Sylvie Pittia, Les mondes anciens Quand commence la République

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Sylvie Pittia, Les mondes anciens Quand commence la République
Université Paris 1 Panthéon-­‐Sorbonne Sylvie Pittia, Les mondes anciens Quand commence la République romaine ? De même que les Romains avaient une date, à la fois précise et fausse, en tout cas symbolique, pour la fondation de la cité en 753 av. n. è, ils avaient une date précise pour marquer la fin de la royauté, et le passage à un régime que nous, modernes, appelons République mais qui était en fait désigné comme la respublica. Comment ce passage d’une monarchie à un autre régime s’est-­‐il déroulé ? Et quelle est cette forme nouvelle de gouvernement de la cité qui finalement n’avait pas de nom précis, puisque la respublica c’est l’administration des affaires publiques, c'est le gouvernement de la cité. La res publica, écrit plus tard Cicéron, c’est la res populi, entendant par là que la conduite de l’Etat est l’affaire de la communauté civique. De la même façon qu’elle était née dans le sang du meurtre fratricide et dans la violence du rapt des Sabines, la royauté fut chassée dans la violence et dans le sang, même si le dernier roi, Tarquin le Superbe, ne fut pas mis à mort. Ce sont les débordements de la royauté qui sont réputés avoir déclenché une révolution : un fils du roi, Sextus Tarquin, abuse de Lucrèce, la femme d’un parent du roi, Lucius Tarquinius Collatinus. Lucrèce révèle le viol qu’elle a subi, afin qu’il ne reste pas impuni et, ayant obtenu que son déshonneur serait vengé, elle se donne la mort. Cet outrage décide une poignée d’aristocrates, au nombre desquels Lucius Junius Brutus, Tarquin Collatin et Publius Valerius Publicola, à tirer parti de l’absence du roi pour mettre fin à la royauté et ainsi serait née la République romaine. Les sources anciennes présentent la fin de la monarchie comme une sorte de saga dramatique. C’est l’historien Tite-­‐Live qui donne le plus de détails. Le roi Tarquin, qui combattait alors contre Ardée, serait revenu en hâte dans sa capitale, il aurait trouvé les portes de la ville barrées ; dans le même temps, les chefs du complot auraient marché contre Ardée et battu l’armée du roi, chassant aussi ses fils. Au terme de ce coup d’Etat, Brutus et Tarquin Collatin seraient devenus les deux premiers consuls; Brutus aurait fait jurer au peuple que plus jamais il ne supporterait de rois à Rome, que l’on punirait de mort quiconque tenterait de devenir roi à l’avenir. Tout le clan des Tarquins fut condamné au banissement, ce qui contraignit Tarquin Collatin lui-­‐même à abandonner sa charge et à quitter la ville. Valerius Publicola le remplaça comme consul. Cette épopée, véhiculée par l’historiographie antique, se poursuit quand les deux fils de Brutus sont impliqués dans une conspiration pour restaurer la royauté : Brutus doit condamner à mort ses propres enfants et leurs complices, dans une scène de sévérité implacable comme il en existe beaucoup dans l’histoire romaine. Dans les mois qui suivent, le roi Tarquin s’allie à des cités MOOC : Découper le temps : les périodes de l’histoire Plateforme France Université Numérique – Session mai-­‐juin 2015 Document mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons BY-­‐NC-­‐ND soumise au droit français Page 1 sur 4 Université Paris 1 Panthéon-­‐Sorbonne étrusques (Caeré, Veii, Tarquinia) et au roi de Clusium, Porsenna, pour tenter de récupérer son trône. Mais en 508, l’intervention d’Horatius Coclès est décisive : il repousse l’ennemi sur le pont Sublicius dans un acte de courage héroïque. D’autres tentatives du roi échouent ensuite, y compris celles appuyées sur une coalition de Latins; c'est la fameuse bataille du lac Régille en 499 ou 496, après laquelle apparaissent les Dioscures, Castor et Pollux. Tarquin finit ses jours en exil et sa mort en 495 met un terme à toute restauration de la royauté. Les savants modernes ont douté fortement de nombres d’éléments concernant les débuts de la République et même, ils ont douté de l’existence de certains personnages : Lucrèce, Brutus, Valerius Publicola, Porsenna seraient légendaires. La date même de la fondation de la République romaine a aussi été contestée (509 selon la tradition livienne). La plupart des savants repoussent aujourd'hui vers 470 la fondation de la République, voire pour les plus extrêmes, jusque vers 450. Beaucoup considèrent qu’il n’y a pas eu une révolution mais une transition plus souple entre monarchie et république, un processus graduel donc, qui aurait pu prendre des décennies : le roi aurait été lentement remplacé par des magistrats jusqu’à ce que le système consulaire se mette authentiquement en place. Les modernes insistent sur le fait que l’expulsion des rois a marqué le déclin de la puissance étrusque en Italie centro-­‐méridionale. Ces approches fondées sur un scepticisme radical remplacent une histoire teintée de légende mais existant dans les sources, par une histoire totalement modélisée par les modernes (et qui n’est pas attestée dans les sources). En réalité, on ignore comment la tradition sur la création de la République a été forgée, comment elle s’est transmise aux historiens plus tardifs. Bien sûr, cette version a l’apparence d’un roman historique, avec tout un entrelacement entre diverses histoires familiales, sans doute propagées par des traditions orales. Aujourd’hui, les savants ont tendance à être moins hypercritiques et considèrent qu’on a certes, enjolivé ce récit, mais que certains fondements sont authentiques. Les éléments concernant la famille des Tarquins n’ont pas de raison valable d’être écartés même si rien n’atteste l’authenticité de l’histoire de Lucrèce. En tout état de cause, la monarchie a pris fin autour de la transition entre 6e et 5e siècles av. n. è. , à une date mal établie. Aux rois, les Romains vont substituer des magistrats, choisis parmi les éléments les plus riches du corps civique, des hommes qui conjuguent à la fois la valeur personnelle, le rang social, les aptitudes au commandement militaire et civil. La fin de la royauté est donc tout sauf un passage à une forme de démocratie. Bien au contraire, la République romaine constitue ce qu’on peut appeler une MOOC : Découper le temps : les périodes de l’histoire Plateforme France Université Numérique – Session mai-­‐juin 2015 Document mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons BY-­‐NC-­‐ND soumise au droit français Page 2 sur 4 Université Paris 1 Panthéon-­‐Sorbonne oligarchie : cela signifie que le pouvoir y est concentré entre les mains d’une petite partie du corps civique, considérée comme une aristocratie. La fin de la monarchie à Rome n’est pas une originalité : d’autres cités d’Italie paraissent à la même époque avoir choisi de ne plus obéir à un chef unique au profit d’un système de gouvernement fondé sur la collégialité du pouvoir. La République romaine, c’est d’abord la mise en place, en fait progressive, d’une hiérarchie de magistrats, à qui le corps civique délègue, en général pour un an, la conduite des affaires publiques. Les caractéristiques des magistratures sont d’être électives (les magistrats tiennent leurs pouvoirs du suffrage exprimé par le corps civique), elles sont collégiales (en clair, plusieurs magistrats détiennent simultanément les mêmes pouvoirs), elles sont annuelles (la durée du mandat est d’avance bornée dans le temps), elles sont non itératives (on ne peut pas se maintenir dans la même responsabilité plusieurs années de suite, et il faut un intervalle entre deux élections), elles sont gratuites (au sens où elles sont bénévoles, d’où la nécessité de choisir des citoyens qui sont riches, qui ne doivent pas avoir besoin de travailler pour vivre et pour faire vivre leur famille et leurs dépendants), elles sont hiérarchisées (les pouvoirs des différents magistrats sont progressivement définis et les formes de subordination entre eux également), enfin elles sont spécialisées (au fur et à mesure de la hiérarchie, le degré de compétence s’élargit et à l’inverse, les magistratures inférieures ont des pouvoirs plus bordés). Les Romains ont remplacé la monarchie par un système en apparence curieux de pouvoir partagé entre deux magistrats supérieurs, qu’on appelle consuls à l’âge d’or de la République. Ces consuls républicains ont hérité largement des insignes du pouvoir royal et ils étaient porteurs des faisceaux à tour de rôle. Le Sénat, créé au temps des rois, n'a pas disparu. Les magistratures républicaines des temps archaïques sont présentées dans l’historiographie comme si Rome avait inventé de toutes pièces un système sans précédent ni parallèle. Les savants modernes privilégient à raison l’hypothèse d’une mise en place lente et graduelle des institutions romaines et il reste notable que Rome n’ait jamais eu de constitution écrite. En tout cas, la « révolution » de 509 ne signifie pas que la cité se replie sur ses éléments latins et le changement de régime n’avait pas de motivations ethniques : au contraire les Etrusques installés à Rome ont continué d’y vivre. Mais à cette occasion, Rome a forgé ses grands mythes républicains : la haine des rois, l’idéal de la Libertas, l'idéal de la Concordia, l’entente et l’harmonie au sein du corps civique, qui permettent l’équilibre pérenne des institutions entre trois composantes, le Sénat, les magistrats et les assemblées du peuple. Res publica… res populi, mais la République romaine ne fut assurément jamais une démocratie. MOOC : Découper le temps : les périodes de l’histoire Plateforme France Université Numérique – Session mai-­‐juin 2015 Document mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons BY-­‐NC-­‐ND soumise au droit français Page 3 sur 4 Université Paris 1 Panthéon-­‐Sorbonne MOOC : Découper le temps : les périodes de l’histoire Plateforme France Université Numérique – Session mai-­‐juin 2015 Document mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons BY-­‐NC-­‐ND soumise au droit français Page 4 sur 4 

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