Mr President, distinguished guests, ladies and gentlemen

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Mr President, distinguished guests, ladies and gentlemen
RAPPORT GÉNÉRAL
L'honorable Brian Tamberlin QC
Vice-président
Tribunal d’appels administratifs d’Australie
Monsieur le Président, distingués invités, Mesdames et Messieurs,
Je tiens tout d’abord à vous souhaiter chaleureusement la bienvenue à Sydney, pour
e
ce 10 congrès de l’Association Internationale des hautes juridictions administratives, dont je
ne doute pas qu’il sera pour nous tous une source d’enrichissement, à la fois sur le plan
personnel et sur le plan professionnel.
Je tiens plus particulièrement à remercier chacun des auteurs des rapports nationaux.
Je leur sais gré du travail considérable de recherche et de réflexion qu’ils ont accompli en
préparant ces documents consacrés aux trois thèmes du congrès et souhaite, ce faisant,
rendre publiquement hommage à ce travail, dont le résultat est à la mesure de toutes les
espérances.
J'ai examiné de manière approfondie les rapports élaborés par plus de 40 pays, qui
répondent de manière détaillée au questionnaire que nous leur avons adressé.
Ces
réponses, qui viennent de tous les continents, abordent en profondeur les trois thèmes
retenus pour ce congrès.
Ces rapports constituent une source d’information d’une richesse considérable, à
même de stimuler la comparaison et le débat entre les différents systèmes juridictionnels
aujourd’hui représentés, sur ces trois thèmes qui sont au cœur du contrôle de
l’administration par le juge.
Les trois thèmes choisis pour notre 10e Congrès et les questions qu'ils posent sont les
suivants :
•
Le domaine de compétence du juge : Ce thème permet d’aborder les questions
relatives à la compétence des juridictions en charge du contrôle de l’administration,
celles relatives à la nature des décisions pouvant faire l’objet d’un contrôle, mais
aussi de mettre en évidence les matières et décisions qui ne peuvent faire l’objet
d’aucun contrôle ;
•
La procédure: Ce thème permet d’aborder et de comparer les méthodes utilisées par
les juridictions pour exercer un contrôle sur les différents actes administratifs
(décisions, règlements…) ;
2
•
Les pouvoirs du juge
- Ce thème permet d’aborder les effets des décisions et
jugements que nous rendons, mais aussi la manière dont nous concevons les actes
administratifs sur lesquels nous exerçons un contrôle, les différentes catégories de
recours dont nous pouvons être saisis, la manière dont nous pouvons -ou nonmodifier une décision administrative et comment nous nous assurons de l’exécution
des décisions de justice que nous rendons – en particulier lorsque cette exécution se
heurte à un refus ou une opposition des autorités administratives et exécutives.
Les Rapports nationaux permettent, par leur diversité, de prendre la mesure du cadre
juridique et administratif – qu’il soit issu de droit écrit ou de la jurisprudence- applicable aux
deux grands systèmes juridiques, celui de droit « continental » ou « civil law » et celui de
droit anglo-saxon ou « common law ».
Ce rapport général a vocation à donner un aperçu des réponses apportées par les
délégués au questionnaire qui leur a été adressé. Son but n’est pas de recenser l’ensemble
des particularités et spécificités propres à chaque système juridictionnel national. Celles-ci
pourront faire l’objet d’un examen plus approfondi à l’occasion des séances des comités.
Les trois thèmes du congrès ont été divisés en plusieurs sous –catégories. Je me propose,
dans ce rapport, d’établir la synthèse des différentes approches qui ressortent des
différentes réponses apportées au questionnaire.
1. Le domaine de compétence du juge
1.1. Quels sont les types d’actes contrôlés (réglementaires/individuels) ?
Cette question renvoie au champ des actes administratifs susceptibles d’être contrôlés
ou annulés par les juridictions statuant en matière administrative. Elle conduit à deux
rubriques différentes :
1.1.1 La nature des actes susceptibles d’être contrôlés ou annulés.
1.1.2 La forme et les effets de ces actes
1.1.1 La nature des actes susceptibles d’être contrôlés ou annulés.
Les décisions unilatérales
3
Ce point renvoie au fait de savoir si le contrôle du juge s’étend aux actes
réglementaires,
c’est-à-dire
aux
actes
qui
s’appliquent
de
manière
générale
et
impersonnelle, sans viser aucune personne de manière nominative, ou si ce contrôle ne
s’étend qu’aux décisions individuelles, c’est-à-dire aux actes qui visent de manière
particulière une ou plusieurs personnes. Ce point – tel que cela ressort des rapports
nationaux- renvoie également à la distinction entre les actes administratifs unilatéraux, qui
sont l’expression de pouvoirs spécifiques dévolus à l’administration sur les personnes
privées, et les actes administratifs impliquant une certaine forme de réciprocité. Les actes
unilatéraux comprennent les actes réglementaires, telle une réglementation limitant la
vitesse des véhicules dans les zones urbaines ou interdisant la vente de boissons
alcoolisées pendant certains jours de célébration et à certains endroits. Les actes
administratifs peuvent en principe faire l’objet d’une contestation devant les juridictions
statuant en matière administrative, sous réserve toutefois qu’un recours soit formé, les
juridictions ne pouvant se saisir de leur propre initiative du contrôle de la légalité des actes
administratifs.
Les exemples d’actes réglementaires auxquels se réfèrent les rapports sont
nombreux : « décrets », « règles », « règlements », « législations », « ordonnances »,
« codes », « plans d'aménagement », « plan environnemental », « listes tarifaires » ou «
directives générales ».
Quant aux décisions individuelles, les rapports nationaux évoquent comme exemples
le refus d'une demande d'approbation, l'incapacité à faire face à une demande, une décision
d'exproprier un bien déterminés, ou encore une décision de ne pas se conformer à une
obligation.
La plupart des juridictions sont compétentes pour exercer un contrôle juridictionnel sur
les actes généraux et impersonnels de nature réglementaire – ce qui exclut les actes de
nature législative. Dans certains pays, cependant, les juridictions administratives ne sont
pas compétentes pour annuler des actes réglementaires. Tel est le cas, par exemple, en
Chine 1 et aux Pays-Bas, où la loi sur la procédure administrative exclut toute compétence
des juridictions pour statuer sur les règlements administratifs unilatéraux pris par les
organismes administratifs 2 . En Slovaquie, seuls les actes unilatéraux généraux et
impersonnels édictés par les collectivités territoriales peuvent être contestés devant les
1
Rapport national de la République populaire de Chine (EN), p. 3, “Article 12 of APL also provides that the
people’s courts shall not accept the suits against the following 4 kinds of government decisions : […] (2)
administrative rules and regulations with general binding force formulated and announced by administrative
organs”.
2
Rapport national des Pays-Bas (EN), p.9 et 12.
4
juridictions administratives 3 . En Autriche, seule la Cour constitutionnelle est compétente
pour annuler les actes réglementaires pris par l'État fédéral et les Länder 4 .
Dans la plupart de ces cas, cependant, les rapports soulignent que les actes
administratifs généraux et impersonnels peuvent être contestés par le biais d’un recours
« indirect », également qualifié de recours « par voie d’exception ». Ce « contrôle indirect »
existe également dans de nombreux autres pays (en Australie, en Chine et en France par
exemple).
La notion de «contrôle indirect» signifie que l’acte administratif réglementaire peut
faire l’objet d’un contrôle juridictionnel à l’occasion de la contestation d’une décision
individuelle prise pour son application. Dans le domaine de l'urbanisme, par exemple,
lorsqu’une décision refusant une demande de lotissement ou une autorisation de construire
est contestée, la juridiction peut contrôler la validité du schéma réglementaire sur le
fondement duquel cette décision a été prise. L’acte administratif général (le plan
d’occupation des sols d’une ville par exemple) est ainsi contesté de manière indirecte, par
opposition à une contestation par la voie d’une action directe, qui tendrait à l’annulation de
cet acte, notamment avant toute édiction d’une décision individuelle sur son fondement.
En dehors des exemples précédemment mentionnés, la plupart des rapports
nationaux évoquent la possibilité de contester l’ensemble des actes administratifs, généraux
et impersonnels ou individuels, de manière directe ou indirecte. Le rapport national de
l’Allemagne, par exemple, indique que les juridictions administratives sont compétentes pour
statuer sur l’ensemble des recours en matière administrative, à l’exception de ceux qui
relèvent exclusivement du droit constitutionnel 5 .
Les contrats
S’agissant du contrôle des contrats conclus par les autorités administratives les
rapports mettent en évidence de grandes différences de pratique entre les pays. Dans
certains cas, le contrôle de ces contrats relève des juridictions civiles, en raison du
caractère « mutuel » de l’acte contractuel ce, quel que soit le contenu du contrat (y compris
s’il crée une relation fondée sur un régime de droit public). Tel est le cas, par exemple, en
Belgique 6 , au Luxembourg 7 ou au Sénégal 8 . En d'autres termes, dans ces pays, les
3
Rapport national de la Slovaquie (FR, EN), p. 3.
Rapport national de l’Autriche (FR, EN), p. 4.
5
Rapport national de l’Allemagne (EN), p. 3, « Article 40 of the Administrative Court Act (VwGO) states that the
administrative courts are competent to decide all litigation arising from questions of public law except purely
constitutional matters”.
6
Rapport national de la Belgique (FR), p. 3, « Le Conseil d'État s'est déclaré incompétent pour annuler des
contrats conclus entre une autorité administrative et une personne privée estimant que ces actes juridiques ne
sont pas unilatéraux (CE, n° 15.910, 8 juin 1973 et n° 15.939, 26 juin 1973) » ; (EN), p.2.
4
5
juridictions administratives ne sont compétentes que pour annuler des décisions
unilatérales. En revanche, dans ces pays, de même que dans de nombreux autres, les
juridictions administratives considèrent qu’un certain nombre d’actes unilatéraux peuvent
être regardés comme détachables (séparables) du contrat et faire ainsi l’objet d’un contrôle
par ces juridictions, le contentieux de l’acte contractuel lui-même restant de la compétence
des juridictions civiles ou, plus généralement, du juge du contrat. Par exemple, dans le cas
d’un contrat conclu entre une autorité publique et une société privée exploitant une
autoroute, les clauses du contrat fixant les tarifs de péage de l’autoroute pour les usagers
pourront être regardées comme un acte détachable, susceptible d’être contesté devant les
juridictions administratives par un utilisateur de l’autoroute. Le contentieux des autres
stipulations du contrat relève, lui, de la compétence d’un juge différent.
1.1.2 La forme et les effets de l’acte administratif
La forme
Les rapports soulignent l’appréciation peu formaliste de la notion d’acte administratif
pouvant faire l’objet d’un contrôle. A titre d'exemple, les décisions administratives peuvent
tout aussi bien être contenues dans un document, telle une instruction écrite, une circulaire
ou un communiqué – y compris un communiqué de presse- ou être purement verbales,
voire résulter d’un agissement de l’administration, comme la démolition d'un bâtiment, la
saisie de biens ou une privation de liberté.
En général, les juridictions administratives n’attachent d’importance, en ce qui
concerne la possibilité d’exercer un contrôle juridictionnel, qu’au contenu et aux effets de
l’acte et elles ne s’arrêtent pas à la forme de cet acte. Peu de rapports nationaux ont indiqué
que l’exercice du recours était subordonné à des conditions tenant à la forme de l’acte ou à
la procédure de notification. En France, par exemple, des décisions orales peuvent être
contestées devant le juge 9 . En Belgique, l’acte administratif attaqué devant les juridictions
administratives peut être exprès ou implicite, oral ou écrit 10 . Au Pays-Bas, en revanche, les
décisions orales ne peuvent en principe faire l’objet d’aucun contrôle 11 .
7
Rapport national du Luxembourg, p. 3.
Rapport national du Sénégal (FR), p. 2 ; (EN), p. 1.
9
Rapport national de la France (FR), p. 1.
10
Rapport national de la Belgique (FR), p. 3 ; (EN), p. 2.
11
Rapport national des Pays-Bas (EN), p. 5.
8
6
Les effets
Le principal critère qui détermine la possibilité d’exercer un recours contre les actes
administratifs, tel que cela ressort des rapports nationaux, est le «caractère exécutoire de
ces actes » 12 qui repose sur les effets de l’acte sur la situation personnelle des citoyens. En
d'autres termes une décision administrative ne peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel
que si elle a des «conséquences juridiques» 13 (Pays-Bas), ce qui exclut les mesures
préparatoires et les décisions de nature consultative ou confirmative. L’élaboration d’un acte
administratif peut ainsi impliquer, parfois, un certain nombre de choix ou d’orientations
préalables, de même que des procédures préliminaires, internes à l’administration. Dans ce
cas, seule la décision finale, celle ayant des effets juridiques, pourra être contestée devant
le juge, même si les étapes procédurales antérieures ont conduit à des choix ou des
orientations. Ces dernières n’ont, en elles-mêmes, aucune force juridique. La question peut
également se poser, de savoir si la décision contestée présente un degré suffisant de
finalisation pour pouvoir faire l’objet d’un recours contentieux. Ce concept est très important
pour le tribunal d’appels administratif d’Australie, par exemple, mais aussi pour la Cour
fédérale, devant lesquels le contrôle s’exerce sur des «décisions» administratives.
Il est alors essentiel de déterminer si l’acte administratif a atteint un degré de
finalisation suffisant pour produire des effets juridiques :
Dans certains cas (en France, par exemple), la juridiction administrative peut exercer
un contrôle sur la légalité d’un acte administratif alors même que celui-ci n’a encore reçu
aucune conséquence concrète. Cette possibilité d’exercer un recours en l’absence de toute
exécution de l’acte illustre l’intensité du contrôle juridictionnel exercé sur l’administration
dans ce pays.
L’exercice du contrôle juridictionnel peut également être subordonné à des nécessités
pratiques, à un certain degré d’urgence et au caractère sérieux des conséquences que peut
avoir l’acte administratif.
En Australie, dans deux affaires récentes, la Cour fédérale a considéré qu’en raison
de l’urgence, la légalité d'une série de réglementations bancaires fédérales portant sur les
frais interbancaires -en relation avec les cartes de crédit (Visa et Mastercard)- pouvait être
contestée avant même l’entrée en vigueur de cette réglementation. Cette dernière a ainsi pu
être contestée par la voie du « judicial review », au motif qu’elle était entachée d’excès de
pouvoir (ultra vires) et était manifestement déraisonnable (manifestly unreasonable).
12
13
Rapport national de Chypre (EN), p. 2.
Rapport national des Pays-Bas (EN), p. 4.
7
L’exercice du recours a été autorisée en raison de la nécessité dans laquelle se trouvaient
les sociétés bancaires d’être fixées rapidement sur la légalité de cette réglementation, avant
même que celle-ci n’entre en vigueur. La Cour a considéré qu’elle était compétente pour
exercer un contrôle sur cet acte et a confirmé sa légalité.
En Corée, certaines circulaires internes à l’administration prévoient que les
dispositions qui seront adoptées à l’avenir dans certaines matières devront avoir pour
référence des dispositions déjà abrogées, soit comme préalable soit pour les aggraver. Dès
lors que ces circulaires, pourtant purement internes à l’administration sont susceptibles de
fonder l’action des autorités administratives, une jurisprudence de la Cour suprême a admis
la possibilité d’exercer un recours pour demander le retrait de dispositions qui ne sont plus
en vigueur 14 . Ce type de contrôle est analogue mais pas identique à la possibilité d'un
contrôle de «décisions non matérialisées» auxquelles se réfèrent certains des rapports
établis par des pays de droit continental (« civil law »).
Dans tous les cas, l'inaction de l’administration ou le défaut de prise de décision
n’excluent pas l’exercice d’un recours juridictionnel devant les tribunaux.
Le défaut
d’exécution d’une obligation, l’absence d’exercice d’une fonction ou de prise de décision
dans un délai déterminé sont traités comme des décisions de rejet pouvant être contestée
devant le juge.
1.2. Quels sont les critères de la compétence du juge chargé de contrôler
l’administration ? Y-a-t-il des actes du pouvoir exécutif ou des autorités publiques
qui, en raison de leur nature ou de leur objet, échappent à tout contrôle
juridictionnel ?
La réponse à ces questions peut être répartie en trois thèmes :
1.2.1 Les critères de compétence
1.2.2 Les domaines de compétence
1.2.3 Les exclusions de compétence
14
Rapport national de la Corée (EN), p. 13.
8
1.2.1 Les critères de compétence
La compétence des juridictions en charge du contrôle de l’administration se définit le
plus souvent en excluant les questions relatives au droit privé ou pénal ou les questions de
constitutionnalité. Dans certains pays, les questions de constitutionnalité sont soumises à
une Cour constitutionnelle particulière qui, par la voie d’une question préjudicielle,
examinera la question de manière indépendante. Tel est le cas en France –lorsque c’est la
constitutionnalité de la loi (statute law) qui est contestée- et en Allemagne, mais aussi en
Algérie, au Bénin, Burkina Faso et au Luxembourg. Une fois la question de constitutionnalité
résolue, l’affaire est renvoyée devant la juridiction administrative. Lorsque des questions de
droit privé ou pénal sont en cause, celles-ci relèvent de la compétence exclusive des
tribunaux judiciaires. Certains contentieux peuvent soulever à la fois des questions de droit
privé et de droit public ou peuvent susciter une difficulté quant au fait de savoir lequel des
deux ordres de juridiction –civil ou administratif- est compétent pour en connaître. Dans un
tel cas se pose alors la question de savoir si le contentieux pourra faire l’objet de jugements
séparés devant chacun des ordres de juridiction, ou celle de savoir lequel d’entre eux sera
compétent à titre exclusif.
Dans certains pays, comme en France, une juridiction spécifique est chargée de régler
les difficultés qui se présentent dans la répartition des compétences entre les deux ordres
de juridiction. Ces difficultés peuvent
également être résolues par des dispositions
législatives attribuant la compétence exclusive d’un ordre de juridiction ou d’un autre sur un
domaine déterminé.
Dans la plupart des cas, les rapports soulignent que les questions administratives
concernant les pouvoirs judiciaire et législatif ne relèvent pas de la compétence des
juridictions administratives. Dans les pays de Common Law (le Royaume-Uni, l'Australie, le
Canada ou les États-Unis), les conflits de compétence en matière administrative sont plutôt
rares. Dans ces pays, le contrôle judiciaire sur les actes administratifs peut être exercé soit
de manière définitive par la plus haute Cour judiciaire soit par un tribunal qui en est distinct.
Dans ces cas, les Cours suprêmes ont alors le dernier mot sur les questions de droit et les
tribunaux tranchent, eux, les questions de fait ou décident au fond des mérites du recours
qui a été formé.
Quatre critères principaux apparaissent pertinents pour déterminer la nature
administrative d’un contentieux.
Le premier, qui est présenté comme le plus important - mais est souvent combiné
avec un ou deux autres critères - est celui de l'existence d'une «relation juridique
9
administrative», expression employée dans le rapport du Portugal 15 , notion qui renvoie au
régime administratif – public- de l’acte et à l'application de normes juridiques relevant du
droit public. En d’autres termes, «seuls les actes, les décisions ou l’absence de décision qui
procèdent de l’exercice de leurs compétences par les autorités exécutives ou
administratives dans un régime de droit public, et non de droit privé, sont susceptibles de
faire l’objet d’un recours » devant la juridiction administrative 16 . Ce critère, qui s’attache à la
nature administrative de l’acte, est désigné par de nombreuses appellations différentes dans
les rapports, comme celle de «décisions administratives publiques», de «décisions rendues
dans l'exercice d'un pouvoir public», de «décisions de l'exécutif», de «décisions
gouvernementales», d’«actes pris dans le cadre de l’exécution d'un service public» ou
d’«actes pris dans l’exercice de prérogatives de puissance publique » par exemple. En
Nouvelle-Zélande, pays de Common Law qui connaît un système de contrôle des actes
administratifs devant une cour judiciaire, les critères qui déterminent la nature des décisions
pouvant être soumises à un contrôle judiciaire tiennent à l'exercice d'un pouvoir législatif
(statutory power) ou d’un pouvoir législatif décisionnel (statutory power of decision) 17 . Ces
expressions sont définies de manière plus détaillée dans la législation de Nouvelle-Zélande.
Dans ce pays, de manière générale, tout exercice d’un « pouvoir législatif » qui a des
« conséquences publiques » peut faire l’objet d’un contrôle devant une juridiction. Les
concepts clés sont ceux de «pouvoir législatif» et de «conséquences publiques».
Le caractère public de l’acte – dont découle la compétence des juridictions
administratives- procède ainsi généralement du lien entre cet acte et une activité de service
public ou du fait qu’il est une manifestation de prérogatives de puissance publique. Ce
caractère public peut également découler du fait de savoir si l’acte résulte de l’exercice d'un
pouvoir public ou législatif, ou au contraire d’une action ou décision privée. Les actes ayant
une nature publique s’opposent aux actes de nature privée qui, eux, font l'objet d'un
contentieux auprès des juridictions judiciaires ou de tribunaux spécialisés.
Dans bien des cas, l'organisation du service public est un exemple classique de critère
qui permet de déterminer la compétence des juridictions administratives. Lorsqu'un contrat
est conclu avec une personne privée dans le cadre d’un service public les décisions de ce
service public peuvent alors être contestées. Dans certains cas, la nature du service public
peut également entrer en ligne de compte. Certains services publics ne sont en effet pas
considérés comme ayant un caractère « administratif ». Le contentieux ayant trait à
l’exécution de ce service relève alors soit d’organismes spécialisés, soit des juridictions de
15
Rapport national du Portugal (FR et EN), p. 2 ;
Rapport national de Chypre (EN), p. 2.
17
Rapport national de la Nouvelle-Zélande (EN), p. 2.
16
10
droit commun. Ainsi dans certains pays -comme la France, le Liban ou le Niger-, les actes
relatifs à l’exécution des services publics industriels et commerciaux ne relèvent pas de la
compétence des juridictions administratives, alors même que ces actes ont une nature
publique ou gouvernementale ou procèdent de l’exercice de prérogatives de puissance
publique.
Le
raisonnement
sous-jacent
qui
explique
l’incompétence
des
juridictions
administratives pour connaître des recours formés contre les actes pris pour l’exécution des
service publics industriels et commerciaux est que ces services entrent directement en
concurrence avec des entreprises privées, sur des marchés concurrentiels, et que leur
compétitivité ne doit pas être gênée ou restreinte par leur soumission à des règles de droit
administratif, ou, surtout, que la protection que leur accorde les règles du droit administratif
puissent conduire les organismes en charge de ces services publics à fausser la
concurrence sur ces marchés.
Dans certains pays, par exemple l'Algérie, le contentieux de certaines matières qui
relèveraient normalement du droit administratif a été confié exclusivement à la juridiction
civile. Il s'agit notamment des litiges relatifs aux contraventions de voirie et des actions en
responsabilité tendant à la réparation de dommages causés par les véhicules appartenant
à l'administration 18 . La Suisse exclut également du recours de droit public au Tribunal
fédéral les décisions en matière de circulation routière qui concernent la réception par type
de véhicules 19 . Dans certains cas, les contentieux relatifs aux impôts et taxes ou aux
marchés publics ne relèvent également pas de la compétence des juridictions
administratives.
Le deuxième critère auquel de nombreux rapports se réfèrent, est celui de l'identité ou
de la nature de la personne auteur de l’acte attaqué ou impliquée dans le contentieux - le
plus souvent en tant que défendeur. Ainsi, le fait qu’un organisme public ou une autorité
publique soit partie à la procédure, ou le fait que cet organisme utilise des fonds publics sont
souvent considérés comme des critères de compétence de la juridiction administrative. En
Thaïlande par exemple, la compétence des juridictions administratives repose à la fois sur la
nature du litige et sur l'identité du défendeur qui doit être un organisme «administratif»,
c’est-à-dire un ministère, un sous-ministère, un département ministériel, une agence
gouvernementale, une administration provinciale ou locale, une entreprise d'État créé par
une loi ou un décret royal ou tout autre organisme d'État 20 . D’autres rapports soulignent
que la décision contestée doit avoir été édictée par une personne morale de droit public, tels
18
Rapport national de l’Algérie (FR), p. 3.
Rapport national de la Suisse (FR), p. 2 et 3.
20
Rapport national de la Thaïlande (EN), p. 17.
19
11
que l’Etat, une commune, des autorités régionales ou une municipalité. L’un des rapports
mentionne comme critère de compétence le fait que l’acte administratif doit être un « acte
légal, ayant des conséquences juridiques, édicté dans l’exercice d’une fonction publique ».
Dans certains cas, la nature publique de l’autorité à l’origine de l’acte attaqué est
considérée comme concluante pour définir la compétence de la juridiction administrative.
Tel est le cas, par exemple en Algérie 21 et en Colombie 22 . De manière générale, toutefois,
ce critère n’apparaît pas déterminant : de nombreux rapports indiquent que le contentieux
afférent à des personnes privées, en particulier des personnes morales – telles des
associations- peut relever de la juridiction administrative dès lors qu’elles exercent des
prérogatives de puissance publique ou des fonctions publiques. L’objet de l’acte ou des
stipulations contractuelles s’avère également un critère retenu par les juridictions pour
déterminer leur compétence. Au Kenya, par exemple, lorsque des pouvoirs législatifs sont
conférés à des personnes privées qui ne tirent pas leur pouvoir de la loi, ces pouvoirs
peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire (judicial review) 23 . Mutatis mutandis, tel est le
cas également en France et dans de nombreux autres pays.
Les troisième et quatrième critères qui déterminent la compétence de la juridiction
statuant en matière administrative s’appliquent essentiellement dans les pays de Common
law. La nature administrative du recours y est déterminée par les règles sur lesquelles la
décision faisant l’objet du recours est fondée, qui doivent être des règles de droit
administratif – de droit public-, comme celles tenant à l’obligation de suivre une procédure
équitable, à l’interdiction de l’excès de pouvoir (ultra vires), ou encore celles limitant le
pouvoir discrétionnaire de l’administration, autant de règles dont l’application est déterminée
en fonction des dispositions qui fondent la décision et du contexte, et qui distinguent le droit
public du droit privé. Le rapport du Canada, par exemple, indique que le fait de savoir si une
décision d’une autorité publique ou de l’exécutif ne dépend pas tant de la nature ou de la
substance de la décision, mais bien plutôt de la législation dont procède cette décision et de
la nature des droits constitutionnels mis en jeu par cette législation 24 .
Par ailleurs, la nature du recours (remedy) détermine souvent la compétence
juridictionnelle – et le caractère administratif de la procédure-. Tel est le cas lorsqu’est
demandée au juge la délivrance d’une ordonnance « in the nature of a prerogative writ ».
21
Rapport national de l’Algérie (FR), p. 3 :
« le législateur algérien a opté pour la simplicité et la facilité, il a fondé la compétence du juge administratif sur
le critère organique, la juridiction administrative est compétente dès lors que l'une des parties est l'Etat, la wilaya (
collectivité territoriale équivalent au département en France), la commune ou un établissement public à caractère ad
ministratif.
22
Rapport national de la Colombie (FR), section 12, p. 32.
23
Rapport national du Kenya (EN), p. 3.
24
Rapport national du Canada (EN), p. 2 ; (FR), p. 3.
12
Dans ce cas, la Cour doit être convaincue qu’un comité, une commission ou un tribunal a
agi en dehors de sa compétence ou n’a pas exercé la plénitude de cette compétence, qu’il
n’a pas respecté une règle de droit naturel ou d’équité procédurale que le droit lui imposait
d’observer, qu’il a commis une erreur dans le droit applicable, y compris si cette erreur ne
ressortait pas des pièces du dossier qui lui étaient soumis, que cet organisme ait fondé sa
décision sur des faits erronés, sans tenir compte des éléments qui lui étaient présentés, de
manière arbitraire, ou qu’il ait agi par fraude, sans raison ou qu’il n’ait pas respecté le droit,
de quelque manière que ce soit.
Dans certains pays, c’est la substance du droit demandé qui détermine la compétence
de la juridiction administrative : ainsi, lorsque est demandée au juge la reconnaissance d’un
droit purement subjectif, comme l’indemnisation d’un préjudice causé par un organisme
public, l’affaire ne relève pas de la compétence des juridictions statuant en matière
administrative – la solution est inverse si c’est l’annulation de la décision qui est demandée.
Tel est le cas par exemple en Belgique 25 et en Indonésie.
En Italie, selon la Cour
constitutionnelle, la loi ne peut donner compétence au juge administratif en matière de droits
subjectifs que s’ils relèvent d’une situation dans laquelle l’administration agit comme une
autorité 26 .
Au Luxembourg, la nature administrative de l’autorité auteur de la décision est une
condition préalable de la compétence de la juridiction administrative. Cette condition n’est
toutefois pas suffisante. Il faut également que la décision porte sur un droit objectif (concept
qui désigne l’ensemble des règles de droit applicables dans un territoire ou à un ensemble
de situations indéterminées), qui forme le cœur du contentieux, ou sur un droit subjectif
politique. En revanche, les décisions émanant d’une autorité administrative ne relèvent pas
de la compétence des juridictions administratives lorsqu’elles portent sur un droit subjectif
civil 27 .
Dans une affaire récente, en Australie (l’affaire Hicks), la Cour fédérale a considéré
que pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire –judicial review- et d’une demande en
ordonnance d’habeas corpus, le refus implicite du ministre de l’immigration et de la
citoyenneté de solliciter du gouvernement des Etats-unis le rapatriement, afin d’être jugé,
d’un ressortissant australien détenu à Guantanamo, David Hicks, à qui avait été refusé le
droit à un procès aux Etats-unis. Le ministre avait indiqué qu’une telle demande de
rapatriement pourrait éventuellement aboutir, mais avait refusé de l’adresser effectivement.
La question soulevée par cette affaire était celle de savoir si, en tant que citoyen australien,
25
Rapport national de la Belgique (FR), p. 3 ; (EN), p.2.
Rapport national de l’Italie (FR), p. 2 ; (EN), p. 3.
27
Rapport national du Luxembourg (FR), p. 1 et 2.
26
13
M. Hicks disposait d’un droit à ce que le gouvernement australien assure sa protection et
prenne les mesures nécessaires pour que son incarcération ne se prolonge pas à
Guantanamo où il était détenu depuis 5 ans. Des affaires analogues ont eu lieu au
Royaume-Uni : affaires Abbasi (2003) et Al Rawi (2007). Dans ces affaires, les tribunaux ont
néanmoins estimé que la décision du ministre n’était pas susceptible de recours.
Sur cette première question, les rapports nationaux mettent en évidence le large
éventail des domaines de compétence des cours statuant en matière administrative et des
possibilités de recours devant elles. La compétence de ces juridictions est essentiellement
déterminée par le fait que l’acte contesté ou la règle de droit utilisée relèvent du droit public,
soient en relation avec des prérogatives de puissance publique ou en lien avec
l’organisation ou l’exécution d’un service public, ou que la règle ou l’acte aient été édictées
dans la réalisation d’un intérêt public. Il n’est en revanche pas déterminant que l’acte ou la
décision émane d’un organisme public ou privé.
1.2.2 Domaines de compétence
Les rapports mentionnent de nombreux exemples de domaines dans lesquels des
recours en matière administrative sont exercés.
Certains rapports mentionnent ainsi les décisions relatives à l'exercice direct de
prérogatives de puissance publique ou de contraintes envers les particuliers (y compris les
arrestations de personnes par la police, en Autriche 28 ).
De nombreux rapports font également référence au domaine de l’emploi public ou de
la fonction publique. En Belgique, le tribunal administratif est compétent pour examiner les
recours formés contre les actes relatifs aux membres du personnel des assemblées
législatives ou de leurs organes -y compris les médiateurs-, de la Cour des Comptes, de la
Cour Constitutionnelle, du Conseil d'État et des juridictions administratives, ainsi que des
organes du pouvoir judiciaire et du Conseil supérieur de la Justice 29 . La juridiction
administrative française est compétente pour connaître des recours formés contre les
décisions individuelles relatives à la situation individuelle des juges judiciaires -juges civils et
pénaux- et contre les règles d’organisation du service public de la justice. Cette compétence
des juridictions statuant en matière administrative à l’égard de l’emploi public peut
néanmoins être variable et dépendre de la nature, publique ou non, de la relation entre
l'organisme public et son employé. Au Kenya, par exemple, les litiges ayant trait à la
situation d’agents employés par contrat par des organismes publics relèvent du droit privé.
28
29
Rapport national de l’Autriche (FR et EN), p. 4.
Rapport national de la Belgique (FR), p. 2 ; (EN), p. 1.
14
Le fait que l'employeur soit un organisme public ou que l’activité de l’employé implique la
réalisation de tâches d’intérêt public ne suffit pas à donner un caractère administratif au
litige 30 .
Beaucoup d’autres domaines sont mentionnés dans les rapports : la santé publique,
l’environnement, l’urbanisme, l’aménagement du territoire, le patrimoine culturel, les
services publics, la promotion, l’indemnisation pour l'acquisition de terres par le
gouvernement, la liberté d'information et la prise en charge d’enfants ou de drogués adultes
ainsi que les soins psychiatriques (Suède 31 ). Parmi ces questions, les élections locales sont
également souvent mentionnées (Cameroun 32 , France 33 ), mais elles sont parfois
expressément exclues.
1.2.3 Exclusions de compétence
Dans tous les pays, des législations spécifiques peuvent conduire à autoriser, limiter
ou exclure le droit au recours en matière administratives. Une loi relative à l'extradition, par
exemple, peut exclure tout recours à l’encontre des décisions administratives sollicitant des
renseignements en provenance d’autres pays.
Il est intéressant de relever que la quasi-totalité des rapports font état du fait que
certaines décisions, qui pourraient être considérées comme des décisions administratives,
ne peuvent néanmoins faire l’objet d’aucun recours. Cette solution résulte le plus souvent de
dispositions législatives particulières, mais elle peut également avoir été déterminée par la
jurisprudence.
Seuls deux rapports nationaux mentionnent que, dans leur système juridictionnel,
aucune décision de l’exécutif ou des autorités publiques n’est susceptible d’échapper à
l’exercice d’un recours en raison de la nature ou de la substance de cette décision. Il s’agit
de l’Autriche 34 et de la Colombie 35 .
Les autres rapports mentionnent principalement quatre cas dans lesquels des
décisions administratives ne peuvent faire l’objet d’aucun recours.
30
Rapport national du Kenya (EN), p. 14.
Rapport national de la Suède (EN), p. 1.
32
Rapport national du Cameroun (FR et EN), p. 1.
33
Rapport national de la France (FR), p. 30.
34
Rapport national de l’Autriche (FR), p. 4 : « Dans le cadre des compétences des chambres administratives
indépendantes et de la Cour administrative, il n’y a pas d’actes émanant du pouvoir exécutif ou des autorités
publiques, qui, en raison de leur nature ou de leur objet, échappent au contrôle juridictionnel » ; (EN), p. 5 :
« Within the competence of the Independent Administrative Tribunals and the Administrative Court, there are no
rulings of the Executive or public authorities which cannot be submitted to review by reason of the nature or the
substance of such decisions ».
35
Rapport national de la Colombie (FR), section 12, p. 32 : « En Colombie, il n’existe aucun acte du pouvoir
exécutif ou des autorités publiques qui, en raison de leur nature ou de leur objet, échappe à tout contrôle
juridictionnel ».
31
15
Le premier est celui des décisions prises par des autorités publiques dans des
domaines considérés comme étant politiques et non administratifs. Le rapport de l’Egypte
justifie cette exclusion de compétence en raison du principe de la séparation des pouvoirs 36 .
La nature des décisions relevant du domaine politique peut varier selon les pays. Ont
été principalement mentionnées :
•
les décisions relatives à la politique étrangère et aux relations internationales,
telles que la nomination d’un consul honoraire 37 ou la signature d’un protocole
bilatéral 38 .
•
Les décisions relatives à la sécurité nationale et/ou aux actions militaires. La
décision d’envoyer des forces armées à l’étranger, par exemple, ne peut en
général faire l’objet d’aucun recours car elle est considérée comme un acte de
nature politique. La décision de suspendre un officier de l’armée est également
évoquée. Les autres exemples mentionnés dans les rapports ont trait à l’entrée
sur le territoire de personnes suspectées d’actes de terrorisme, à la
confiscation de matériel de propagande pour des raisons de sécurité nationale
et à la délivrance des visas. En Suisse, certaines décisions, sont exclues de la
compétence du Tribunal fédéral en raison du caractère politique ou technique
ou en raison d'une liberté d'appréciation spécifique de l'administration, ainsi
celles concernant notamment les visas, en matière d’asile ou celles relatives à
la naturalisation ordinaire –ces dernières sont de la compétence des cantons
et des communes-. Dans ces cas, le Tribunal administratif fédéral décide en
dernière instance. Le contrôle judiciaire se limite donc à une seule instance 39 .
•
Les décisions qui concernent les relations entre les pouvoirs constitutionnels et
entre le Parlement et le Gouvernement. Ainsi, en Nouvelle-Zélande, a-t-il été
jugé que la décision d’un ministre de déposer au Parlement un projet loi
légalisant un accord passé avec les peuples autochtones ne pouvait faire
l’objet d’un recours judiciaire en raison de la nature politique de cet accord 40 .
•
Les décisions liées aux élections nationales et régionales. En Norvège, par
exemple,
les
décisions
du
Parlement
sur
la
légalité
des
élections
parlementaires ne peuvent faire l’objet d’un recours devant les juridictions
36
Rapport national de l’Egypte (FR), p. 9 ; (EN), p. 6.
Par ex Rapport national du Cameroun (FR et EN), p. 2.
38
Par ex, rapport national de la Thaïlande (EN), p. 23.
39
Rapport national de la Suisse (FR), p. 2 et 3.
40
Rapport de la Nouvelle-Zélande (EN), p. 3.
37
16
administratives 41 . L’acte de l’exécutif convoquant les électeurs est également
mentionné à plusieurs reprises parmi les exclusions de compétence de la
juridiction administrative 42 . En Italie, la nomination des sénateurs à vie ne peut
également faire l’objet d’aucun recours 43 .
Dans tous les cas, les rapports soulignent que le critère pertinent pour exclure toute
possibilité de recours à l’encontre de ces décisions n’est pas celui de l’identité de l’auteur de
l’acte, mais bien la nature de celui-ci. Le rapport de l’Afrique du Sud mentionne ainsi une
affaire dans laquelle était en cause la distinction entre « un agissement de nature
administrative et un agissement relevant de la conduite du pouvoir exécutif », à savoir le
licenciement du responsable de l'Agence de la sécurité nationale 44 . En Espagne, l’activité
administrative des organes constitutionnels tels que les Cortes (parlement), les parlements
des Communautés autonomes, la Cour constitutionnelle, la Cour des comptes et les
institutions du pouvoir juridictionnel peuvent faire l’objet d’un recours devant les juridictions
administratives 45 . En Thaïlande, peuvent faire l’objet d’un recours judiciaire en matière
administrative l’exercice par des organes constitutionnels (le Parlement ou l’exécutif), en
vertu d’une loi, de pouvoirs de nature administrative 46 .
La deuxième hypothèse dans laquelle des décisions administratives ne peuvent faire
l’objet d’aucun recours résulte de la distinction entre les décisions
qui n’ont de
conséquences juridiques qu’internes à l’administration et celles ayant des conséquences
extérieures à l’administration, qui produisent des effets juridiques sur des individus ou des
personnes morales tiers. Les décisions ayant des conséquences extérieures peuvent faire
l’objet d’un recours, contrairement aux décisions purement internes.
Un exemple de décision aux effets purement internes non susceptible de recours est
donné par le rapport des Pays-Bas : il s’agit des directives internes aux ministères portant
sur la manière dont les documents doivent être établis.
Ces directives sont regardées
comme n’ayant pas une influence significative sur les particuliers et comme se rapportant
exclusivement au fonctionnement interne du ministère. Pour cette raison, elles sont
insusceptibles de recours 47 . En Pologne, ne peuvent faire l’objet d’un recours les actes qui
relèvent de l’exercice du pouvoir hiérarchique sur un subordonné, ou les décisions relatives
41
Rapport national de la Norvège (FR et EN), p. 1.
Par ex, rapport national de l’Egypte (FR), p. 7-8 ; (EN), p. 6.
43
Rapport national de l’Italie (FR et EN), p.2.
44
Rapport national de l’Afrique du Sud (EN), p. 1 : “the distinction between conduct of an administrative nature
and conduct of an executive nature”.
45
Rapport national de l’Espagne (FR et EN), p. 2.
46
Rapport national de la Thaïlande (EN), p. 30-31.
47
Rapport national des Pays-Bas (EN), p. 4.
42
17
au refus de nommer à un poste ou d'appeler à une fonction dans l'administration publique,
sauf si des dispositions légales en prévoient l'obligation 48 .
Plusieurs rapports soulignent également que les opinions juridiques, de même que les
directives générales ou l’interprétation de dispositions émises par l’administration,
lorsqu’elles ne lient pas cette dernière, ne peuvent faire l’objet d’aucun recours car elles ne
portent pas atteinte à des droits particuliers, sauf lorsque ces opinions, directives ou
interprétations sont relatives à la situation d’une personne en particulier. Cet aspect est
évoqué par un certain nombre de rapports dont celui des Pays-Bas et de la Chine.
La troisième hypothèse d’exclusion de compétences mentionnées par certains
rapports est celle des décisions en lien avec le maintien de l’ordre public ou avec
l’organisation du service public.
Parfois tout recours est ainsi exclu sur les décisions en lien avec l’organisation du
trafic routier ou qui concernent les catégories de véhicules en circulation. D’autres
catégories de décisions ne pouvant faire l’objet d’un recours ont également été
mentionnées : celles ayant trait aux priorités en matière de greffe d’organes ou d’opération
médicale, les décisions en lien avec l’assurance maladie, les décisions prises en urgence
dans le domaine des contrats publics ou celles relatives à l’aide internationale.
Ont également été mentionnées, comme décisions ne pouvant faire l’objet d’un
recours, celle visant un agent public révoqué à la suite de la réorganisation du service dans
lequel il était employé, la décision de fermer une salle d’accouchement dans un hôpital, ou
encore les décisions relatives au fonctionnement du service public de la justice – avec
certaines exceptions.
La quatrième hypothèse d’exclusion de compétence mentionnée dans certains
rapports est celle des décisions traduisant l’exercice, par l’administration d’un très large
pouvoir
discrétionnaire.
Dans
certains
cas,
le
pouvoir
discrétionnaire
dévolu
à
l’administration peut être si large que tout contrôle est exclu ou que la portée de ce contrôle
est extrêmement limitée. Ainsi, en Autriche, le contrôle de la Cour administrative est, dans
sa portée, limité lorsque le législateur n'a pas fixé de réglementation contraignante
concernant le comportement de l'autorité administrative, en laissant la détermination de ce
comportement à l’autorité elle-même –mais ces cas sont très rares- 49 .
48
49
Rapport national de la Pologne (FR et EN), p. 8.
Rapport national de l’Autriche (FR), p. 4-5 ; (EN), p. 5.
18
Dans la plupart des pays, les limitations au droit de recours sont interprétées de
manière très stricte, dénotant ainsi le caractère étendu du contrôle juridictionnel exercé sur
l’administration.
Le rapport national de la Suède, ainsi, renvoie à une affaire dans laquelle aucune
procédure légale n’était ouverte à l’encontre d’une décision administrative rejetant une
demande de subvention en matière agricole au motif que cette demande était tardive. Des
dispositions expresses interdisaient même tout recours à l’encontre de telles décisions. La
Cour administrative suprême a néanmoins neutralisé cette interdiction, en raison de sa
contrariété avec les principes résultant du droit de l’Union européenne, et a reconnu la
possibilité
d’exercer un recours à l’encontre de cette décision devant les juridictions
administratives 50 . Dans les pays de Common law également, ces dispositions interdisant ou
limitant l’exercice d’un recours sont interprétées de manière très stricte et étroite.
Le rapport de la France met aussi en évidence cette interprétation large de la
compétence des juridictions administratives, en décrivant le contrôle étendu qu’exerce le
juge administratif sur les décisions prises par l’administration pénitentiaire à l’encontre des
personnes détenues 51 .
Le rapport de la Pologne souligne lui aussi l’interprétation large des dispositions qui
autorisent l’exercice des recours devant la juridiction administrative et l’interprétation stricte
des dispositions qui interdisent de tels recours. Par exemple, une loi interdisant tout recours
à l’encontre des décisions affectant un soldat à un emploi a été interprétée comme ne
s’opposant pas à l’exercice d’un recours portant sur la rémunération afférente à cet
emploi 52 .
A l’inverse, le rapport de l'Afrique du Sud indique que la juridiction peut refuser d’exercer
sa compétence en cas de délai manifestement déraisonnable entre la demande devant le
juge et l’acte administratif contesté, ou lorsque la juridiction ne pourrait pas donner suite à
ce qui est décrit comme une « attente légitime sur le fond » 53 .
50
Rapport national de la Suède (EN), p. 2.
Rapport national de la France (FR), p. 9-10.
52
Rapport national de la Pologne (FR et EN), p. 10.
53
Rapport national de l’Afrique du Sud (EN), p. 7-8.
51
19
2 Procédure
2.1 Où trouve-t-on les règles de procédure ? Par quels textes sont-elles définies ?
Tous les rapports nationaux indiquent que les règles qui régissent la procédure sont
rassemblées dans des codes qui détaillent de manière complète les différentes étapes de la
procédure. Toutes les juridictions ont également élaboré des jurisprudences propres
relatives à l’application de ces règles. En Australie, les règles procédurales devant les
juridictions sont également contenues dans une série de « notes pratiques », qui
rassemblent la jurisprudence applicable en décrivant concrètement chacune des étapes de
la préparation d’une affaire en vue de la tenue de l’audience publique. Ces notes pratiques,
par exemple, expliquent comment utiliser les nouvelles technologies lors des procédures,
rappellent les délais impartis à chaque étape de la procédure, décrivent la gestion des
dossiers, la manière dont les preuves ou les documents, en particulier lorsque ceux-ci
résultent de recherches effectuées par des moyens électroniques, doivent être présentés.
Elles décrivent également la présentation des mémoires écrits, la manière dont les
conclusions doivent être présentées préalablement à l’audience publique, les règles
relatives à la conservation des preuves et des documents et la manière dont les rapports
d’expertise doivent être préparés, présentés et certifiés par les experts.
La procédure est-elle plutôt dirigée par les parties ou par le juge ? Quelles sont
leurs responsabilités respectives ?
Dans la plupart des cas ce sont les parties qui, par les moyens qu’elles invoquent et les
conclusions qu’elles présentent, déterminent l’étendue du litige, la nature et les limites de
leurs demandes, de même que la nature des recours qu’elles souhaitent exercer
(par
exemple : annulation, injonction, renvoi de l’affaire à une audience ultérieure, rétablissement
de la situation antérieure, demandes en dommages et intérêts et/ou compensation). Les
juridictions n’ont aucun contrôle sur le nombre de conclusions formulées, ni sur la manière
dont elles sont formulées. Le tribunal sera généralement lié, à la fois en première instance
et, plus encore, en appel, par la portée du litige et la nature des recours choisis par les
parties, questions qui déterminent et limitent l’étendue des plaidoiries et mémoires, de
même que le type de preuves, pouvant être présentés.
Dans certains pays, néanmoins, les rapports ont indiqué que les juridictions ont la
faculté de dépasser les limites des conclusions et moyens afin d’aboutir à ce qu’elles
considèrent comme la meilleure solution. En Pologne, le tribunal d'instance se prononce
certes dans les limites du cas particulier, mais il n’est pas tenu, néanmoins, par les
demandes qui lui sont présentées ni par les fondements juridiques invoqués par les
20
parties 54 . La Cour administrative suprême, en revanche, ne peut pas, de sa propre initiative,
procéder à des démarches qui auraient pour effet de déterminer d’autres erreurs entachant
la décision contestée que celles qui sont relevées dans le pourvoi en cassation 55 . Les
juridictions en Tunisie peuvent, dans le contentieux de l’excès de pouvoir, faire porter leur
contrôle sur n’importe quelle illégalité entachant l’acte attaqué, indépendamment des
moyens invoqués 56 .
Dans la majorité des pays, le caractère inquisitorial de la procédure donne au juge des
pouvoirs étendus, dans les limites du litige qui lui est soumis, pour mener les procédures
préliminaires (l’instruction) et conduire l’affaire à son terme. Sous réserve du caractère
contradictoire de la procédure, la juridiction peut adresser toutes instructions aux parties
pour aboutir à une résolution du litige rapide et efficace. Par «contradictoire», il faut
entendre l’obligation faite au juge de donner à chaque partie la possibilité de prendre
connaissance et de répondre à l’ensemble des écritures, preuves et documents produits par
l’autre. Plusieurs rapports nationaux justifient le recours à la procédure inquisitoriale dans le
domaine de la justice administrative par le fait que cette procédure permet de rétablir
l’équilibre entre les parties, dont l’une est une personne privée et l’autre un organe de l’Etat.
Existe-t-il un parquet ? Quel est son rôle ?
Trois sujets différents ont été abordés dans les rapports nationaux en réponse à cette
question :
L'existence d’un ministère public (procureur) devant les tribunaux administratifs.
Le rôle du juge-rapporteur
Le rôle du magistrat public.
Il est apparu, en premier lieu, qu’il existe effectivement dans quelques cas un « parquet »
devant les juridictions administratives. Au Portugal, le ministère public intervient activement
dans les procédures qui relèvent de la compétence des juridictions administratives. C’est lui
qui met en mouvement l'action publique ; il agit pour contrôler la légalité et l'intérêt public en
tant que représentant de l'État afin de faire valoir et de défendre l’intérêt général 57 . En
54
Rapport national de la Pologne (FR), p. 12 ; (EN), p. 12-13.
Idem.
56
Rapport national de la Tunisie (FR), p. 20.
57
Rapport national du Portugal (FR), p. 7 ; (EN), p. 5-6.
55
21
Pologne, un procureur public et le Commissaire pour les droits des citoyens (le médiateur)
peuvent intervenir dans n’importe quelle procédure, ainsi qu'introduire une requête, un
recours en cassation, une plainte, une requête en réouverture de la procédure, s'ils
considèrent que la protection de la légalité ou des droits de l'homme et du citoyen
l'exigent 58 . La Côte d'Ivoire 59 , la Bulgarie 60 , l'Algérie 61 , l'Espagne 62 et la Slovaquie 63 , parmi
d’autres pays, indiquent également qu’un procureur peut mettre en mouvement l'action
publique devant les tribunaux administratifs, à tout le moins dans certaines matières.
Dans la plupart des cas, cependant, il n'existe pas de «procureur» ou de représentant
des intérêts du gouvernement, autre que le défendeur dans l’instance. De nombreux
rapports indiquent que l'organisme administratif dont la décision est contestée fera appel à
l’un de ses agents pour le représenter, tant pour la conduite de l’affaire que pour présenter
des considérations relatives à l'intérêt public, tel qu’il est interprété par l’organisme
administratif ou le ministère en question. Cette approche peut néanmoins être perçue
comme délicate au regard du principe d’impartialité dès lors que le représentant de cet
organisme public est une partie à l’instance et n’a qu’une perception limitée à son domaine
de l’intérêt public à promouvoir. Il est intéressant de relever qu’en Suède, jusqu’en 1995, le
demandeur n’avait aucun contradicteur à l’instance, la juridiction en charge de juger de
l’affaire jouant également le rôle de représentant de l’autorité publique 64 .
La plupart des pays de droit continental (civil law), en deuxième lieu, ont évoqué
l’existence d’un magistrat-rapporteur, qui joue un rôle central dans l’instruction des affaires.
Il guide les parties au travers de la procédure et, d’une certaine manière, les assiste, en
soulignant les véritables enjeux du procès, en indiquant les pièces du dossier qui peuvent
présenter une réelle importance et en s'assurant que les affaires sont prêtes pour l’audience
et le délibéré. Les pouvoirs de ce juge-rapporteur sont généralement très grands. Il est
responsable du caractère équitable et contradictoire de la procédure, il veille à ce que
chaque partie reçoive tous les documents, renseignements et mémoires présentés par les
autres parties afin de permettre une réponse complète et appropriée aux prétentions de
l'autre. Le rapporteur peut ordonner la production de tout document requis pour la résolution
de l'affaire. Il peut également ordonner des enquêtes. En Suisse, l’affaire est confiée à un
juge d'instruction qui peut prendre toute mesure pour protéger le statu quo ante, même si
les parties ne présentent aucune demande en ce sens. Dans la plupart des cas, le rôle du
58
Rapport national de la Pologne (FR et EN), p. 15.
Rapport national de la Côte d’Ivoire (FR), p. 3.
60
Rapport national de la Bulgarie (FR) p. 5 ; (EN), p. 8.
61
Rapport national de l’Algérie (FR), p. 4.
62
Rapport national de l’Espagne (FR et EN), p. 5.
63
Rapport national de la Slovaquie (FR), p. 8 ; (EN), p. 4.
64
Rapport national de la Suède (EN), p. 3.
59
22
magistrat-rapporteur est également de proposer une solution à l'affaire aux autres membres
de la formation de jugement, dans laquelle il siège également.
En troisième lieu, certains pays ont souligné l’existence d’un «magistrat public» devant
les juridictions administratives. Celui-ci peut porter des noms différents, tels que «parquet»
(Sénégal 65 ), «parquet général » (Bénin) 66 , «commissaire du gouvernement» (Burkina
Faso 67 ), « juge-commissaire de la justice» (Thaïlande 68 ) ou «rapporteur public» (France 69 ).
Le rôle de ce magistrat public est d'exposer en public son avis sur les questions soulevées
par chaque affaire et de présenter en toute indépendance la solution qu’elle appelle. Il ne
fait pas partie de la formation de jugement. Plusieurs rapports soulignent que ce système
aide à assurer l'exactitude de la décision du tribunal.
La Belgique connaît une institution intéressante appelée l’«auditoriat». L’ « auditeur »
joue un rôle central dans l’instruction de l’affaire. Ses pouvoirs sont ceux du magistratrapporteur (il met l’affaire en état d’être jugée en disposant pour ce faire de pouvoirs
étendus) et il propose une solution au tribunal, solution qui est, au préalable, débattue par
les parties, mais il ne siège pas avec le tribunal pour rendre la décision finale. Le rapport
national de la Belgique décrit l’auditeur comme un amicus curiae 70 .
La procédure est-elle écrite ou orale?
Dans les pays de droit continental (civil law), l’essentiel de la procédure est écrite et
l’audience publique qui la complète est brève. Dans de nombreux cas, pour qu’elle se
tienne, l’audience publique doit être expressément demandée par les parties – demande qui
n’est en pratique pas très fréquente-. De nombreux rapports indiquent également que, lors
de l’audience publique, les parties peuvent se contenter de s’en référer à leurs écritures. Il
n’est pas attendu, dans ce cas, qu’elles en répètent le contenu, mais plutôt qu’elles
concentrent leurs plaidoiries sur les principales questions posées par le dossier.
Dans certains pays de droit continental (civil law), les audiences publiques sont
utilisées dans le cadre des procédures préliminaires, lors de l’instruction de l’affaire, ou à
l’occasion des procédures d’urgence (au Portugal, les audiences publiques sont utilisées
notamment pour la production de preuves 71 ). En Espagne, depuis 1998, les procédures
65
Rapport national du Sénégal (FR), p. 3 ; (EN), p. 2.
Rapport national du Bénin (FR), p. 9.
67
Rapport national du Burkina Faso (FR), p. 2.
68
Rapport national de la Thaïlande (FR), p. 31 ; (EN), p. 38.
69
Rapport national de la France (FR), p. 12.
70
Rapport national de la Belgique (FR), p. 5 ; (EN), p. 4.
71
Rapport national du Portugal (FR), p. 8 ; (EN), p. 6.
66
23
orales sont utilisées pour les affaires d’importance mineure 72 . L’utilisation de procédures
essentiellement orales permet au juge de mesure rapidement les demandes et
l’argumentation des parties, tout en ayant, à un premier stade de la procédure, une idée
raisonnable des tenants et aboutissants de l’affaire, idée suffisante pour permettre, le cas
échéant, l’octroi de mesures provisoires. De plus, le tribunal peut, lors des audiences
publiques, tester la solidité de l’argumentation des parties. Au Portugal, par exemple, dans
les procédures particulièrement urgentes pour la protection des droits et des libertés,
le juge tient une audience orale à l’issue de laquelle il rend aussitôt sa décision 73 .
Dans bien des cas, une procédure préliminaire orale permet de clore les dossiers
rapidement, en particulier ceux qui n’ont pas de réelles chances de succès.
Dans les juridictions de Common law (Nouvelle-Zélande, États-Unis, Canada,
Australie, Royaume-Uni), les rapports mettent en évidence le caractère central de l’audience
publique dans la procédure, mais ils indiquent également que les mémoires, les preuves, les
témoignages et, plus généralement, les documents écrits font l’objet d’une attention
croissante, notamment car ils permettent de raccourcir la durée de la procédure. Ainsi,
devant les juridictions d’appel fédérales aux États-Unis et devant la Cour suprême, les
demandes des parties se font sous la forme d'un échange de mémoires contenant une
présentation extrêmement détaillée de l'argumentation et un résumé des faits. C’est
essentiellement à partir de ces mémoires que le juge rendra sa décision. L’audience
publique est en général limitée à 20 ou 30 minutes, même dans les affaires les plus
importantes. Même si, devant la plupart des juridictions de Common Law, l’audience
publique n’est pas limitée, devant la Haute Cour d’Australie – où le recours est soumis à
autorisation- les parties disposent chacune d’un délai strictement limité à 20 minutes. Dans
ce cas, l'audience publique permet aux juges d’obtenir des précisions sur les écritures, de
tester les allégations des parties et de mettre en évidence les questions qu’elles posent, afin
de décider si l’affaire se prête à un examen devant la Haute Cour.
L’oralité a toujours été et reste néanmoins d’une grande importance dans les
procédures ; elle se traduit par des échanges animés entre les juges et les parties ou leurs
avocats.
En première instance, dans les pays Common Law, les audiences publiques
peuvent ainsi se prolonger sur de très longues périodes (parfois jusqu'à 2 à 3 mois), lorsque
l’affaire implique de décider de questions factuelles complexes, nécessitant l’audition
d’experts et l’examen d’un nombre important de documents. Dans les juridictions des pays
de Common Law, l’audience publique permet également l’interrogatoire détaillé des témoins
importants par les deux parties.
72
73
Rapport national de l’Espagne (FR et EN), p. 11.
Rapport national du Portugal (FR), p. 8 ; (EN), p. 6.
24
De manière tout à fait notable, les procédures devant les juridictions de droit
continental et celles de droit de Common Law tendent toutefois à se rapprocher de plus en
plus, chaque système cherchant à tirer partie des avantages de l’autre. Dans les pays de
Common Law, bien que les juridictions n’estiment pas que la convocation des témoins
relève de leur office, il existe une forte tendance à considérer que le système inquisitorial est
parfois plus efficace pour aboutir à la résolution de l’affaire. A l’inverse, de nombreux pays
de droit continental (civil law) accordent
de plus en plus de place à l’oralité dans les
procédures juridictionnelles administratives. En Colombie, par exemple, la mise à jour en
cours du code de contentieux administratif va généraliser les procédures orales devant les
juridictions, en n’autorisant que des interventions écrites limitées 74 . En France, une réforme
récente de la procédure administrative contentieuse permet aux parties de répondre aux
conclusions orales du rapporteur public, ce qui n'était pas possible auparavant 75 . Ainsi que
le souligne le rapport de la Finlande, les procédures orales et écrites sont en réalité
complémentaires, puisque l'objet de l’audience publique est de permettre d’obtenir des
preuves et des éléments, là où les écritures et les pièces du dossier ne suffisent pas à
assurer une bonne compréhension de l’affaire.
La juge statue-t-il seul ou en formation collégiale ?
Dans de nombreux pays, en première instance, les affaires sont entendues par un
juge unique. En appel, la Chambre est généralement constitué par un collège de trois juges
et, dans certains cas, selon l'importance de l'affaire, par cinq juges ou plus. En général, plus
la juridiction devant laquelle l’affaire est soumise est importante, plus la formation de
jugement sera nombreuse, mais il existe un certain nombre d'exceptions. Dans beaucoup
de pays, la formation de jugement sera constituée de trois juges, que ce soit devant les
tribunaux de première instance –en Thaïlande par exemple 76 - ou de dernière instance mais,
dans les affaires les plus importantes, elles peuvent être jugées par un collège composé de
l’ensemble des juges qui forment la juridiction.
Dans certains pays, comme la Suède et la Norvège, certaines dispositions prévoient
qu’un ou plusieurs juges non professionnels, qui peuvent être des experts dans un domaine
particulier, participent à la formation de jugement devant les tribunaux de première instance
et, parfois, en appel également. Cette pratique permet au tribunal de juger des affaires
impliquant des questions techniques particulières ou faisant appel à des connaissances
spécialisées en pleine connaissance de cause. Elle renforce la crédibilité et la solidité de la
décision du juge dans les affaires qui nécessitent une expertise particulière. Tel est le cas,
74
Rapport national de la Colombie (FR), section 12, p. 33 ; (EN), section 12, p. 36.
Rapport national de la France (FR), p. 12.
76
Rapport national de la Thaïlande (EN), p. 44.
75
25
par exemple, lorsque l’affaire requiert une expertise particulière dans le domaine médical,
de l’ingénierie, du bâtiment, mais aussi celui des technologies ou lorsque les questions
scientifiques posées par l’affaire requièrent des recherches poussées dans des domaines
tels que la biologie, la chimie, l’économie, la comptabilité ou les pratiques commerciales.
Dans certains pays, le tribunal désigne des experts comme témoins et pour assister le
tribunal. Dans ce cas, ils ne participent pas à la formation de jugement.
Lorsque l’affaire est jugée en formation collégiale, la solution est adoptée majorité.
Parfois, l’arrêt rend compte du vote au sein de la formation de jugement. L’un des arrêts du
Conseil d’Etat de Colombie, qui figure dans le rapport national de ce pays, a été rendu par
une formation constituée de 23 juges, dont 9 ont exprimé un désaccord avec la solution
retenue 77 . Le rapport national de la Grèce mentionne également cette pratique des opinions
dissidentes 78 .
Dans la plupart des pays de droit continental (civil law), néanmoins, la décision est
rendue par l’ensemble de la formation de jugement et les opinions dissidentes ne sont pas
autorisées. A l’inverse, dans les systèmes de Common Law, les opinions dissidentes sont
écrites et rendues publiques. L’expression par chaque juge de son opinion, y compris si elle
est en désaccord avec la majorité, est même un devoir du juge. Ce système permet de
conserver une certaine flexibilité à l’évolution du droit, en maintenant ouverte la solution
rendue par chaque arrêt. Dans presque tous les pays, les délibérations des juges ont lieu à
huis-clos. En Suisse, en revanche, devant le Tribunal fédéral, la délibération des juges a lieu
en présence des parties, mais aucun autre rapport national ne mentionne l’existence d’une
telle pratique.
Dans les affaires qui exigent des mesures urgentes, les rapports mettent en évidence
l’existence de dispositions spécifiques qui permettent l’adaptation de la formation de
jugement à l’urgence de l’affaire. Le président de la Chambre appelée à juger l’affaire ou de
la juridiction peut ainsi désigner un juge qui décidera seul des mesures urgentes à prendre
ou de la suspension de l’exécution de la décision, notamment lorsqu’il existe une atteinte au
droit de propriété ou à un droit fondamental. Ce juge statuant seul peut alors prendre des
ordonnances ayant un caractère provisoire.
Dans les pays de Common Law, les
procédures d’urgence sont également bien établies : l’affaire est entendue par un juge
unique qui rendra le plus souvent une décision préliminaire au vu des éléments dont il
dispose à ce stade de la procédure.
77
78
Rapport national de la Colombie (FR) Affaire 1, p. 8 ; (EN), case 1, p. 7.
Rapport national de la Grèce (FR), p. 14 ; (EN), p. 17.
26
Devant les juridictions de droit continental et celles de droit de Common Law, les juges
qui participent à la formation de jugement sont ceux qui ont siégé lors de l’audience
publique. Ce n’est que dans certains cas exceptionnels, par exemple si un juge décède ou
est atteint d’incapacité, que la formation de jugement qui décide de l’affaire peut
comprendre un juge qui n’a pas assisté à l’audience publique.
2.2 Quelles sont les règles de recevabilité des requêtes ? Le demandeur doit-il
justifier de son intérêt pour agir ? Si oui, celui-ci est-il conçu de façon large ou stricte
(citer des cas de jurisprudence) ?
Dans la plupart des pays, la recevabilité de la demande ou de la requête introductive
d’instance est subordonnée au respect de cinq catégories d’exigences.
En premier lieu, la requête doit indiquer les détails de la contestation, les voies de
recours qui sont exercées et le fondement juridique de la demande. Elle doit également
préciser les moyens d’annulation et les conclusions demandées au juge. Dans la plupart
des cas, la requête doit être présentée sous forme écrite mais, dans certains pays, la
juridiction peut également être saisie par voie orale. Dans ce cas, un greffier du tribunal
retranscrit et enregistre la demande.
En deuxième lieu, la requête doit être présentée par une personne physique ou
morale qui dispose de la capacité juridique pour ce faire. Cette notion de « capacité
juridique » signifie que la personne qui introduit la requête doit remplir les conditions
d’aptitude juridique nécessaires pour pouvoir exercer une action
juridique, comme par
exemple être suffisamment âgé ou, s’agissant des personnes morales, être représentées
par une personne physique remplissant les mêmes conditions.
En troisième lieu, la requête doit être présentée à la juridiction dans les délais requis
pour l’introduction de l’instance. La plupart des rapports mentionnent à cet égard 'un délai
de deux mois ou de 60 jours après la publication ou la notification de la décision, mais ce
délai peut parfois être beaucoup plus court (14 jours pour une décision individuelle en
Bulgarie 79 ) ou beaucoup plus long (au Kenya la demande en certiorari doit être fait dans les
6 mois suivant la date de la décision dont la révision est demandée 80 ).
79
80
Rapport national de la Bulgarie (FR), p. 4 ; (EN), p. 6.
Rapport national du Kenya (EN), p. 18.
27
Dans ces cas, en particulier en ce qui concerne les questions relatives à la forme de la
requête, de nombreux rapports mentionnent la possibilité pour le Tribunal de connaître du
recours, de manière discrétionnaire, y compris si l’ensemble des conditions formelles ne
sont pas remplies. Certains rapports font état de la possibilité pour le juge de prolonger les
délais, de dispenser le requérant de certaines exigences procédurales ou de l’obligation
dans laquelle il se trouve d’inviter le requérant à régulariser avant de pouvoir rejeter le
recours comme irrecevable.
En quatrième lieu, certains des rapports ont mentionné comme condition de
recevabilité des demandes, celle tenant à l’épuisement des recours préalables. Dans
plusieurs pays, une personne ne peut en effet introduire une demande devant le juge qu’à la
condition d’avoir préalablement épuisé les recours administratifs qui lui permettraient
d’obtenir gain de cause. De nombreuses administrations permettent en effet d’obtenir la
révision d’une décision qu’elles ont prises par le moyen de recours internes. En Espagne,
l'épuisement des recours administratifs préalables est une condition sine qua non pour
pouvoir introduire une requête devant les juridictions administratives 81 . La même condition
est requise en Indonésie, aux Pays-Bas, en Allemagne et en Côte d'Ivoire. Dans le rapport
de la Slovaquie cette condition est décrite comme étant «l'un des principes fondamentaux
de la justice administrative» 82 . Dans certains pays, la règle d’épuisement préalable des
recours administratifs s’applique, mais seulement dans certains domaines particuliers, tels
que les impôts (France, Bénin, Bulgarie), ou la sécurité sociale (Bulgarie).
En cinquième lieu, tous les rapports sans exception ont mentionné comme condition
de recevabilité de la requête le fait qu’elle soit introduite par une personne ayant un intérêt à
agir (locus standi).
Dans certains cas, ce sont des dispositions législatives qui déterminent les personnes
pouvant exercer un recours. Des législations particulières dans le domaine de
l’environnement, par exemple, ouvrent très largement l’intérêt à agir, y compris à des
personnes qui ne sont pas directement touchées par l’acte attaqué. En Colombie, les
services du Médiateur peuvent intervenir à l'appui d'un recours et, dans certains cas, des
personnes peuvent comparaitre comme amicus curiae. En Australie, en 1996, les évêques
catholiques ont été autorisés à comparaître en tant qu’amicus curiae dans une affaire
concernant l'avortement, alors même qu’ils ne disposaient pas d’un intérêt à agir suffisant
pour pouvoir être regardés comme une partie à l’instance.
81
82
Rapport national de l’Espagne (FR), p.6 ; (EN), p. 5.
Rapport national de la Slovaquie (FR), p. 10 ; (EN) p. 9.
28
Dans la plupart des pays, la question de l’intérêt à agir est une question d’espèce. Elle
est étroitement dépendante des circonstances particulières de chaque affaire et il n'est pas
possible d'énoncer un principe universel. A l’occasion d’une célèbre affaire jugée en
Australie en 1980, Australian Conservation Foundation c/ Commonwealth, la Haute Cour a
considéré qu'une personne physique ou morale, sans autre lien avec l’affaire que l’intérêt du
public en général pour cette question, n'avait pas intérêt à agir pour exercer un recours
tendant à prévenir la violation d’un droit public ou à faire respecter l’exécution d’une
obligation publique.
La juridiction a considéré que l’intérêt à agir était subordonné à
l’existence d’une atteinte actuelle ou future à des biens, à un droit de propriété en lien avec
une activité économique ou des intérêts commerciaux et, sans doute également à des
intérêts sociaux ou politiques. La conviction, aussi forte soit-elle, qu’un droit doive être
respecté ou qu’une conduite particulière doive être empêchée, ne suffit pas à conférer un
intérêt à agir particulier.
Dans les pays de Common Law comme dans ceux de droit continental, il est souvent
fait référence au fait que la personne auteur du recours doive être « lésée » par la décision
contestée. Cette personne peut aussi bien être une personne physique qu’une personne
morale, agissant à titre personnel ou dans un intérêt collectif, pour un groupe ou une
catégorie particulière de personnes, ou une association agissant dans l’intérêt de ses
membres.
Le terme «lésé» ne renvoie pas à une conception purement subjective des effets de
la décision : cette dernière doit en général avoir un impact négatif objectivement identifiable
sur les droits ou l'intérêt de la personne concernée ; tel est le cas, dans certaines
hypothèses, en Belgique et au Luxembourg. La plupart des juridictions n’autorisent pas les
recours contre les actes purement hypothétiques ou les actions n’ayant qu’un caractère
consultatif. L'intérêt requis pour exercer un recours est en général décrit comme devant être
«direct et concret» (le rapport national de la Chine indique que l’intérêt à agir ne doit pas
être abstrait et que l’acte attaqué doit avoir un effet direct 83 ). Le rapport de la Belgique
résume les conditions liées à l’intérêt agir, en indiquant que celui-ci doit être concret,
personnel, direct et légitime 84 .
Comme le souligne l’un des rapports nationaux, l’exigence d’un intérêt à agir permet
de prévenir l’exercice de recours trop nombreux par des personnes qui n’auraient qu’un
vague intérêt pour demander le contrôle d’un acte administratif. Cette condition permet à la
fois d’éviter qu’un trop grand nombre de contestations ne freinent l’action de l’administration
83
84
Rapport national de la Chine (EN), p. 8-9.
Rapport national de la Belgique (FR), p. 6 ; (EN), p. 5.
29
et de prévenir l’engorgement des juridictions. Pour ces raisons, dans la plupart des pays, la
simple qualité de contribuable ne confère pas un intérêt suffisant pour contester la légalité
des actes réglementaires, mais elle peut en revanche suffire pour intenter un recours à
l’encontre de décision particulières touchant directement la personne concernée.
La tendance générale qui ressort des rapports nationaux, quel que soit le système
juridique du pays concerné, est celle d’une interprétation large et ouverte de la notion
d’intérêt à agir, dans le sens d’un accès facilité au recours. L’un des rapports nationaux,
celui de la Tunisie, souligne qu’une interprétation large de l’intérêt à agir va dans le sens de
l’intérêt public, qui commande que les actes administratifs illégaux ne subsistent pas dans
l’ordonnancement juridique 85 .
L’intérêt peut être personnel, ou celui de membre d’une société, d’un groupe ou d’une
association dont l’objet est affecté par la décision ou l’acte attaqué. Par exemple en matière
de protection de l’environnement : il est très souvent reconnu aux organisations dont l’objet
statutaire est en lien avec
ce domaine
un intérêt à agir pour contester des projets
d’utilisation des sols, comme la construction d’un barrage ou l’exploitation des forêts.
Un exemple fréquemment cité dans les rapports des pays des deux systèmes
juridiques est celui de l'urbanisme, lorsqu’une personne souhaite contester un permis de
construire délivré à son détriment par les autorités locales à un voisin et qu’il estime les
prescriptions imposées par le permis insuffisantes pour prévenir les inconvénients qui en
résultent pour lui. L’un des exemples cités est celui de la construction d’une tour pour la
radio : un voisin habitant à 60 m de la construction envisagée se verra alors reconnaître un
intérêt à agir contre la décision autorisant la construction, dès lors qu’il a vu sur cette
construction, mais un voisin résidant à 500 m de la construction et sans vue sur l’édifice
projeté, lui, ne se verra pas reconnaître d’intérêt à agir car l’impact sur sa situation n’est pas
suffisamment défavorable. La question de l’intérêt à agir est souvent une question factuelle
et d’intensité.
En Suède, si des dispositions expresses prévoient qu’une personne doit être entendue
par l’administration avant que cette dernière ne prenne une décision, alors cette personne
est considérée comme ayant un intérêt à agir suffisant contre cette décision 86 .
En Italie, il a été jugé que les parents d'un élève ont un intérêt à agir propre, tout
autant qu’un intérêt comme représentant légal de leur enfant, à attaquer la décision d’une
85
86
Rapport national de la Tunisie (FR), p. 7.
Rapport national de la Suède (EN), p. 4.
30
autorité scolaire lorsqu’elle affecte les intérêts économiques et moraux de leur famille 87 . Au
Cameroun, l’association des Témoins de Jéhovah a été considérée comme ayant un intérêt
à agir suffisant contre une décision lui faisant grief, alors même qu’il s’agissait d’une
association de fait non déclarée 88 .
D'autres exemples montrent que l'intérêt peut être
purement moral ou, dans certains cas, minime.
Au Portugal, il a été jugé qu’un syndicat de fonctionnaires avait un intérêt à agir
suffisant pour contester la légalité d’un règlement concernant les salaires en invoquant
l’omission du pouvoir réglementaire à prendre certaines dispositions 89 .
En Turquie, il a été jugé que des personnes se réclamant de leur qualité de locataires
de locaux n’avaient pas intérêt à agir contre la décision administrative ordonnant la
restauration du bâtiment dans lequel ils vivaient, dès lors qu’un autre tribunal leur avait
antérieurement ordonné d’évacuer ces locaux et que, par suite, ils avaient ainsi perdu leur
statut de locataires 90 . En Algérie, il a été jugé qu’une association de parents d’élèves avait
intérêt à agir contre le permis autorisant la surévélation d’un mur adjacent à l’école, qui
empêcherait la pénétration du soleil et de la lumière dans la salle de classe, ce qui
nuirait à la santé des élèves 91 .
En Grèce, il a été jugé que l’intérêt à agir des habitants d’une région pour contester la
construction d’une ligne électrique aérienne n’avait pas disparu du seul fait qu’ils avaient
acheté leur terrain et construit leur maison après avoir été informé des projets de
construction de la ligne aérienne. En matière d’environnement, en Grèce, le droit au recours
est décrit comme une quasi action populaire 92 .
En France, il a été reconnu qu’un journaliste chroniqueur judiciaire a, en cette qualité,
intérêt à demander l’annulation d'un décret fixant les règles de publicité des débats
judiciaires 93 .
Chypre donne l’exemple d'une décision de sa Cour suprême dont il ressort que la
décision d’une municipalité de créer un nouveau poste lié à la restructuration générale des
services municipaux constituait un acte lié à l’organisation interne des service municipaux et
ne portait pas atteinte à l’intérêt légitime du demandeur. Le rapport de Chypre fait
également référence à une affaire dans laquelle n’a pas été reconnu l’intérêt à agir d’un
87
Rapport national de l’Italie (FR et EN), p. 5.
Rapport national du Cameroun (FR et EN), p. 4.
89
Rapport national du Portugal (FR) p. 11 ; (EN), p. 8.
90
Rapport national de la Turquie (FR), p. 10 ; (EN), p.9.
91
Rapport national de l’Algérie (FR), p. 5.
92
Rapport national de la Grèce (FR), p. 7-8 ; (EN), p. 10.
93
Rapport national de la France (FR), p. 14.
88
31
demandeur contre la décision du service en charge des véhicules refusant de délivrer une
licence pour l’utilisation d'un véhicule automobile immatriculé au nom de, et appartenant à,
son épouse 94 . Cette affaire mettait en jeu une disposition particulière de la Constitution de
Chypre, mais il serait intéressant de savoir comment les juridictions des autres pays
apprécieraient l’intérêt à agir dans un tel cas.
Dans la plupart des cas les rapports indiquent qu’il est possible pour un tiers
d'intervenir à l’instance, alors même qu’il n’est pas directement concerné par l’acte ou la
décision faisant l’objet d’une contestation, lorsque ce tiers a un intérêt, en fait ou en droit, à
intervenir dans cette affaire ou est susceptible d’être lésé indirectement par cet acte ou cette
décision. Les tiers peuvent également parfois interjeter appel. Dans ces cas, les rapports
soulignent la nécessité que le tiers soit lésé par la décision ou puisse retirer un avantage
particulier si la contestation est fondée ou soit désavantagée si la contestation n’a pas
abouti.
Dans certains pays, les juridictions admettent l’exercice de recours collectifs ou
d’actions populaires pour protéger la légalité des droits civils et politiques.
2.3 Le justiciable a-t-il un accès direct au juge, ou bien cet accès est-il
subordonné au recours à un conseil ou au ministère d’avocat ?
Dans la plupart des pays, les demandeurs peuvent exercer un recours devant les
juridictions directement, sans avoir recours au ministère d’un avocat. Dans de nombreux
cas, le recours à un avocat est obligatoire pour introduire la demande initiale, mais
l’assistance de celui-ci n’est pas requise pendant la totalité de la procédure. Dans certains
pays, le ministère d’avocat n’est pas obligatoire devant les juridictions de première instance,
mais il le devient devant les juridictions supérieures, en appel ou en cassation ; tel est le cas
en France par exemple 95 .
Seul un petit nombre de pays ont indiqué que le recours à un avocat était obligatoire à
toutes les étapes de la procédure et devant toutes les juridictions (Grèce 96 , Italie 97 , Liban 98 ,
Portugal 99 et Espagne). Mêmes cas, des exceptions à cette obligation existent, en particulier
pour les litiges de faible importance (en Grèce 100 ou en Slovaquie par exemple 101 ).
94
Rapport national de Chypre (EN), p. 7-8.
Rapport national de la France (FR), p. 15.
96
Rapport national de la Grèce (FR), p. 9 ; (EN), p. 11.
97
Rapport national de l’Italie (FR et EN), p.6.
98
Rapport national du Liban (FR), p. 6.
99
Rapport national du Portugal (FR), p. 11 ; (EN), p. 9.
100
Rapport national de la Grèce, idem.
95
32
Dans certains pays (en France par exemple, mais aussi en Italie), seuls les membres
d'un barreau spécialisé sont autorisés à comparaître devant les plus hautes juridictions,
comme le Conseil d'État.
De manière générale, tous les rapports ont souligné l’approche libérale des juridictions
dans l’interprétation des demandes présentées par des personnes physiques ou morales
sans le ministère d’un avocat.
2.4 Les requêtes peuvent-elles être formées en faisant usage des nouvelles
technologies (Internet) ?
Dans la plupart des pays, les nouvelles technologies ne sont pas utilisées de manière
extensive pour la gestion des procédures juridictionnelles. La plupart des juridictions se
dirigent vers la mise en place de systèmes d’enregistrement électronique des requêtes et de
transmission des documents par Internet mais aucune n’a encore développé de
dématérialisation complète de ses procédures devant toutes les juridictions et à tous les
stades de la procédure juridictionnelle. Il est inévitable, compte tenu de la révolution en
cours dans le domaine des communications électroniques, que la technologie soit de plus
en plus utilisée. Le Portugal, notamment, semble avoir déjà développé de manière forte
l’utilisation des ressources électroniques et de la vidéoconférence devant les juridictions de
première instance. Il existe une plate-forme électronique commune aux différents
tribunaux 102 .
Dans beaucoup de cas, des règles particulières de procédure ont été édictées pour
permettre l’enregistrement électronique des requêtes et garantir l’authenticité des signatures
ou des cachets sur les documents officiels émanant des juridictions. Le courrier électronique
semble être utilisé dans quelques cas. Il est particulièrement significatif de constater que la
plupart des pays reconnaissent l’utilité des nouvelles technologies. Certains d’entre eux ont
beaucoup avancé dans le sens de leur utilisation massive, comme par exemple l’Australie,
le Canada, la France, les Etats-Unis ou le Royaume-Uni - pour n’en citer que quelques-uns.
La plupart d'entre eux ont mise en place des expérimentations dans ce domaine et
permettent déjà aux parties de consulter certaines informations sur les affaires en cours par
le biais de l’Internet.
101
102
Rapport national de la Slovaquie (FR), p. 11 ; (EN), p. 10
Rapport national du Portugal (FR), p. 12 ; (EN), p. 9.
33
2.5 Existe-t-il un système public ou privé d’aide pour faciliter l’accès au juge pour les
personnes ne pouvant avoir recours à un conseil juridique pour des motifs liés à
l’insuffisance de leurs ressources ?
Seuls quelques rapports nationaux ont indiqué qu’aucun mécanisme d’aide
juridictionnelle n’était disponible devant les juridictions administratives. Tel est le cas à
Chypre 103 , en Colombie 104 -mais d’autres mécanismes existent- et, en un certain sens, en
Autriche, où l’aide juridictionnelle est très limitée devant les chambres administratives
indépendantes 105 . Dans la plupart des autres pays existent, sous une forme ou une autre,
des mécanismes permettant l’aide juridictionnelle. Ils sont souvent un élément essentiel
pour garantir l’accès à la justice par le citoyen lésé par un acte de l’Exécutif. L’octroi de
l’aide juridictionnelle est en général subordonné à des conditions tenant aux revenus et au
patrimoine du demandeur. Cette aide peut être publique mais elle est également souvent le
fait d’associations d’avocats qui délivrent leurs services à titre bénévole. En Australie, les
avocats offrent une assistance pro bono.
La nature et l’étendue de l’aide juridictionnelle est variable. Dans certains cas, elle
permettra seulement l’assistance d’un avocat pendant les procédures préliminaires alors
que, dans d’autres, elle permettra une assistance complète du demandeur à toutes les
étapes de la procédure, y compris pendant l’audience publique. La plupart des mécanismes
d’aide juridictionnelle légale exigent que le demandeur démontre de réelles chances de
succès pour son affaire, tout autant qu’un manque de moyens. Les rapports nationaux
montrent que les systèmes légaux d’aide juridictionnelle sont souvent perçus comme des
moyens de favoriser et de raccourcir le traitement et la de résoudre plus efficacement les
affaires. L’expérience démontre qu’il en est ainsi.
2.6 Les recours suspendent-ils l’exécution des décisions attaquées et, si oui, dans
quelles conditions ?
La plupart des rapports indiquent que la simple présentation d’un recours contre une
décision administrative ne suspendra pas les effets de l'acte contesté. Comme le souligne le
103
Rapport national de Chypre (EN), p. 10.
Rapport national de la Colombie (FR), section 12, p. 35 ; (EN), section 12, p. 36.
105
Rapport national de l’Autriche (FR), p. 10 ; (EN), p. 11.
104
34
rapport des Pays-Bas, cette règle générale est destinée à préserver la sécurité juridique des
décisions administratives et à garantir le bon fonctionnement de l’administration publique 106 .
Il existe néanmoins quelques exceptions notables : en Allemagne 107 et en Autriche
(devant les juridictions inférieures) 108 , ainsi qu’en Finlande 109 et en Bulgarie 110 , pour les
recours formés contre les décisions individuelles.
Dans les autres pays, la suspension automatique de l’exécution de la décision contestée
n’a qu’un caractère exceptionnel et est limitée à certains contentieux. En France, par
exemple, l’exercice d’un recours à l’encontre d’un arrêté de reconduite à la frontière, dans
les 48 heures après sa notification, suspend automatiquement l’exécution de l’acte 111 . En
matière fiscale, le demandeur peut solliciter de l’administration un sursis de paiement et, en
cas de refus, exercer un recours devant le juge administratif 112 . En Turquie, un recours en
matière fiscale suspend le recouvrement de l’impôt correspondant 113 .
Dans la plupart des cas, néanmoins, les requérants peuvent solliciter du tribunal, par le
biais de procédures préliminaires et en urgence, la suspension de l’exécution de la décision,
ou à ce que des mesures permettant de préserver le statu quo ante soient ordonnées,
jusqu’au jugement de l’affaire. L’exercice de telles voies de recours permet de supprimer ou
de réduire l’éventualité de dommages irréparables ou qui ne pourraient plus être
indemnisés, alors que la décision litigieuse est susceptible d’être annulée ultérieurement et
sera alors regardée comme n’ayant jamais eu d’effet ni existé.
Les circonstances qui justifient la suspension de l’exécution ou l’octroi de mesures
provisoires peuvent varier, mais elles impliquent en général de prendre en considération
l'étendue et la nature du préjudice éventuel, le fait de savoir s’il peut être amoindri ou
compensé par l’octroi d’une somme d’argent ou, plus généralement, de dommages et
intérêts, ou s’il peut y être remédié par d’autres mesures, qui peuvent être déterminées par
voie de directives ou d’ordonnances.
Plusieurs pays mentionnent l’existence, à cet égard, de procédures d’urgence
spécifiques en « référé suspension » qui, sous des formes diverses, permettent au juge, en
fonction des circonstances d’ordonner la suspension de l’exécution de l’acte, de préserver la
situation existante ou de prévenir la survenance d’un préjudice.
106
Rapport national des Pays-Bas (EN), p. 24.
Rapport national de l’Allemagne (EN), p. 13.
108
Rapport national de l’Autriche (FR), p. 10 ; (EN), p. 12.
109
Rapport national de la Finlande (EN), p. 8.
110
Rapport national de la Bulgarie (FR), p. 9 ; (EN), p. 13.
111
Rapport national de la France (FR), p. 16.
112
Idem.
113
Rapport national de la Turquie (FR), p. 12 ; (EN), p. 10.
107
35
2.7 Quels sont les pouvoirs du juge dans la conduite de la procédure pour imposer à
l’administration de produire des éléments dont l’autre partie n’a pas connaissance
? (citer la jurisprudence pertinente).
Le principe est qu’il appartient à chaque partie de produire devant la juridiction les
documents et les preuves nécessaires pour établir la réalité de ses prétentions. Il s’agit d’un
principe de justice naturelle qui veut que chaque partie est en droit de connaître le contenu
des documents susceptibles d’être utilisés contre lui, afin de pouvoir y répondre.
Dans certains domaines, telle que les législations relatives à l’accès aux documents
administratifs ou à la liberté d’information, des dispositions particulières peuvent interdire au
juge administratif l’accès à certains documents produits par les cabinets ministériels ou les
ministères, désignés par un certificat émanant du ministre de la justice. Ce certificat lie les
juridictions.
Parfois, il a été indiqué que la juridiction n’est habilitée à prendre connaissance que des
seuls documents qui lui sont produits par l’organisme administratif.
Dans la plupart des cas, néanmoins, le juge dispose de pouvoirs étendus pour imposer
aux parties et aux tiers de produire des documents. Ainsi que le souligne le rapport de la
Finlande, « il appartient à la juridiction, de sa propre initiative, de requérir les preuves
nécessaires, dans le respect des principes d’impartialité et d’équité de la procédure » 114 . S’il
l’estime nécessaire, le tribunal peut également désigner un « expert » qui déterminera si
d’autres preuves doivent être produites ou non. Le juge-rapporteur ou l’auditeur est en
général chargé de s’assurer de la production par les parties des documents nécessaires à la
résolution de l’affaire. En Suisse, il existe une distinction entre les documents nécessaires à
la décision, auquel les parties ont accès, et les actes internes, à savoir les documents qui ne
servent qu'à la formation d'opinion de l'administration et qui n'ont pas valeur de preuves
devant les juridictions. Ces derniers ne sont donc pas communiqués aux parties 115 . De
manière générale, il n’existe pas, dans les systèmes de droit continental, de procédure de
« discovery » équivalente à celle existant parfois devant les juridictions des pays de
Common law.
Dans certains pays, le fonctionnaire qui ne produit pas un élément de preuve requis
par le tribunal peut faire l’objet de poursuites et être condamné à s’acquitter d’une amende
114
115
Rapport national de la Finlande (EN), p. 5.
Rapport national de la Suisse (FR), p. 12.
36
(ainsi en Colombie 116 , Grèce 117 ou Bulgarie 118 ). La plupart des rapports soulignent
également qu’en l’absence de production par l’administration des preuves nécessaires, la
juridiction peut alors conclure que les faits allégués par le demandeur correspondant aux
preuves non produites sont établis. Parfois, cela peut même conduire à déterminer
complètement la solution de l’affaire. Dans d’autre cas, lorsque les documents requis n’ont
pas été produits, la juridiction peut considérer la partie qui aurait dû les produire comme
défaillante et rendre sa décision sur ce fondement.
En Australie, si une partie ne demande pas à un témoin susceptible d’apporter des
éléments essentiels de se présenter, cette circonstance peut être utilisée par la juridiction à
l’encontre cette partie dans la détermination des faits.
En Turquie, l’administration ne peut se fonder, en défense, sur des documents qu’elle
n’a pas produit au demandeur au cours de l’instance 119 . Un principe similaire est appliqué
dans les pays de Common law. Le rapport de la Turquie rapporte également une décision
d’une cour supérieure annulant un jugement en raison de l’insuffisance des diligences en
vue de la recherche de preuves accomplies par la juridiction qui l’avait rendu 120 .
Dans la plupart des pays, les juridictions attachent une importance particulière au fait
que, en général, ce sont les organismes administratifs qui sont les mieux à même de
déterminer les documents pertinents pour la résolution des affaires et que ce sont eux qui
les détiennent. Les juridictions adoptent ainsi une attitude plus libérale à l’égard du
demandeur, en ce qui concerne la production des preuves, lorsque celles-ci sont des
documents émanant de l’administration. Dans certains pays, comme les Etats-Unis, devant
les juridictions, il est prévu que les témoins puissent faire l’objet d’interrogatoires oraux
soutenus sur l’existence et la localisation des documents pertinents en leur possession.
Leurs réponses peuvent être soumises à un contre-interrogatoire. Il s’agit de la procédure
de « discovery » des pays de Common Law, qui est une procédure qui se prolonge pendant
toute la durée de l’affaire, de sorte que lorsqu’un nouveau document est identifié,
l’organisme qui le détient est toujours tenu de le produire.
116
Rapport national de la Colombie (FR), p. 36 ; (EN), p. 37.
Rapport national de la Grèce (FR), p. 10 ; (EN), p. 12.
118
Rapport national de la Bulgarie (FR), p. 10 ; (EN), p. 14.
119
Rapport national de la Turquie (FR), p. 12 ; (EN), p . 11.
120
Idem (FR), p. 13 ; (EN), p.11.
117
37
2.8 Existe-t-il des procédures d’urgence ? Lesquelles ? Sont-elles destinées
uniquement à prendre des mesures provisoires et conservatoires ou peuvent-elles
régler un litige au fond ?
De manière générale, le juge peut être saisi à tout moment d’une demande tendant à
ce qu’il prenne des mesures urgentes pour suspendre l’exécution d’un acte ou d’une
décision administratifs, totalement ou partiellement, jusqu’à ce que le tribunal se prononce,
soit au fond, soit sur des procédures préliminaires.
Dans plusieurs pays de droit continental (civil law) s’est développé un système de
« référés », qui permettent à un juge unique, désigné par un président de chambre ou le
président de la juridiction, de décider en urgence, après audience publique, de la
suspension d’une décision de justice ou de toute mesure utile pour protéger des libertés
individuelles, mais aussi l’exercice d’autres droits comme le droit de propriété. Ces
procédures permettent également le règlement en urgence de créances, lorsque la dette du
débiteur n’est pas sérieusement contestable.
En règle générale, l'ordonnance rendue en référé par le juge est susceptible de faire
l’objet d’un recours devant une juridiction supérieure, où il sera examiné en formation
collégiale. Lorsque des libertés fondamentales sont en jeu, des dispositions peuvent être
prises pour que l’affaire soit examinée dans un délai extrêmement bref. Le rapport de la
France souligne qu’à la suite de l’introduction des référés, il y a environ dix ans,
juridictions administratives ont développé une véritable « culture de l’urgence »
121
les
, dont
l’objectif est de prévenir que les actes administratifs susceptibles d’être annulés par la suite
puissent conduire à des préjudices irréversibles ou irréparables (Ce concept de « culture »
est souvent d’une importance fondamentale pour la modification de pratiques existantes ou
l’introduction de nouvelles règles).
Afin de pouvoir obtenir du juge des mesures sur le fondement de ces procédures, il
est en général nécessaire que le demandeur établisse, d’une part, l’existence d’une
situation requérant des mesures urgentes et, d’autre part, l’existence d’une crainte
raisonnable de dommages ou de pertes.
Dans les pays de Common Law, les tribunaux ont des pouvoirs extrêmement étendus
pour prendre, par ordonnance des mesures suspensives. Ces mesures sont en général
accordées lorsqu’il existe des perspectives raisonnables de succès de la demande au fond
et lorsque la prise en considération de l’équilibre entre les inconvénients (« balance of
121
Rapport national de la France (FR), p. 22.
38
convenience ») pour chaque partie des mesures provisoires penche en faveur de l’octroi de
telles mesures à celui qui les demande.
Dans les pays de Common Law, des injonctions et des mesures provisoires peuvent
également être sollicitées du juge dans l’objectif de la préservation des documents et des
preuves. Lorsque l'affaire est extrêmement urgente, en cas de démolition imminente d'un
bâtiment, par exemple, ou d’expulsion d'un non-résident ayant sollicité le statut de réfugié,
une demande peut être faite ex parte pour préserver la situation et une injonction peut être
obtenue en quelques heures. Les mesures ordonnées le sont toutefois pour une très courte
durée, jusqu’à ce qu’une nouvelle ordonnance intervienne, après avoir laissé la possibilité
au défendeur de présenter ses arguments.
Les mesures de suspension et les mesures provisoires expirent lorsque l’affaire est
décidée sur le fond de manière définitive. Ces mesures sont temporaires par nature dans le
sens où elles n’ont de force contraignante que jusqu’à ce que la juridiction se détermine sur
le fond ou jusqu’à l’intervention d’une nouvelle ordonnance. Elles visent à préserver le statu
quo ante.
La mise en œuvre des procédures d’urgence peut souvent conduire à ce que la solution
de la totalité de l’affaire soit déterminée très rapidement. La solution rendue par le juge des
référés conduit en effet les parties à évaluer de manière raisonnable leurs chances de
succès. Par ailleurs, la tenue d’une audience de référé peut souvent conduire la juridiction à
audiencer de manière accélérée le jugement de l’affaire au fond, afin d’éviter les mesures
provisoires ne conduisent elles-mêmes à des conséquences importantes, ou pour minimiser
ces conséquences.
3. Les pouvoirs du juge administratif
3.1 Quelle est la hiérarchie des normes dont le juge administratif contrôle le respect
(Constitution, traités internationaux, lois) ?
La notion de «hiérarchie» désigne la priorité entre elles des règles qu’applique le juge
administratif lors de l’examen des recours portés devant lui. Elle dépend de la source
juridique dont procède le droit qui est invoqué. En cas de conflit, les normes plus élevées
dans cette « hiérarchie » priment sur les normes d’un rang inférieur.
Dans la plupart des cas, les rapports décrivent ainsi la hiérarchie des normes :
39
La Constitution
Dans certains pays, il n’existe pas de constitution écrite. Telle est le cas au RoyaumeUni 122 et en Nouvelle-Zélande 123 où c’est la jurisprudence qui a défini le plus grand nombre
des principes fondamentaux pertinents. En l'absence de constitution écrite, les lois adoptées
par le Parlement constituent la norme de référence la plus élevée pour le contrôle des
décisions administratives. Dans ces pays, les traités internationaux peuvent prévaloir sur le
droit interne si une loi leur donne une force juridique contraignante.
Dans la plupart des autres pays, c’est la Constitution qui prévaut sur les autres
normes juridiques, sauf s’il est expressément indiqué que les traités et accords
internationaux ont une autorité qui lui est supérieure, auquel cas l’ensemble des normes leur
sont soumises. Les rapports de la Belgique 124 et des Pays-Bas 125 , par exemple, indiquent
que les traités internationaux prévalent sur la Constitution.
Les principes constitutionnels
Dans plusieurs pays de droit continental (civil law), un certain nombre de principes et
de valeurs, reconnus et appliqués par les juridictions, sont mentionnés dans le texte de la
Constitution ou en dérivent directement. Ils expriment et protègent les valeurs et principes
fondamentaux du pays considéré, tels que la liberté d'expression, la liberté individuelle,
l'égalité de traitement et la dignité humaine. En France, comme dans d’autres pays, le
principe de laïcité figure parmi ceux-ci 126 . Les rapports nationaux parlent à cet égard de
« principes constitutionnels fondamentaux », de « règles coutumières constitutionnelles » ou
de « principes à valeur constitutionnelle ». Y figurent des principes fondamentaux sousjacents qui ne sont pas mentionnés dans la législation, comme celui de continuité du service
public.
Dans les pays de Common Law, ces principes sont protégés par le pouvoir qu’ont les
juridictions de mettre en œuvre les « prerogative writs », comme celui d’habeas corpus, le
writ de certiorari et celui de prohibition, par lequel une juridiction peut annuler une décision
ou un acte en contradiction avec le droit. Certains pouvoirs qui dérivent du droit non écrit
permettent également de remettre en cause la compétence d’une personne pour exercer
une charge publique (quo warranto).
Le plus imposant des « writs » est celui d’habeas
corpus. L’abondante jurisprudence qui en définit la nature et la portée a récemment été
122
Rapport national du Royaume-Uni (EN), p. 2.
Rapport national de la Nouvelle-Zélande (EN), p. 7.
124
Rapport national de la Belgique (FR), p. 11 ; (EN), p. 8.
125
Rapport national des Pays-Bas (EN), p. 28-29.
126
Rapport national de la France (FR), p. 23.
123
40
approfondie par les juridictions fédérales des Etats-Unis à propos de l’incarcération de
citoyens américains et de ressortissants étrangers à Guantanamo Bay.
Le droit international
Dans beaucoup de pays (régime dualiste), le droit international issu des traités doit
être spécifiquement adopté par le parlement (par exemple: le Canada, la Chine, la Finlande,
l'Allemagne, la Norvège et le Royaume-Uni). Dans d'autres pays (régime moniste) comme
la Suisse, la France et la Pologne, les traités internationaux n’ont pas à faire l’objet d’un acte
de réception dans l’ordre juridique interne. En Thaïlande, la non-conformité d’une décision
administrative aux traités et accords internationaux ne peut être contestée devant les
juridictions 127 . Dans les autres cas, les traités n'ont pas besoin de faire l’objet d’un acte
d’adoption particulier, parce qu'ils s'appliquent automatiquement dès l’adhésion au traité.
Dans la majorité des pays, le droit international en vigueur prévaut sur les normes
législatives. Néanmoins dans certain cas, les rapports entre la loi et le dorit international
peuvent dépendre de la nature et de la date d’entrée en vigueur des traités. En Turquie, par
exemple, certains traités internationaux sont mentionnés dans la Constitution et ont donc
une valeur constitutionnelle. Tel est le cas des traités relatifs aux droits fondamentaux,
comme la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévalent sur les lois en cas
de conflit, alors que les autres traités ont la même valeur que ces dernières 128 . En Autriche,
le droit international ne prévaut pas sur le droit national ou les lois fédérales, comme c’est le
cas dans d’autres pays, sauf s’il est adopté postérieurement à la loi, en vertu du principe lex
posterior derogat legi priori. A l’inverse, une loi nationale ou fédérale promulguée plus
récemment prévaudra sur un traité antérieur 129 .
Dans les pays de l'Union européenne, la place du droit européen vis-à-vis du droit
interne dans la hiérarchie des normes soulève d’intéressantes questions. Dans ces pays,
les normes juridiques qui émanent de l’Union européenne prévalent généralement, en cas
de conflit, sur les normes internes, que la norme communautaire soit contenue dans un
traité, un acte de droit dérivé, qu’elle soit un principe général du droit ou qu’elle procède
d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne. Le cas de Chypre est
particulièrement intéressant à cet égard. Selon un amendement apporté à la Constitution en
2006, aucune disposition de la Constitution ne peut rendre invalide (i) les lois, (ii) les actes,
ou (iii) les mesures prises par la République de Chypre, lorsque ceux-ci sont nécessaires à
l’exécution des obligations qui découlent de son adhésion à l’Union européenne 130 . Dans
127
Rapport national de la Thaïlande (EN), p. 64.
Rapport national de la Turquie (FR), p. 14 ; (EN), p. 12.
129
Rapport national de l’Autriche (FR), p. 12 ; (EN), p. 14.
130
Rapport national de Chypre (EN), p. 12.
128
41
cette mesure, le droit de l’Union européenne prévaut sur les dispositions constitutionnelles
expresses.
S’agissant du droit international coutumier, la lecture des rapports nationaux n’a pas
permis de mettre en évidence une pratique générale claire. Dans certains pays, les
principes généraux du droit international prévalent sur la loi et créent des droits et des
devoirs pour les habitants du pays (en Allemagne 131 et en Grèce 132 par exemple). Dans
d’autre pays, ces principes ont un rang inférieur à la loi dans la hiérarchie des normes, sauf
lorsqu’il s’agit de principes généraux du droit de l’union européenne (en France par
exemple).
Les lois – la législation
Ces termes renvoient aux actes adoptés par le Parlement.
Le droit réglementaire - la législation déléguée
Le droit réglementaire comprend les règles, les règlements, les ordonnances et les
décrets d’application des lois, de même que les règlements administratifs et les autres
dispositions prises en vertu d’une délégation législative.
Les principes généraux du droit
Cette notion recouvre les règles élaborées par le juge, qui imprègnent et guident
l’interprétation du droit national. Le rapport de la Thaïlande, par exemple, mentionne une
décision de la cour suprême administrative annulant un règlement qui méconnaissait un
principe général du droit exigeant que les textes juridiques thaïlandais soient écrits en
langue thaïlandaise et puissent ainsi être parfaitement compris 133 . Ces règles d’origine
jurisprudentielle constituent un fondement de principes et de règles qui ne figurent pas dans
les lois mais peuvent être modifiés ou abrogés par le législateur si celui-ci en exprime
clairement l’intention.
Ces principes généraux du droit, tout comme la jurisprudence des juridictions à dont
ils font partie, constituent un ensemble de principes qui influencent l’interprétation des
dispositions législatives, en renforçant la prise en compte des droits de l’homme et des
principes fondamentaux. Ainsi, les lois seront généralement interprétées, sauf dispositions
expresses en sens contraire, comme ne permettant pas de porter atteinte à la liberté
131
Rapport national de l’Allemagne (EN), p. 17.
Rapport national de la Grèce (FR), p. 10 ; (EN), p. 13.
133
Rapport national de la Thaïlande (EN), p. 67.
132
42
individuelle ou au droit de propriété. Les juridictions y ont recours lorsqu’aucune disposition
législative n’existe. Ces principes constituent alors une base légale qui permet de fonder la
décision.
Dans les fédérations d’Etats (comme l'Australie) ou les confédérations (comme la
Suisse ou le Canada), tant le Parlement national que les gouvernements des états,
provinces, régions ou cantons sont compétents pour adopter des normes juridiques
générales et impersonnelles. Dans ces cas, c’est la Constitution qui détermine quelles
normes prévalent sur les autres et qui définit les domaines de compétence exclusifs du
Parlement fédéral. En Australie, par exemple, si deux lois adoptées respectivement par le
Parlement d’un Etat et par le Parlement fédéral sont en contradiction, la Constitution prévoit
explicitement la primauté de la loi fédérale – dans la limite des dispositions de la loi de l’Etat
qui lui sont contraires. En cas de contrariété, les juridictions doivent donc appliquer la loi
fédérale et non la loi de l’Etat.
3.2 L’interprétation des lois donnée par l’administration (« circulaires ») peut-elle être
attaquée devant le juge – et si oui, au regard de quelles règles et critères – ou
s’impose-t-elle à lui ?
Oui. La plupart des rapports indiquent, sans aucune réserve significative, que les
juridictions ne sont pas liées par l’interprétation que l’administration donne des lois. Cela
n’est guère surprenant au regard du principe selon lequel le rôle fondamental des
juridictions est d’interpréter et de rendre plus claire le droit et son application et non (au
moins en théorie), de créer de nouvelles règles.
Plusieurs rapports nationaux ont indiqué que, dans certains domaines, eu égard à leur
nature particulière, les juridictions se soumettent à l’interprétation de la loi donnée par
l’exécutif, les administrations ou les organismes publics. Tel est le cas dans des matières
particulièrement techniques, dans lesquelles certains ministères ou organismes publics sont
plus spécialisés. Ceux-ci ont alors une expertise et des connaissances particulières qui
doivent être prises en considération. En outre, comprendre les méthodes de fonctionnement
de l’exécutif et les raisons pour lesquelles un texte a été interprété d’une certaine manière
permet d’exercer un contrôle clair et cohérent sur l’administration. Dans la plupart des pays,
les rapports nationaux indiquent en effet que les ministères et les organismes publics
adoptent des circulaires et directives générales qui interprètent les dispositions législatives
et réglementaires, afin d’en assurer une application uniforme par l’ensemble des
administrations. Cela ne signifie pas, néanmoins, que l’interprétation contenue dans ces
43
circulaires et ces directives liera les juridictions dans l’interprétation du droit à l’occasion des
recours formés contre les actes administratifs.
La fonction d’interpréter et d’imposer l’application du droit, et de la loi en particulier, a
toujours été, historiquement et presque de manière universelle, celle des juges et non des
pouvoirs exécutif et législatif. Mais cela ne signifie pas que les juges ne prêtent pas attention
à l’interprétation de la loi –lorsqu’il en existe une- que donnent l’exécutif et le Parlement.
Dans la plupart des pays –de Common Law comme de droit continental-, les travaux
préparatoires 134 sont pris en considération pour l’interprétation des lois. Les juridictions
regardent ainsi l’objet des dispositions législatives tel qu’il a été exprimé dans les discours
prononcés devant le Parlement ou dans l’exposé des motifs qui accompagne le projet de loi
transmis au Parlement. Ces documents retracent les buts et intentions du législateur. En
dernier lieu, toutefois, seule l’interprétation de la loi donnée par le juge aura un caractère
contraignant.
En Suède, ainsi que l’a souligné le Président Sten Heckscher, la Constitution prévoit
qu’aucune autorité publique –ce qui inclut le Gouvernement- ne puisse exiger qu’une
autorité administrative décide dans un sens déterminé lorsqu’elle met en œuvre ses
prérogatives de puissance publique à l’égard des particuliers ou d’une autorité locale 135 . Par
suite, les décisions administratives ne relèvent pas de l’exercice du pouvoir politique, pas
plus que les juridictions administratives lorsqu’elles contrôlent la légalité des décisions de
l’administration. Le pouvoir de décider n’est pas considéré, pour l’administration, comme
résultant d’une délégation du pouvoir politique, mais comme un pouvoir qui lui est dévolu en
propre. Dès lors, l’interprétation de la règle de droit fait par le Gouvernement ou les
ministères ne lient pas les autorités administratives dans leur pouvoir de décision.
En général, la légalité d’une norme ou d’une obligation édictée par l’administration
peut être vérifiée en déterminant si l’interprétation que donne cette dernière des lois et du
droit est en contradiction ou non avec une règlementation ou une norme qui se situe à un
degré plus élevé dans la hiérarchie des normes (ultra vires). Ainsi que le souligne le rapport
de Chypre, la légalité de l’interprétation du droit faite par l’administration est examinée au
regard, notamment, du droit communautaire et des principes constitutionnels, en utilisant les
pratiques standards de l’interprétation du droit, qui tiennent compte de l’objet et du but des
dispositions interprétées, mais aussi de la langue utilisée, du contexte et de la signification
134
135
NDT en français dans le texte.
Heckscher S., ‘Should the Swedish Model of Administrative Justice be Abandoned?’, Constitutions and
Institutions, Honoris Causa Eivind Smith, Seminar at the Norwegian Academy of Science and Letters,
30 novembre 2009, p. 3
44
courante des termes utilisés 136 . Les juridictions prennent également en considération
l’interprétation de ces dispositions qui résulte de précédentes décisions de jurisprudence et
des circonstances qui ont conduit à adopter ces dispositions.
De simples circulaires générales qui n'affectent en rien les intérêts particuliers des
personnes ne peuvent
généralement pas être contestées – du moins pour leur partie
purement interprétative. L’Allemagne, l’Autriche et la Suisse représentent à cet égard des
exceptions puisque dans ces pays, ainsi que le souligne le rapport de l’Allemagne,
l’interprétation de la loi donnée par l’exécutif, que l’on trouve généralement dans les
circulaires et les directives, peut faire l’objet, sans restriction aucune, d’un contrôle devant
les juridictions 137 .
Mais dans la plupart des cas, les circulaires générales ne peuvent être contestées que
lorsque l'interprétation qu’elles donnent de la loi a un effet particulier sur des personnes ou
des projets ou le cours d’une action contentieuse. Lorsque les circulaires sont appliquées
par l’administration comme des textes contraignants, elles peuvent alors être contestées. En
revanche, une déclaration faite par un ministre ou un haut fonctionnaire quant à
l’interprétation d’une loi ne lie jamais le tribunal.
Lorsque l’interprétation de la Constitution est faite sous la forme de directives
générales, celles-ci ne lient pas les juridictions. Ces directives sont considérées comme des
orientations ou des indications mais non comme des instructions contraignantes. Dans
certains cas, pour les pays de Common Law, lorsque ces directives générales
sont
appliquées sans prise en considération des circonstances particulières de chaque cas, la
décision prise sur leur fondement sera annulée.
3.3 L’interprétation des traités donnée par l’administration s’impose-t-elle également
au juge ?
Dans la plupart des cas, les juridictions ne sont pas liées par l’interprétation des traités
donnée par l’exécutif. La plupart des tribunaux appliquent les principes d’interprétation qui
résultent de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 (articles 31 et 32).
Parfois, néanmoins, certaines juridictions s’estiment liées par l’interprétation donnée
par l’exécutif, parce que la conclusion des traités relève des relations entre les Etats et peut
faire intervenir des considérations de politique étrangère, comme la nécessaire cohérence
136
137
Rapport national de Chypre (EN), p. 14.
Rapport national de l’Allemagne (EN), p. 20.
45
des relations internationales, ce qui peut persuader les juridictions de suivre l’interprétation
du traité donnée, par exemple, par le ministère des affaires étrangères, en particulier
lorsque cette interprétation est ancienne, mais à condition qu’elle soit raisonnablement
ouverte.
Dans certains cas, les tribunaux prennent en considération l’interprétation des traités
donnée par les autorités sans s’estimer liés par celles-ci.
Devant les juridictions australiennes, lorsque l’interprétation susceptible d’être donnée
par la juridiction peut avoir des répercussions sur l’exercice de services publics placés sous
la responsabilité d’un ministre, ce dernier peut être autorisé à intervenir, de manière
confidentielle, pour donner son interprétation et motifs qui l’expliquent.
Le rapport de la France indique que, dans ce pays, la réponse apportée à cette
question pu être variable. C’est une décision de la Cour européenne des droits de l’homme
qui a conduit à un changement de pratique en la matière et, désormais, depuis 1990 le juge
administratif assume l’entière responsabilité de l’interprétation des traités, en prenant
toutefois en considération la position de l’exécutif 138 .
3.4 Caractériser, au regard de quelques exemples tirés de la jurisprudence, la
portée et l’intensité du contrôle opéré par le juge : le juge de l’administration
pratique-t-il un contrôle de proportionnalité entre les motifs d’une décision
administrative et le contenu de cette décision ? On pourra notamment penser à des
exemples retenus en matière de police ou de droit de l’urbanisme.
Trois sujets différents ont été abordés dans les rapports nationaux, en rapport avec ce
point relatif à la manière dont les juridictions contrôlent les décisions administratives :
L’objet et la définition du contrôle judiciaire des décisions administratives ;
La définition du contrôle du caractère raisonnable/ proportionné des décisions
administratives ;
La pratique du contrôle du caractère raisonnable/proportionné des décisions
administratives.
138
Rapport national de la France (FR), p. 24.
46
En premier lieu, il est intéressant de constater que tous les pays ont une approche
similaire de l’objet et de la définition du contrôle judiciaire des décisions administratives.
Dans les pays de Common Law, les juridictions contrôlent le pouvoir discrétionnaire
de l’administration en utilisant les standards du « judicial review » (contrôle judiciaire). Les
fondements de ce contrôle comprennent notamment le contrôle des erreurs manifestes
entachant la forme de la décision, celui de l’erreur de fait ou de droit, le contrôle des
discriminations, de l’ultra vires, du caractère approprié ou non et complet ou non des
considérations et critères pris en compte par l’administration, le contrôle du caractère
équitable de la procédure, de la mauvaise foi, de l’erreur d’appréciation grossière,
l’insuffisance du raisonnement, et/ou celui des erreurs significatives de fait ou de droit.
L’approche du contrôle discrétionnaire en Australie, qui est similaire à celle des autres
pays de Common Law, est opportunément résumée par la citation d’un arrêt de principe
rendu par la Haute Cour à propos de la durée d'une peine d'emprisonnement - House v The
King (1936) 55 CLR 499- :
« ….Il doit apparaître que des erreurs ont été commises dans l’exercice du pouvoir
discrétionnaire. Si le juge se fonde sur un principe erroné, s'il s’autorise à être guidé ou
affecté par la prise en considération d’éléments étrangers à l’affaire ou s'il se trompe sur les
faits, s'il ne prend pas en compte certains faits, alors son jugement peut faire l’objet d’un
contrôle et la cour d’appel peut alors substituer son propre pouvoir discrétionnaire à celui
du premier juge, si elle dispose des éléments pour ce faire. Il est possible que le
raisonnement par lequel le premier juge a abouti à la solution dont il a décidé de l’affaire ne
soit pas apparent mais si, au regard des faits, la solution apparaît comme déraisonnable ou
complètement injuste, la Cour d’appel peut en déduire que, d’une certaine manière, le
pouvoir discrétionnaire que la loi ouvre au juge de première instance n’a pas été exercé
correctement. Dans ce cas, même si la nature exacte de l’erreur commise n’est pas
immédiatement identifiable, l’exercice du pouvoir discrétionnaire fait l’objet d’un contrôle au
motif qu’il en a résulté un tort important. … »
Tous les rapports établis par des pays de droit continental indiquent également que
l’objet du contrôle judiciaire porte sur le fait savoir si la décision contestée a été prise par
une autorité compétente, dans les limites de ses pouvoirs, après une procédure juste et
équitable –impliquant normalement la motivation de la décision-. En d’autres termes, il s’agit
de déterminer si la décision attaquée est fondée sur des faits et des considérations
pertinents et si l’administration a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire.
47
En deuxième lieu, il est également intéressant de constater que la définition du
contrôle du caractère raisonnable ou de la proportionnalité des décisions administratives fait
l’objet, dans les grandes lignes, d’une approche similaire par l’ensemble des pays.
Tous les rapports, ceux de pays de droit continental (civil law) comme ceux des pays
de Common Law, soulignent la nécessité de contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire
de l’administration en appréciant le caractère « raisonnable » de l’action de celle-ci, ou en
utilisant des fondements et degrés de contrôle similaires -–mais pas nécessairement
identiques – comme celui de l’erreur manifeste d’appréciation ou la notion de
proportionnalité.
Tous les rapports soulignent également que l’étendue du pouvoir discrétionnaire de
l’administration est déterminée en fonction de la précision des lois qui le définissent. Ainsi
que le rapport du Portugal, tout comme celui de nombreux autres pays, le met en évidence,
la marge d’action de l’administration dépend du point de savoir si la législation qui lui permet
d’exercer ce pouvoir permet un nombre restreint ou non d’actions possibles. Mais même
lorsque la marge discrétionnaire de l’administration est vaste et ne peut faire l’objet d’un
contrôle judiciaire approfondi, la décision administrative prise sur le fondement de ce
pouvoir doit toujours présenter un caractère raisonnable.
Dans certains cas, les critères particuliers qui définissent le pouvoir discrétionnaire de
l’administration sont mentionnés en détail dans les dispositions législatives qui prévoient
l’exercice de ce pouvoir, soit que ces critères soient expressément énumérés, soit qu’ils
soient implicites et puissent être déduits d’une lecture minutieuse de la loi dans son
ensemble. Dans d’autres cas, néanmoins, l’exercice du pouvoir discrétionnaire est large et
n’est pas déterminé par des critères précis. Dans cette situation, le contrôle exercé par les
juridictions sur les décisions administratives est plus lointain, seules les erreurs les plus
grossières sont alors censurées.
En troisième lieu, il est également intéressant de constater une approche similaire, par
l’ensemble des pays, dans la pratique du contrôle du caractère raisonnable et de la
proportionnalité des décisions administratives. Cela passe notamment par un renforcement
progressif, par l’ensemble des juridictions, de l’intensité du contrôle qu’elles exercent sur les
décisions de l’administration.
Dans les pays de Common Law, le «caractère raisonnable» d’une décision s’apprécie
en se demandant si la décision n’est pas à ce point déraisonnable qu’aucune personne ou
48
groupe de personnes doués de raison n’auraient pu prendre une telle décision. Ce concept
est nommé “Wednesbury unreasonableness", en référence à une célèbre décision de justice
rendue sur une affaire impliquant un établissement public dénommé Wednesbury
Corporation. Lorsqu’ils examinent la question du caractère raisonnable d’un acte
administratif, les juridictions essaient en pratique de déterminer si cet acte n’est pas
« manifestement disproportionné ». Dans une certaine mesure, ce contrôle correspond à
celui de l’ « erreur manifeste d’appréciation » décrite dans le rapport national de la France
comme une erreur grossière ou évidente 139 . Ce rapport donne également un exemple relatif
au contrôle des sanctions prises à l’encontre des fonctionnaires et agents publics. Dans ce
cas, le juge exerce un contrôle approfondi sur le fait de savoir si l’exercice même d’une
sanction est justifié ou non (contrôle normal), en examinant le comportement de l’agent
dans le service et ses antécédents. En revanche, le juge n’exerce qu’un contrôle restreint
sur le niveau de la sanction (contrôle de l’erreur manifeste) 140 .
Au-delà de ce contrôle de l’erreur manifeste, de nombreux rapports font état d’un
renforcement de l’intensité du contrôle exercé par les juridictions.
Au Royaume-Uni, la proportionnalité des actes administratifs constitue désormais un
fondement un fondement de contrôle indépendant qui permet aux juridictions d’exercer un
contrôle renforcé. Le juge étudie alors les aspects factuels de la décision de plus près que
lorsqu’il exerce un contrôle du caractère manifestement déraisonnable de cette décision.
Dans certains pays de Common Law, le contrôle du caractère déraisonnable est
seulement l’un des nombreux fondements qui permettent d’apprécier l’exercice du pouvoir
discrétionnaire. Il ne s’agit pas d’un contrôle qui, a lui seul, permet de censurer l’exercice du
pouvoir discrétionnaire. Ainsi, à l’occasion du contrôle d’un permis de construire, le juge
peut être conduit à se demander si l’une des conditions imposées pour l’octroi de ce permis
n’est pas tellement couteuse et tellement peu nécessaire qu’elle doive être regardée comme
entachée d’erreur d’appréciation. Pour arriver à une telle conclusion dans certaines affaires
traitant de sujets économiques, plusieurs juridictions ont pris en considération le rapport
coûts/avantages de l’opération. Lorsque le rapport coûts/avantages d’un projet particulier
autorisé par une décision administrative est manifestement disproportionné, ou dans le cas
d’une sanction manifestement disproportionnée aux agissements commis, alors la décision
peut être annulée totalement. Le rapport de la Corée mentionne ainsi un contrôle de « la
balance des intérêts » 141 .Le rapport de la Thaïlande, en lien avec la notion de mauvaise foi,
donne un l’exemple de la validation, par le juge, d’une décision portant restriction de droits
139
Rapport national de la France (FR), p. 27.
Idem (FR), p. 29.
141
Rapport national de la Corée (EN), p.17.
140
49
de pêche, en raison du caractère proportionné de cette décision à l’intérêt public de
protection des ressources marines pour le futur 142 . Le rapport de l’Afrique du Sud se réfère
également au critère de « rationalité » comme fondement du contrôle 143 , et celui de la
Nouvelle-Zélande indique que, dans certains cas particuliers, en matière de protection des
droits de l’homme, les juridictions ont évoqué la nécessité d’un renforcement du contrôle
exercé et ont ainsi une approche désormais variable en intensité du contrôle du caractère
déraisonnable des décisions 144 .
Dans beaucoup de pays de droit continental, le juge apprécie et teste la validité d’une
mesure en examinant la proportionnalité entre les motifs et le résultat. Le rapport de la
France mentionne deux exemples 145 .
Le premier exemple est celui des mesures de police administrative, domaine dans
lequel le principe général est que la liberté et la règle et la restriction l’exception. Le juge,
lorsqu’il contrôle une telle mesure, examine le caractère proportionnel et nécessaire de
celle-ci par rapport aux circonstances qui imposent que cette mesure soit prise. Cet examen
peut donner lieu à l’appréciation du conflit entre une liberté –individuelle par exemple- et les
nécessités de l’ordre public. Le juge examine alors attentivement le lien entre les deux et
détermine si la décision administrative est raisonnable et proportionnée à l’objectif poursuivi.
L’administration peut en effet limiter l’exercice d’une liberté dans l’intérêt du maintien de
l’ordre public, mais uniquement si cela est strictement nécessaire. Le second exemple
mentionné est celui de l’éloignement des étrangers, domaine dans lequel le juge apprécie le
caractère disproportionné ou non entre les objectifs de la mesure et l’atteinte portée au droit
à une vie privée et familiale.
Une autre méthode d’examen des rapports de proportionnalité est d’opérer une
comparaison coûts/avantages entre, d’un côté, l’utilité publique et, de l’autre, le coût d’une
opération. Une telle approche est utilisée dans le domaine de l’expropriation, lorsque
l’intérêt qui s’attache à l’acquisition d’une propriété par un organisme public est mis en
balance avec les intérêts du propriétaire privé. Cette approche coûts / avantages est
mentionnée, par exemple, dans le rapport de la Grèce 146 .
La question qui est alors posée est celle de savoir si la balance entre les effets positifs
et négatifs de l’opération conduit à se prononcer en faveur ou en défaveur de l’acte qui
l’autorise. Cette approche fondée sur l’équilibre coûts/avantages est utilisée dans les
142
Rapport national de la Thaïlande (EN), p . 70.
Rapport national de l’Afrique du Sud (EN), p. 18.
144
Rapport national de la Nouvelle-Zélande (EN), p. 5.
145
Rapport national de la France (FR), p. 28-29.
146
Rapport national de la Grèce (FR), p. 12 et sq. ; (EN), p. 15 et sq.
143
50
domaines relatifs à l’aménagement urbain, à la création de zones de conservation ou de
protection.
Plusieurs rapports se réfèrent également, lorsqu’ils évoquent le contrôle exercé dans
ce domaine, à un test permettant de savoir s’il existe d’autres solutions possibles au projet
d’aménagement proposé, par exemple la construction de l’usine projetée dans une zone
résidentielle.
Un traitement discriminatoire non justifié peut aussi constituer un motif de contrôle
d'une décision ou d’un acte administratif. Ainsi, imposer à un candidat des conditions plus
strictes qu’à un autre sans justification particulière peut être un motif de contestation d’une
décision 147 .
3.5 Le choix offert au juge est-il seulement d’annuler la décision administrative
contestée ou de rejeter la requête ? Peut-il en outre modifier ou réformer la décision ?
Dans les pays où le contrôle exercé par les tribunaux est un contrôle de l’excès de
pouvoir -judicial review- (en d’autres termes un contrôle de la légalité d’une décision
administrative), le juge n’a généralement pas le pouvoir de modifier la décision initiale. La
juridiction indique les motifs de l’illégalité, annule la décision et renvoie à l’autorité
administrative le soin de déterminer les mesures à prendre, dans le respect de la décision
du juge.
Dans les systèmes de Common Law où le « judicial review » est en vigueur, le juge
peut prendre lui-même la décision finale afin d’éviter des couts et délais supplémentaires
inutiles, sans renvoyer le soin de prendre la décision à l’administration, mais uniquement
dans les rares cas où le jugement ne peut conduire qu’à une seule solution possible.
Dans un certain nombre de pays, le « judicial review » est exercé par les juridictions,
mais il existe un système parallèle de tribunaux administratifs, compétents pour examiner au
fond et juger les recours portés contre des actes administratifs. Tel est le cas en Australie.
Les décisions du Tribunal administratif ne peuvent en général pas faire l’objet d’un recours
en « judicial review » devant les juridictions, mais seulement d’un recours portant sur
147
Rapport national de la Thaïlande (EN), p. 72.
51
l’application correcte des règles de droit. En Australie, néanmoins, le Tribunal d’appels
administratifs lorsqu’il contrôle les décisions de l’administration, est compétent pour
reconsidérer, à la lumière des éléments nouveaux dont il dispose, le fond même de la
décision, prise par un ministère ou une autorité administrative, qui est contestée devant lui.
Le Tribunal peut également renvoyer à l’administration le soin de prendre la décision finale
mais en principe, la fonction première du Tribunal d’appels administratifs d’Australie est de
déterminer la décision « juste et préférable » qui aurait dû être prise par le ministre ou
l’organisme public, tant au regard des faits que du droit 148 . Dans les rapports qui ont été
produits, il semble qu’aucune autre juridiction ne puisse exercer un contrôle aussi complet
sur le fond des décisions de l’administration.
Les rapports de la plupart des autres pays ont indique que si la décision administrative
est annulée en raison de son illégalité, l’affaire est alors renvoyée pour un nouvel examen à
l’autorité administrative auteur de l’acte ou de la décision. Dans certains pays (à Chypre par
exemple), le fait pour les juges de déterminer le fond d’une décision administrative
méconnaîtrait la stricte séparation des pouvoirs prévue par la Constitution. Cette solution
s’explique par le fait que la mission de prendre une décision administrative sur un cas
particulier relève, dans l’organisation des pouvoirs, du pouvoir exécutif et non juridictionnel.
Ce problème constitutionnel ne se présente pas lorsque les juridictions font elles-mêmes
partie de l’exécutif
Dans les pays de droit continental, les juridictions administratives relèvent souvent du
pouvoir exécutif sans toutefois être subordonnées au Gouvernement. Selon ce schéma, il
n’existe aucun problème en termes de séparation des pouvoirs.
Certains rapports nationaux ont indiqué que les juges ont en principe le pouvoir de
substituer leur propre décision à celle initialement prise par les autorités administratives (la
Bulgarie 149 , la Finlande 150 , la Suède 151 , la Lituanie 152 et la Suisse 153 ).
Dans beaucoup d’autres pays, le juge n’a le pouvoir de modifier la décision
administrative initiale que dans un certains nombres de domaines, comme celui des
sanctions administratives par exemple.
148
Rapport national de l’Australie (FR), p. 21 ; (EN), p. 20.
Rapport national de la Bulgarie (FR), p. 14 ; (EN), p. 21.
150
Rapport national de la Finlande (EN), p. 10.
151
Rapport national de la Suède (EN), p. 7.
152
Rapport national de la Lituanie (EN), p. 11.
153
Rapport national de la Suisse (FR), p. 17.
149
52
Le rapport français donne quelques exemples de domaines limités dans lesquels le
juge a le pouvoir de modifier lui-même la décision de l’administration, comme celui de
l’environnement ou celui des recours en matière fiscale. Une distinction existe alors, dans
les recours qui sont exercés, entre ceux dans lesquels seule l’annulation peut être
demandée et ceux dans lesquels le juge est un juge de pleine juridiction. En France, le juge
peut ainsi être conduit à statuer sur des affaires dont l’issue ne conduit pas uniquement à
l’annulation de la décision attaquée ; c’est ce qui est appelé le « plein contentieux », qui
peut être rapproché de la notion d’ « appel » (appeal) dans les pays de Common Law. Dans
le contentieux de l’annulation, il est également possible que l’acte attaqué ne soit annulé
que partiellement, sous réserve que la partie de l’acte entachée d’illégalité soit
« détachable » du reste de l’acte ou de la décision. Dans ces cas, les juges ont ainsi plus de
pouvoir et peuvent modifier la décision attaquée en y substituant une nouvelle décision. Ce
pouvoir de substitution s’applique également dans d’autres domaines, comme les élections
et dans certains contentieux économiques, en matière d’environnement, d’autorisations de
certaines constructions, dans le contentieux des autorités administratives indépendantes,
dans le domaine de l’audiovisuel ou des marchés financiers par exemple 154 .
3.6 Lorsqu’il annule la décision, le juge fait-il toujours produire effet à cette
annulation à la date à laquelle la décision a été prise. Peut-il moduler dans le temps
les effets de l’annulation ?
Dans la majorité des pays qui connaissent un contentieux de l’annulation, cette
dernière, lorsqu’elle est prononcée, s’opère de manière rétroactive ; c’est-à-dire à partir de
la date à laquelle la décision attaquée a initialement été prise. L’effet du jugement est donc
de restaurer la situation qui existait avant l‘intervention de la décision qui a été annulée (le
statu quo ante). L’annulation rétroactive de la décision est une conséquence logique du fait
que si une décision est annulée, elle est réputée n’avoir jamais existé. La question ne se
pose pas, en revanche, ddans les juridictions devant lesquelles l’exercice d’un recours
suspend l’exécution de la décision (Finlande, Allemagne, Autriche, Bulgarie).
En pratique, néanmoins, l’annulation rétroactive d’une décision peut donner lieu à des
difficultés considérables, dans le cas où, par exemple, la décision administrative a créé des
droits pour les parties entre le moment où elle a été prise et le moment où la juridiction en
déclare la nullité.
154
Rapport national de la France (FR), p. 30.
53
En Suisse, l’annulation ne prend effet qu’à compter de la décision de la juridiction. Le
juge ne module par conséquent pas la date de l’annulation pour qu’elle prenne effet de
manière rétroactive. Il existe toutefois certaines exceptions,
conduisent à une intervention du législateur
155
qui, en règle générale,
.
Les problèmes susceptibles de naître du fait du caractère rétroactif de l’annulation des
décisions administratives sont illustrés par plusieurs exemples mentionnés dans les
différents rapports. L’exemple du permis de construire en est un, puisque celui-ci peut, le
cas échéant, être annulé alors même que la construction de l’immeuble a débuté.
Partant, la plupart des rapports nationaux indiquent que les juridictions ont le pouvoir
de moduler les effets des décisions afin d’amoindrir les conséquences défavorables qui
peuvent être occasionnées à certaines personnes du fait de l’invalidation d’une décision.
Les mesures en ce sens peuvent inclure l’octroi d’une indemnisation ou d’un
dédommagement.
En France, par exemple, ce problème a été résolu par une décision du Conseil d’Etat
en 2004. Depuis, les juridictions peuvent prendre en considération de manière plus
approfondie les conséquences du caractère rétroactif des décisions et les préjudices qui
peuvent en résulter, en modulant dans le temps les effets des annulations contentieuses 156 .
Afin de déterminer s’il convient de moduler ou non l’effet rétroactif d’une décision
d’annulation, le juge tient compte de l’importance de l’illégalité qui a été commise et de
l’équilibre entre cette illégalité et les préjudices susceptible de résulter, pour les parties ou
les tiers, du caractère rétroactif de l’annulation. Dans les pays de Common Law, une
démarche similaire est mise en œuvre à l’occasion de l’évaluation par le juge des préjudices
susceptibles de naître du fait des demandes d’injonctions discrétionnaires qui lui sont
formulées. Cette méthode est souvent dénommée celle de l’ « équilibre des intérêts en
présence » (« balance of convenience »).
En Grèce, les juridictions n’ont pas le pouvoir de limiter dans le temps les effets des
décisions de justice.
Ce pouvoir discrétionnaire de moduler la date à laquelle le jugement deviendra effectif
ou d’accorder des mesures compensatoires permet de prévenir ou d’amoindrir le préjudice
résultant des décisions de justice.
155
156
Rapport national de la Suisse (FR), p. 18.
Rapport national de la France (FR), p. 31.
54
3.7 De quels moyens le juge dispose-t-il pour imposer à l’administration l’exécution
d’une décision à laquelle elle ne se conformerait pas spontanément ?
Dans certains pays, tel que cela ressort des rapports nationaux, les juridictions
administratives ne disposent d’aucun pouvoir particulier pour imposer l’exécution des
décisions qu’elles rendent en cas d’échec ou de refus de l’exécution (Finlande 157 ,
Cameroun 158 , Chypre 159 , Côte-d'Ivoire 160 , Nouvelle-Zélande 161 et Suède 162 ). De manière
concrète, néanmoins, il est souligné que les cas dans lesquels les décisions de justice ne
sont pas appliqués sont très rares. En Australie, par exemple, le tribunal d’appels
administratifs n’a aucun moyen direct pour contraindre l’administration à respecter ses
décisions. Les parties qui ne seraient pas satisfaites peuvent néanmoins en appeler à la
Cour fédérale pour faire exécuter la décision. Celle-ci a des pouvoirs importants pour faire
exécuter les décisions du Tribunal, par la voie, notamment, des procédures d’outrage à la
Cour. Dans les pays où le contrôle judiciaire des décisions administratives est exercé par
des tribunaux ordinaires, toutes les mesures d’exécution dont disposent les juridictions
peuvent ainsi être mises en œuvre.
Statistiquement, le rapport français indique que le nombre de recours formés en raison
de l’inexécution par l’administration d’une décision de justice est extrêmement faible. En
2008, par exemple, sur 10 250 affaires enregistrées devant le Conseil d’Etat, seulement 120
demandes d’aide à l’exécution ont été présentées devant cette juridiction, 549 devant les
cours administratives d’appel (pour 27 802 affaires enregistrées) et 1 245 devant les
tribunaux administratifs (pour 176 313 affaires enregistrées) 163 . De plus, ces chiffres
renvoient au nombre de demandes d’aide à l’exécution formées, pas au fait de savoir si
elles étaient toutes justifiées.
Dans la plupart des pays, les juridictions administratives n’assurent pas elles-mêmes
et de leur propre initiative le suivi de l’exécution des décisions de justice qu’elles rendent, ni
ne s’assurent que leurs décisions sont bien suivies d’effet. Elles ne mettent en œuvre ces
pouvoirs qu’à le demande d’une personne qui s’estime lésée par un défaut ou un retard
d’exécution.
157
Rapport national de la Finlande (EN), p. 11.
Rapport national du Cameroun (FR et EN), p. 7.
159
Rapport national de Chypre (EN), p. 17.
160
Rapport national de la Côte d’Ivoire (FR), p. 10.
161
Rapport national de la Nouvelle-Zélande (EN), p. 9.
162
Rapport national de la Suède (EN), p. 8.
163
Rapport national de la France (FR), p. 35.
158
55
Lorsqu’une personne est victime d’un défaut ou retard dans l’exécution d’une décision
de justice, elle peut en général s’adresser aux juridictions afin d’obtenir de celles-ci qu’elles
enjoignent à l’administration de se conformer à ses obligations. En cas de refus, le juge
peut, dans certains cas, convoquer directement la personne responsable de l’organisme
administratif afin qu’elle vienne s’expliquer et pour lui indiquer, le cas échéant, la démarche
à suivre (en Thaïlande par exemple 164 ). Le juge peut également ordonner à l’administration
de se conformer à la décision dans un délai déterminé. En Indonésie, le défaut d’exécution
d’une décision de justice par une partie peut faire l’objet d’une publicité dans les médias
pour le grand public, mais il est indiqué que ces mesures sont onéreuses et relativement
peu efficaces 165 .
Lorsque les procédures d’exécution permettent aux responsables des organismes
administratifs de s’expliquer devant le juge, l’affaire peut parfois se résoudre à l’amiable par
la voie d’une médiation. Si cette dernière échoue, le juge peut alors imposer une astreinte
journalière à l'organisme.
Dans certains cas, lorsqu’une demande d’aide à l’exécution est formée, les juridictions
peuvent nommer un représentant qui agit en lieu et place de l’administration et peut
procéder à toutes les diligences nécessaires à l’exécution de la décision de justice (tel est le
cas en Italie 166 et au Luxembourg 167 par exemple). En Espagne, depuis 1998, les juridictions
ont reçu une compétence spécifique pour assurer elle-même le contrôle de l’exécution des
décisions qu’elles rendent 168 . Dans certains cas particuliers, au Portugal, le juge peut
décider en lieu et place de l’administration et prendre lui-même une décision qui a pour effet
de remplacer celle entachée d’illégalité 169 .
Dans certains pays, il est possible de poursuivre l’administration en dommages et
intérêts devant les tribunaux civils lorsque celle-ci n’a pas exécuté une décision de justice.
En Indonésie, un système très élaboré a été mis en place pour assurer l’exécution des
décisions de justice 170 . En Algérie, lorsqu’un fonctionnaire ne se conforme pas à une
décision de justice, il peut, dans certains cas extrêmes, faire l’objet d’une peine
164
Rapport national de la Thaïlande (FR), p. 63 ; (EN), p. 86.
Rapport national de l’Indonésie (EN), p. 27.
166
Rapport national de l’Italie (FR), p. 10 ; (EN), p.9.
167
Rapport national du Luxembourg (FR), p. 9.
168
Rapport national de l’Espagne (FR et EN), p. 16.
169
Rapport national du Portugal (FR), p. 27 ; (EN), p. 22.
170
Rapport national de l’Indonésie (EN), p. 26 et sq.
165
56
d’emprisonnement de six mois à trois ans, assortie de l’obligation de s’acquitter d’une forte
amende 171 .
En Bulgarie et dans de nombreux autres pays, lorsque la décision de justice implique
le versement d’une somme d’argent, ce versement peut être exécuté d’office par un huissier
de justice ou un agent du tribunal. Si ces procédures échouent, un recours peut être formé
devant la juridiction contre le refus d’exécution, dans un délai de sept jours après que
l’administration a été informée de ces mesures 172 .
A l’inverse, en Suède, les juridictions ne peuvent prendre des mesures directes pour
assurer l’exécution de leurs décisions mais, dans certaines circonstances –lorsque le refus
d’exécution émane d’une municipalité- les tribunaux du comté peuvent imposer le paiement
d’une amende ou de frais spéciaux 173 .
Conclusion
Cet aperçu général des rapports nationaux met en évidence, à bien des égards, l’existence
de similitudes entre les différentes approches adoptées par les juridictions nationales pour
résoudre des questions pratiques communes, qui tiennent à la détermination du champ des
litiges qui leurs sont soumis et à l’exigence d’une résolution juste et dans un délai
raisonnable des contentieux portées devant elles.
L’objectif de ce rapport est de stimuler
le dialogue et de soulever des interrogations ouvrant la voie à d’autres discussions et
d’autres travaux. Avec l’examen approfondi, pendant les séances des comités, des
pratiques et exemples nationaux, nous aurons la chance unique de pouvoir apprécier dans
leur globalité les ressemblances et les différences entre nos juridictions sur les sujets qui
viennent d’être évoqués. Nous pourrons alors tirer de tous les éléments que nous avons de
substantielles conclusions, ce qui sera le point le plus culminant du 10ème Congrès de
l’AIHJA.
L'Honorable Brian Tamberlin QC
Vice‐président
Tribunal des appels administratifs d’Australie Avec l’assistance inestimable de M. Timothée Paris du Conseil d'État, France
171
Rapport national de l’Algérie (FR), p. 11
Rapport national de la Bulgarie (FR), p. 15 ; (EN), p. 22.
173
Rapport national de la Suède (EN), p. 8.
172
57