Un miroir au reflet trompeur : le curé Pinard dans La vie de mon p

Transcription

Un miroir au reflet trompeur : le curé Pinard dans La vie de mon p
「프랑스문화연구」 제23집
2011. pp. 391~426
Un miroir au reflet trompeur : le
curé Pinard dans La vie de mon père
de Restif de La Bretonne
1)Guillaume
Trotignon*
Sommaire
Introduction
Ⅰ–Généralités sur l’auteur
Ⅱ–La campagne de Rétif
Ⅲ–Le curé de campagne : une
figure hybride
Ⅳ–Le curé : une figure
vertueuse
Conclusion
Introduction
Cet article a pour objet d’analyser et de questionner un personnage
secondaire, voire de décor : le curé Pinard dans La vie de mon père
(p.156) de Restif de La Bretonne, écrit en 1778, dans la seconde
moitié du XVIIIe siècle Pour plus d’éclairage, voici un morceau de
* Professeur de visiteur de l'Université nationale de Pusan.
392
Guillaume Trotignon
l’extrait étudié :
« Le curé Pinard n’était pas si dévot que le Curé de Courgis,
qui est presque le seul homme apostolique qui soit encore dans
ces environs : c’était un Ministre indulgent, portant son âme sur
ses lèvres, la bonté dans les yeux, et tous ses Paroissiens au fond
du Cœur (…). Voilà un Père au milieu de ses enfants (…). Oh !
Comme la religion était respectable sur ce front content et
tranquille ! que cette tête chenue et grise inspirait de vénération !
(…) Je crois que voilà le vrai Curé de Campagne1)».
A première vue, ce personnage, qui apparaît à la fin de l’ouvrage
de Restif, et qui n’est traité que sur quelques pages, semble anodin,
presque inintéressant. Or, si l’on y jette un regard plus aigu et
réfléchi, on constate qu’il n’en est rien. Dans ce papier, je vais tenter
de réfléchir en quoi le curé de campagne, décrit ici par Restif de La
Bretonne, constitue une figure française typique et incontournable de
la seconde moitié du XVIIIe siècle, aussi bien d’un point de vue
historique que littéraire, notamment pour Restif de La Bretonne.
Ⅰ–GENERALITES SUR L’AUTEUR
1. Rétif de la Bretonne ou Restif de La Bretonne
Pour bien comprendre ce texte, un éclairage concernant son auteur,
1) Nicolas Restif De La Bretonne, La vie de mon père, Maxilivres-ProFrance,
classique français, Paris, 1998, p.157.
Un miroir au reflet trompeur
393
Nicolas Edme-Restif de La Bretonne, s’impose.
De tous les auteurs légués par le XVIIIe siècle (des Lumières telles
que Rousseau ou Voltaire, en passant par le scandaleux Sade
jusqu’aux écrivains un peu moins connus tels que Louis-Sébastien
Mercier), Nicolas-Edmond Rétif de La Bretonne (1734-1806), ou
« Restif de La Bretonne », ne peut laisser indifférent. Personnage
haut en couleurs, cet écrivain prolifique a su conférer à ce siècle tout
son charme. Ses œuvres se distinguent d’abord par leur abondance :
Lucile ou les Progrès de la vertu (1768), La fille naturelle (1769), Le
paysan perverti ou les Dangers de la ville (1775), La vie de mon
père (1779), La paysanne pervertie (1784), Les Parisiennes (1787),
Monsieur Nicolas ou le Cœur humain dévoilé (1794-1797), Le
Pornographe (1769), L’Educographe, Le Mimographe (1770), Le
Glossographe (1773), L’Andrographe (1782), Les Thesmographes
(1789), Les nuits de Paris (1793) qui est l’un de ses chefs-d’œuvre,
et bien d’autres encore, dont La Découverte australe par un homme
volant.
D’après les spécialistes, cette œuvre énorme comprendrait 47 titres,
190 volumes comprenant 61 000 pages2). Toutefois, l’écrivain a
souvent, à tort, été médit, voire méprisé ; en effet, qui ne connaît pas
son surnom de « Rousseau du ruisseau3) » par opposition au grand
« Rousseau », géant des Lumières ? Et Benjamin Constant, l’auteur
d’Adolphe, ne l’a-t-il pas traité de « fou bien dégoûtant qu’on devrait
enfermer avec les fous de Bicêtre4) » ?
2) Gérard Blanchard, « Restif de La Bretonne : typographe et écrivain » in
Communication et langages, N°30, 1976, p.66.
3) Restif de La Bretonne, Les nuits de Paris, Gallimard, Folio classique,
Paris, 1986, p.7.
394
Guillaume Trotignon
Pourtant, cela n’a pas empêché des grands de la littérature, comme
Gérard de Nerval, de rendre à Rétif de La Bretonne un vibrant
hommage : « Le roman moderne n’offre rien de supérieur à ces
images d’enlèvements, de viols, de suicides, de duels, d’orgies
nocturnes, de scènes contrastées, où la vie crapuleuse des halles
mêle ses exhalaisons malsaines aux parfums enivrants des boudoirs5)».
Rien que ça ! Notre écrivain laisse derrière lui une œuvre très
diverse, qui s’étend des pièces de théâtre, aux utopies politiques, aux
propositions de lois, en passant par des romans et des réflexions sur
la langue. Malgré tout, la postérité qui, quelquefois, se révèle injuste,
retiendra surtout son témoignage sur la vie quotidienne au XVIIIe
siècle, et on le comparera souvent à Louis-Sébastien Mercier
(1740-1814)6).
En outre, en cette époque tumultueuse, riche en libertinage, en
rationalité comme en irrationalité7) et en illuminisme8), Restif de La
Bretonne est perçu comme un audacieux. Il passe en premier lieu
pour l’inventeur du terme pornographie9). L’un de ses livres se
nomme effectivement le Pornographe ou « idées d’un Honnête
4) Jacques Marx, « La renommée helvétique de Restif de La Bretonne au
XVIIIe siècle » in Revue belge de philologie et d’histoire, Tome 48,
fasc.3, 1970, p.798.
5) Nicolas Restif De La Bretonne, op.cit., p.7.
6) Marie-Sylvie Séguin, Histoire de la littérature en France au XVIIIe
siècle, Hatier, Paris, 1992, p.150.
7) Olivier Chaline, La France au XVIIIe siècle, Belin, Belin Sup, Paris, 1996,
p.123.
8) Marie-Sylvie Séguin, op.cit., p.84.
9) Commémorations d’Auxerre – 16,17, 18 juin 2006 – Conférence de F. Le
Borgne, Lire Rétif (www.retifdelabretonne.net).
Un miroir au reflet trompeur
395
Homme sur un projet de règlement pour les prostituées, propres à
prévenir les malheurs qu’occasionne le Publicisme des Femmes » ;
texte hardi, qui appelle à une prostitution distribuée et organisée par
l’Etat10) ; ouvrage qui a valu à son auteur un titre de baronnie, offert
des mains de Joseph II11), alors empereur d’Autriche.
Restif de La Bretonne était-il lu dans la France de l’Ancien
Régime ? Oui, et beaucoup, si l’on en croit Robert Darnton ; l’un de
ses ouvrages, Le paysan perverti, arrive en tête des best-sellers de
la littérature clandestine française de 1769 à 178912). D’après le
célèbre historien américain, Restif était, avec Voltaire ou d’Holbach,
l’un des auteurs les plus populaires de cette fin de siècle13). Sa
renommée s’avérait aussi internationale car elle touchait l’Allemagne
et la Suisse – dans ce dernier pays, il attirait notamment les
louanges du plus célèbre critique littéraire de l’époque, Henri-David
de Chaillet14).
Il faut aussi dire que Rétif, dans ses livres, n’y va pas de
mainmorte et ose braver, avec un plaisir salace, les interdits – de
quoi atteindre le réalisme à l’état brut. Ainsi sont évoquées dans La
10) A. Mericksay, « La prostitution à Paris : dans les marges d’un grand
e
livre », in Histoire, Economie et société, 1987, 6 année, n°4, p.506.
11) Maurice Blanchot, Sade et Restif de La Bretonne, Editions Complexe, Le
regard littéraire, Paris, 1986, p.143.
12) Robert C. Darnton, « The Forbidden Bestsellers of Prerevolutionary
France » in Bulletin of the American Academy of Arts and Sciences,
Vol.43, N°1. (oct.1989), p.29.
13) Ibid., p.31.
14) Jacques Marx, « La renommée helvétique de Restif de La Bretonne au
XVIIIe siècle », in Revue belge de philologie et d’histoire, tome 48,
fasc.3, 1970, p.791.
396
Guillaume Trotignon
paysanne pervertie une liaison incestueuse entre un frère et une
sœur, et une liaison homosexuelle15). Même, le titre Les nuits de
Paris suggère de nombreuses images : des alcôves luxueux et des
boudoirs secrets encensés par un Sade (la philosophie dans le
Boudoir) aux ruelles malfamées qui abritent leurs prostituées et leur
sordide. A ce titre, Restif est considéré, avec Rousseau, comme l’un
des meilleurs peintres « prophétique » de la ville et de toute la
« révulsion pathologique » qu’elle peut susciter16).
Une rapide biographie permettra de mieux appréhender le
personnage : il naît le 23 octobre 1734, dans l’Yonne, en
Basse-Bourgogne, région alors rurale. Son père est un coq de village
– c’est-à-dire un riche laboureur, influent et aisé, permettant ainsi à
Rétif d’avoir accès à une certaine culture et de connaître une honnête
instruction. Après être allé à Auxerre en 175117), où il a été
apprenti-imprimeur, Rétif par pour Paris en 1755. Il travaillera à
l’imprimerie alors à l’imprimerie royale. Il se mariera en 1760 avec
Agnès Lebègue.
Tout en étant imprimeur, Rétif commence à écrire ses ouvrages
majeurs à partir de 1765 : La famille vertueuse (1767), Lucille et Le
pied de Fanchette (1768), le pornographe (même période), Le paysan
perverti (1775) qui lui assure la célébrité en Europe, La vie de mon
père (1778), Les nuits de Paris (mis en vente en 1788).
15) Michel Delon, Pierre Malandrin, Littérature française du XVIIIe siècle,
Presses Universitaires de France, Paris, 1996, p.379-380.
16) Georges May, The Eighteenth Century, in Yale French Studies, N°32,
Paris in Literature (1964), p.38.
17) Des péripéties l’ont conduit à Auxerre, en particulier une dispute avec son
frère curé, à cause de son insoumission morale.
Un miroir au reflet trompeur
397
Parallèlement, Rétif devient indicateur de police, ou « mouche », ce
qui lui permet d’être un observateur sage et appliqué du quotidien ;
sans doute gardera-t-il de cette expérience l’image du « hibou »,
qu’il évoque dans les Nuits de Paris18). En 1785, il se séparera
d’Agnès Lebègue19).
Durant la Révolution française, Rétif continue d’écrire (Monsieur
Nicolas, l’un de ses chefs-d’œuvre, rédigé entre 1794-1797) mais tout
en connaissant la pauvreté20). En 1796, il est refusé à l’Institut
national des sciences et des arts, créé par la Révolution, et devient
employé au ministère de la Police générale. De 1802 (date de la
suppression de son emploi) à sa mort en 1806, suite à une maladie, il
vit dans la misère.
Cette courte biographie montre donc combien Rétif a été, de par
ses origines rurales et ses divers métiers – imprimeur, écrivain sans
le sou, indicateur de police –, un homme du peuple. Dans ce
contexte, un éloge de curé de campagne devient plus compréhensible.
18) Nicolas Restif De La Bretonne, Les nuits de Paris, op.cit., p.34. Restif de
La Bretonne écrit au sujet du hibou : « Hibou ! (…) Triste et solitaire,
comme toi, j’errais seul, au milieu des ténèbres (…). Que de choses à
voir lorsque tous les yeux sont fermés ! Citoyens paisibles ! (…) Pour
vous, je suis entré dans les repaires du vice et du crime. Mais je suis
un traître pour le vice et pour le crime ; je vais vous vendre ses
secrets ».
19) Cette séparation amènera son épouse à composer un pamphlet contre lui :
La femme infidèle (Société Rétif de La Bretonne
(www.retifdelabretonne.net).
20) En témoigne la bourse de 2000 francs que lui attribue le fonds de secours
de la Convention pour les gens de lettres dans le besoin.
398
Guillaume Trotignon
2. Restif de La Bretonne : un homme des
Lumières
Rétif appartient à la période des Lumières et à ce titre, a participé
à ce mouvement littéraire et philosophique. Dans son œuvre, il n’est
pas seulement écrivain mais il s’improvise aussi moralisateur et
philosophe- réformateur. De ce fait, Les Thesmographes de 1789
anticipent les théories du socialisme utopique de Fourier, philosophe
français de la première moitié du XIXe siècle, par leur attachement à
la philanthropie et à la communauté21). Notre écrivain publie aussi
des projets de réforme sur la prostitution, les mœurs, la condition des
femmes.
Les années 1750-1789 constituent, comme chacun sait, une époque
de redécouverte et de passion pour l’Antiquité. Dans le domaine
artistique, c’est l’arrivée du néo-classicisme ; Jacques-Louis David,
qui rayonnera tout au long de la Révolution et de l’Empire, quête à
travers ses peintures une nouvelle esthétique, orientée vers la raison,
le dépouillement, la sobriété22) comme l’illustre son Serment des
Horaces (1784). Joseph-Marie Vien, plus précoce mais moins connu,
peint La Marchande d’amours (1763), qui suscite l’admiration de
Diderot, et qui, inspiré d’une peinture d’Herculanum, exalte un modèle
d’honnêteté et de sérieux23).
21) Jeanne et Michel Charpentier, Littérature XVIIIe siècle – Textes et
documents, Nathan, Paris, 1988, p.367.
22) Edina Bernard, Pierre Cabane, Jannic Durand, Gérard Legrand, Jean-Louis
Pradel, Nicole Tuffeli, Histoire de l’art – Du Moyen Âge à nos jours,
Larousse-Bordas, 2010, p.403-404.
23) Ibid., p.404.
Un miroir au reflet trompeur
399
Cette passion pour l’Antiquité stimule aussi la pensée politique ;
Rome et sa République, Sparte et son régime original, Athènes et sa
démocratie : autant de régimes sur lesquels il faut réfléchir ; un peu
auparavant, Montesquieu a écrit ses Considérations sur les causes de
la grandeur des Romains et leur Décadence De la grandeur de
l’Empire romain tandis que Edward Gibbon, en Grande-Bretagne,
entame un ouvrage qui, d’un point de vue historique, fera date :
Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain où,
comme en écho aux monarchies fatiguées, il analyse la décadence de
l’ancien Empire ; quant à Rousseau, il prône le modèle moral et
vertueux du Romain et du Grec, fait d’abnégation et de sacrifice :
« Je crus faire un acte de citoyen et de père, et je me regardai
comme un membre de la République de Platon » déclare-t-il ainsi
dans le livre VIII des Confessions, pour mieux justifier l’abandon de
ses enfants24).
Rétif aussi se laisse aller à cette romanité ambiante : il s’invente
en effet une généalogie fictive, qu’il déclare remonter en droite ligne
de Paulus Helvius Pertinax25) ; Pertinax était un empereur romain du
second siècle, personnage qui a connu sous l’Empire une fulgurante
ascension sociale : né esclave, l’homme, après bien du courage,
mourra empereur.
Outre la fascination pour l’Antiquité, les Lumières voient la
rédaction de multiples utopies – on recherche alors un monde
différent, radical, et une liberté totale. Dans son œuvre l’An 2440,
24) Jean Renaud, La littérature française du XVIIIe siècle, Armand Colin,
Paris, 1994, p.72.
25) Michel Delon, Pierre Malandrin, op.cit., p.353.
400
Guillaume Trotignon
Louis-Sébastien Mercier peint un Paris hygiénique et démocratique ;
Diderot imagine dans son Supplément au voyage de Bougainville le
passé de terres qui auraient pu éviter le colonialisme et Rousseau,
l’un des apôtres de la pensée des Lumières, introduit une microsociété
dans la Nouvelle-Héloïse26). A nouveau, Rétif est du mouvement car
il écrit La Découverte australe par un homme volant (1782).
Dans cette production originale, il dépeint une cité parfaite – celle
des Mégapatagons – régie par une loi qui comporte des
règlements stricts :
« 2. Que tout soit commun entre Egaux.
3. Que chacun travaille au bien général.
5. Que chacun y participe également27). » On retrouve dans ces commandements des proximités avec la
pensée
socialiste
utopique
(l’égalité,
le
bien
général),
voire
communiste – des idées, ultérieurement diffusées par Gracchus
Babeuf
durant
la
tourmente
révolutionnaire.
Comme
ses
contemporains, Rétif rêve de mondes lointains, virtuels, de sociétés
parfaites.
Mais il se révèle aussi être l’homme des Lumières lorsqu’il médite
sur une conception originale de la communauté : dans son recueil de
nouvelles Les Contemporaines, il imagine vingt couples décidant de
former « une association de biens, d’affaires, d’occupations et de
plaisirs »28). Comme le texte précédemment cité, le tout se voit régi
26) Ibid., p.351.
27) Nicolas Restif De La Bretonne, La découverte australe par un hommevolant, ou le dédale français, Leipzig, 1781, p.481.
Un miroir au reflet trompeur
401
par un règlement minutieux qui oblige à une égalité parfaite entre les
individus29).
Toutefois, Rétif n’est pas seulement un anticipateur politique.
Homme de son temps, il se révèle aussi Rousseauiste. En premier
lieu, par le modèle qu’adoptent ses romans – des confessions,
directement inspirées de celles du maître, des notes dispersées, des
souvenirs évanescents semés au gré de la mémoire, comme dans
Monsieur Nicolas30). En second lieu, par sa vie même, puisqu’à
l’instar de Rousseau il est autodidacte31). Enfin, il suit aussi Rousseau
par les idées qu’il traite – le bonheur32) et l’exaltation des grands
sentiments de la « littérature moralisante »33).
3. La Vie de mon père : une œuvre originale
Publié en novembre 1778, à la Saint-Martin34), La Vie de mon
père suscite l’intérêt sur de nombreux points. D’abord, il s’agit d’une
« œuvre-témoignage » remarquable de la vie rurale française sous
l’Ancien Régime35). L’auteur raconte avec brio la fortune de son père,
Pierre, un homme réfléchi, qui aide, avec ses propres bras, à la
prospérité de son village. L’ascension sociale de cet homme modeste
28) Nicolas Restif De La Bretonne, Les contemporaines, Volumes 1 et 2,
Büschel, 1781, p.404.
29) Jean-Jacques Tatin-Gourier, Lire les Lumières, Dunod, Paris, 1996, p.62.
30) Michel Delon, Pierre Malandrin, op.cit,, p.357.
31) Jean Renaud, op.cit., p.49.
32) Ibid., p.60.
33) Ibid., p.88.
34) Nicolas Restif De La Bretonne, La vie de mon père, op.cit., p.9.
35) Marie-Sylvie Séguin, op.cit., p.150.
402
et
Guillaume Trotignon
campagnard
est
bien
détaillée :
l’homme,
simple
mais
bon moralement, finira lieutenant, poste administratif alors respecté.
Une vie qui permet à Rétif de narrer les difficultés du métier de
laboureur36), exercé à cette époque par la masse des français.
Outre cette description minutieuse du quotidien, La Vie de mon
père se révèle aussi être une autobiographie romancée37), qui accorde
une grande place aux perceptions
sociales :
ainsi,
l’écrivain
révèle-t-il la toute-puissance du père, la soumission de l’épouse à
son mari, le respect dû aux anciens du village, la lecture du soir38)
peu avant la prière ou encore les délibérations dans les conseils
villageois. De quoi bien entrevoir les mentalités des paysans du
XVIIIe siècle.
Mais surtout, l’œuvre érige en modèle moral le paysan – aspect
original, car peu d’écrivains, exceptés Rétif et Louis-Sébastien
Mercier, s’intéressent au bas-peuple39). Tout en glorifiant son père,
Rétif ne cesse d’énumérer les qualités morales que le paysan se doit
d’atteindre (amour du travail, amour du père, etc.)40). Il le couronne
36) Des observations sur les pratiques culturales émaillent le livre : ainsi, les
gelées qui peuvent nuire aux récoltes (p.23) ou encore la méthode
qu’utilise le laboureur pour cultiver dans un champ pierreux (p.72).
37) Jeanne et Michel Charpentier, op.cit., p.366.
38) Témoignage de premier ordre lorsqu’on sait que la circulation des livres
et de leur influence politique sur les paysans est une question historique
centrale pour comprendre les origines de la Révolution.
39) Jean Renaud, op.cit., p.98.
40) Parmi ces qualités, une est soulignée p.138 de La Vie de mon père : il
s’agit de celle de l’Honnête homme, une figure morale à atteindre : le
dialogue entre les paysans est très révélateur : « N’ayez pour but et pour
unique ambition, que de dignement mériter cette belle et utile qualité »
énonce Restif de La Bretonne.
Un miroir au reflet trompeur
403
ainsi de dignité, lui, qui est si souvent méprisé par les autres classes
sociales41). Il en profite aussi pour louer d’autres personnages de la
campagne, plus secondaires, qui font écho au laboureur, comme le
curé de campagne.
C’est ce personnage, que valorise La Vie de mon père, que
souhaite traiter le présent article. Il est temps désormais de s’y
arrêter.
Ⅱ–LA CAMPAGNE DE RETIF
1. La campagne du XVIIIe siècle
L’extrait cité page 2 du présent article nous montre le curé Pinard
dans la campagne42). Avant d’étudier en détail ce personnage du
prêtre, il convient de s’attarder sur cet environnement particulier,
dont La vie de mon père de Restif de La Bretonne ne cesse de faire
l’apologie tout le livre durant.
Tout d’abord, cette question : pourquoi louer la campagne ? La
raison est simple : né dans un bourg, à Courgis, en Bourgogne, Rétif
y a passé toute son enfance ; tout au long de son œuvre, il évoque
d’ailleurs cette période de la vie avec nostalgie
43).
Néanmoins, la
41) Certains auteurs, dont Laclos, continuent de percevoir la campagne
comme un lieu accablant d’ennui, non raffiné, et peuplée de gens stupides.
42) Après avoir longuement énuméré la vie de son père et le quotidien des
champs, la description du curé Pinard fait largement écho à la vie rurale :
« J’invite ceux qui n’ont point de récoltes à offrir leurs bras aux autres »
(p.157) dit ainsi le curé.
404
Guillaume Trotignon
campagne représente plus que cela. Au XVIIIe siècle, elle est surtout
une réalité omniprésente.
En effet, cette période dévoile une France agricole, un « royaume
paysan », qui possède 80% de ruraux pour 20% de citadins44). Le
pays est alors une terre de diversités, dotée de ses propres traditions,
patois, et paysages ; si l’Est et le Nord sont des « openfields »,
vastes champs ouverts voués aux céréales, l’Ouest et le Centre, elles,
sont terres de bocages, ces champs fermés par des haies, qui
combinent landes, friches, bois. Le Sud, tourné vers la Méditerranée,
lui, montre des paysages contrastés, bien différents des précédents45).
La campagne de cette époque est une terre immobile, héritière des
traditions et des structures des périodes précédentes, pouvant
remonter jusqu’au Moyen Âge (XIIIe siècle)46). Pour la plupart du
territoire, la religion chrétienne catholique régule cette atmosphère
particulière.
Tout au long de son œuvre, Restif fait l’éloge de la terre. La vie
de mon père dévoile la vie d’un agriculteur sage et vertueux, le père
de Restif. Les descriptions de la campagne et de la vie paysanne y
fleurissent, nous livrant un excellent aperçu de la vie paysanne
française à cette époque. Néanmoins, il faut savoir que ce thème de
la terre est un lieu commun de la littérature française et de la
civilisation française. Le célèbre géographe Armand Frémont, dans
43) Gérard Blanchard, « Restif de La Bretonne : typographe et écrivain » in
Communication et langages, n°30, 1976, p.67.
44) Daniel Roche, La France des Lumières, Fayard, Paris, 1993, p.102.
45) Michel Puzelat, La vie rurale en France XVIe siècle-XVIIIe siècle,
Sedes, 1999, Paris, p.20.
46) Ibid., p.20.
Un miroir au reflet trompeur
405
Les lieux de mémoire, le résume bien:
« La terre en France n’est pas seulement le plus étendu des
lieux de notre histoire, celui qui est partout le plus présent. C’est
aussi le plus profond. La terre rassemble toutes les valeurs d’une
civilisation paysanne dont les racines plongent dans les millénaires
et qui paraît encore vivante sous les paysages contemporains.
(…). »
« La terre paysanne, soudain archaïque, restitue aux Français
une image nostalgique d’eux-mêmes, le passé idéalisé des
stabilités perdues47) ».
Comme on le sait, cet amour pour la terre, en particulier pour les
« stabilités perdues », aura aussi ses travers, conduisant au
conservatisme politique pur48).
La terre, c’est aussi les champs et le village avec sa petite église
et son clocher que Restif brosse dans La vie de mon père. Les
échanges avec le lointain restent rares ; pour rallier la capitale,
plusieurs jours de diligence sont nécessaires ; la paroisse, unité
religieuse, est l’élément de base de l’administration territoriale, et
chaque village compose un univers avec sa hiérarchie propre. Mais la
campagne, pour Rétif, ne peut se limiter à ces réalités. Elle est aussi
un moyen de proposer une pensée politique, une société idéale,
presque utopique.
47) Maurice Agulhon, Jean-Pierre Babeon, Armand Fremont, François Furet,
Marcel Gauchet… Pierre Nora dir., Les lieux de mémoire, Gallimard,
Quarto, Paris, 1997, vol.3, p.3078.
48) Ibid.
406
Guillaume Trotignon
2. La campagne idéalisée et utopique
Pendant longtemps, dans la mémoire collective des Français, la
campagne a été idéalisée. Le XVIIIe siècle n’y a pas fait exception :
en 1740, J. Lambert, un contemporain, écrit : « Les gens de la
campagne (…) sont assurés que leur genre de vie est très
susceptible de sainteté et qu’on peut aisément se sanctifier dans leur
état49) ». On doit lire dans cette célébration répétée un héritage de
l’Antiquité gréco-romaine – Virgile et son œuvre les Bucoliques,
l’importance du foncier dans la respectabilité politique romaine –,
mais aussi un legs de la culture chrétienne, catholique en particulier,
avec la Bible qui ne cesse de se référer à la terre : « Le seigneur
prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour cultiver le sol et
le garder50) ». Et cet environnement « pur » et « traditionnel » ne
peut qu’enfanter et modeler de bonnes âmes, au premier rang
desquels le curé Pinard, figure parfaite, stylisée, de La vie de mon
Père.
Pour mieux interpréter le portrait plein de sainteté du curé
campagnard chez Rétif, il faut réfléchir à l’environnement contraire de
la campagne. Quel est-il ? C’est la ville. Rétif, en digne représentant
des Lumières, en apportera une nouvelle vision : à cet égard,
Le
Paysan perverti – titre d’un de ses ouvrages – parle de lui-même.
Il raconte comment un jeune paysan vertueux se fait corrompre par
49) Jean Lambert, La manière de bien instruire les pauvres et en particulier
les gens de la campagne, Benoît Morin, 1779, p.40.
50) J.-P. Jessenne, Les campagnes françaises entre mythe et histoire (XVIIIe
s.-XXIe s.), Armand Colin, Paris, 2006, p.9.
Un miroir au reflet trompeur
407
une ville, Auxerre, et devient atteint de tous les vices (compagnon
d’escrocs et de prostituées, il courtise plusieurs femmes)
51) ;
Restif
fera achever, en toute logique, la carrière de son héros au bagne.
On peut s’interroger sur cette détestation de la ville chez Rétif. En
fait, au XVIIIe siècle, l’espace urbain est perçu comme le lieu du
dérèglement, de la criminalité, du sexe, des liaisons bâtardes et de la
misère – un jugement que l’on retrouve chez Restif, rejoint ici par
de multiples auteurs des Lumières. Ainsi, si Sébastien Mercier
comptabilise le nombre de prostituées vivant à Paris à 40 000, chiffre
sans doute exagéré52), Lesage et Montesquieu, eux, se plaisent à
souligner l’influence malsaine de la ville53). Naturellement, cette
critique n’a pas obligé ces quelques auteurs d’avoir besoin de la ville,
d’y vivre et d’y travailler – on sait par exemple que Restif a été
imprimeur à Paris.
Néanmoins, entre la vie réelle de certains auteurs et la vie qu’ils
rêvent, un écart subsiste. Un autre grand auteur, Jean-Jacques
Rousseau, qui a aimé analyser les liens entre la campagne et la ville,
a émis ce terrible jugement sur les villes :
« Les villes sont le gouffre de l’espèce humaine. Au bout de
quelques générations, les races périssent ou dégénèrent. Il faut
renouveler,
et
c’est
toujours
la
campagne
qui
fournit
ce
renouvellement54) ».
51)
52)
53)
54)
Michel Delon, Pierre Malandrin, op.cit., p.367.
Olivier Chaline, op.cit., p.186.
Pierre Nora dir., op.cit., vol.2, p.2856.
Jean-Jacques Rousseau, L’Emile Ou De l’Education, in Jean RENAUD,
op.cit., p.71.
408
Guillaume Trotignon
Par sa vision d’une campagne pure, qui « renouvelle » les villes,
on entrevoit donc son influence sur Restif de La Bretonne.
On sait comme Rousseau aime louer dans ses ouvrages la nature :
dans Lettres à Malesherbes (1762), il indique combien le contact
avec elle renforce la liberté55). Or, la campagne n’évoque-t-elle pas
cette cohabitation harmonieuse ? De même, nous savons que l’état de
nature cité dans le Discours sur l’origine des inégalités est une idée
capitale du grand philosophe. Il se plaît à décrire ce monde primitif et
idéal, où l’homme régnerait libre et autosuffisant56), sans subir la
moindre inégalité – au contraire de la société humaine57). Aussi,
est-il logique de penser que dans La vie de mon père, Restif
s’inscrive dans ce courant de pensée : oui, le curé Pinard est avant
tout un homme de la campagne.
Ⅲ–LE CURE DE CAMPAGNE : UNE FIGURE
HYBRIDE
1. Le curé de campagne : un élément-clé du
village
Mais pourquoi décrire à la fin de cet ouvrage pendant quelques
pages seulement ce curé de campagne ? Pour mieux répondre à cette
55) Jeanne et Michel Charpentier, op.cit., p.306.
56) Thomas M. Kavanagah, Enlightened Pleasures, Eighteenth-Century
France and the New Epicureanism, Yale University Press, 2010, p.110.
57) Jeanne et Michel Charpentier, op.cit., p.263.
Un miroir au reflet trompeur
409
question, il faut réfléchir d’un point de vue historique.
Le
curé
de
campagne
demeure
d’abord
un
personnage
emblématique du XVIIIe siècle, que Restif se doit de mentionner.
Notre auteur a toutes les raisons de souligner que le digne
« Ministre de Dieu » de son village natal porte « son âme sur ses
lèvres, la bonté dans les yeux, et les Paroissiens au fond de son
cœur » tant il constitue à cette époque un élément essentiel de la vie
villageoise.
Enfant du pays, issu en général de la petite et moyenne
bourgeoisie rurale et urbaine, le prêtre est un homme au niveau de
vie aisé, doué d’instruction, au contraire de la plupart des laboureurs58).
Il soigne aussi les esprits ; éduqué, sachant lire et écrire, il participe
aux réformes du village, et n’hésite pas à secourir les paysans59),
quitte à servir de relais avec les notables et les agents de l’Etat60).
Conforme à l’idéal du « bon prêtre », il maîtrise souvent le latin, a
appris la rhétorique, et a étudié dans une faculté de théologie61) ; on
comprend donc à cette étendue intellectuelle – qui ne peut que
séduire un écrivain – une première cause de l’image positive du curé
Pinard dans La vie de mon père.
Mais il est aussi avéré que l’Ancien régime est habité par l’image
du bon curé. Le texte suivant, écrit par un contemporain, le montre :
58)
59)
60)
61)
Michel Puzelat, op.cit., p.77.
Ibid.
Daniel Roche, op.cit., p.344.
Benoît Garnot, Les campagnes en France aux XVIe, XVIIe et XVIIIe
siècles, Ophrys, Synthèse et Histoire, Gap, 1998, p.72.
410
Guillaume Trotignon
« Tout le monde avait confiance en lui. Il prêchait familièrement
mais utilement. Les pauvres venaient à lui de toutes parts et il ne
refusait personne (…). Enfin, il mourut plus plein de mérites que
de jours, en odeur de sainteté, regretté de tout le monde62) ».
La description de Restif de La Bretonne dresse un portrait
similaire. Par conséquent, on est en droit de penser que cette louange
du curé est un topo littéraire. Pourtant, lorsqu’on songe au XVIIIe
siècle, on peut s’étonner qu’un auteur des Lumières comme Restif
vante un prêtre, homme de la religion qui aurait toutes les raisons
d’être hostile aux philosophes.
En réalité, il convient de nuancer. S’il a pour tâche de maintenir la
prospérité, l’ordre public, la vertu de ses ouailles, et qu’il se révèle un
agent efficace de la monarchie administrative, le curé peut aussi
participer, à sa modeste échelle, à la diffusion de nouvelles manières
de penser ; il est avéré que les religieux ont aussi contribué au
mouvement des Lumières : pour ne citer que quelques noms, l’abbé
Bayle avec son Dictionnaire historique et critique (1696), qui précède
l’Encyclopédie, ou encore l’abbé Raynal, partisan de la décolonisation
avec son Histoire philosophique des deux Indes63). Le christianisme
n’empêche pas d’embrasser les idéaux philosophiques, au point que
les historiens parlent même de « Lumières chrétiennes »64). Dans la
vie de Monsieur de Sernin, Pierre de Clorivière, un contemporain,
62) Joseph Grandet, Histoire du séminaire d’Angers depuis sa fondation en
1659 jusqu’à son union avec Saint-Sulpice en 1695, publié par G.
Letourneau, Paris-Lyon, 1893,t.1, p.71-72.
63) Olivier Chaline, op.cit., p.102.
64) Ibid., p.110.
Un miroir au reflet trompeur
411
écrit au sujet du curé :
« Eclairer les hommes en tout ce qui peut leur être utile pour
le temps et l’éternité ; voilà répétait-il souvent, le moyen de les
tenir dans l’ordre et de les rendre heureux65) ».
En conséquence, non content d’être un homme-clé, le curé de
campagne pouvait être un réformateur.
Mais il possédait aussi, au sein de la communauté villageoise, un
statut moral original, équivalent à celui de « père » ; intercesseur
entre Dieu et les paysans, il avait pour tâche, par le biais de ses
conseils, de son exemple moral et vertueux, de guider les paroissiens
au bonheur66) - ni plus ni moins le rôle dédié au père de famille.
D’ailleurs, cette figure du chef de famille est très appréciée par le
XVIIIe siècle67) – le titre de l’ouvrage de Restif La vie de mon Père
le démontre à merveille. On sait aussi que le roi, représentant du
Christ, était considéré comme le « Père » de tous les Français,
puisqu’il cherchait leur bonheur68). De quoi mieux comprendre cette
description de Rétif à propos du curé Pinard :
« Si vous eussiez vu les Habitants autour de lui les fêtes et les
dimanches (…), vous eussiez dit : Voilà un Père au milieu de ses
enfants »69).
65)
66)
67)
68)
69)
Michel Vovelle, L’homme des Lumières, Seuil, Paris, 1996, p.392.
Ibid., p.392.
Daniel Roche, op.cit., p.473.
Ibid., p.476.
Nicolas Restif De La Bretonne, La vie de mon père, op.cit., p.157.
412
Guillaume Trotignon
2. Une figure politique
Mais il faut ajouter à cette figure sociologique paternelle une
dimension politique. Comme il a été dit précédemment (I.2.), Rétif se
situe politiquement du côté des prédécesseurs des socialistes
utopiques. Déjà, avec Rousseau, et son thème de la « campagne
idéale », « vertueuse », notre analyse avait frôlé la philosophie
politique ; il est maintenant temps d’y pénétrer.
Dans La vie de mon père, Rétif mentionne souvent la communauté
villageoise, cette assemblée d’habitants chargée de défendre les droits
des villageois. Le curé, qui en est, participe naturellement à ses
travaux70). Dans cette structure, chaque membre œuvrait à « l’intérêt
commun » - notion-clé de la pensée pré-communiste, que l’on
retrouvera chez Gracchus Babeuf, au cours de la Révolution
française.
La communauté villageoise possède toutes les qualités pour
incarner un modèle politique et social : non seulement, elle protège
les paysans face à leur seigneur et à ses injustices, mais en plus, elle
encadre la production paysanne de manière harmonieuse71). Il est
logique que cette structure ait été exaltée par des auteurs du siècle
des Lumières. Jules Faiguet dresse un portrait plus que flatteur de la
communauté familiale taisible lorsqu’il traite de la définition des
« Frères Moraves72)» dans l’Encyclopédie :
70) Benoît Garnot, op.cit., p.74
71) Katharina Middel, « Gracchus Babeuf et Rétif de La Bretonne – les
voies du communisme utopique à la fin du XVIIIe siècle » in Présence
de Babeuf : lumières, révolution, communisme, actes du colloque,
vol.1989.
Un miroir au reflet trompeur
413
« (…) Jamais l’égalité ne fut plus entière que chez les Moraves,
si les biens y sont communs entre les frères, l’estime & les égards
ne le sont pas moins (…). Nous sommes si peu attentifs aux
avantages des communautés, si dominés d’ailleurs par l’intérêt
particulier (…) Mais nous avons surtout en Auvergne d’anciennes
familles de laboureurs, qui vivent de tems (sic) immémorial dans
une parfaite société & qu’on peut regarder à bon droit comme les
Moraves de la France73)(…) ».
Là encore, on est en droit de penser que Restif, en portant aux
nues la figure du curé de campagne, ait suivi le même cheminement.
Cela lui permet au passage d’insister sur l’égalité, thème politique
qu’il affectionne.
Ⅳ–LE CURE : UNE FIGURE VERTUEUSE 1. La vertu : une notion politique du XVIIIe
siècle
Rappelons et poursuivons la description de Restif du curé Pinard :
« C’était un Ministre indulgent, portant son âme sur ses lèvres,
72) J.Faiguet de Villeneuve, “Moraves ou Frères unis” (citations de la
définition), p.704, 10e volume, in L’encyclopédie ou Dictionnaire raisonné
des sciences, des arts et des métiers, par une Société de Gens de
lettres, eds. Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert, Paris, 1751-1772,
University of Chicago : ARTFL Encyclopédie Project.
73) Ibid.
414
Guillaume Trotignon
la bonté dans les yeux, et tous ses Paroissiens au fond de son
cœur (…) que cette tête chenue et grise inspirait de la
vénération ! Il ne souffrait pas de procès entre nous (…). Lorsqu’il
traitait un point de morale, il nous demandait à tous notre
sentiment sur l’avantage qu’il devait procurer aux Hommes (…) ;
ensuite, il répétait ce que chacun avait dit, en corrigeant,
augmentant, et mettant dans le plus grand jour la pratique de la
vertu morale 74)».
Cette lecture achevée, la première image qui vient à l’esprit est
celle d’un homme bon, innocent, candide – soyons un peu voltairien.
Un mot, au sein de cette description, peut sans doute tout résumer :
il s’agit de « vertueux », qualificatif aimé des Lumières. Pour mieux
analyser le portrait du curé, il est important de s’attarder sur ce
terme particulier. L’Encyclopédie lui consacre un très long article et
désigne cette qualité morale, qui participe à la solidarité, comme un
élément fondamental des systèmes politiques antiques romains,
athéniens et spartiates. Ecoutons Diderot, Romilly fils et Seguiran la
détailler comme une caractéristique essentielle de la raison et de la
citoyenneté antiques :
« Vertu (…). Elle n’est elle-même que l’application plus ou
moins directe de la raison ou de la loi naturelle, aux diverses
circonstances où l’homme se trouve dans la société : les devoirs
du bon citoyen existoient donc avant qu’il y eût de cité, ils étoient
en germe dans le cœur de l’homme (…). La vertu consiste surtout
à réprimer le bas intérêt & à se mettre à la place des autres (…).
Lorsqu’il n’y a plus de vertu, alors les lois les plus sages sont
74) Nicolas Restif De La Bretonne, La vie de mon père, op.cit., p.157-158.
Un miroir au reflet trompeur
415
impuissantes contre la corruption générale (…). Elles sont violées
par les uns, éludées par les autres (…) C’est la masse qu’il
faudroit purifier75) ».
En célébrant le curé Pinard, Restif paraît aussi se placer dans cette
pensée ; il fait l’éloge du dévouement du prêtre qui, en bon citoyen
de la communauté, impulse la « vertu » en « se mettant à la place
des autres » - en l’occurrence, les membres de la communauté
villageoise. De cette manière, Restif sous-entend la solidarité
inhérente au concept de citoyenneté. Rousseau aussi, dans le Contrat
social de 1762, traite de l’importance de la vertu dans un système
social : façonnant les volontés particulières et les individualités, elle
les soumet à une volonté qui devient consensuelle, qui émane et
s’impose à tous les membres de la communauté76).
Toutefois, le terme « Vertu », au XVIIIe siècle, dévoile un autre
sens. Lisons encore l’Encyclopédie et la seconde définition qu’elle
propose :
« Vertu (…) : ce mot se prend souvent dans notre langue pour
désigner la pudeur, la chasteté77) ».
D’où cette question, qui vient immédiatement à l’esprit : à quelle
75) « Vertu », définition de Denis Diderot, Romilly fils et du chevalier de
Seguiran, p.178, 17e volume, in L’encyclopédie ou Dictionnaire raisonné
des sciences, des arts et des métiers, par une Société de Gens de
lettres, Denis Diderot et Jean Le Rond D’Alembert, Paris, 1751-1772,
University of Chicago : ARTFL Encyclopédie Project.
76) Thomas M. Kavanagh, op.cit., p.217.
77) Encyclopédie, définition « La vertu », Jaucourt.
416
Guillaume Trotignon
définition de la vertu fait
référence Restif dans sa description du
Père Pinard ? La définition politique ou strictement pudique ? Ou les
deux ? Laquelle appréhender pour mieux comprendre le portrait du
curé Pinard ?
2. Restif, ou la vertu contre le libertinage
Pour répondre à cette question, il faut se plonger dans les œuvres
de Rétif. Rappelons La Paysanne pervertie qui montre la liaison
incestueuse entre un frère et une sœur. Rappelons la description de
libertines dans les Nuits de Paris78). Rappelons que Rétif lui-même a
eu de nombreuses liaisons au cours de sa vie et qu’il est le fameux
créateur du terme Pornographe. D’autre part, admirateur de Sade,
Restif a découvert le libertinage par la littérature79) et a légué à la
postérité une image de « Casanova des taudis »80). Cette image est
telle que Pierre Testud, expert en littérature rétivienne, souhaite de
tout cœur refroidir les imaginations : il ne faut pas voir en Rétif un
auteur libertin et érotique, mais plutôt un auteur « réaliste jusqu’à la
minutie », qui anticiperait les romans réalistes et naturalistes du
siècle suivant81). Pourtant, l’Encyclopédie Universalis, la référence
documentaire, surnomme hardiment Restif de La Bretonne « Le
libertin visionnaire »82)… Libertin ou non ? Bien que la question
78) Patrick Wald Lasowki, Le grand déréglement : le roman libertin du
XVIIIe siècle, Gallimard, Paris, 2008, p.27.
79) Maurice Blanchot, op.cit., p.118.
80) Marc Chadourne, op.cit., p.13.
81) Pierre Testud, Rétif de La Bretonne et la création littéraire, Librairie
Droz, Genève, 1977, p.81.
Un miroir au reflet trompeur
417
fasse encore débat, admettons que Restif ne soit pas libertin.
Maintenant, une autre question qui appelle une réponse évidente : son
personnage, le curé Pinard, est-il libertin ? Non. Il semble même en
être le contraire pur. Il suffit de lire les deux définitions suivantes
pour s’en assurer :
« On dit d’une personne qui a une conduite déréglée, qu’Il mène
une vie libertine » (Dictionnaire de l’Académie française-1718).
« Le libertin est celui qui s’écarte – des règles, des devoirs,
des principes de la communauté83) » (Patrick Wald Lasowski84))
Oui, le libertinage, qui exacerbe le plaisir sensuel et charnel, la
quête de l’extrême, représente le contraire de la modération au sens
antique du terme – en l’occurrence une maîtrise des passions par la
raison85). En outre, il symbolise, dans une optique rousseauiste, la
dénaturation la plus extrême, le produit inéluctable d’une société
évoluée mais gravement déséquilibrée86). A la lumière de ces
réflexions, on peut donc percevoir le curé Pinard comme le
contraire-même du libertin ; non seulement, son tempérament est fait
d’abnégation, de modération, de raison et de sacrifice pour la
communauté – en somme, la vertu liée à la citoyenneté –, mais il
82) Jacques Lacarrière, définition « Restif de La Bretonne (1734-1806) », in
Encyclopédia Universalis, accessible sur Internet.
83) Patrick Wald Lasowski, op.cit., p.24.
84) Chercheur et spécialiste français du libertinage du XVIIIe siècle.
85) Jean Goldzink, Le Vice en bas de soie ou le roman du libertinage, José
Corti, Paris, 2001, p.115.
86) Ibid., p.123.
418
Guillaume Trotignon
est aussi un homme proche de la nature, dérivant d’une société
primitive et naïve.
Pour autant, doit-on oublier la définition pudique de « vertu » ? Et
pourquoi Restif prendrait-il la peine de décrire le portrait d’un
personnage contraire à celui du libertin ? Outre les causes
précédemment avancées (enfance, quotidien, politique…), n’y en-a-t-il
pas d’autres sous-jacentes, en rapport avec sa vie débridée, voire
« libertine » (dixit certains) ?
Cela nous ramène au débat du libertinage de Restif – important
pour mieux saisir la figure du curé Pinard. Rappelons l’interprétation
de certains spécialistes : l’écrivain n’est pas libertin et se trouve aux
antipodes du sulfureux Marquis de Sade87), l’auteur est réaliste, sa
propre vie ne rejaillit pas sur son texte ; il n’est libertin que
d’apparence. Dès lors, sous cette interprétation, la figure du curé
Pinard se transforme en naïf curé de campagne, enfantée par la
plume d’un Restif réaliste et innocent.
Maintenant, regardons l’auteur comme un sulfureux libertin – on
peut s’en convaincre à la lecture de sa biographie et de ses récits –,
et interprétons d’une autre manière cette figure de curé de campagne.
Mentionnons aussi que Restif a multiplié les conquêtes amoureuses
dans les villes, à Auxerre puis à Paris. Dès lors, n’a-t-il pas éprouvé
une « nostalgie de la vertu »88), le regret d’une pureté perdue, vierge,
celle de la campagne ? Et pour compenser ce regret tortueux,
n’aurait-il pas songé à valoriser la figure d’un prêtre campagnard ?
En outre, signalons que si Restif a quitté la ville pour la campagne,
87) Marc Chadourne, op.cit., p.16
88) Michel et Jeanne Charpentier, op.cit., p.367
Un miroir au reflet trompeur
419
c’est aussi en raison d’une dispute avec l’un de ses frères… un curé
janséniste89) ! Par conséquent, peut-être par regret, et pour mieux
« se racheter » de son impureté, Restif n’aurait-il pas tout intérêt à
louer cette figure du curé campagnard, une « valeur sûre » pour
l’époque ?
L’analyse de Maurice Blanchot, écrivain, philosophe, célèbre
critique littéraire et spécialiste de la littérature du XVIIIe siècle90), se
situe dans cette optique : Restif ne serait pas un sadique, mais plutôt
un
libertin
mi-vertueux,
tombé
dans
un
cycle
« pureté-dépravation-pureté »91). Selon lui, Restif ne penserait pas
autrement lorsque l’écrivain écrit dans Sara :
« Je devins heureux et coupable, mais sans perdre la qualité
d’honnête homme92) ».
Si Restif aime tant jouer au moralisateur dans ses romans, c’est
peut-être aussi pour mieux se moraliser lui-même. Dans cette idée,
on pourrait percevoir le curé Pinard comme une preuve des scrupules
de Restif face à lui-même… Effectivement, quoi de mieux que de
faire
l’éloge
d’un
curé
idéal
et
innocent
pour
se
réhabiliter moralement ? De la sorte, ce serait une clé pertinente pour
89) Maurice Blanchot, op.cit., p.117.
90) Etant un des inspirateurs de la French theory, collaborateur à la NRF, on
doit à Maurice Blanchot plusieurs essais, parus aux prestigieuses Editions
de Minuit et Gallimard : La Raison de Sade, L’insurrection la folie
d’écrire, L’Espace littéraire, L’entretien infini, L’écriture du désastre. Il a
aussi côtoyé les philosophes Levinas, Deleuze, Roland Barthes.
91) Ibid., p.124.
92) Ibid., p.129.
420
Guillaume Trotignon
bien comprendre le portrait du curé Pinard. Et on sait que si les faits
peuvent être oubliés, les écrits, eux, demeurent éternels. Les lecteurs
se souviendront de cette description du curé idéal, non des actes de
Restif. Mais il est toujours possible de s’aventurer dans la
psychologie d’un auteur…
Ⅴ–CONCLUSION
L’analyse de la figure du curé Pinard dans La vie de mon père
dévoile donc plusieurs caractéristiques de l’œuvre de Restif de La
Bretonne.
Tout d’abord, elle retranscrit de manière soignée le quotidien
villageois, source importante pour les historiens, et constitue un
témoignage lumineux des relations sociales de l’époque et des
mentalités (la communauté villageoise, la prédominance de la figure
paternelle, spécifique au XVIIIe siècle).
Ensuite, elle nous aide à mieux réfléchir au regard que les
Lumières portaient sur la dichotomie ville/campagne. A travers ce
portrait, se lit l’éloge d’une campagne vertueuse, idéalisée, et de ses
êtres ruraux sages et innocents. Un thème – on le sait – abordé
par Rousseau, révélant Restif comme son disciple et homme des
Lumières.
D’autre
part,
elle
valorise
le
« pré-communisme »
(repris
ultérieurement par Gracchus Babeuf), une pensée politique qui
anticipe le socialisme utopique des penseurs de la première moitié du
XIXe siècle (dont Fourier). Dans ce contexte, le curé de campagne
Un miroir au reflet trompeur
421
est non seulement le défenseur des droits des paysans mais aussi,
par le biais de sa vertu, cette qualité morale et politique, le gardien
vénérable de la stabilité de la communauté villageoise et de l’égalité
entre paysans. Enfin, on y lit une réflexion implicite de Restif sur sa propre
moralité ; si l’on suit l’analyse de Maurice Blanchot, on peut imaginer
que cette image « vertueuse », idyllique et parfaite du curé a été
rédigée par un Restif souhaitant racheter sa « mauvaise conduite ».
L’auteur aurait alors vanté un personnage contraire pour mieux se
dédouaner au regard de la postérité.
Autant d’éléments qui indiquent toute la richesse et la complexité
de l’œuvre de Restif de La Bretonne.
BIBLIOGRAPHIE
Bernard (Edina), Cabane (Pierre), Jannic (Durand), Legrand (Gérard),
Pradel (Jean-Louis), Tuffelli (Nicole), Histoire de l’art – Du
Moyen Âge à nos jours, Larousse-Bordas, 2010.
Blanchard (Gérard), « Restif de La Bretonne : typographe et
écrivain » in Communication et langages, N°30, 1976.
Blanchot (Maurice), Sade et Restif de La Bretonne, Editions
Complexe, 1986.
Chadourne (Marc), Eros and Restif, Yale French Studies, n°11.
Chaline (Olivier), La France au XVIIIe siècle 1715-1787, Editions
Belin, 1996, Paris.
Charpentier (Michel et Jeanne), Littérature XVIIIe siècle – Textes
422
Guillaume Trotignon
et documents, Nathan, Paris, 1988.
Darnton (C. Robert), « The Forbidden Bestsellers of Prerevolutionary
France » in Bulletin of the American Academy of Arts and
Sciences, Vol.43, N°1. (oct.1989).
Delon (Michel), Malandrin (Pierre), Littérature française du XVIIIe
siècle, Presses Universitaires de France, Paris, 1996.
Diderot (Denis), Romilly fils et du chevalier de Seguiran, « Vertu »,
p.178, 17e volume, in L’encyclopédie ou Dictionnaire raisonné
des sciences, des arts et des métiers, par une Société de
Gens de lettres, Denis Diderot et Jean le Rond D’Alembert,
Paris, 1751-1772, University of Chicago : ARTFL Encyclopédie
Project.
e
Faiguet de Villeneuve (Jules), « Moraves ou Frères unis », p.704, 10
volume, in L’encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des
sciences, des arts et des métiers, par une Société de Gens de
lettres, eds. Denis Diderot et Jean le Rond D’Alembert, Paris,
1751-1772, University of Chicago : ARTFL Encyclopédie
Project.
Garnot (Benoît), Les campagnes en France aux XVIe, XVIIe et
XVIIIe siècles, Ophrys, Synthèse et histoire, Gap, 1998.
Grandet (Jules), Histoire du séminaire d’Angers depuis sa fondation
en 1659 jusqu’à son union avec Saint-Sulpice en 1695, publié
par G. Letourneau, Paris-Lyon, 1893,t.1.
Jessenne (Jean-Pierre), Les campagnes françaises entre mythe et
histoire (XVIIIe s.-XXIe s.), Armand Colin, Paris, 2006, p.9.
Lacarrière (Jacques), définition “Restif de La Bretonne (1734-1806)”,
in Encyclopédia Universalis (accessible sur Internet).
Un miroir au reflet trompeur
423
Lambert (Jean), La manière de bien instruire les pauvres et en
particulier les gens de la campagne, Benoît Morin, 1779.
Marx (Jacques), « La renommée helvétique de Restif de La Bretonne
au XVIIIe siècle » in Revue belge de philologie et d’histoire,
Tome 48, fasc.3, 1970.
May (Georges), “The Eighteenth Century”, in Yale French Studies,
N°32, Paris in Literature (1964).
Mericska (Y. A.), « La prostitution à Paris : dans les marges d’un
e
grand livre », in Histoire, Economie et société, 1987, 6 année,
n°4.
Middel (Katharina), « Gracchus Babeuf et Rétif de La Bretonne –
les voies du communisme utopique à la fin du XVIIIe siècle »
in Présence de Babeuf : lumières, révolution, communisme,
actes du colloque, vol.1989.
Nora (Pierre) dir., Agulhon (Maurice), Babeon (Jean-Pierre), Fremont
(Armand), Furet (François), Gauchet (Marcel) …, Les lieux de
mémoire Tome II et Tome III., Gallimard, 1997, Paris.
Puzelat (Michel), La vie rurale en France XVIe-XVIIIe siècles,
Sedes, 1999, Paris.
Renaud (Jean), La littérature française du XVIIIe siècle, Armand
Colin, Paris, 1994.
Restif De La Bretonne (Nicolas-Edme), La découverte australe par
un homme-volant, ou le dédale français, Leipzig, 1781.
______________, La vie de mon père, Maxi-poches, classiques
Français, Paris, 1998.
_______________, Les contemporaines, Volumes 1 et 2, Büschel, 1781.
_______________, Les nuits de Paris, Gallimard, Folio classique,
424
Guillaume Trotignon
Paris, 1986.
Roche (Daniel), La France des Lumières, Fayard, Paris, 1993.
Séguin (Marie-Sylvie), Histoire de la littérature en France au
XVIIIe siècle, Hatier, Paris, 1992.
Société Rétif De La Bretonne – Commémorations d’Auxerre – 16,17,
18 juin 2006 – « Lire Rétif » Conférence de F. Le Borgne
(date d’accès : dimanche 17 septembre 2011), disponible en
ligne sur www.retifdelabretonne.net
Tatin-Gourier (Jean-Jacques), Lire les Lumières, Dunod, Paris, 1996.
Testud (Pierre), Rétif De La Bretonne et la création littéraire,
Librairie Droz, Genève, 1977.
Vovelle (Michel), L’homme des Lumières, Seuil, Paris, 1996.
Wald Lasowski (Patrick), Le grand dérèglement : le roman libertin
du XVIIIe siècle, Gallimard, Paris, 2008.
Un miroir au reflet trompeur
425
《국문요약》
왜곡을 비추는 거울 : 레티프 드 라 브르톤의
La Vie de mon père의 피나르(Pinard)사제
기욤 트로티뇽
이 논문은 니콜라 레티프 드 라 브르톤(Nicolas Restif de La
Bretonne)의 작품 ‘내 아버지의 삶’ 에 나오는 피나르(Pinard) 사제를 분
석했다. 유토피아를 꿈꾸었고 계몽주의 시대를 풍미했지만 그 진가를 제
대로 인정받지 못했던 작가 레티브 드 라 브르톤을 재조명했다. 간단한
작가 소개와 더불어 당시 농촌생 활에서 사제의 중요성을 역사, 정치, 문
학에 걸쳐 이야기했다.
먼저 피나르 사제를 통해 18C 전형적인 농촌의 현실을 역사적으로 접
근했다. 작가는 당시의 훌륭한 증인 중의 한 사람인 피나르 사제의 역할
을 통해서 앙시앵 레짐 시대의 시골상을 잘 보여주고 있다. 동시에 레티
프는 병들고 부도덕이 난무하는 도시생활과 대조적으로 맑고 순수하며 건
강한 시골사회에 호감을 가지고 있다.
이러한 관점에서 피나르의 가치관은 시골에서 야기된 산물로 받아들여
질 수 있다. 레티프는 시골의 삶을 유토피아로 묘사한다. 우리는 여기서
루소 같은 계몽주의 사상가들의 전형적인 이미지를 찾아볼 수 있다. 이러
한 시골생활의 이상화는 우리에게 당대 정치생활을 생각하게 한다. 피나
르 사제는 그 시대를 잘 반영하는 인물일 뿐 아니라, 정치적인 이상향과
426
Guillaume Trotignon
평등주의를 대표한다고도 볼 수 있다. 아울러 고대 민주주의를 떠올리게
하는 레티프 드 라 브르톤의 묘사는 계몽주의사상 ‘미덕vertu’을 연상케
한다.
하지만 피나르 사제를 정치적으로만 바라볼 수 없다. 도덕적으로 완전
무결한 피나르 사제의 초상화는 심리학적, 문학적으로도 분석할 수 있다.
이 사제의 절대적 성적 수줍음, 완전무결함은 우리에게 그 이면을 상상하
게 만든다. 모리스 블랑쇼(Maurice Blanchot)의 의견을 참고하면, 절반쯤
은 방탕아였던 레티프에 의해 창조된 이 사제의 특징들은 아마도 타락하
고 자유분방했던 그의 삶에 대한 양심의 가책을 보여주는 것일 수도 있다.
말하자면 피나르 사제를 통해 우리는 레티프 드 라 브르톤의 재능과 사
상을 엿보고자 하는 것이다.
Mots-clés(주제어): Restif de La Bretonne(레티프 드 라 브르톤),
Lumières(계몽주의자), utopie(유토피아), Ancien Régime(앙시앵
레짐), curé(사제), Rousseau(루소),
vertu(미덕), communauté
villageoise(농촌사회), l’Encyclopédie(백과사전), libertinage(방종,
방탕).
93)
논문투고일 : 2011. 10. 30
최종심사일 : 2011. 11. 16
게재확정일 : 2011. 11. 23

Documents pareils