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Comment soutenir nos entreprises en insérant des clauses
sociales et environnementales dans les marchés publics ?
par Dimitri Coutiez, Coordinateur de Propage-s, Benoît
Simonet, Juriste de Propage-s et Jean-Luc Bodson, Chargé de
projets chez SAW-B
1. Contexte1
C’est en 1988 que la Cour de Justice des Communautés
Européennes (CJCE) a ouvert la voie à l’usage des clauses sociales
dans les marchés publics. A l’époque, dans l’arrêt « Beentjes », il
était question avant tout de clauses d’exécution visant l’insertion
socioprofessionnelle.
En plus de 25 ans, la jurisprudence
européenne a ouvert la voie à bien d’autres considérations sociales,
mais dont l’acception dans le public est restée sous le vocable de
« clauses sociales ». Parallèlement les clauses environnementales et
éthiques ont été introduites dans les procédures d’achats publics.
 Les clauses sociales visent à favoriser, à l’occasion de
l’exécution du marché, l’intégration dans l’emploi de
demandeurs d’emploi ou la formation de ceux-ci.
 Les clauses environnementales visent à favoriser l’utilisation de
matériaux durables ou recyclables dans l’exécution du marché.
 Les clauses éthiques visent à veiller à ce que les fournitures
achetées lors de marchés publics aient été fabriquées dans le
respect des normes « sociales » minimales. Elles concernent
principalement les conditions de travail des personnes qui les
ont fabriquées.
Ces directives ont été transposées en droit belge, par l’introduction
d’articles spécifiques dans la législation relative aux marchés
publics 2 et par la prise, par le Gouvernement fédéral, d’arrêtés
royaux. Sur base de cette législation fédérale, plusieurs initiatives
ont été prises en vue de favoriser de telles clauses, en particulier
concernant les clauses sociales.
En Région wallonne, depuis 1999, le Forem dispose d’une équipe
spécialement dédicacée à ce dispositif, spécialement orientée vers
l’introduction de clauses de formation pour demandeurs d’emploi
(DE).
1
La présente note ne traitera que des aides à l’emploi dans le secteur marchand.
Articles 16 et 18 bis, § 1 et 2 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à
certains marchés de travaux, de fournitures et de services (MB : 22/01/1994).
2
1
Par ailleurs, depuis 2005, des actions de sensibilisations auprès des
pouvoirs publics locaux ont été financées. Ces actions concernent
l’organisation de séances d’informations auprès des entreprises, des
structures d’économie sociale, ou des pouvoirs adjudicateurs et
principalement les pouvoirs locaux.
En Région bruxelloise particulièrement, diverses dispositions ont été
adoptées 3 .
Elles visent à imposer des clauses sociales et
environnementales dans les marchés publics atteignant un certain
montant. La dernière législation adoptée en date est la circulaire
administrative du 4 octobre 20124.
Par ailleurs, en Région wallonne, en 2008, un projet de décret visant
à systématiser l’introduction de clauses sociales, environnementales
et éthiques dans les marchés publics financés par la Région wallonne
avait été déposé au Gouvernement. Il avait fait l’objet de très vives
oppositions de la part du secteur de la construction et d’une partie
des représentants des pouvoirs locaux.
Le secteur de la construction dénonçait essentiellement le caractère
obligatoire, la faisabilité de l’exécution de telles mesures et le
surcoût que les clauses sociales allaient entrainer.
Au niveau des pouvoirs locaux, c’était la complexité administrative
supplémentaire et le surcoût qui étaient pointés.
2. Enjeux
En Belgique, les marchés publics représentent, selon les estimations,
entre 13 et 16% du PIB. Soit de l’ordre de 50 milliards d’euros, par
an.
Le but premier de la législation relative aux marchés publics est de
garantir aux pouvoirs publics de pouvoir acquérir des biens,
d’obtenir des services ou de faire réaliser des travaux au meilleur
rapport qualité/prix. L’introduction de clauses particulières ne doit
pas remettre en cause ce principe.
La méthode utilisée pour
permettre aux pouvoirs publics d’obtenir le meilleur rapport
3
Arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 22 avril 1999 imposant des
clauses sociales lors de la passation de marchés publics dans le cadre de la réalisation
d’investissements d’intérêt public (MB : 09/09/1999) et circulaire du 5 février 2009 relative à
l'insertion de critères écologiques et de développement durable dans les marchés publics de
fournitures et de services et modifiant la circulaire ministérielle du 8 juillet 1993 relative à l'Eco
consommation et à la gestion des déchets dans les administrations publiques régionales en Région
de Bruxelles-Capitale (MB : 23/03/2009).
4
Circulaire du 4 octobre 2012 relative aux clauses sociales dans les marchés publics de la Région
de Bruxelles-Capitale (MB : 5/12/2012).
2
qualité/prix est la publicité qui est donnée aux appels d’offre,
publicité qui doit être proportionnée à l’importance du marché
concerné. Plus le marché est important, plus sa publicité doit être
importante et plus les critères de concurrence doivent être précisés.
Plus le marché est important, plus le critère de prix est lui-même
important. Enfin, les pouvoirs publics ne peuvent mettre d’entrave à
ce que des entreprises étrangères puissent remettre offre au même
titre que les entreprises nationales. De nouveau, les dispositions
relatives à l’introduction de clauses spécifiques ne peuvent remettre
en cause ces principes généraux.
Si ces règles semblent tout à fait pertinentes en regard de l’intérêt
direct des deniers publics, elles sous-entendent aussi, et surtout,
une application stricte de la plus pure conception libérale de
l’économie, à savoir l’effacement de toute norme au profit d’une
seule : le marché, versus le moins disant. Peu importe qui produit,
où il produit, dans quelles conditions il produit, c’est le prix final qu’il
proposera qui sera déterminant dans la sélection. Se retrouvent
donc mises en concurrence, et cet élément est d’autant plus flagrant
que le marché est important et donc que des entreprises
européennes et extra-européennes peuvent soumissionner, des
entreprises dont les conditions de production sont potentiellement
aux antipodes.
La conséquence directe de l’application de la législation sur les
marchés publics, si elle garantit une utilisation optimale des deniers
publics, est d’accentuer la désindustrialisation du pays, et ce dans le
cadre de l’application de la directive services (qui permet de payer
des travailleurs en provenance d’autres pays en dessous des
minimas sociaux prévalant en Belgique), et de faciliter la
délocalisation des activités. Les pouvoirs publics payent, pour des
services peut être un peu moins chers, mais cette législation occulte
complètement la prise en compte de « l’effet retour » de la dépense
publique. Bref, l’effet direct de la législation sur les marchés publics
est de ne pas prendre en compte les conséquences sociales et
environnementales à moyen et long termes de ce type de dépense.
Un des enjeux majeurs est donc de parvenir à orienter une partie
des montants injectés dans ce système en faveur de deux objectifs :
 La relocalisation de la dépense publique (les arguments en
faveur d’une plus grande cohésion entre dépenses publiques et
recettes publiques, et donc des mesures « protectionnistes »,
seraient trop long à exposer ici), qui a un effet direct sur les
3
entreprises et l’emploi local, mais également, de manière
directe, sur les comptes publics qui perçoivent impôts et
cotisations sociales sur cette activité ;
 L’orientation de cette dépense en faveur du soutien à d’autres
politiques publiques, essentiellement en faveur de l’emploi ou
de l’environnement. C'est-à-dire des politiques qui visent à
favoriser l’insertion socioprofessionnelle des demandeurs
d’emploi, souvent peu qualifiés, ou qui tendent à utiliser des
matériaux recyclables, ou recyclés, ou encore ayant un faible
impact environnemental.
Concernant les clauses « éthiques », l’enjeu se place clairement au
niveau des relations internationales et des instruments de régulation
du commerce international. En effet, il s’agit, via ce type de
disposition, de veiller à ce que des conditions de protections sociales
ou de rémunérations minimales aient été respectées par les
entreprises qui fournissent des biens ou des services. En clair, de
veiller, à minima, à ce que l’ensemble des entreprises
soumissionnaires soient dans les mêmes conditions de concurrence.
Cependant, des normes trop faibles et surtout, l’absence d’instances
de contrôle, rendent l’introduction des clauses éthiques très
difficilement réalisable5.
3. Propositions concrètes
Comme déjà souligné, les marchés publics représentent une part
importante du PIB. Il y a lieu de constituer une législation qui
systématisera autant que possible l’introduction de clauses sociales,
environnementales et, dans la mesure du possible, éthiques.
La mesure n’est pas simple car les réticences idéologiques,
culturelles, ou les habitudes de fonctionnement, donnent une image
négative de telles dispositions. Les arguments les plus souvent
évoqués concernent le surcoût que de telles clauses vont générer, la
qualité du travail qui risque d’être moindre, la complexité
administrative, etc… Or, réinjecter un espace de sens et de valeur
au sein des cellules d’acheteurs publics par la maîtrise d’outils de
mise en œuvre de dimensions sociales et environnementales au
travers des clauses du même nom est un atout non négligeable tout
particulièrement au sein des jeunes équipes d’acheteurs publics.
5
Ce point est à relativiser en ce qui concerne le commerce équitable, où des labels contrôlables
commencent à émerger.
4
Au-delà de l’adoption d’une règlementation en tant que telle, il
faudra aussi prévoir des dispositifs et des structures qui permettront
d’épauler les pouvoirs adjudicateurs et les entreprises dans la mise
en place de ces mesures et de démystifier les difficultés supposées.
Le niveau de pouvoir où cette législation sera prise importe peu :
l’important est qu’elle existe. Cependant, en regard des transferts
de compétences organisés par la réforme de l’Etat, c’est clairement
le niveau régional qui semble le plus indiqué pour mettre en œuvre
ce type de mesure. Des modifications législatives devront donc peut
être être prévues au sein de la légalisation fédérale, quoique le
Conseil d’Etat, notamment lors de son avis sur l’arrêté du
Gouvernement bruxellois adopté en 1999, précise que les Régions
peuvent prendre des dispositions en matière de marchés publics,
pour autant qu’elles soient liées à des conditions de
subventionnement de ces marchés publics.
Les principales dispositions devraient stipuler les éléments suivants :
 La législation doit établir pour règle l’introduction de clauses
sociales, environnementales ou éthiques dans les marchés
publics lorsque celles-ci sont financées (à concurrence d’un
pourcentage à déterminer mais idéalement au moins 50%) par
les Régions ;
 La législation doit permettre aux pouvoirs adjudicateurs et aux
entreprises de « choisir » entre plusieurs modalités afin de
tenir compte des réalités qui diffèrent d’une commune à l’autre
où d’une situation à l’autre ;
 La législation doit prévoir des cas d’équivalence de dispense,
en regard de la faisabilité. Ainsi, il faut s’interroger à partir de
critères objectifs comme la taille, le montant ou la durée du
marché. Il faut également pouvoir prendre en compte l’offre
locale existante, les efforts déjà réalisés par les entreprises en
matière d’insertion, ou encore la dangerosité de certains
chantiers ;
 Enfin, l’ensemble des parties prenantes doit pouvoir bénéficier
d’un soutien administratif et fonctionnel pour faciliter la mise
en œuvre de telles mesures.
Spécifiquement en matière de clauses sociales :
On identifie habituellement au moins quatre formes de clauses
sociales : la clause sociale « emploi », la clause sociale
5
« formation », la clause sociale de « sous-traitance » et la clause
sociale de « réservation de marché ».
 La clause sociale « emploi » vise à réserver un pourcentage de
la masse salariale au recrutement de demandeurs d’emploi,
souvent peu qualifiés ;
 La clause sociale « formation » vise à intégrer des stagiaires
sur le chantier faisant l’objet du marché ;
 La clause sociale de « sous-traitance » (ou de réservation
d’une partie du marché) vise à imposer à l’adjudicataire de
faire exécuter une partie définie du marché public par une
entreprise d’économie sociale d’insertion (telle que définie par
la loi fédérale, donc essentiellement des ETA, des EI ou des
EFT) ;
 La clause sociale de « réservation de marché » vise à réserver,
en critère de sélection, tout un marché à une entreprise
d’économie sociale d’insertion.
Pour rendre praticable ce type de mesures, il y aurait lieu de prendre
les dispositions suivantes :
 Tout d’abord créer une interface administrative qui pourrait
rapidement donner l’ensemble des informations juridiques,
administratives ou techniques aux pouvoirs adjudicateurs et
aux entreprises.
Il s’agirait de fournir une assistance
compétente aux pouvoirs adjudicateurs en leur proposant des
cahiers des charges intégrant des « clauses sociales types »,
des listes d’entreprises d’économie sociale en fonction des
types de travaux, etc… ;
 Il faudrait établir des conditions minimales que les marchés
doivent rencontrer, en termes de taille, de montant et de
durée6. La législation bruxelloise par exemple prévoit un seuil
de 125.000 € et une durée minimale de 60 jours ;
 Il faut permettre aux entreprises de choisir leur clause sociale :
certains préfèreront la clause sociale formation alors que
d’autres préféreront la sous-traitance. Peu importe la forme
que cela prend, pour autant qu’il y ait un effort. Ainsi, il faut
permettre aux entreprises de valoriser les contrats PFI ou RAC
qu’elles concluent ;
 Il faut tenir compte des efforts réalisés en matière d’insertion
par les entreprises. Une entreprise ayant réalisé des efforts
6
Ces conditions minimales viseraient les marchés où les clauses sociales et environnementales
seront obligatoires. Rien n’empêcherait un pouvoir adjudicateur de d’insérer une clause sociale ou
environnementale dans le cadre d’un marché qui ne rencontre pas ces conditions minimales.
6
pour intégrer des demandeurs d’emploi peu qualifiés dans un
délai raisonnable précédant le marché doit pouvoir être
dispensée ;
 Enfin, les marchés nécessitant du matériel ne pouvant être
utilisé que par une main d’œuvre qualifiée et expérimentée, ou
encore les chantiers ayant un caractère potentiellement
dangereux, doivent être exclus.
Si l’obligation d’avoir une clause sociale doit être clairement
affirmée, une très grande souplesse dans la mise en œuvre devrait
être laissée aux opérateurs concernés. En effet, en matière de
clauses « emploi », il faut veiller à ce que cette obligation n’entraîne
pas l’entreprise qui y est soumise à devoir se séparer d’un autre
travailleur.
De même, les pouvoirs adjudicateurs ont le choix
d’introduire les clauses sociales au niveau des conditions
d’attribution du marché ou au niveau de l’exécution de celui-ci, en
fonction de la situation locale.
Sur base de l’expérience vécue, partant du principe qu’il vaut mieux
commencer par ce qui est plus simple, il semble plus judicieux de
proposer des clauses sociales « formation », à travers le soutien du
Forem ou des dispositifs du type de PFI ou RAC, qui prévoient un
encadrement externe pour les stagiaires, sans en faire porter le
poids exclusif sur l’entreprise. Dans le même ordre d’idée, la soustraitance d’une partie du marché à une entreprise d’économie
sociale, que l’entreprise aurait probablement de toute façon soustraitée. Dans ce cas, même principe, l’encadrement des travailleurs
« en insertion » n’est pas à charge de l’entreprise mais est souvent
pris en charge par les pouvoir publics via des subventions aux
entreprises d’économie sociale d’insertion. Ces éléments permettent
de largement relativiser l’idée qu’une clause sociale génère
automatiquement un surcoût (ce qui reste de toute manière à
démontrer).
Spécifiquement en matière de clauses environnementales :
Elles sont beaucoup plus « faciles » à mettre en œuvre que les
clauses sociales, car elles touchent, pour l’essentiel, à des
fournitures, dont les caractéristiques peuvent être objectivées et
contrôlées.
Cependant, à l’instar des clauses sociales, c’est à travers les critères
d’attribution qu’il semble le plus opportun de travailler afin de ne pas
7
compromettre
fournitures.
la
réalisation
des
travaux
ou
la
livraison
de
Spécifiquement en matière de clauses éthiques :
Ce sont celles qui sont le plus difficile à mettre en œuvre, comme
déjà signalé, faute de normes suffisantes et surtout, faute
d’organismes de contrôle (au niveau national ou international) de
ces normes.
4. Synthèse
Les marchés publics constituent une part importante du PIB en
Belgique. Y introduire des clauses sociales et environnementales
doit permettre, tout en gardant l’objectif premier des marchés
publics qui est de fournir au coût le plus économiquement
avantageux des biens, des services ou des travaux de qualité aux
pouvoirs publics, d’orienter une partie des montants concernés vers
des objectifs complémentaires relevant d’autres politiques publiques.
Deux points d’attention doivent être particulièrement pris en
considération :
 Si la règle doit viser à systématiser à tous les marchés publics
l’introduction de clauses sociales ou environnementales, des
exemptions doivent être prévues pour éviter que l’introduction
de telles dispositions empêche l’exécution du marché, soit au
niveau du pouvoir adjudicateur soit au niveau des entreprises
qui renonceraient à concourir en raison de difficultés trop
lourdes ;
 Une grande souplesse doit être laissée aux structures de
terrain concernées quant à la manière de mettre en œuvre ces
dispositions et surtout, les régions doivent proposer des
services d’appui à ces structures de terrain.
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