ai pu travailler, j'ai pu remarquer que les jeunes venaient
souvent m’interpeller sur mes origines. Lors de la plupart de mes entrées en relation, ne disposant
que de mon prénom (Samira qui signifie en arabe « celle qui aime veiller »), les adolescents
viennent presque systématiquement me demander quelles sont mes origines ethniques. Je sais à
quelles origines ils font allusion mais je choisis, dans la plupart des cas, de ne pas répondre
directement à leur questions, aussi insistantes soient-elles. En général, je leur réponds que je suis
Savoyarde et enfin, que je suis Française d’origine algérienne. Une fois l’information délivrée, ils
ne m’en demandent pas forcément plus. Ils apparaissent simplement « soulagés » de savoir dans
quelle « catégorie » me placer.
Ainsi, il m’a semblé primordial, dans le cadre de ce mémoire, d'interroger ma posture
professionnelle en tant qu’éducatrice (Française d'origine étrangère) dans le cadre de ces
questionnements sur mon identité, mais aussi dans le cadre de mon apport à la construction de
l'identité des mineurs que j'accompagne : En quoi puis-je être repérée comme une figure
identificatoire pour ces jeunes qui viennent, quelquefois, revendiquer leur appartenance à une
communauté étrangère (origine plus ou moins éloignée). Peut-on parler d’identité culturelle ? Que
connaissent-ils d’ailleurs de leur culture ? Comment les amener à casser les représentations qu’ils se
font de la culture du pays dans lequel ils sont nés ? Comment préserver leur espace privé (qu'il soit
cultuel ou culturel) ? En somme comment accompagner ces jeunes à trouver une place dans la
société française ?
Concernant ma place au sein de mon équipe pluridisciplinaire, il me paraît également intéressant de
comprendre en quoi je puis être un appui à la compréhension des us et coutumes issus de la
diversité ?
Nous avons vu que l’adolescence est une période de transition, de questionnements et de crise.
L’adolescent n’a de cesse de se demander où est sa place dans la société, quelle trajectoire il doit
prendre pour se construire une identité personnelle.
Il convient d'introduire mon raisonnement par l'évocation d'une situation rencontrée sur mon terrain
de stage, cette année. Le jeune Mathéo, placé suite à un déferrement pour des faits de vol avec
violence arrive en décembre 2015 à l'UEHC de Saint-Genis-les-ollières. Alors que je le rencontre
35
pour la première fois (il est arrivé sur la structure durant un de mes jours de repos), Mathéo me
lance un « salam alikoum »33. Il ne sait pourtant pas comment je m'appelle, ni même si je suis en
capacité de comprendre la langue arabe.
Un soir, nous faisons plus ample connaissance car je dois l'accompagner aux urgences suite à une
fracture du doigt. Sur le chemin de l'hôpital, il m'interpelle et me demande de quelle origine je suis.
Il me montre alors fièrement, au milieu de la conversation, son T-shirt aux couleurs du drapeau de
l'Algérie. Il me parle vaguement des origines de ses deux parents : il m'explique que son père est
Algérien, ce qui paraît peu crédible au regard de ses prénom et nom qui sonnent plutôt français.
Cela dit, ce monsieur est peut-être l'enfant d'un couple mixte (mère étrangère-père français) ce qui
expliquerait cette dichotomie entre son nom et ses origines. Lorsque je demande à Mathéo quel
intérêt il a à connaître mes origines, il me répond tout simplement « Ça fait plaisir, c'est tout… mais
si tu comprends pas l'arabe c'est pas grave ». Ainsi, Mathéo exprime une curiosité qui se base
essentiellement sur un sentiment d'appartenance ethnique qu'il pense partager avec moi.
Cette situation me semble bien illustrer cette aspiration, qu'on les adolescents, à appartenir à une
communauté, quelle qu'elle soit. Sa phrase « Ça fait plaisir », vient aussi imager une relation
souhaitée avec l'adulte, une relation fraternelle liée par une origine commune… et pourtant, rien ne
laisse penser que ce jeune est un Français d'origine étrangère, ou alors ces origines étrangères
remontent à une génération éloignée (peut-être sa grand-mère).
Au fond, la question qui vaut vraiment c'est pourquoi en privilégie-t-il une au détriment d'une
autre ?
Avec du recul, je pense que la position qu'il occupait dans le collectif de jeunes alors placés sur le
foyer a toute son importance dans ce choix. L'identité portée (j'utilise ce terme pour bien expliquer
qu'elle n'est pas véritablement intégrée, peut-être même est-elle en partie illusoire) a eu, sans doute,
fonction de protection face au groupe. Mathéo occupait, en effet, à ce moment précis, le rôle du
bouc-émissaire au sein de son groupe de pairs.
Les autres jeunes, les plus virulents à son égard, étaient, eux, des Français d'origine étrangère. Bien
qu'ils n'aient jamais particulièrement mis en avant leur double culture, Mathéo a pu penser que cette
identité affichée pouvait lui permettre de se rapprocher d'eux. En outre, l'identité culturelle, si elle
33
Littéralement « Que la paix soit sur vous » - plus communément « Bonjour ».
36
constitue un des axes de l'Identité (au sens générale du terme), occasionne, elle-même :
« L'accentuation d'une double distorsion entre d'une part, l'identité souhaitée (le moi idéal) et l'identité
perçue (image de soi), et d'autre part le rapport réflexif à soi (la fonction ontologique de l'identité,
l'identité pour soi) et le rapport aux autres (la fonction pragmatique de l'identité, l'identité pour
autrui). » 34
Tout comme le travail auprès de la famille, il appartient à l'éducateur, qu'il soit lui-même français
d'origine étrangère ou non, d'amener le mineur à comprendre qu'une identité ne peut se résumer à ce
que Camilleri nomme « identité souhaitée ». Mon questionnement sur l'intérêt d'évoquer la culture
algérienne, avec moi ou auprès des autres jeunes, les réponses que je fournie aux questions sur mes
origines, me semblent déjà informer les mineurs de mes convictions : l'identité a plusieurs facettes,
elle ne peut être réduite à une appartenance ethnique (elle est individuelle, personnelle mais peut
être également collective) et elle ne concerne finalement que la personne qui la revêt.
De plus, dans cette situation, il est indéniable que l'éducateur doit garantir une certaine protection
vis-à-vis du reste du groupe ; de manière à garantir à chacun le droit d'entrée dans un processus
d'accès à sa propre identité (processus qui ne peut s'engager que de manière individuelle).
La question de la quête identitaire peut paraître encore plus prégnante chez les jeunes Français
d'origine étrangère, dont nous avons la charge, car elle nécessite de prendre en compte plusieurs
paramètres.
De même, concernant des mineurs qui seraient pleinement des français d'origine étrangère – à
l'inverse du jeune Mathéo – (tel que Marwan précédemment cités dans mon écrit), la quête
identitaire reste tout aussi délicate à assumer. D'autres raisons, que celles liées au groupe de pairs
viennent complexifier l'accès à une identité propre. Jusqu'alors, Marwan a plutôt exprimé ses
origines maghrébines sur le mode de la revendication, ce qui met à distance du même coup, tout ou
partie de son sentiment d'appartenance à la société française.
Si ce comportement peut être compris comme le choix d'une forme de rejet de son appartenance à la
société française, la confrontation à cette même société peut parfois les pousser à devoir choisir
entre l'une ou l'autre culture. Dalila Belgacem, docteure en psychologie, l’explicite très clairement
dans son article intitulé « Identité et culture, quelle construction identitaire pour l’enfant de
34
CAMILLERI Carmel et COHEN-EMERIQUE, Chocs des cultures : concepts et enjeux pratiques de l'interculturel,
l'Harmattan, Paris, 1989 (p.28).
37
migrant »35. Elle écrit :
« Dans la société où vivent les jeunes (entendu ici les jeunes issus de l’immigration), la situation est
telle qu’ils se retrouvent parfois confrontés à certaines contradictions. Par exemple, la culture de
l’enfant sera essentiellement patriarcale, ce qui signifie un statut culturel de supériorité du père,
d’autorité du père, et face à cela s’oppose parfois le statut socioéconomique qui peut être signe
d’infériorité dans le pays d’accueil. Face à cela, il se manifesterait différentes attitudes du jeune. Soit
la tentation de rejeter la culture ancestrale, soit, à contrario, celle de s’enfermer dans sa culture
d’origine ou encore, de construire sa propre identité à partir de stratégies identitaires qu’il aura élaboré
lui-même en faisant une synthèse des différentes valeurs qui s’offrent à lui ».
L'idéalisation d'une culture, plutôt qu'une autre, a donc maille à partir avec la réalité de la société.
Être un jeune français d'origine étrangère revient, du même coup, à devoir construire son identité à
partir de contradictions plus ou moins importantes.
De la même manière, j'ai pu remarquer que de nombreux jeunes suivis par la PJJ voient leur quête
identitaire complexifiée par une contradiction tout aussi importante que celle qui voit s'entrechoquer
idéal et réalité ; à savoir la distorsion qu'il ont à vivre entre traditions, us et coutumes, habitude
culturelle (sans avoir toujours accès aux fondements de ces comportements) et volonté de
socialisation avec ces différences. Ainsi, ces mêmes adolescents, en recherche d'une synthèse
culturelle, vont alors mettre en œuvre des stratégies d'adaptation qui, plus qu'une identité
revendiquée, viennent traduire une identité incomplète, tel que l'énonce Dalila Belgacem :
« On se rend compte qu'il arrive à la personne de prendre des éléments des deux cultures sans se
soucier de la cohérence de ces éléments, d'où, sans doute, des modalités de fonctionnement
d'apparence paradoxale, donnant l'impression d'une double personnalité avec des passages parfois
incompréhensible d'un mode de fonctionnement à un autre »36.
Cette difficulté dans la construction de son identité, particulièrement lorsqu'on est un adolescent
français d'origine étrangère, ne se limite pas aux seuls jeunes sous main de Justice. A mon sens, c'est
une difficulté rencontrée par tout individu ayant une double culture.
L'éducateur, qui vise à la construction identitaire des jeunes dont il a la charge, sans ignorer cette
double appartenance culturelle qui est le socle de leur identité propre, doit les engager à trouver
35
BELGACEM Dalila, « Identité et culture, quelle construction identitaire pour l’enfant de migrant », in Les Cahiers
dynamiques, N°57, janvier 2014 (p.54-55).
36
Ibid
38
cette « cohérence » dont parle D.Belgacem et qui donne sens à une culture, au regard de l'autre.
C'est, selon moi, une manière de leur permettre d'entrer dans un processus de socialisation et, par là
même, de lutter contre la récidive.
En ce sens, l'éducateur doit veiller à préserver la sphère privée des mineurs placés. Plus que cela, il
doit amener les adolescents à préserver, eux-mêmes, leur intimité.
2. La sphère privée ou lieu d'expression de l'identité ?
Nous avons vu que le placement pouvait avoir un impact sur la construction identitaire, notamment
lorsque des jeunes, à l’instar de Mathéo, mettent en place des stratégies identitaires pour pouvoir
exister dans le groupe. Le rôle de l’éducateur va alors être celui d’accompagner le mineur à une
meilleure connaissance de ses droits, d’une part, mais aussi amener le jeune à pouvoir cultiver sa
différence dans sa sphère intime et privée : par exemple, en ce qui concerne la pratique de son culte.
Les textes de loi, notamment la loi n°2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médicosociale, ou encore la circulaire du 4 mai 2015 de la DPJJ, concernant les lignes directrices relatives
à l’élaboration du règlement de fonctionnement des établissements collectifs de placement
judiciaire du secteur public et du secteur associatif habilité, précisent explicitement les droits des
usagers (entendons ici les mineurs pris en charge) à la pratique d’une religion.
En effet, ce cadre légal permet à chaque jeune placé, s’il le souhaite, de pratiquer le culte de son
choix. Des outils ont été mis en place pour garantir une meilleure détection, par l’équipe, des
régimes alimentaires confessionnels spécifiques (halal, casher…). En effet, dans la structure dans
laquelle j'exerce, lors de la rencontre avec la famille, nous demandons systématiquement aux
parents si leur enfant est soumis à un régime alimentaire particulier (confessionnel, ou allergies
alimentaires). Si la famille signe le document attestant que l'enfant y est soumis, alors nous
répondons à la demande.
Il arrive que certaines familles n'exerçant aucun culte ou n'accordant pas d'importance significative
à leur religion, fasse, en conséquence, le choix de ne pas indiquer un régime alimentaire
quelconque. Pourtant, par mimétisme avec le groupe, leur enfant, quelques temps après l'entretien
d'accueil, nous demande de suivre un régime alimentaire confessionnel.
L'éducateur devra alors veiller à ce que le mineur soit en accord avec ses pratiques habituelles et
insister sur le caractère privé de la liberté cultuelle : si la loi permet l'exercice de son culte, elle
n'oblige personne, pour autant, à en avoir un.
39
Ainsi, l'identité, qu'elle soit familiale, ethnique ou religieuse, apparaît quelquefois être un moyen de
trouver une place dans le groupe. En cela, elle fait partie d'un processus de socialisation.
Néanmoins, elle ne doit pas être construite dans cet unique objectif : l'identité reste un processus
individuel qui n'a de sens que si elle autorise l'accès à la connaissance de soi. C'est uniquement à
partir de ce principe qu'elle pourra inviter l'individu à rejoindre une identité plus groupale ; identité
qui préservera, autant que faire se peut, l'intimité de chacun.
En ce sens, peu de lieu en institution permettent ce repli nécessaire sur soi : seule la chambre
représente un lieu d'intimité, garant de cette sphère privée, nécessaire à la construction de son
identité propre (lieu où peuvent plus particulièrement s'exprimer les goûts des jeunes placés, leurs
photographies, lieu où ils peuvent écouter de la musique, communiquer avec leurs proches par
téléphone, ou encore pratiquer leur culte).
Néanmoins, l'expérience a pu me montrer que l'institution, par le caractère judiciaire du placement,
venait quelquefois contrarier ce principe d'intimité :
« L’accueil d'un usager dans un établissement médico-social présente tout de même la
spécificité de conjuguer, sur un même lieu et dans des périodes de temps très proches, la vie
de groupe et la vie privée. Alors que la frontière entre la vie en collectivité et la vie
personnelle est aisée à fixer pour un salarié, elle l'est beaucoup moins pour une personne
présente de manière plus ou moins permanente en un lieu : […] l'usager d'un établissement
médico-social [ici l'UEHC] fait l'objet d'une prise en charge continue et présente parfois des
caractéristiques justifiant une ingérence plus importante dans sa vie privée ».37
Même si l'éducateur est conscient des limites de l'espace institutionnel pour garantir ce droit à
l'intimité, il n'en demeure pas moins que, par son action, il doit préserver ce droit : notamment en
évitant que d'autres jeunes n'investissent ce lieu sans l'accord du « résidant » ou en évitant que,
l'éducateur lui-même, ne l'investisse (ou ne l'investigue) de manière intempestive.
Toute intrusion dans ce lieu « privé », enclave concédée au sein et par l'institution, est clairement
décrite dans « La charte de la Laïcité dans les services publics » ; affichée dans tout lieu qui
accueille des usagers :
« Les usagers des services publics ont le droit d'exprimer leurs convictions religieuses dans les limites
du respect de la neutralité du service public, de son bon fonctionnement, et des impératifs d'ordre
public, de sécurité, de santé et d'hygiène ».
37
VIALLAT François, Jurisprudences du secteur social et médico-social, Dunod, Paris, 2012, (p.249).
40
La mission de l'éducateur en hébergement est donc paradoxale, de ce point de vue là, puisqu'elle
vise à garantir la liberté de culte et d'intimité des mineurs qu'elle accompagne, tout en visant aussi à
garantir la « sécurité », la « santé » et l' « hygiène » de ces derniers ; en un mot leur sécurité. Il
appartient donc à l'éducateur, quelquefois contre l'accord du mineur, de pénétrer dans sa chambre à
ce titre – tout en lui garantissant un espace d'inviolabilité nécessaire à la construction de son
identité.
De même, la dichotomie entre individuel et collectif (d'autant que les placement judiciaires ont lieu,
dans la plupart des cas, en désaccord avec les mineurs placés) constitue une difficulté de plus dans
l'accompagnement des jeunes vers l'acquisition d'une identité qui leur est propre.
La gestion du collectif, quelquefois pesant, vient considérablement réduire la capacité des équipes à
considérer le jeune dans sa différence, son unicité, de manière à lui proposer un suivi individuel
adapté. La personnalisation du suivi, notamment en ce qui concerne l'action éducative auprès des
adolescent Français d'origine étrangère, apparaît comme un préalable nécessaire à toute
construction identitaire. Elle exige de la part de l'éducateur de se décentrer de ses propres codes,
comme le dit bien Nors-Eddine Seghili, :
« Jean-Marc Lhuillier38 rappelait qu'entre l'intérêt d'une prise en charge collective de l'usager dans un
établissement […] et les intérêts de l'individu, le législateur a fait un choix : l'établissement doit
répondre aux besoins individuels de l'usager. Comment ne pas voir, à travers ces exigences légales et
cette nécessité de personnalisation la dimension interculturelle lors des accompagnements
éducatifs ? »39
En outre, l'éducateur qui souhaite accompagner le mineur dans la construction de sa propre identité
doit toujours se déplacer sur un fil. Cette position peu ou pas confortable le conduit à devoir faire la
synthèse entre des injonctions qui peuvent apparaître paradoxales : garantir l'intimité, la vie privée
des adolescents placés tout en n'excluant pas d'être intrusif pour protéger le collectif ou l'individu.
Au delà de ce qu'évoque le législateur quant à la priorité de la prise en charge individuelle au sein
d'un collectif, et comme le précise ici Nors-Eddine Seghili, il semble primordiale de sortir de
l'équation « collectif/individuel » pour entrer dans la dimension « individuel/personnel », plus
adaptée selon moi, à l'accompagnement des mineurs en quête identitaire. La personnalisation, en
38
39
LHUILLIER J-M, « Le Droit des usagers dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux, Rennes,
Presses de l'EHESP, 2009, (p.45).
SEGHILI Nors-Eddine, « La Compétence interculturelle de l'éducateur », in Les Cahiers dynamiques, N°57,
janvier 2014 (p.59).
41
outre, consiste à s'intéresser au « Sujet » en tant que tel, dans le contexte culturel qui est le sien et en
dehors des représentations dont chaque professionnel peut être porteur.
3. Interculturalité comme approche efficiente dans l'accompagnement des jeunes en quête
identitaire
Avant toute entrée en matière, il convient de définir précisément ce terme d' « interculturalité ».
Au sens étymologique, l'interculturalité est composée du latin « inter », qui signifie « entre, parmi »,
avec un sens de réciprocité et de « culturel », issu du latin « cultura » qui désigne la « culture »,
«l'agriculture ». Par ailleurs, « Cultura » est dérivé du verbe « colere » qui signifie « habiter »,
« cultiver ».
Ainsi, l'interculturalité est un mode relationnel qui repose sur des interactions entre diverses
cultures (entendons ici, par des valeurs qui habitent les individus qui font partie de cette culture et
qui cherchent à l'entretenir). Le dialogue, le respect de l'altérité (plus encore que cela, la volonté de
préserver l'identité culturelle de l' « autre »), constituent la démarche interculturelle.
L’éducateur, privilégiant cette approche dans son action éducative va donc, tout en valorisant la
culture d’origine du mineur, l’amener à s'intégrer dans l'autre (la culture de la société dans laquelle
il évolue).
Selon moi, seule cette démarche de compréhension à partir des codes de la culture d'origine des
jeunes dont nous avons la charge, permet aux adolescents de sortir du conflit de loyauté dans lequel
ils se trouvent. L’éducateur, tentera alors plus aisément, parce qu'il le comprend mieux, de faire
entendre au jeune qu’il n'est pas nécessaire de choisir entre l’une ou l’autre des cultures : son
identité propre est construite sur la base de ses deux cultures.
Je pense que le rôle de l’éducateur, qu’il soit issu de l'immigration ou non, doit pouvoir permettre au
jeune de se sentir inscrit dans la société dans laquelle il évolue ; sans pour autant renier ou dénigrer
ses origines qui font partie intégrante de lui. Les origines sont d’ailleurs un élément constitutif de sa
construction identitaire :
« Il y a donc nécessité pour le sujet, d'être reconnu dans ce qu'il est : et par sa famille et par le pays
d'accueil [et par les acteurs de la prise en charge]. Identité et représentation de soi, sont des éléments
constitutifs de la personne qui, si on s'y intéresse, demande de prendre en compte la « culture » du
sujet… Non pas pour pointer les différences et / ou les ressemblances mais pour comprendre les
modes de fonctionnement du sujet et les stratégies identitaires qu'il s'est construit pour exister là où il
évolue. »40
40
BELGACEM Dalila, « Identité et culture, quelle construction identitaire pour l’enfant de migrant », in Les Cahiers
42
Sur le terrain, j’ai relevé que les professionnels avaient à cœur, même pour les plus expérimentés
d’entre eux, d’être davantage sensibilisés à cette approche interculturelle. Notons au passage, que si
elle permet de mieux appréhender des comportements ou des relations qui peuvent apparaître
décalés du point de vue des codes sociaux ; elle ne justifie, pour autant, en rien les actes posés par
ces jeunes en quête identitaire, souvent français d'origine étrangère.
Il me semble intéressant d'aborder, ici, une situation que j'ai pu rencontrer lors de l'exercice de mes
missions en tant qu'éducatrice contractuelle en service de Milieu Ouvert, à l'UEMO d'Annecy. Le
jeune Oussama, suivi par la PJJ pour de multiples faits de violences, d'origine tunisienne, était luimême victime de violences de la part de son père, mais aussi de son grand frère, l'aîné de la fratrie.
Cette procédure a d'ailleurs conduit à une prise en charge en assistance éducative et à son placement
dans une structure relevant du champ de la Protection de l'Enfance.
Père et fils (frère aîné d'Oussama), ont d'ailleurs été traduit en Justice et condamnés pour ces
agissements.
Si l'on se base uniquement sur les références culturelles de notre société, la relation entre le père et
l'aîné de la famille apparaît totalement abjecte et malsaine : le père, dans cette configuration, aurait
« utilisé » le plus grand de ses enfants pour violenter Oussama. Ainsi, la famille semble totalement
confusionnée, tant du point de vue des générations que des places de chacun.
Or, si l'on aborde cette situation, dans une approche interculturelle, on s'aperçoit que, la plupart du
temps dans les familles d'origine nord-africaine, l'aîné des fils occupe une place de substitut
parental, voire de père de substitution. Ainsi, si les violences de ce dernier demeurent
impardonnable, ce regard presque ethnologique permet de mieux appréhender la dynamique
familiale et la place que chacun y occupait.
Le travail d'approche interculturel revient à un travail de neutralité quant à la culture d'origine des
adolescents pris en charge. Il ne s'agit pas de juger du bien-fondé de tel ou tel comportement, mais
d'entrer en interaction avec l'individu auquel on s'adresse, hors du « pré-pensé » qu'induisent nos
références culturelles mais toujours en lien avec les codes, les règles et les lois qu'imposent notre
société.
En outre, il s'agit d'un mouvement de pensée qui s’apparenterait à une force centrifuge ; mouvement
qui conduit l'écoutant à s'éloigner pour un temps de ses propres codes pour « comprendre » et
s'approprier les problèmes issus d'une situation étrangère à nos représentations.
dynamiques, N°57, janvier 2014 (p.56).
43
Ainsi, pour Cohen-Emerique, l'approche interculturelle est avant tout :
[…] « un processus d'aide. Ce processus se fonde sur le respect de la personne, de sa vision du monde,
de son système de valeurs. Toute relation d'aide, interculturelle ou non, s'appuie sur les mêmes
bases »41.
L'auteure évoque d'ailleurs trois démarches préliminaires à ce type d'approche :
- « La négociation et la médiation » (nous en avons déjà parlé dans la partie trois de notre deuxième
chapitre)
- « La pénétration du système de référence de l'autre » (nous l'avons abordé juste avant dans cette
sous-partie, en évoquant la situation d'Oussama)
- « La décentration » (qui va, paradoxalement, nous permettre de mieux appréhender notre propre
identité).
Dans son ouvrage, Margalit Cohen-Emerique informe des conséquences sur le professionnel, qui
devra prendre du recul par rapport à lui-même. En outre, il devra mettre une certaine distance entre
ses « présupposés » et la réalité des « habitus »42 du jeune concerné ou de sa famille.
Cette décentration, si primordiale dans l'approche interculturelle permettant l'émergence, chez
l'adolescent pris en charge, de sa propre identité, relève, selon moi, de compétences sur lesquelles
l'éducateur peut forger son identité professionnelle.
Ainsi, outre cette démarche, il s'avère que l'éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, par
ses aptitudes professionnelles, la connaissance particulière qu'il a des problématiques adolescentes,
comme des dispositifs d'insertion professionnelle, peut concourir à la construction de l'identité du
mineur et lui permettre, à terme, de trouver une place dans la société.
41
42
COHEN-EMERIQUE Margalit, Pour une approche interculturelle en travail social : théories et pratiques, Presses
de l’École des hautes études de santé publique, Rennes, 2015
Le terme d'Habitus renvoie, ici à des habitudes comportementales dictées par une culture d'origine.
44
Chapitre IV
L'identité professionnelle constitutive de l'identité
personnelle
45
IV) L'identité professionnelle comme élément fondamental de l'identité personnelle.
1. L'action éducative, facteur de socialisation du jeune par l'insertion
Le point d’entrée à l’origine de mon travail de recherche se basait essentiellement, au départ, sur la
question des origines culturelles, nous l'avons dit. En effet, la situation qui a fait émerger la
problématique que j’ai souhaité traiter dans mon mémoire repose sur l'identification culturelle d’un
mineur pris en charge dans le foyer au sein duquel je suis pré-affectée, vis-à-vis de l’éducatrice que
je suis ; identification qui est venue, par là même, interroger la part d’intimité, d’identité propre, que
j’acceptais de mettre en jeu dans mon activité professionnelle. En outre, cette situation m’a permise
d’interroger une dichotomie qui est pourtant habituellement érigée en règle : le professionnel et le
personnel doivent être clairement séparés, voire hermétiques. L’identité professionnelle n’a-t-elle
donc aucune partie liée avec l’identité personnelle ?
Dans mon parcours de formation, et par mes expériences antérieures et présentes, j’ai pu constater
que la question de l’identité venait percuter ces certitudes et réinterroger la question du lien, du
rapport à l’autre comme source d’accès à soi, à sa propre identité. En ce sens, l’ouvrage de Dubar 43
(que j'avais longuement étudié dans le cadre d'un écrit professionnel précédent) vient apporter un
éclairage intéressant en évoquant la notion de socialisation ; notion qui tend à favoriser la
construction identitaire.
La socialisation, en tant que notion conceptuelle évoquée par Dubar convoque l’idée d’une
construction identitaire qui passerait par autrui. En effet, ce qu’explique l’auteur c’est que les
structures évolutives définies par Piaget, si elles ont pu être repérées par le prisme du « cognitif »,
c’est à dire d’une évolution intellectuelle, mentale, par essence, interne ; ces structures sont aussi le
produit d’une évolution qui passe par le rapport à l’autre. En ce sens, accompagner un mineur dans
son insertion professionnelle devrait permettre d'entrer dans ce processus de valorisation par autrui
(le chef d'entreprise, les autres salariés, les parents, les éducateurs… etc).
Dubar évoque cette valorisation par l'emploi sous le terme d'« identité professionnelle ». Précisons
cependant que cette notion d’identité professionnelle, souvent opposée à celle d’identité personnelle
ne vient pas, ici, s’y substituer mais bien la compléter. En effet, selon lui l’apport de l’activité
43
DUBAR Claude, La Socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin,
Collection U, 2011
46
professionnelle est un élément supplémentaire à la construction identitaire : elle ne peut, à elle
seule, être une fin mais demeure cependant un vecteur intégratif essentiel à une identité propre.
L’auteur poursuit en expliquant que cette identité professionnelle, par le sentiment d’appartenance à
une organisation professionnelle (sentiment plus ou moins corporatif) qu’elle engendre, concoure au
sentiment d’entièreté de la construction identitaire des individus.
Il est, en effet, important de remarquer que les jeunes dont nous avons la charge sont, pour la
plupart, dans de grandes difficultés d’insertion, certes sociales, mais évidemment scolaires et
professionnelles.
Il semble d’ailleurs intéressant de s’interroger quant à la pertinence de valeurs éducatives encore
très largement mises en avant dans le cadre des prises en charge (et particulièrement au sein de
l'équipe de l'UEHC de Saint-Genis-les-Ollières), tel que le travail tout particulièrement. Nous ne
pouvons ignorer que compte-tenu de la médiatisation des chiffres du chômage et, de fait, du regard
que portent les adolescents sur le monde du travail, la « valeur travail » au sein d'une prise en
charge éducative mérite d'être réinterrogée. L'éducateur se voit souvent dans l’obligation d’orienter
les mineurs vers des parcours de formation favorisés par la pénurie d'emploi, tels que les stages
(souvent dénigrés d’ailleurs car non-rémunérés). Les activités illicites (marché professionnel
parallèle) s’en trouvent valorisées par les avantages pécuniaires qu’elles offrent.
Cependant, l'expérience a pu me montrer, que l'insertion professionnelle constituait encore un
moyen d'accès à une forme d'intégration dans la société, peut-être la seule forme de synthèse entre
soi et le monde permettant de construire une identité pleine.
Hassen, précédemment évoqué dans cet écrit a, par exemple, effectué divers stages auprès des
agents technique de cuisine, au sein même du foyer.
Ces stages lui ont permis de dessiner les contours d'un projet professionnel qui passera
nécessairement par une forme de socialisation externe à l'institution : son inscription en CAP
cuisine se fera dans un établissement scolaire de droit commun et le mettra en contact avec d'autres
personnes que les professionnels ou les jeunes placés au foyer avec lui (professeurs, camarades de
classe).
L'insertion professionnelle constitue donc, en dehors de l'activation d'un processus de socialisation
nécessaire à la construction identitaire, un moyen de « réhabilitation » pour des jeunes que la Justice
elle-même, choisit de sanctionner.
47
Ainsi, la réflexion de Dubar apparaît pertinente, voire indiscutable : le travail, l’accès à une
formation professionnelle, doivent rester les priorités de l’accompagnement que nous offrons aux
mineurs car l’accès à un emploi favorise, outre l’accès à son identité propre, l’accès à une place
dans la société ; nous ne pouvons ignorer cependant que c'est à l'éducateur, aujourd'hui plus qu'hier,
de trouver les ressources nécessaires pour valoriser les efforts accomplis par le jeune ; en terme de
démarche d'emploi, quelquefois plus qu'en terme d'expérience réelle.
En ce sens, l'éducateur, en tant qu'expert de la relation, sera le plus à même de faire transiter des
compétences repérées dans le cadre du suivi éducatif du mineur vers des dispositifs de droit
commun.
« La relation éducative est une relation dissymétrique, nécessaire et provisoire, visant à l'émergence
du sujet. »44
En ce sens, l'éducateur, par ses compétences particulières devient le médiateur, non plus entre le
jeune et sa famille, mais aussi entre le jeune et le marché de l'emploi.
Les aptitudes de l'éducateur à porter le mineur dans son projet professionnel, à lui permettre
d'accéder à une identité professionnelle qui viendra compléter son identité propre, tiennent donc à la
rencontre entre les individus impliqués dans cette relation (entendons ici, des identités personnelles
qui se rencontrent).
La sous-partie qui va suivre, en se basant sur une situation de terrain, tentera d'éclairer la part
d'affect mis en œuvre dans le cadre d'une prise en charge éducative. En quoi peut-elle constituer un
frein ou, au contraire, un avantage dans l'aide à la construction identitaire du mineur pris en
charge ?
2. La part d'affect dans l'accompagnement éducatif : frein ou accélérateur à l'accès à sa
propre identité ?
Je baserai, dans cette partie, mon analyse sur une situation de terrain rencontrée cette année sur la
structure où j'ai été pré-affectée, et expliquée dans le détail.
44
MEIRIEU Philippe, « Penser l'éducation et la formation », in www.meirieu.com
48
Ainsi, je ferai référence à la situation du jeune Yanis, arrivé au foyer le 21 octobre 2015 et dont
j'étais l'une des éducatrices référentes J'étais présente le jour de sa venue et, souhaitant découvrir
cette mission de « référente en hébergement », je me suis portée volontaire pour l'accompagner dans
ce cadre. Yanis, quant à lui, est arrivé suite à un déferrement pour des faits de tentatives de vol, avec
dégradation et en réunion. Cette décision constituait le premier placement pénal du mineur.
Néanmoins, il avait déjà connu un long parcours institutionnel, au civil, et cela depuis son plus
jeune âge.
Du fait de ma forte inscription dans le suivi de ce jeune (sans doute liée à ma première expérience
de co-référence), je pense avoir beaucoup investi la relation avec lui, notamment du point de vue
des affects.
De plus, ma présence à une synthèse concernant Yanis (temps institutionnel qui a réuni son
éducatrice de milieu ouvert, les deux psychologues des services de milieu ouvert et du foyer, les
deux responsables d'unités éducatives, l'éducateur en charge de l'exécution de la mesure d'assistance
éducative, mon collègue co-référent et moi-même) m'a permis de participer activement à sa prise en
charge. Le but de cette rencontre était de faire un bilan sur l'évolution de son placement et
d'articuler le travail entre les différents intervenants qui concourent à l'accompagnement de cet
adolescent.
Lors de cette rencontre pluridisciplinaire et inter-institutionnelle, nous avons pu faire le point sur la
situation de Yanis qui demeurait, à cette période, de plus en plus inquiétante. En effet, cela faisait
maintenant presque trois semaines qu'il avait fugué du foyer. Nous n'avions alors que rarement de
ses nouvelles, et de manière très « épisodiques ». A cette période, il semblait faire le choix de
rompre tout lien avec nous. Inquiète sur le devenir du jeune, l'équipe de Saint-Genis-les-ollières
interrogeait la pertinence de la continuité du travail éducatif au sein du foyer, en tout état de cause,
la pertinence d'une prise en charge dans les mêmes conditions.
A l'inverse, mon collègue référent et moi-même, insistions sur le fait que Yanis avait su solliciter les
adultes lorsqu'il en avait ressenti le besoin, durant ses temps de présence au foyer. Une relation de
confiance s'était alors créée entre lui et nous. Malgré la fugue, nous défendions donc l'idée qu'il était
primordial de maintenir des liens avec lui et de le raccrocher, autant que faire ce peut, en
l'encourageant à revenir au foyer : selon nous, il y avait encore toute sa place.
49
Je décidais, dès la sortie de réunion, de recontacter le jeune et de lui signifier que nous l'attendions
pour parler de sa situation ; situation particulièrement préoccupante à nos yeux, du fait de nos
inquiétudes en ce qui concerne son équilibre et sa protection. Immédiatement renvoyée vers sa
messagerie, je lui laissais donc un message vocal lui demandant de rappeler le foyer. Même si il
m'était difficile de ne pas être agacée par ce que je pourrais considérer comme une forme de refus
de communiquer avec moi, je faisais le pari de la bienveillance et du calme de manière à rétablir le
lien avec lui.
Le même jour, lors de mon service de 14h à 23h, et à ma grande surprise, Yanis rappelait juste avant
l'heure du repas du soir. Je l'invitais à revenir au foyer. Il me disait alors « Oui, Samira, t'inquiète, je
viens demain. ». Je concluais la conversation téléphonique en lui disant qu'il avait toujours sa place
au foyer et qu'il était attendu.
Le lendemain, après le déjeuner et alors que les jeunes prenaient leur pause cigarette, Yanis
réapparaissait. Après une altercation avec un des jeunes, je lui demandais de me suivre, à l'extérieur,
loin du regard des autres. Il m'expliquait alors être pris dans un trafic de stupéfiants dont il ne
pouvait sortir : c'est ce qui expliquait en partie ses fugues. Je l’encourageais fortement à assister à sa
mise en examen qui avait lieu la semaine suivante. Il me promettait d'être là, malgré la crainte
qu'une décision stricte soit prise à son encontre. Avant de partir, il me demandait d'aller dans sa
chambre, comme s'il venait vérifier qu'il avait toujours sa place. Il promettait, enfin, de revenir le
week-end et de se présenter à sa mise en examen.
Finalement, Yanis ne retournait pas au foyer durant le week-end, comme prévu, et ne se présentait
pas non plus à sa Mise en Examen. J'essayais désespéramment de l'appeler mais désormais il ne
répondrait plus.
Cette situation m'a longtemps interrogée sur mon intervention auprès de Yanis. Ai-je bien fait de le
recontacter puisqu'il n'a finalement pas pu revenir sur son lieu de placement ? Attendait-il plus de
moi, en tant qu'éducatrice référente ? Ai-je trop mis d'enthousiasme et d'affect dans cette prise en
charge, au risque d'être profondément déçue par la finalité de celle-ci. Ces affects sont-ils venus
compromettre l'efficience de mon accompagnement ? Pourquoi et comment ses affects sont-ils
intervenus d'ailleurs ?
Pour analyser cette situation, il convient de prendre en compte la relation particulière que
j'entretenais avec le jeune Yanis. Si j'ai peut-être trop investi cette prise en charge c'est sans doute,
50
en grande partie, du fait de mon statut particulier de référente mais aussi du fait d'un mode
relationnel se basant sur une opération de transfert/contre-transfert, dont je n'avais sans doute pas
tout à fait conscience.
En effet, le jeune Yanis est l’aîné d'une fratrie de quatre enfants. Il n'entretient plus de contacts avec
sa mère avec laquelle il avait pourtant une relation fusionnelle : Madame explique « avoir grandi
avec son fils ». En effet, Yanis a vu le jour alors qu'elle avait seulement 16 ans. Il a été confié, dès
son plus jeune âge à une nourrice avec laquelle il est encore en contact et qu'il nomme, tour à tour
« maman » ou « ma tante ».
La théorie de l'attachement selon Bowlby, dans cette situation, nous éclaire sur la problématique de
Yanis. En effet, l'auteur explique que :
« L’attachement à la figure maternelle [ici pour Yanis il s'agirait de sa mère et de sa nourrice] servirait de base
de sécurité à l’enfant pour explorer l’environnement. Dès la petite enfance, l’enfant développerait un modèle
d’attachement particulier en fonction de l’attitude de la figure maternelle à son égard. »
Il apparaît, en effet, que Yanis n'a pas pu grandir sereinement, entre, d'une part, une mère biologique
qui n'offrait pas un cadre structurant satisfaisant et d'autre part, une nourrice. Présente dès les 18
mois de Yanis, elle a joué le rôle de la mère nourricière.
Bowlby continue en expliquant que « ce lien d'attachement en devenant intériorisé, servirait de
modèle par la suite à toutes les relations intimes et sociales de l'individu ». Dans le cas de Yanis, la
place et le rôle distinct de ses deux « mamans » n'ont pas été intériorisés par l'enfant en construction
ce qui, par la même, l'a constamment plongé dans un conflit de loyauté vis-à-vis de l'une, puis de
l'autre de ces deux mères. Il apparaît donc, au regard de ces éléments théoriques que tout lien, y
compris avec moi, était marqué par cette relation pathologique à la figure maternelle.
De fait, ma fonction d'éducatrice, et plus particulièrement de référente auprès de Yanis m'a sans
doute placée au cœur de ce schéma relationnel, en position de mère. Ainsi, j'ai sans doute été moimême envahie par le mode de fonctionnement que Yanis a toujours connu, et a reproduit au sein du
foyer.
Cette situation a donc sollicité une partie de mon identité personnelle au sein de mon cadre
professionnel. C'est ce transfert qui m'a amené à développer une relation particulière avec Yanis,
51
conduisant à le re-solliciter, contre l'avis de mon équipe. Ma déception a donc été accrue lorsque j'ai
pu constater que mes démarches pour que le mineur réintègre le placement se sont avérées être un
échec.
Était-ce mon échec personnel ou bien l'échec de la prise en charge éducative de Yanis ?
Ainsi, indéniablement, la situation de Yanis est venue convoquer les notions de « transfert » et de
« bonne distance ». Si ces notions sont abordées durant la formation, s'y confronter sur les terrains
de stage revient à faire le constat qu'il est difficile de s'y soustraire. Être professionnel, forger cette
identité dont on parle tant, ne consiste pas à fuir ce type de relation mais bien à en comprendre les
enjeux : c'est alors en toute connaissance de cause que l'éducateur accepte de s'y engager. En effet,
l'acte éducatif exige bien de l'éducateur, d'une part, des compétences techniques (liées notamment
aux différents champs disciplinaires étudiés en formation), et d'autre-part une forme d'engagement
auprès du public qui nous est confié. Selon moi, cet engagement ne peut exister que s'il consiste à
«engager et donner un peu de soi».
C'est bien ce que j'ai fait auprès de Yanis: j'ai cru en ses capacités pour pouvoir l'accompagner de
manière efficiente. En ce sens, si mon investissement semble avoir été approprié, ce qui m'a manqué
m'apparaît reposer essentiellement en une prise de distance salutaire qui m'aurait autorisée à mettre
moins de moi dans cette relation. Aujourd'hui, mes lectures m'ont permis de constater que le
transfert renvoie à cette idée de «bonne distance», développée notamment par Winnicott.
Avec du recul, il m'apparaît que la question n'est pas tant de savoir s'il faut veiller, à tout prix, à ce
qu'il n'y ait pas de transfert, mais plutôt comment travailler avec un jeune « sous transfert »? Joseph
Rouzel, psychanalyste et ancien éducateur spécialisé précise :
« Qu'un usager « accroche » à un travailleur social, sur le versant de l'amour, mais aussi
parfois de la haine, qu'il transfère sur son corps des charges d'affects qui n'ont jusque-là pas
trouver leur voie de symbolisation, c'est le lot de la pratique quotidienne. Mais comment
travailler sous transfert « ?
J'entends par là, qu'il s'agit d'être conscient de ce qui se joue dans la relation avec le jeune. Il est
nécessaire pour la construction identitaire du mineur pris en charge, et donc pour son évolution, de
trouver des figures parentales stables et structurantes, en l’occurrence des éducateurs, pour exprimer
un mal être, une souffrance. En outre, l'éducateur doit incarner cette « parentalité » dont nous parle
Rouzel (nous l'avions déjà constaté dans la deuxième partie de mon développement), mais
l'efficience de son accompagnement repose surtout sur sa capacité à amener le mineur à se défaire
52
de lui. Le professionnel doit lui permettre de découvrir ses propres envies, de prendre ses propres
décisions, en dehors d'une « relation transférentielle » :45
« La relation transférentielle sollicite chez chacun des protagonistes, analyste et analysant
[ici, éducateur et mineur], ds éléments affectifs qui s'organisent en une forme complexuelle
particulière propre à cette situation, ici et maintenant. […] elle engendre un espace
psychique « transitionnel » où l'inconscient de chacun fait écho à celui de l'autre, voire s'y
relie dans un mouvement d'identification projective. »
En somme, éduquer c'est permettre à l'adolescent de se construire son identité propre par des choix
qu'il aura fait lui-même.
Ainsi, l'éducateur, s'il est trop envahi par la situation d'un jeune, ne parviendra pas à régler seul les
difficultés rencontrées lors d'une prise en charge. Il devra alors faire appel à des espaces
institutionnels, tels que ceux énoncés par Joseph Rouzel 46 :
[…] « ce travail éprouvant n'est possible qu'au prix d'une élaboration permanente visant pour
l'éducateur à désencombrer la relation de ce qui l'affecte, et à trouver une bonne distance
avec les personnes prises en charge, à travers la mise en place d'espaces de médiations ».
C'est, en effet, à partir de l'analyse de la pratique ou de la supervision mises en place dans les
services, que l'éducateur va pouvoir questionner le sens de ses actes éducatifs, le rôle de son équipe
et la dynamique institutionnelle dans laquelle il s'inscrit.
La relation éducative est donc bien, avant tout, une rencontre humaine qui va forcément générer une
forme de sollicitude de l'une et l'autre des personnes qui composent cette relation.
3. La part de mon intimité, de mon identité personnelle au service de la construction de mon
identité professionnelle d’éducatrice à la PJJ
Le choix de traiter ce sujet de la quête identitaire n’est finalement pas anodin au regard de tout ce
que je vais pu exposer précédemment. En effet, je me suis moi-même, au cours de mon
adolescence, à l’instar des jeunes dont j’ai parlé, interrogée sur mon identité personnelle. Je me suis
longuement demandée, au vu de mes origines culturelles, de mon appartenance à la catégorie socioprofessionnelle de mes parents, quelle place j’allais pouvoir occuper dans la société ? Quel impact
45
46
RAGUET Claire, L'Homme et ses rêves, Cahiers Jungiens de psychanalyse, 2002/1, n° 103
ROUZEL Joseph, Le Transfert dans la relation éducative, Dunod, Paris, 2002, (p.5)
53
allait avoir sur mon avenir, notamment professionnel, le fait d’appartenir à une famille issue de
l’immigration (où la langue française n’était pas la seule langue utilisée à la maison) ? Allais-je
pouvoir profiter pleinement du système éducatif français pour atteindre une forme d’ascension
sociale (par exemple, par l'accès à un métier différent de celui de mes parents) ? Étais-je (suis-je)
totalement Française dans le regard des autres ?
C’est sans doute l’accès à mon histoire familiale personnelle (que j’ai d’ailleurs explorer en
sollicitant mes parents pour réaliser un génogramme), l’opportunité et la volonté d’accéder à des
études supérieures, mon expérience professionnelle à l’étranger (notamment dans plusieurs pays du
monde arabe traduisant ma volonté d’avoir une plus large connaissance de la culture de mes
origines), mon expérience d'éducatrice contractuelle à la PJJ et, cette année, ma pré affectation à
l’UEHC de Saint-Genis-les-Ollières, qui me permettent d’être celle que je suis personnellement et
professionnellement aujourd’hui.
Lorsque j’ai été contractuelle, je me suis longuement interrogée sur ma légitimité à exercer ce
métier, sans avoir, au préalable, suivi la formation statutaire. En effet, titulaire d’un Master 2 en
coopération internationale et communication multilingue, je n’avais jamais, au cours de mon cursus
universitaire, été sensibilisée de quelque manière que ce soit à la question adolescente. Pourtant, il
me semblait que j’avais un rôle à jouer dans l’accompagnement et la réhabilitation des mineurs sous
main de Justice qui, sans doute, avaient pu être traversés par des questionnements similaires aux
miens, à leur âge.
En effet, j’ai rencontré plusieurs jeunes issus de l’immigration, Français, comme moi, d’origine
maghrébine, ou bien de jeunes adolescents récemment arrivés en France, qui m’ont tous semblé se
demander quelle place la société française allait leur accorder. Certains étaient en décrochage ou en
échec scolaire, d’autres parlaient à peine le français. Quelles réponses pouvais-je leur apporter, si je
me refusais à parler de ma vie privée et de mon parcours personnel ? J’ai donc ressenti le besoin de
le faire : partager avec eux des éléments de mon histoire privée était alors tout à fait cohérent voire
naturel. Casser cette frontière entre privé et professionnel m'est, quelquefois, apparu indispensable.
Mes expériences au foyer de Villiers-sur-Marne, à l’Unité Éducative d’Activités de Jour de Créteil
(Val-de-Marne) ou bien au service de milieu ouvert d’Annecy (Haute-Savoie), m’ont permis de
questionner ma place dans le parcours du jeune, mon intervention et mon identité professionnelle.
54
Les équipes sur le terrain ont été de réelles ressources, tant par la diversité de leurs pratiques
éducatives que par leurs analyses des problématiques rencontrées. C’est en m’imprégnant de leurs
expériences individuelles, en profitant des retours faits sur ma pratique, et de leurs encouragements,
que j’ai pu entamer ma réflexion sur la place que je pourrai occuper au sein de cette institution.
Passer le concours d’éducateur est donc vite devenu un choix réfléchi et assumé.
La formation statutaire est venue m’accorder l’autorisation de déconstruire en partie ce que j’avais,
au cours de mon expérience, acquis en tant que contractuelle. La formation m’a surtout permis de
réinterroger les questions d’identité qui m’avaient traversées durant mon adolescence et de former,
sur ces bases, les prémices de cette identité professionnelle qui, à mon sens, ne cessera d’évoluer
tout au long de mon parcours.
Il m’a semblé intéressant, notamment dans le cadre de ce travail de recherche, et au cours de mon
expérimentation, d’interroger mes collègues, souvent plus expérimentés que moi, sur ce qu’ils
entendent eux-mêmes par « identité professionnelle » et « identité personnelle ».
A la question « Quelle part de votre vie personnelle/privée mettez-vous au service de votre vie
professionnelle ? », les éducateurs interrogés répondent, presque unanimement, que leur parcours
personnel (sans véritablement parler de vie privée), ce qu’ils sont, jouent forcément un rôle dans
leur vie professionnelle.
Il me semble intéressant de partager quelques témoignages, les plus significatifs d’entre eux : A. 36
ans, éducatrice depuis onze années à la PJJ témoigne: « Je crois qu’aujourd’hui, ma vie privée reste
souvent au vestiaire mais mon parcours personnel me permet d’avoir une identité professionnelle
différente. De la banlieue à la montagne, du Mac Do aux études de psychologie, il est évident que
dans ma pratique professionnelle, je suis influencée par mon parcours personnel. ».
O., 37 ans, éducatrice depuis une dizaine d’années partage plus intimement : « Je suis passée par
des moments très compliqués et difficiles dans ma vie. Grâce au sport, j’ai pu me trouver un axe de
vie serein et zen. Et cela j’en parle beaucoup aux jeunes. Souvent ils pensent être les seuls à avoir
eu une histoire de vie compliquée. Nous demandons beaucoup à ces jeunes, donc le fait de donner
un peu de soi permet aussi de créer un lien de confiance, et ne pas rester dans des relations trop
distantes avec eux (c’était d’ailleurs mon sujet de mon mémoire) Donc oui pour parler de soi, de
nos expériences mais bien sûr avec modération ».
55
X., 36 ans, éducateur depuis 2009 à la PJJ est, quant à lui, un plus précautionneux : « C’est difficile
à jauger, on sait tout sur les jeunes et eux pas grand chose sur nous. Je n’en dis pas beaucoup. Je
peux partager ce qui est de l’ordre du loisir (ce que j’aime faire, ce que j’ai pu faire pendant des
vacances par exemple), sans vraiment m’étendre. Pour moi il faut distinguer le professionnel et le
personnel, on peut lâcher certaines choses pour paraître plus « humain » et faciliter le lien avec les
jeunes mais il y a une distance à préserver. »
En ce qui me concerne, je partage pleinement ces avis, mon identité professionnelle se nourrie
indéniablement de mon identité personnelle. Il me semble que, si mon appartenance à une
institution publique telle que la PJJ, me permet de bénéficier d'un cadre d'intervention structurant
pour les jeunes comme pour moi, en tant que professionnelle, c'est bien ce que je suis, qui me
permet aujourd'hui de créer du lien avec les mineurs placés.
En somme, mon identité professionnelle est multiple et repose à la fois sur ce qui m'est propre et sur
ce qui m'est extérieur (l'institution) ; l'une alimentant l'autre, les deux étant indissociables.
La formation initiale d'éducateur à la PJJ m'a apporté des éléments théoriques que je suis en
capacité aujourd'hui de mobiliser dans le cadre de mes prises en charge. Elle m'a permis d'être plus
précise quant à l'analyse que j'apporte à l'équipe dans laquelle je travaille. Si la question de la
légitimité d'exercer à la PJJ s'est posée lorsque j'étais contractuelle, il me semble que j'acquière,
aujourd'hui, plus de confiance pour faire valoir ma propre pratique.
Mon parcours, mes expériences, mes origines, ma culture, mon identité, constituent donc bien des
bases solides sur lesquelles m'appuyer pour accomplir les missions que j'exerce au sein de l'UEHC
de Saint-Genis-les-Ollières et même, plus largement, au sein de la PJJ.
Elle peuvent constituer une plus-value me permettant, dans certains cas, de susciter une forme de
« curiosité » prétexte à l'entrée en relation avec le jeune. Par ailleurs, ma culture me permet,
quelquefois, d'apporter un étayage interculturel à mon équipe.
Pour autant, mon identité propre, mélange de culture dans lequel se reconnaissent certains mineurs
en quête identitaire, ne doit pas constituer une frontière trop poreuse entre ma sphère
professionnelle et personnelle.
Les deux s'alimentent l'une l'autre mais, à mon sens, mon identité professionnelle doit permettre
d'encadrer la part de personnel que je peux solliciter dans ma pratique.
De plus, l'identité étant un processus, l'expérience que je vais acquérir au fil des années me
permettra de mieux délimiter la part d'intimité que j'utiliserai au service de l'accompagnement des
mineurs en quête identitaire.
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CONCLUSION
Le choix de traiter la question de l'identité dans ce mémoire, outre un mouvement réflexif sur moimême ou sur ma pratique, m'a permis de me rendre compte qu'à l'origine du passage à l'acte
délinquant, il y avait très souvent une quête identitaire. En cela, qu'elle revête différents aspects ou
qu'elle s'attache à différentes formes d'identités ; cette quête constitue un nœud de la relation
éducative que le professionnel doit s'attacher à sauvegarder : au fond, chaque adulte en devenir,
chacun de nous a vécu cette préoccupation et cette période de crise constitue un moyen de faire le
lien entre enfance et âge adulte, entre adolescent et adulte. Le travail éducatif repose donc, à mon
sens, essentiellement sur la gestion de cette crise.
Au travers de ce travail de recherche et d'analyse, j'ai pu approfondir cette notion d'identité et
réfléchir à la meilleure manière d'appréhender cette problématique et de voir en quoi l'éducateur
peut, au travers de sa, de ses propres identités (personnelle et professionnelle, nous l'avons vu)
concourir à la construction identitaire du mineur dont il a la charge.
Les différentes situations de terrain, qu'elles concernent Adil, Haron, Hassen, Mathéo ou encore
Yanis, et leurs analyses, m'ont autorisée à développer la place et le rôle de l'éducateur dans la prise
en charge individuelle des mineurs sous-main de Justice, mineurs en quête identitaire. Par ses
compétences acquises en formation ou sur le terrain, par l'institution qu'il représente et qui lui offre
un cadre particulier d'intervention et, enfin, par et ce qu'il s'autorise à donner de lui (la part de sa
propre identité qu'il déploie dans l'exercice de ses missions, qu'il soit un homme ou une femme
d'ailleurs) ; j'ai pu montrer au cours de mon écrit que l'éducateur amène le mineur à accéder à la
construction de son identité propre, au tant que faire se peut.
Au fil de mon développement, j'ai ainsi montré que la prise en charge d'un jeune ne peut se faire
que si l'institution est elle-même est en pleine possession d'une identité qui lui est propre et qui est
assumée par l'ensemble des professionnels qui y travaille. En effet, l'équipe dans laquelle j'évolue, a
connu de fortes perturbations dans le quotidien de la prise en charge des jeunes placés. J'ai ainsi pu
comprendre que l'instabilité de l'équipe (notamment occasionnée par un lourd déménagement, des
locaux érigés dans le cadre d'une transformation de l'UEHC en CEF), requestionnait son identité
institutionnelle. Cette entrée en quête identitaire de la part de l'équipe éducative a eu un impact sur
la prise en charge des mineurs arrivés au foyer en septembre 2015.
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De même, j'ai pu me rendre compte des différentes dynamiques dans laquelle l'équipe s'est trouvée :
dans un premier temps, elle était démunie face à de nombreux débordements, puis une fois qu'elle
s'était appropriée les locaux, elle s'est ressaisie pour repenser les leviers éducatifs. Par ailleurs, il
m'a semblé nécessaire de rappeler que les mineurs dont nous avons la charge sont avant tout des
êtres en devenir qui adoptent, de fait, des comportements déviants exprimant cette entrée en
construction identitaire, processus difficile et souvent chez certains. Leur placement leur permet
d'exprimer un malaise profond et autorise l'équipe éducative à repérer ce qui fait souffrance dans
leur parcours pour les amener à évoluer.
La deuxième partie de mon développement m'a permis de rappeler les notions abordées en
formation au sujet de l'adolescence, la crise et la quête identitaire des mineurs. Elle a mis en lumière
les rôles qu'endossent les éducateurs pour permettre l'accès du jeune à son identité propre. Qu'il soit
figure parentale d'identification, accompagnant dans l'histoire familiale ou bien encore tiers
médiateur dans la relation entre le jeune et sa famille, l'éducateur concourt bien à la construction
identitaire du mineur et par là même, à corriger ses comportements déviants.
En effet, l'éducateur représente, une figure parentale stable et structurante pour le jeune, car il est
celui qui vient poser des limites, rappeler des règles strictes et permettre au jeune de se confronter
au cadre. Permettre au mineur de se confronter aux limites inhérentes à ce cadre c'est l'autoriser à se
confronter à ses propres limites, ce qu'il accepte de respecter ou au contraire ce qu'il rejette. En cela,
l'éducateur comme figure parentale constitue un levier éducatif permettant l'accès du mineur à son
identité propre. Le cas du jeune Adil est assez significatif dans cette approche. Il a accordé une
place importante et une légitimité particulière à son éducateur référent. Pourtant, même si la relation
entre Adil et son éducateur était sans aucun doute privilégiée, elle n'a constitué qu'un palier dans la
construction identitaire de ce jeune. En effet, il aurait sans doute fallu que l'équipe toute entière, moi
y compris, prenne la pleine mesure de cette relation projective de manière à proposer d'autre
modèles identificatoires au mineur. De cette manière, ce dernier aurait sans doute pu faire
d'avantage confiance à l'ensemble de l'équipe, pour trouver du sens à son placement et ainsi, nous
aurions tous pu être acteurs dans la construction de son identité.
L'éducateur d'Adil, s'est en effet, retrouvé isolé, (ce qui peut être souvent le cas dans le cadre de la
référence), dans son rôle de « père de substitution » et n'a pas pu régler toutes les difficultés
inhérentes à cette prise en charge. Nous voyons là les limites du rôle de l'éducateur référent : même
si la référence induit, de fait, la construction d'une relation privilégiée, il appartient au reste de
l'équipe d'utiliser cette relation particulière pour faire du lien avec tous les autres professionnels qui
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la compose, de manière à permettre au mineur d'accéder à toutes les formes d'identités qui lui sont
propres. Par ailleurs, d'autres situations, notamment celle d'Haron, ont mis en exergue la place
qu'occupe l'éducateur dans l'accompagnement du mineur à une meilleure connaissance de son
histoire familiale. Nous avons vu que l'éducateur permettait au jeune, au travers, notamment, de
certains outils utilisés en systémie, de poser des mots sur son histoire familiale ou de l'amener à
trouver lui-même des réponses quant au système familial dans lequel le jeune évolue. Nous avons
vu ici que l'éducateur n'était pas nécessairement celui qui allait trouver des réponses ou des
solutions, mais avant tout celui qui va permettre à la famille de mobiliser ses propres ressources :
c'est cette position qui permettra de faciliter la compréhension de ses propres mécanismes par la
cellule familiale.
Enfin, dans la mesure où l'éducateur adopte une attitude plus distanciée dans le cadre de la
systémie, il joue également le rôle de tiers médiateur dans la relation avec le jeune et sa famille. Il
est présent, « entre » l'adolescent et ses parents. Néanmoins, et dans la volonté d'une démarche la
plus exhaustive possible, nous ne pouvons considérer que le seul travail sur la famille (travail porté
par l'éducateur) est suffisant pour accompagner le jeune suivi par la PJJ dans son processus d'accès
à une identité propre, garantie d'une socialisation qui permettra l'arrêt des infractions.
Dans ma troisième partie, il m'est apparu important de mettre l'accent sur les jeunes issus de
l'immigration car c'est bien à partir de l'interpellation de Marwan, Français d'origines marocaine et
tunisienne, que j'ai confirmé le choix de mon sujet de mémoire. En effet, la question des origines et
des communautés tient, à mon sens, une place majeure dans cette difficulté que rencontrent les
jeunes issus de l'immigration (plus ou moins récemment d'ailleurs) à s'intégrer socialement. Dans
cette partie, nous avons vu que des mineurs, tels que Mathéo, étaient prêts à s'adapter au groupe
quitte à trouver des stratégies identitaires pour y exister. Le groupe de jeunes ne revendiquait
pourtant nullement, à ce moment précis, leur appartenance à une communauté quelconque.
Si la revendication est forte (exposition de son culte, de ses pratiques religieuses…) , nous avons vu
que l'éducateur, par le cadre légal de son intervention, pouvait permettre au jeune de prendre
conscience du bien-fondé de la préservation de sa sphère intime. Enfin, nous avons tenté
d'approfondir l'approche interculturelle, comme un des moyens de mieux comprendre la culture
d'origine du jeune pour lui garantir le meilleur accompagnement à une forme de construction
identitaire qui passerait d'abord par la considération de difficultés qui sont propres à sa culture – le
plus souvent d'ailleurs, à sa double culture. En effet, l'approche interculturelle suppose un travail de
neutralité quant à la culture d'origine des adolescents pris en charge. Il ne s'agit pas de juger du
59
bien-fondé de tel ou tel comportement issu de la culture d'origine, mais d'entrer en interaction avec
l'individu auquel on s'adresse, hors du « pré-pensé » qu'induisent nos références culturelles mais
toujours en lien avec les codes, les règles et les lois qu'imposent notre société. Plus l'éducateur,
acquière des connaissances sur les cultures diverses rencontrées sur le terrain, et plus efficiente sera
sa prise en charge. Le danger serait que la lecture faite sur la situation du jeune ne se fasse que par
le prisme de la culture, ce qui serait, à mon sens, une erreur majeure.
Ainsi, nous avons pu montrer, au cours de ce mémoire professionnel, que la palette d'intervention
de l'éducateur, visant la construction identitaire des mineurs dont il a la charge, demeure large et
diverse. Tout éducateur, issu de la « diversité » ou pas, peut jouer un rôle dans ce processus du fait
des multiples identités qu'un seul et même individu porte (identité culturelle, professionnelle,
cultuelle, associative… etc). Le professionnel rencontre tout de même quelques limites : un
éducateur ne peut travailler seul, tout comme l'institution ne peut répondre seule à toutes les
demandes des jeunes qui lui sont confiés. Si l'éducateur joue indéniablement un rôle dans la
construction de l'identité propre du mineur dont il a la charge ; il est tout aussi indéniable que son
action doit s'inscrire dans un mouvement porté par l'équipe toute entière, si elle se veut plus
efficiente.
C'est par ce travail difficile parce qu'induisant une forte part de soi mais toujours dans une
aspiration collective d'accompagnement, que l'éducateur participe et favorise la construction
identitaire des mineurs sous main de Justice, de manière à les (re)socialiser et, à terme, à les amener
à rompre avec des comportements délinquants.
L'éducateur est donc bien le révélateur d'une identité, présente mais voilée par des actes portés
comme des étendards par le mineurs que nous prenons en charge : non, il n'existe pas une identité
du « délinquant » mais des passages à l'acte qui viennent dire combien il est difficile de savoir qui
l'on est, le sait-on jamais un jour…
La mission de l'éducateur revient, à mon sens, à sortir des poncifs dont sont à la fois victimes et
acteurs les jeunes que nous prenons en charge. En outre, permettre au jeune d'accéder à son identité
c'est l'amener à sortir d'une désignation (telle que celle de « délinquant ») pour le pousser à aller
vers une définition de lui. Jean-Bertrand Pontalis, exprime bien cette idée dans son ouvrage :
« Ce que je redoute toujours, c'est d'être réduit à un présent qui ne donnerait rien, à un présent muet –
muet comme une carte d'identité, comme une pierre tombale. Les mots tuent quand il nous
désignent. »47
47
PONTALIS J.B, L'Amour des commencements, Collection Folio (N°2571), Gallimard, 1994.
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ENCART METHOLOGIQUE
A) De la question de départ à la problématique
Avant mon entrée en formation initiale et notamment lorsque que j’étais éducatrice contractuelle (en
milieu ouvert, hébergement, ou encore en insertion) une question relative à la prise en charge des
mineurs ne cessait de m'interroger : Que viennent signifier les mineurs par leur passage à l'acte ? Je
me suis, par ailleurs, souvent vu confrontée aux limites de la prise en charge éducative notamment
lorsque les mineurs n’y adhéraient pas.
Je me suis rendue compte que, au fond, ces jeunes interrogeaient surtout leur place, au sein de leur
famille bien-sûre, mais aussi leur place au sein de la société. Je me suis alors demandée, comment,
moi, en tant qu’éducatrice, je pouvais les accompagner à trouver cette place. Il m’est apparu que
toute démarche d’accompagnement commence par une rencontre basée sur le respect du parcours
de vie du mineur, de son histoire familiale et personnelle.
Lors de mon arrivée sur mon lieu de pré-affectation, j'ai été interpellée par un jeune, Marwan, 16
ans qui est venu, d'emblée questionner mon identité personnelle. Sous la forme des « reproches » il
me disait que j'étais « francisée ». Immédiatement après cet épisode, je m'empressais de noter mes
premières impressions dans mon carnet de bord. Des questions ont alors émergé : par la manière
dont il m'avait interpellée, Marwan, venait-il me demander indirectement de l'accompagner dans la
quête de son identité ?
Suite à cet échange avec Marwan j'ai d'abord tenté de définir les contours de mon sujet de mémoire
professionnel par l'unique prisme de l'identité culturelle. Pourtant, si mon premier questionnement a
trouvé ses fondements dans la question relative aux origines culturelles, après réflexion, la question
de l’identité semble bien largement dépasser les thèmes relatifs à l’immigration. En effet,
l’adolescence a partie liée avec la construction identitaire, que ce sujet soit traité au travers de la
famille, du groupe de pairs, de la recherche d’une place dans la société, ou encore de la Loi.
Après réflexion, je décidais de traiter de la construction identitaire des jeunes suivis à la PJJ et le
rôle de l'éducateur dans cet accompagnement. Je suis donc parvenue à définir la problématique
suivante : en quoi l’éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, par son accompagnement
éducatif, peut concourir à la construction identitaire des jeunes placés et/ou suivis en institution ?
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De même, en quoi l’éducateur, en aidant à la construction de l’identité propre du mineur pris en
charge à la PJJ participe t-il à corriger les comportements déviants ou à éviter la réitération des
passages à l’acte délictueux?
B) De l’élaboration des hypothèses de recherche
La problématique qui structure mon propos est donc la suivante : En quoi l’éducateur peut
concourir à la construction identitaire du mineur pris en charge, de manière à lui permettre de se
socialiser et, par là même, de rompre avec les passages à l’acte délictueux ?
De cette question ont ainsi découlé des sous-hypothèses de travail que j'ai tenté d’affirmer ou
d’infirmer dans le cadre du développement de mon mémoire professionnel :
– L'éducateur, par le modèle identificatoire structurant ou modèle projectif (figure parentale de
substitution) qu'il constitue, concoure à la construction identitaire du mineur suivi par la PJJ.
– L'éducateur, par l'affirmation d'une identité propre et assumée (notamment culturelle) concoure à
la connaissance de ses origines et à l'inscription sociale du mineur suivi par la PJJ.
L'action éducative permet de combler les failles identitaires de l'adolescent en crise. En effet,
l'action éducative est portée par des agents de socialisation qui vont permettre aux mineurs confiés
de s'identifier à eux et ainsi de se construire une identité propre au sein de la société.
– L'éducateur, par son action éducative, notamment en terme d'insertion (professionnelle et sociale),
concoure à la reconnaissance du mineur suivi par la PJJ, par la société, et à son accès à une identité
sociale et professionnelle.
C) Méthode de recueil et analyse des données
Durant mes deux années de formation, j’ai pu consigner toutes mes observations dans mon carnet
de bord. Il s’agissait de noter les réflexions et les questions que soulevaient certaines situations
qu'elles aient eu lieu sur mes terrains de stage lors de ma première année ou lors de mon année de
pré-affectation. Au fil de mes recherches et de mes lectures, j'ai noté des références
bibliographiques que j'allais être susceptible d'utiliser dans mon écrit professionnel.
A partir de ces données (personnelles et scientifiques), j’ai élaboré une grille d'entretien dont je me
suis servie dans le cadre de mon expérimentation. Cette grille d'entretien était à destination des
jeunes placés et des professionnels de ma structure. En ce qui concerne les jeunes suivis, elle avait
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pour objectif de récolter des informations sur leur parcours de vie, vérifier ce qu’ils connaissent de
leur histoire familiale, ce qu’ils comprennent de leur placement et enfin la place que les éducateurs
occupent dans leur parcours judiciaire.
En ce qui concerne, les éducateurs, j’avais principalement le souhait qu’ils me parlent de leur
identité professionnelle et comment elle s'est construite. Il me paraissait intéressant de savoir, ce
que des professionnels expérimentés, pour la plupart, ont à dire de leur identité d’éducateur à la PJJ.
Par ailleurs, puisque moi-même je ne cesse de me poser la question de la frontière entre le
professionnel et le privé, je suis allée trouver des réponses auprès d’eux.
Je l'ai soumise à mon directeur de mémoire, qui a pu me renvoyer que ma grille d'entretien était trop
dense, notamment celle à destination des jeunes. La crainte aurait été que l'entretien ne se
transforme en « interrogatoire » ou qu'il soit trop administratif. Il m'a alors conseillée de réduire les
questions et de me centrer principalement sur l'item « Parcours judiciaire ». J'ai ainsi revu ma grille
d'entretien en fonction de ces remarques.
J’avais imaginé dans un premier temps rencontrer, dans le cadre d'un entretien, tous les jeunes
placés dans la structure, soit environ sept jeunes au moment où ma grille d'entretien était prête
(décembre 2015). Comme je le disais précédemment, la gestion du groupe, à ce moment là, s'avérait
difficile, ce qui m'a conduit à revoir à la baisse mes ambitions.
Je décidais alors de ne pas interroger l'ensemble des mineurs, et me basais uniquement sur les
volontaires. J'avais présenté mon projet de mémoire à chacun des jeunes. Certains, et pour la plupart
part d'entre eux n'avaient aucunement envie de me donner plus d'éléments que ceux que nous
connaissions déjà dans le cadre de la prise en charge. D'autres voulaient prendre le temps de
réfléchir. Finalement, je suis parvenue à interroger deux jeunes dont j'étais la référente, dans le
cadre d'entretien. Je les ai donc rencontrés à l'extérieur du foyer. Il m'a semblé qu'il était plus
pertinent de privilégier un cadre plus convivial que celui du foyer.
Trois autres jeunes issus d'un groupe que nous avions constitué aux alentours du mois de février
2016, m'ont quant à eux, remis le questionnaire auquel ils avaient répondu par écrit.
En ce qui concerne les professionnels, j'en ai interrogé cinq : deux éducatrices et trois éducateurs.
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D) Hypothèse(s) d’action
L'expérimentation consistait en un entretien avec des jeunes d'une part et un entretien des
professionnels d'autre part. Le but était de recueillir des éléments sur leur parcours de vie.
Pour les jeunes, la question relative à l'identité n'a pas été posée de manière frontale mais plutôt de
manière détournée. A travers des questions sur leur parcours scolaire et leur situation judiciaire, je
prenais des notes me permettant de recueillir des informations utiles à mon écrit. Le parcours
judiciaire était un moyen de les faire parler sur ce qu'ils comprenaient de la mission des éducateurs,
de ce qu'ils attendaient d'eux et comment ils les percevaient
E) Descriptif de la phase d’expérimentation
Dans un premier temps je voulais interroger tous les jeunes placés. Puis j'ai revu mes critères à la
baisse car le contexte du groupe de mineurs ne m'a pas permis de le faire.
J'ai donc interrogé les deux jeunes dont j'étais la référente, me servant d'un dictaphone. La grille
d'entretien me servait de support. Je prenais peu de notes, préférant l'échange. L'entretien a duré,
pour chacun des deux jeunes environ une heure.
Trois jeunes m'ont rendu le questionnaire par écrit.
Cinq professionnels ont également été interrogés, en dehors de mes heures de service. L'entretien a
duré environ une heure et quart.
Suite aux entretiens, qu'ils aient concerné les deux jeunes interrogés que les cinq éducateurs, j'ai
procédé à la retranscription par écrit des réponses. J'ai, ensuite, trié les informations dont j'allais me
servir pour alimenter mon mémoire. En ce concerne les questionnaires que les jeunes m'ont rendu
par écrit. J'ai retranscris les réponses rendues sur papier libre. J'ai re-sollicité les jeunes dans le
cadre d'un court en entretien pour être sûre d'avoir bien compris l'ensemble de leurs réponses.
F) Points forts et limites de la démarche
Mes recherches se sont appuyées essentiellement sur des situations rencontrées (par observation
participative ou par implication directe). Elles m'ont permis de traiter en partie la question relative à
l'identité.
Cependant mon recueil de données n'a pas été suffisamment conséquent, car j'ai été confrontée à des
jeunes qui n'avaient pas envie de participer à un travail de recherche. Je pense que les mettre dans
une position d’interviewé les a déstabilisé. Leur permettre de répondre, par écrit, au questionnaire,
ne m'a pas permis de les accompagner afin qu'ils apportent des réponses plus développées. Il aurait
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sans doute été intéressant de soumettre ce questionnaire aux professionnels des milieux ouverts qui
suivent les jeunes dans le cadre de mesures éducatives plus longues. Ils auraient pu m'apporter leur
vision de l'évolution des jeunes dont ils ont la charge et par là, me dire en quoi ils ont l'impression
de contribuer à leur construction identitaire.
65
BIBLIOGRAPHIES DU MEMOIRE
PROFESSIONNEL
Bibliographie de méthodologique :
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universitaires du Québec, 2003.
Bibliographie de références :
Ouvrages :
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l'interculturel, l'Harmattan, Paris, 1989.
- DOLTO Françoise, La Cause des adolescents, Pocket, Paris, 2013.
- DUBAR Claude, Socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Paris,
A.Colin, Collection U, 2011.
- FUSTIER Paul, « D'un Temps à l'autre », in Borie Bonnet H., et al., Une maison d'enfants à
caractère social dans 50 ans d'histoire. André Vialle et le Rucher, Lyon, Le Rucher, 2006.
- JUILLET Pierre, Dictionnaire de la Psychiatrie, Éditions CILF, Juin 2000.
- KRISTEVA Julia, Étrangers à nous-mêmes, Folio, collection essais, Paris, 1991.
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66
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- LUTTE Gérard, Libérer l'adolescence, Pierre Mardaga éditeur, collection Psychologie et sciences
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- MAALOUF Amin, Les Identités meurtrières, Ed. Grasset.
- MAHLER M., F.Pine, A.Bergman, La Naissance psychologique de l'être humain, Paris, Payot,
1980.(édition américaine originale 1975).
- MEIRIEU Philippe, « Penser l'éducation et la formation », in www.meirieu.com
- MEYERSON Emile, Identité et réalité, Paris, PUF, 1908.
- MINARY Jean-Pierre, Modèles systémiques et psychologique, approche systémique et idéologie
dans l'Analyse Transactionnelle et dans le courant de Palo-Alto, Pierre Margada éditeur, collection
Psychologie et sciences humaines, Liège, 1992.
- MUCCHIELLI Laurent, Dictionnaire de l'éducation, Paris, PUF, 2004.
- ROCQUEFORT Daniel, Le Rôle de l’éducateur, L'harmattan, Paris, 1995
- THORNE Kent, L'identité humaine et ses avatars, in identité-humaine.blogspot.fr, 26 janvier
2013, consulté le 26 avril 2016
- VIALLAT François, Jurisprudences du secteur social et médico-social, Dunod, Paris, 2012.
67
Articles :
- BELGACEM Dalila, « Identité et culture, quelle construction identitaire pour l’enfant de
migrant », in Les Cahiers dynamiques, N°57, janvier 2014.
- COHEN-EMERIQUE Margalit, Pour une approche interculturelle en travail social : théories et
pratiques, Presses de l’École des hautes études de santé publique, Rennes, 2015.
- Cours du Professeur Gurtner, Psychologie, pédagogie : l'adolescent, Université de Fribourg
(Suisse).
- EYNARD Colette, en collaboration avec Didier Salon, architecte, Architecture et gérontologie ;
peut-on habiter une maison de retraite.
- GETZELS J.W. Images of the classroom an visions of the learner. In : Comprehensive handbook
of Psychology, Volume5, 2002
- RAGUET Claire, L'Homme et ses rêves, Cahiers Jungiens de psychanalyse, 2002/1, n° 103
- SEGHILI Nors-Eddine, « La Compétence interculturelle de l'éducateur », in Les Cahiers
dynamiques, N°57, janvier 2014.
.
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BIBLIOGRAPHIE COMMENTEE
Ces deux ouvrages que je fais le choix de commenter ont été mes deux principales ressources, ils
ont étayé ma réflexion et m'ont permis de construire mon développement :
- DUBAR Claude, Socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Paris,
A.Colin, Collection U, 2011.
L’ouvrage de Claude DUBAR, professeur de sociologie à l’université de Versailles/ Saint-Quentinen-Yvelines, intitulé La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, a été
choisi en raison du cadre théorique qu’il me permet de convoquer dans l’élaboration de mon
mémoire professionnel. Claude DUBAR souhaite apporter des éléments théoriques ou plutôt
préciser sa réflexion sur la « notion d’identité » qu’il préfère par ailleurs nommer « forme
identitaire ». En effet, cet écrit permet de comprendre comment se construit ou se reconstruit
l’identité de chacun, dès l’enfance, et comment elle évolue tout au long de notre parcours de vie.
- FUSTIER Paul, L'Identité de l'éducateur spécialisé, Paris, Dunod, 2009
Cet ouvrage analyse l'identité de l'éducateur spécialisé à travers des études historiques et
idéologiques de la profession, des conflits qui se développés dans « l'institution de réeducation », et
de la peur que provoque la rencontre entre le professionnel et « l'enfant inadapté ».
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SIGLES
CAE : Centre d'Action Éducative
CEF : Centre Éducatif Fermé
CPI : Centre de Placement Immédiat
EPE : Établissement de Placement Éducatif
FAE : Foyer d'Action Éducative
PJJ : Protection Judiciaire de la Jeunesse
STEMO : Service Territorial Éducatif de Milieu Ouvert
UEAJ : Unité Éducative d'Activités de Jour
UEHC : Unité Éducative d'Hébergement Collectif
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ANNEXES
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Annexe 1
Grille d’entretien à destination des éducateurs de l’UEHC de SGLO
Dans le cadre de ma formation statutaire des éducateurs à la PJJ et de l’élaboration de mon mémoire
professionnel, j’ai fait le choix de travailler la question de la quête identitaire des adolescents sous
main de justice. Il s’agit, en effet, d’interroger des jeunes et des professionnels dans le cadre d’un
entretien en les invitant à parler d’eux, à travers plusieurs items. Je leur rappelle évidemment le
caractère confidentiel et anonyme de l’entretien.
Éléments biographiques
I)
Age, lieu de naissance
II)
Région d’origine (France, étranger)
III)
Situation familiale, situation matrimoniale actuelle ? enfant ?
IV)
Fratrie, que font-ils dans la vie ?
Parcours scolaire et professionnelle
1. Niveau d’études avant d’intégrer la PJJ
2. Avez-vous exercé d’autres métiers que celui d’éducateur à la PJJ ? si oui, lesquels ?
3. Effectuez-vous d’autres formations en parallèle ?
4. Votre occupation actuelle (à temps plein, partiel, mi-temps ?)
5. Avez-vous connu le chômage ? si oui, comment avez-vous vécu cette période ?
Sur le métier d’éducateur à la PJJ
 Votre ancienneté à la PJJ ?
 Vos motivations à exercer ce métier ?
 Que vous ont apportées les deux années de formation ?
 Avez-vous des ambitions d’accéder à un poste à responsabilités ? quelles projections
professionnelles à l’avenir ?
 Quelle part de votre vie personnelle/privée mettez-vous au service de votre vie
professionnelle ?
 Comment définiriez-vous l’identité professionnelle ?
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Annexe 2
Grille d'entretien à destination des jeunes placés à l'UEHC de Saint-Genis-les-Ollières
Dans le cadre de ma formation statutaire des éducateurs à la PJJ et de l’élaboration de mon mémoire
professionnel, j’ai fait le choix de traiter de la question de la quête identitaire des adolescents sous
main de justice. Il s’agit, en effet, d’interroger des jeunes dans le cadre d’un entretien en les invitant
à parler d’eux, à travers plusieurs items. Je leur rappelle évidemment le caractère confidentiel et
anonyme de l’entretien.
Trajectoires biographiques
 Age, lieu de naissance
 Situation scolaire ou professionnelle actuelle (quel établissement, ou quel lieu de formation)
 Situation familiale (composition familiale, fratrie, place dans la fratrie)
 Relations familiales
 Lieu de résidence (collectif, individuel, en ville, à la campagne)
 As-tu des origines ethniques ? si oui, que sais-tu d’elles ?
Parcours individuel, scolaire et professionnel
A l’école primaire
 Éléments sur le parcours en école primaire (les matières préférées, les difficultés,
redoublement ou pas, pourquoi ? Ce que tu as aimé faire à l’école)
 Des instituteurs t’ont ils marqué, pourquoi ? (le maître/la maîtresse idéal(e))
 Le rôle des parents dans le travail scolaire (te souviens tu d’avoir été accompagné à faire tes
devoirs, les faisais-tu seul ?)
 Quels souvenirs tu gardes de tes camarades d’école? Es-tu encore en contact avec eux ?
Au collège
6. L’arrivée au collège (qu’as-tu ressenti ?)
7. Le comportement
8. Les notes
9. La relation avec tes professeurs, le CPE
10. La place de tes parents dans ton travail scolaire au collège
11. L’orientation : en as-tu été satisfait ?
12. Si décrochage scolaire : as tu eu des propositions de réorientation (atelier relais, classer
relais?, autres lieux de formation), les raisons du décrochage ? absentéisme ?
13. As-tu fait des stages de découverte (si oui, dans quels domaines ?), qu’y as-tu appris ?
La suite de ton parcours, tes projections
V)
As-tu une idée de ce que tu souhaites faire plus tard ?
VI)
As-tu des envies de découvrir des métiers ?
VII) Que penses-tu du monde du travail ?
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Parcours judiciaire
1. Que comprends-tu de ton parcours judiciaire (mesure éducative, rôle des éducateurs MO,
foyer)
2. Que penses-tu de l’autorité judiciaire et de la décision prise à ton encontre? (JE, JI, proc,
police…)
3. A l’annonce de ton placement en foyer, comment as-tu réagis ?
4. Est-ce que cela t’arrive de repenser aux faits ? aux victimes ?
5. Que t’apporte le placement ? (rapport aux règles)
6. Que penses-tu de l’action éducative ? des éducateurs, de leur rôle dans ton parcours de vie ?
7. Que trouves-tu au foyer qu’il n’y a pas chez toi ?
8. Comment te projettes-tu après le foyer ?
Le temps libre et les fréquentations
 Que peux tu dire sur tes amis ? que font-ils dans la vie ?(scolaires, professionnels ?) que
pensent tes parents de tes fréquentations ?
 Qu’est-ce que vous faites lorsque vous vous retrouvés ?
 Quels sont les sujets que vous abordez de manière générale ?
 As-tu une petite copine ? que penses tes amis de tes relations avec les filles ?
 Quel est ton rapport aux réseaux sociaux, la place qu’ils occupent durant ton temps libre ?
Pratiques-tu un sport ? aimerais-tu découvrir des activités culturelles ?
NB : En suivant les conseils de mon directeur de mémoire, j'ai finalement interrogé les jeunes, que
ce fur à l'oral ou à l'écrit, sur les deux derniers items : quelques éléments sur la situation familiale
(pour jauger de leurs capacités à se placer au sein de leur cellule familiale) le parcours judiciaire et
le temps libre.
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CHARIFI Samira
Titre : L'action éducative au service de la construction identitaire des jeunes suivis par la Protection
Judiciaire de la Jeunesse : le rôle et la place de l'éducateur dans le processus de socialisation du jeune
Thème : La construction identitaire des mineurs
Résumé : Approfondir la question identitaire des jeunes adolescents, notamment ceux suivis par la
Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), constitue toujours, et pour chaque prise en charge, un véritable
défi. En effet, la plupart des jeunes qui nous sont confiés ont manqué d'assises psychiques stables et
sécurisantes leur permettant d'entrer en interaction avec le monde qui les entoure. Ces jeunes dont nous
avons la charge, sont pour la plupart, et notamment, au cours de la période de l'adolescence, en quête
identitaire, en recherche d'une place dans la société dans laquelle ils évoluent.
J'ai voulu comprendre, en quoi, l'éducateur à la PJJ, par son identité professionnelle, les missions qui lui
sont confiées, peut contribuer à la construction de l'identité propre des mineurs pris en charge. A mon sens,
l’éducateur, par sa connaissance particulière de la problématique adolescente, sa capacité à créer du lien, la
figure parentale qu'il représente à certains égards, ainsi que par l’affirmation de ses identités personnelle et
professionnelle, doit permettre de faciliter l’accès du mineur pris en charge à sa propre identité et, par là
même, de réduire les passages à l’acte délictueux de ce dernier.
Il apparaît que l’accès à une identité propre et solidement construite, permet au mineur pris en charge par la
PJJ, de trouver une place dans la société et donc d’accéder à la considération d’autrui (victime entre autres)
pour, ainsi, rompre avec des comportements déviants ou délictueux.
Pour atteindre cette objectif, il sera question de voir en quoi l'éducateur, par le modèle identificatoire
structurant ou modèle projectif (figure parentale de substitution) qu'il constitue, concoure à la construction
identitaire du mineur suivi par la PJJ. Ensuite, il conviendra de comprendre comment l'éducateur, par
l'affirmation d'une identité propre et assumée (notamment culturelle) concoure à la connaissance de ses
origines et à l'inscription sociale du mineur suivi par la PJJ. Enfin, il s'agira d'étudier ce que l'éducateur, par
son action éducative, notamment en terme d'insertion (professionnelle et sociale), peut apporter à la
reconnaissance du mineur suivi par la PJJ, par la société, et à son accès à une identité sociale et
professionnelle. Ce développement s’appuie sur des situations vécues ou observées sur le terrain, étayées
par des notions théoriques relevant des champs de la psychologie, de la sociologie et de l'éducation.
Mots clés : identité personnelle, identité professionnelle, identité culturelle, quête identitaire, crise
identitaire, construction identitaire, interculturalité, action éducative, pôle identificatoire.
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