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Société Française de Rhumatologie
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Revue du Rhumatisme 72 (2005) 764 - 766
Ostéoporose des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin
Osteoporosis in Patients with Inflammatory Bowel Disease
Mots clés : Malabsorption ; Ostéoporose ; Fractures ; Densité osseuse ; Maladies intestinales
Keywords: Malabsorption; Osteoporosis; Fractures; Bone mineral density; Bowel disease
1. Introduction
Les manifestations osseuses des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) ont, ces dernières années, attiré l’attention des
praticiens qui prennent en charge les patients atteints d’entérocolopathie. En effet, les thérapeutiques nouvelles permettent à présent un
suivi prolongé de ces patients et ont favorisé l’émergence d’observations de fractures. L’ostéoporose apparaît actuellement comme une
complication importante des maladies digestives qui aggrave leur morbidité et altère davantage la qualité de vie. Il est donc essentiel
d’identifier les facteurs de risque de fractures qu’ils soient d’ordre général ou spécifique à la maladie intestinale. Le mécanisme de
l’ostéoporose est lié à la fois au syndrome de malabsorption des nutriments, mais également à l’inflammation intestinale. Elle relève de
mécanismes pathogéniques qui diffèrent selon le type de l’atteinte digestive et conditionnent l’expression clinique.
2. Maladie de Crohn
L’ostéoporose densitométrique atteint environ 15 % des patients atteints de maladie de Crohn dans les plus grandes séries dont l’âge
moyen était de 40 ans [1,2], alors que 50 % des patients sont ostéopéniques. Une étude portant sur une population de 158 patients
âgés d’environ 42 ans a identifié les facteurs de risque d’ostéoporose. Outre ceux déjà reconnus classiquement comme la ménopause,
s’ajoutent les facteurs spécifiques de la maladie, notamment la durée d’évolution de la maladie, un indice de masse corporelle faible et
une longueur de grêle court [2]. L’âge est un facteur qui influence l’ostéoporose indépendamment de la densité osseuse, mais dans le
cadre des MICI un âge élevé peut également être le témoin de l’ancienneté de la maladie. Quand la maladie de Crohn débute avant 18
ans, pendant la phase d’acquisition du pic de masse osseuse, l’ostéoporose est plus fréquente. La corticothérapie et particulièrement la
dose cumulée joue un rôle important dans la survenue de l’ostéoporose [1,3–7]. La plupart des études montre une diminution
significative de la densité minérale osseuse au rachis lombaire et col fémoral chez les patients ayant reçu une dose cumulée de
corticoïdes élevée (18 g) comparativement à ceux qui ont reçu une dose plus faible (1 à 2 g). Cependant, la dose cumulée de corticoïdes
est rarement un facteur isolé, mais est souvent associée à un indice de masse corporelle faible, tous deux témoins de la sévérité de la
maladie et de la malabsorption. De manière attendue, la perte osseuse mesurée à deux ans est supérieure chez les patients qui ont une
dose cumulée élevée de corticoïdes. En outre, une corticothérapie à forte dose même utilisée de façon intermittente entraînerait une
perte osseuse plus importante qu’une corticothérapie à faible dose pendant une durée prolongée. Il a été suggéré que la résection
intestinale pourrait être un facteur protecteur d’ostéoporose. Ainsi, la perte osseuse corticale est inférieure dans le groupe ayant
bénéficié d’une résection intestinale (1,4 %) comparativement au groupe de patients non
opérés (2,2 %). Ceci apporte des éléments en faveur de la participation des phénomènes inflammatoires pour la perte osseuse plutôt
que celui de la malabsorption [8]. La prévalence des fractures n’a fait l’objet que de deux études. Dans une cohorte américaine de 238
patients suivis entre 1940 et 1993, l’incidence cumulée de toutes les fractures à 20 ans est de 36 %, proche de celle de la population
témoin de même âge observée à 32%[9]. Le risque relatif de fractures, toutes confondues traumatique ou non était de 0.9
(IC : 0,6–1,4). En revanche, le risque de fracture non traumatique considérée comme « ostéoporotique » était de 1.4 (IC : 0,7–2,7) et
celui de fracture vertébrale de 2.2 (IC : 0,9–5,5). Sur 156 patients ostéoporotiques, la prévalence des tassements vertébraux s’élève à
21,8 % [10]. Les fractures verté brales étaient significativement corrélées à une densité minérale lombaire plus faible, mais n’étaient
symptomatiques que dans quatre cas. Cette étude démontre l’importance du dépistage de l’ostéoporose dans le cadre de la prévention
des fractures. L’ostéoporose observée au cours de la maladie de Crohn est principalement due à la diminution de la formation osseuse,
liée à l’inflammation intestinale et la production de cytokines pro-inflammatoires. Ainsi, un modèle expérimental murin de colite a montré
que la perte osseuse trabéculaire par inhibition de la formation osseuse était réversible lors de la rémission de la maladie [11].
L’augmentation de la résorption osseuse reste peu documentée, même si les taux de pyridinolines urinaires est plus élevé chez les
patients atteints de MICI par rapport à un groupe témoin [9]. L’ostéomalacie et la carence en vitamine D ne sont pas fréquentes au cours
des MICI et ne représentent pas la cause essentielle de la diminution de la densité minérale osseuse observée. Elle est peu documentée
histologiquement et l’élévation des phosphatases alcalines est aussi rarement signalée. Dans la série de 30 patients ayant eu une
résection du grêle [12], l’analyse a mis en évidence une ostéoporose à bas niveau de remodelage et uniquement deux cas
d’ostéomalacie. L’absorption de la 25-OH-D3 est normale et dans une population d’enfants américains [13], une carence en vitamine D a
été observée dans 16 % des cas en association avec d’autres facteurs comme la corticothérapie prolongée, la variation hivernale et la
race noire. Néanmoins, la supplémentation vitaminique est actuellement proposée de façon quasi systématique dans les études les plus
récentes.
3. Rectocolite hémorragique
Au cours de la rectocolite hémorragique (RCH), la prévalence de l’ostéoporose est plus faible que dans la maladie de Crohn. Dans
plusieurs études, la densité minérale osseuse et l’index de masse corporelle sont normaux (14). En revanche, dans les modèles murins
de RCH, le volume trabéculaire osseux et le taux de formation osseuse sont diminués de 33% et 50%respectivement témoignant d’une
inhibition de la formation osseuse. Ces anomalies régressent lors de la guérison de la maladie ce qui plaide pour un rôle prépondérant de
la malabsorption dans la survenue de cette anomalie osseuse.
4. Maladie coeliaque
La prévalence de l’ostéoporose est plus élevée chez les patients atteints de maladie coeliaque que dans la population générale. Elle
atteint 28 % au rachis lombaire et à 15 % au col fémoral avant l’instauration d’un régime sans gluten [15–17].Au moment du diagnostic,
laDMOest abaissée chez l’adulte et chez l’enfant. Après régime sans gluten, le gain de la densité minérale osseuse est plus net chez
l’enfant que chez l’adulte. Cette augmentation est en moyenne de 5 %, principalement au cours de la 1re année, la densité demeurant
néanmoins inférieure à celle de la population générale [18]. Il s’agit d’une ostéoporose à bas niveau de remodelage osseux.
L’intervention de cytokines est suggérée car la densité osseuse est corrélée au taux sérique d’interleukine 6 et d’antagonistes du
récepteur de l’IL1. En outre, la malabsorption induit une diminution de la sécrétion d’hormones de croissance et d’IGF1. Ainsi, les enfants
atteints de maladie coeliaque ont des taux d’IGF1 et d’IGF-BP3 sériques bas du fait de la malabsorption et du processus inflammatoire
[19]. Ces anomalies contribuent à un retard de croissance et à une diminution du pic de masse osseuse. Le taux d’IGF1 semble
directement lié à la malabsorption induite par le gluten car la réintroduction chez des enfants en rémission se traduit par une diminution
des taux d’IGF1 indépendamment des modifications pondérales [20].
L’évaluation du risque fracturaire montre des résultats divergents selon les séries. Dans une étude rétrospective de405 patients fondée
sur des questionnaires, la prévalence des fractures était de 35 % chez les patients atteints de maladie coeliaque, alors qu’il était de 33 %
dans le groupe témoin [21], le risque fracturaire ajusté pour l’âge étant proche de 1. Dans une autre étude, les fractures étaient plus
fréquentes (25 %) que dans la population générale (8 %), surtout après 70 ans [22]. Les facteurs de risque étaient le début précoce de
survenue de la maladie et l’absence de régime pauvre en gluten. Contrairement à l’ostéoporose commune, ces fractures surviennent
indépendamment d’une diminution de la densité minérale osseuse. Les hypothèses avancées actuellement seraient des anomalies de
l’architecture ou de la qualité de l’os, mais aussi est évoqué le rôle possible d’une diminution de la force musculaire dans cette
population. Aucune de ces hypothèses n’a encore été correctement étayée jusqu’à présent. La carence en vitamine D est fréquemment
observée au cours de la maladie coeliaque et constitue l’un des témoins de la malabsorption. Bien qu’il ait été longtemps admis que la
maladie coeliaque s’accompagne volontiers d’ostéomalacie, celle-ci n’a été rapportée que dans quelques observations [23]. Même si elle
est rare en Europe, elle doit être néanmoins recherchée.
5. Recommandations pour la prise en charge des ostéopathies des MICI
La prévalence élevée des fractures au cours des MICI et la morbidité qu’elles entraînent a conduit la société américaine de gastroentérologie à établir des recommandations pour le diagnostic et la prise en charge de cette ostéoporose [14]. Il est logique de proposer
une mesure de la densité minérale osseuse chez tous les patients aux antécédents personnels de fracture. Elle doit être réalisée
également en présence de facteurs de risque classiques telle une ménopause sans substitution hormonale ou un hypogonadisme ou
encore de facteurs plus spécifiques de la maladie qui prédisposent à l’ostéopoÉditorial
6. Traitements de fond et structuraux
D’une façon générale, la grossesse doit être médicalisée en ce sens qu’il est indispensable de planifier l’arrêt des traitements
potentiellement tératogènes avant la conception. Une contraception efficace est indispensable pour certains traitements de fond ou
immunosuppresseurs. rose comme le début précoce de la maladie à l’adolescence, un faible indice de masse corporelle ou une
corticothérapie. L’attitude thérapeutique reste encore non définie. Pour les patients dont la densité minérale osseuse est normale, les
règles hygiénodiététiques habituelles sont recommandées avec le maintien d’un exercice physique régulier et l’absence de prise de
l’alcool et de tabac. La réduction de la corticothérapie à la dose minimale efficace et la supplémentation vitaminocalcique font déjà partie
des usages des médecins gastroentérologues. En présence d’une ostéoporose, un traitement par bisphosphonates devrait être discuté de
manière collégiale entre les rhumatologues et les gastro-entérologues. Toutefois, l’efficacité anti-fracturaire des bisphosphonates n’a pas
été démontrée au cours de l’ostéoporose des MICI. C’est pourquoi une telle prescription ne doit pas être systématique, mais devra être
discutée en fonction de la présence d’autres facteurs de risque. La parathormone constituerait un traitement intéressant en raison de son
effet anabolique, mais nécessite également des études cliniques adaptées.
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Nathalie Demerjian-Somogyi
Elisabeth Palazzo
Service de rhumatologie, hôpital Bichat,
46, Rue Henri Huchard, 75018 Paris, France
Martine Cohen-Solal *
Centre Viggo Petersen, hôpital Lariboisière,
2, rue Ambroise-Pare, 75010 Paris, France
Adresse e-mail : [email protected]
(M. Cohen-Solal).
Reçu le 26 octobre 2004 ; accepté le 27 décembre 2004
Disponible sur internet le 24 mars 2005
© SFR - Éditorial / Revue du Rhumatisme 72 (2005) 764–766

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