Mr President, distinguished guests, ladies and gentlemen
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Mr President, distinguished guests, ladies and gentlemen
RAPPORT GÉNÉRAL L'honorable Brian Tamberlin QC Vice-président Tribunal d’appels administratifs d’Australie Monsieur le Président, distingués invités, Mesdames et Messieurs, Je tiens tout d’abord à vous souhaiter chaleureusement la bienvenue à Sydney, pour e ce 10 congrès de l’Association Internationale des hautes juridictions administratives, dont je ne doute pas qu’il sera pour nous tous une source d’enrichissement, à la fois sur le plan personnel et sur le plan professionnel. Je tiens plus particulièrement à remercier chacun des auteurs des rapports nationaux. Je leur sais gré du travail considérable de recherche et de réflexion qu’ils ont accompli en préparant ces documents consacrés aux trois thèmes du congrès et souhaite, ce faisant, rendre publiquement hommage à ce travail, dont le résultat est à la mesure de toutes les espérances. J'ai examiné de manière approfondie les rapports élaborés par plus de 40 pays, qui répondent de manière détaillée au questionnaire que nous leur avons adressé. Ces réponses, qui viennent de tous les continents, abordent en profondeur les trois thèmes retenus pour ce congrès. Ces rapports constituent une source d’information d’une richesse considérable, à même de stimuler la comparaison et le débat entre les différents systèmes juridictionnels aujourd’hui représentés, sur ces trois thèmes qui sont au cœur du contrôle de l’administration par le juge. Les trois thèmes choisis pour notre 10e Congrès et les questions qu'ils posent sont les suivants : • Le domaine de compétence du juge : Ce thème permet d’aborder les questions relatives à la compétence des juridictions en charge du contrôle de l’administration, celles relatives à la nature des décisions pouvant faire l’objet d’un contrôle, mais aussi de mettre en évidence les matières et décisions qui ne peuvent faire l’objet d’aucun contrôle ; • La procédure: Ce thème permet d’aborder et de comparer les méthodes utilisées par les juridictions pour exercer un contrôle sur les différents actes administratifs (décisions, règlements…) ; 2 • Les pouvoirs du juge - Ce thème permet d’aborder les effets des décisions et jugements que nous rendons, mais aussi la manière dont nous concevons les actes administratifs sur lesquels nous exerçons un contrôle, les différentes catégories de recours dont nous pouvons être saisis, la manière dont nous pouvons -ou nonmodifier une décision administrative et comment nous nous assurons de l’exécution des décisions de justice que nous rendons – en particulier lorsque cette exécution se heurte à un refus ou une opposition des autorités administratives et exécutives. Les Rapports nationaux permettent, par leur diversité, de prendre la mesure du cadre juridique et administratif – qu’il soit issu de droit écrit ou de la jurisprudence- applicable aux deux grands systèmes juridiques, celui de droit « continental » ou « civil law » et celui de droit anglo-saxon ou « common law ». Ce rapport général a vocation à donner un aperçu des réponses apportées par les délégués au questionnaire qui leur a été adressé. Son but n’est pas de recenser l’ensemble des particularités et spécificités propres à chaque système juridictionnel national. Celles-ci pourront faire l’objet d’un examen plus approfondi à l’occasion des séances des comités. Les trois thèmes du congrès ont été divisés en plusieurs sous –catégories. Je me propose, dans ce rapport, d’établir la synthèse des différentes approches qui ressortent des différentes réponses apportées au questionnaire. 1. Le domaine de compétence du juge 1.1. Quels sont les types d’actes contrôlés (réglementaires/individuels) ? Cette question renvoie au champ des actes administratifs susceptibles d’être contrôlés ou annulés par les juridictions statuant en matière administrative. Elle conduit à deux rubriques différentes : 1.1.1 La nature des actes susceptibles d’être contrôlés ou annulés. 1.1.2 La forme et les effets de ces actes 1.1.1 La nature des actes susceptibles d’être contrôlés ou annulés. Les décisions unilatérales 3 Ce point renvoie au fait de savoir si le contrôle du juge s’étend aux actes réglementaires, c’est-à-dire aux actes qui s’appliquent de manière générale et impersonnelle, sans viser aucune personne de manière nominative, ou si ce contrôle ne s’étend qu’aux décisions individuelles, c’est-à-dire aux actes qui visent de manière particulière une ou plusieurs personnes. Ce point – tel que cela ressort des rapports nationaux- renvoie également à la distinction entre les actes administratifs unilatéraux, qui sont l’expression de pouvoirs spécifiques dévolus à l’administration sur les personnes privées, et les actes administratifs impliquant une certaine forme de réciprocité. Les actes unilatéraux comprennent les actes réglementaires, telle une réglementation limitant la vitesse des véhicules dans les zones urbaines ou interdisant la vente de boissons alcoolisées pendant certains jours de célébration et à certains endroits. Les actes administratifs peuvent en principe faire l’objet d’une contestation devant les juridictions statuant en matière administrative, sous réserve toutefois qu’un recours soit formé, les juridictions ne pouvant se saisir de leur propre initiative du contrôle de la légalité des actes administratifs. Les exemples d’actes réglementaires auxquels se réfèrent les rapports sont nombreux : « décrets », « règles », « règlements », « législations », « ordonnances », « codes », « plans d'aménagement », « plan environnemental », « listes tarifaires » ou « directives générales ». Quant aux décisions individuelles, les rapports nationaux évoquent comme exemples le refus d'une demande d'approbation, l'incapacité à faire face à une demande, une décision d'exproprier un bien déterminés, ou encore une décision de ne pas se conformer à une obligation. La plupart des juridictions sont compétentes pour exercer un contrôle juridictionnel sur les actes généraux et impersonnels de nature réglementaire – ce qui exclut les actes de nature législative. Dans certains pays, cependant, les juridictions administratives ne sont pas compétentes pour annuler des actes réglementaires. Tel est le cas, par exemple, en Chine 1 et aux Pays-Bas, où la loi sur la procédure administrative exclut toute compétence des juridictions pour statuer sur les règlements administratifs unilatéraux pris par les organismes administratifs 2 . En Slovaquie, seuls les actes unilatéraux généraux et impersonnels édictés par les collectivités territoriales peuvent être contestés devant les 1 Rapport national de la République populaire de Chine (EN), p. 3, “Article 12 of APL also provides that the people’s courts shall not accept the suits against the following 4 kinds of government decisions : […] (2) administrative rules and regulations with general binding force formulated and announced by administrative organs”. 2 Rapport national des Pays-Bas (EN), p.9 et 12. 4 juridictions administratives 3 . En Autriche, seule la Cour constitutionnelle est compétente pour annuler les actes réglementaires pris par l'État fédéral et les Länder 4 . Dans la plupart de ces cas, cependant, les rapports soulignent que les actes administratifs généraux et impersonnels peuvent être contestés par le biais d’un recours « indirect », également qualifié de recours « par voie d’exception ». Ce « contrôle indirect » existe également dans de nombreux autres pays (en Australie, en Chine et en France par exemple). La notion de «contrôle indirect» signifie que l’acte administratif réglementaire peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel à l’occasion de la contestation d’une décision individuelle prise pour son application. Dans le domaine de l'urbanisme, par exemple, lorsqu’une décision refusant une demande de lotissement ou une autorisation de construire est contestée, la juridiction peut contrôler la validité du schéma réglementaire sur le fondement duquel cette décision a été prise. L’acte administratif général (le plan d’occupation des sols d’une ville par exemple) est ainsi contesté de manière indirecte, par opposition à une contestation par la voie d’une action directe, qui tendrait à l’annulation de cet acte, notamment avant toute édiction d’une décision individuelle sur son fondement. En dehors des exemples précédemment mentionnés, la plupart des rapports nationaux évoquent la possibilité de contester l’ensemble des actes administratifs, généraux et impersonnels ou individuels, de manière directe ou indirecte. Le rapport national de l’Allemagne, par exemple, indique que les juridictions administratives sont compétentes pour statuer sur l’ensemble des recours en matière administrative, à l’exception de ceux qui relèvent exclusivement du droit constitutionnel 5 . Les contrats S’agissant du contrôle des contrats conclus par les autorités administratives les rapports mettent en évidence de grandes différences de pratique entre les pays. Dans certains cas, le contrôle de ces contrats relève des juridictions civiles, en raison du caractère « mutuel » de l’acte contractuel ce, quel que soit le contenu du contrat (y compris s’il crée une relation fondée sur un régime de droit public). Tel est le cas, par exemple, en Belgique 6 , au Luxembourg 7 ou au Sénégal 8 . En d'autres termes, dans ces pays, les 3 Rapport national de la Slovaquie (FR, EN), p. 3. Rapport national de l’Autriche (FR, EN), p. 4. 5 Rapport national de l’Allemagne (EN), p. 3, « Article 40 of the Administrative Court Act (VwGO) states that the administrative courts are competent to decide all litigation arising from questions of public law except purely constitutional matters”. 6 Rapport national de la Belgique (FR), p. 3, « Le Conseil d'État s'est déclaré incompétent pour annuler des contrats conclus entre une autorité administrative et une personne privée estimant que ces actes juridiques ne sont pas unilatéraux (CE, n° 15.910, 8 juin 1973 et n° 15.939, 26 juin 1973) » ; (EN), p.2. 4 5 juridictions administratives ne sont compétentes que pour annuler des décisions unilatérales. En revanche, dans ces pays, de même que dans de nombreux autres, les juridictions administratives considèrent qu’un certain nombre d’actes unilatéraux peuvent être regardés comme détachables (séparables) du contrat et faire ainsi l’objet d’un contrôle par ces juridictions, le contentieux de l’acte contractuel lui-même restant de la compétence des juridictions civiles ou, plus généralement, du juge du contrat. Par exemple, dans le cas d’un contrat conclu entre une autorité publique et une société privée exploitant une autoroute, les clauses du contrat fixant les tarifs de péage de l’autoroute pour les usagers pourront être regardées comme un acte détachable, susceptible d’être contesté devant les juridictions administratives par un utilisateur de l’autoroute. Le contentieux des autres stipulations du contrat relève, lui, de la compétence d’un juge différent. 1.1.2 La forme et les effets de l’acte administratif La forme Les rapports soulignent l’appréciation peu formaliste de la notion d’acte administratif pouvant faire l’objet d’un contrôle. A titre d'exemple, les décisions administratives peuvent tout aussi bien être contenues dans un document, telle une instruction écrite, une circulaire ou un communiqué – y compris un communiqué de presse- ou être purement verbales, voire résulter d’un agissement de l’administration, comme la démolition d'un bâtiment, la saisie de biens ou une privation de liberté. En général, les juridictions administratives n’attachent d’importance, en ce qui concerne la possibilité d’exercer un contrôle juridictionnel, qu’au contenu et aux effets de l’acte et elles ne s’arrêtent pas à la forme de cet acte. Peu de rapports nationaux ont indiqué que l’exercice du recours était subordonné à des conditions tenant à la forme de l’acte ou à la procédure de notification. En France, par exemple, des décisions orales peuvent être contestées devant le juge 9 . En Belgique, l’acte administratif attaqué devant les juridictions administratives peut être exprès ou implicite, oral ou écrit 10 . Au Pays-Bas, en revanche, les décisions orales ne peuvent en principe faire l’objet d’aucun contrôle 11 . 7 Rapport national du Luxembourg, p. 3. Rapport national du Sénégal (FR), p. 2 ; (EN), p. 1. 9 Rapport national de la France (FR), p. 1. 10 Rapport national de la Belgique (FR), p. 3 ; (EN), p. 2. 11 Rapport national des Pays-Bas (EN), p. 5. 8 6 Les effets Le principal critère qui détermine la possibilité d’exercer un recours contre les actes administratifs, tel que cela ressort des rapports nationaux, est le «caractère exécutoire de ces actes » 12 qui repose sur les effets de l’acte sur la situation personnelle des citoyens. En d'autres termes une décision administrative ne peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel que si elle a des «conséquences juridiques» 13 (Pays-Bas), ce qui exclut les mesures préparatoires et les décisions de nature consultative ou confirmative. L’élaboration d’un acte administratif peut ainsi impliquer, parfois, un certain nombre de choix ou d’orientations préalables, de même que des procédures préliminaires, internes à l’administration. Dans ce cas, seule la décision finale, celle ayant des effets juridiques, pourra être contestée devant le juge, même si les étapes procédurales antérieures ont conduit à des choix ou des orientations. Ces dernières n’ont, en elles-mêmes, aucune force juridique. La question peut également se poser, de savoir si la décision contestée présente un degré suffisant de finalisation pour pouvoir faire l’objet d’un recours contentieux. Ce concept est très important pour le tribunal d’appels administratif d’Australie, par exemple, mais aussi pour la Cour fédérale, devant lesquels le contrôle s’exerce sur des «décisions» administratives. Il est alors essentiel de déterminer si l’acte administratif a atteint un degré de finalisation suffisant pour produire des effets juridiques : Dans certains cas (en France, par exemple), la juridiction administrative peut exercer un contrôle sur la légalité d’un acte administratif alors même que celui-ci n’a encore reçu aucune conséquence concrète. Cette possibilité d’exercer un recours en l’absence de toute exécution de l’acte illustre l’intensité du contrôle juridictionnel exercé sur l’administration dans ce pays. L’exercice du contrôle juridictionnel peut également être subordonné à des nécessités pratiques, à un certain degré d’urgence et au caractère sérieux des conséquences que peut avoir l’acte administratif. En Australie, dans deux affaires récentes, la Cour fédérale a considéré qu’en raison de l’urgence, la légalité d'une série de réglementations bancaires fédérales portant sur les frais interbancaires -en relation avec les cartes de crédit (Visa et Mastercard)- pouvait être contestée avant même l’entrée en vigueur de cette réglementation. Cette dernière a ainsi pu être contestée par la voie du « judicial review », au motif qu’elle était entachée d’excès de pouvoir (ultra vires) et était manifestement déraisonnable (manifestly unreasonable). 12 13 Rapport national de Chypre (EN), p. 2. Rapport national des Pays-Bas (EN), p. 4. 7 L’exercice du recours a été autorisée en raison de la nécessité dans laquelle se trouvaient les sociétés bancaires d’être fixées rapidement sur la légalité de cette réglementation, avant même que celle-ci n’entre en vigueur. La Cour a considéré qu’elle était compétente pour exercer un contrôle sur cet acte et a confirmé sa légalité. En Corée, certaines circulaires internes à l’administration prévoient que les dispositions qui seront adoptées à l’avenir dans certaines matières devront avoir pour référence des dispositions déjà abrogées, soit comme préalable soit pour les aggraver. Dès lors que ces circulaires, pourtant purement internes à l’administration sont susceptibles de fonder l’action des autorités administratives, une jurisprudence de la Cour suprême a admis la possibilité d’exercer un recours pour demander le retrait de dispositions qui ne sont plus en vigueur 14 . Ce type de contrôle est analogue mais pas identique à la possibilité d'un contrôle de «décisions non matérialisées» auxquelles se réfèrent certains des rapports établis par des pays de droit continental (« civil law »). Dans tous les cas, l'inaction de l’administration ou le défaut de prise de décision n’excluent pas l’exercice d’un recours juridictionnel devant les tribunaux. Le défaut d’exécution d’une obligation, l’absence d’exercice d’une fonction ou de prise de décision dans un délai déterminé sont traités comme des décisions de rejet pouvant être contestée devant le juge. 1.2. Quels sont les critères de la compétence du juge chargé de contrôler l’administration ? Y-a-t-il des actes du pouvoir exécutif ou des autorités publiques qui, en raison de leur nature ou de leur objet, échappent à tout contrôle juridictionnel ? La réponse à ces questions peut être répartie en trois thèmes : 1.2.1 Les critères de compétence 1.2.2 Les domaines de compétence 1.2.3 Les exclusions de compétence 14 Rapport national de la Corée (EN), p. 13. 8 1.2.1 Les critères de compétence La compétence des juridictions en charge du contrôle de l’administration se définit le plus souvent en excluant les questions relatives au droit privé ou pénal ou les questions de constitutionnalité. Dans certains pays, les questions de constitutionnalité sont soumises à une Cour constitutionnelle particulière qui, par la voie d’une question préjudicielle, examinera la question de manière indépendante. Tel est le cas en France –lorsque c’est la constitutionnalité de la loi (statute law) qui est contestée- et en Allemagne, mais aussi en Algérie, au Bénin, Burkina Faso et au Luxembourg. Une fois la question de constitutionnalité résolue, l’affaire est renvoyée devant la juridiction administrative. Lorsque des questions de droit privé ou pénal sont en cause, celles-ci relèvent de la compétence exclusive des tribunaux judiciaires. Certains contentieux peuvent soulever à la fois des questions de droit privé et de droit public ou peuvent susciter une difficulté quant au fait de savoir lequel des deux ordres de juridiction –civil ou administratif- est compétent pour en connaître. Dans un tel cas se pose alors la question de savoir si le contentieux pourra faire l’objet de jugements séparés devant chacun des ordres de juridiction, ou celle de savoir lequel d’entre eux sera compétent à titre exclusif. Dans certains pays, comme en France, une juridiction spécifique est chargée de régler les difficultés qui se présentent dans la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction. Ces difficultés peuvent également être résolues par des dispositions législatives attribuant la compétence exclusive d’un ordre de juridiction ou d’un autre sur un domaine déterminé. Dans la plupart des cas, les rapports soulignent que les questions administratives concernant les pouvoirs judiciaire et législatif ne relèvent pas de la compétence des juridictions administratives. Dans les pays de Common Law (le Royaume-Uni, l'Australie, le Canada ou les États-Unis), les conflits de compétence en matière administrative sont plutôt rares. Dans ces pays, le contrôle judiciaire sur les actes administratifs peut être exercé soit de manière définitive par la plus haute Cour judiciaire soit par un tribunal qui en est distinct. Dans ces cas, les Cours suprêmes ont alors le dernier mot sur les questions de droit et les tribunaux tranchent, eux, les questions de fait ou décident au fond des mérites du recours qui a été formé. Quatre critères principaux apparaissent pertinents pour déterminer la nature administrative d’un contentieux. Le premier, qui est présenté comme le plus important - mais est souvent combiné avec un ou deux autres critères - est celui de l'existence d'une «relation juridique 9 administrative», expression employée dans le rapport du Portugal 15 , notion qui renvoie au régime administratif – public- de l’acte et à l'application de normes juridiques relevant du droit public. En d’autres termes, «seuls les actes, les décisions ou l’absence de décision qui procèdent de l’exercice de leurs compétences par les autorités exécutives ou administratives dans un régime de droit public, et non de droit privé, sont susceptibles de faire l’objet d’un recours » devant la juridiction administrative 16 . Ce critère, qui s’attache à la nature administrative de l’acte, est désigné par de nombreuses appellations différentes dans les rapports, comme celle de «décisions administratives publiques», de «décisions rendues dans l'exercice d'un pouvoir public», de «décisions de l'exécutif», de «décisions gouvernementales», d’«actes pris dans le cadre de l’exécution d'un service public» ou d’«actes pris dans l’exercice de prérogatives de puissance publique » par exemple. En Nouvelle-Zélande, pays de Common Law qui connaît un système de contrôle des actes administratifs devant une cour judiciaire, les critères qui déterminent la nature des décisions pouvant être soumises à un contrôle judiciaire tiennent à l'exercice d'un pouvoir législatif (statutory power) ou d’un pouvoir législatif décisionnel (statutory power of decision) 17 . Ces expressions sont définies de manière plus détaillée dans la législation de Nouvelle-Zélande. Dans ce pays, de manière générale, tout exercice d’un « pouvoir législatif » qui a des « conséquences publiques » peut faire l’objet d’un contrôle devant une juridiction. Les concepts clés sont ceux de «pouvoir législatif» et de «conséquences publiques». Le caractère public de l’acte – dont découle la compétence des juridictions administratives- procède ainsi généralement du lien entre cet acte et une activité de service public ou du fait qu’il est une manifestation de prérogatives de puissance publique. Ce caractère public peut également découler du fait de savoir si l’acte résulte de l’exercice d'un pouvoir public ou législatif, ou au contraire d’une action ou décision privée. Les actes ayant une nature publique s’opposent aux actes de nature privée qui, eux, font l'objet d'un contentieux auprès des juridictions judiciaires ou de tribunaux spécialisés. Dans bien des cas, l'organisation du service public est un exemple classique de critère qui permet de déterminer la compétence des juridictions administratives. Lorsqu'un contrat est conclu avec une personne privée dans le cadre d’un service public les décisions de ce service public peuvent alors être contestées. Dans certains cas, la nature du service public peut également entrer en ligne de compte. Certains services publics ne sont en effet pas considérés comme ayant un caractère « administratif ». Le contentieux ayant trait à l’exécution de ce service relève alors soit d’organismes spécialisés, soit des juridictions de 15 Rapport national du Portugal (FR et EN), p. 2 ; Rapport national de Chypre (EN), p. 2. 17 Rapport national de la Nouvelle-Zélande (EN), p. 2. 16 10 droit commun. Ainsi dans certains pays -comme la France, le Liban ou le Niger-, les actes relatifs à l’exécution des services publics industriels et commerciaux ne relèvent pas de la compétence des juridictions administratives, alors même que ces actes ont une nature publique ou gouvernementale ou procèdent de l’exercice de prérogatives de puissance publique. Le raisonnement sous-jacent qui explique l’incompétence des juridictions administratives pour connaître des recours formés contre les actes pris pour l’exécution des service publics industriels et commerciaux est que ces services entrent directement en concurrence avec des entreprises privées, sur des marchés concurrentiels, et que leur compétitivité ne doit pas être gênée ou restreinte par leur soumission à des règles de droit administratif, ou, surtout, que la protection que leur accorde les règles du droit administratif puissent conduire les organismes en charge de ces services publics à fausser la concurrence sur ces marchés. Dans certains pays, par exemple l'Algérie, le contentieux de certaines matières qui relèveraient normalement du droit administratif a été confié exclusivement à la juridiction civile. Il s'agit notamment des litiges relatifs aux contraventions de voirie et des actions en responsabilité tendant à la réparation de dommages causés par les véhicules appartenant à l'administration 18 . La Suisse exclut également du recours de droit public au Tribunal fédéral les décisions en matière de circulation routière qui concernent la réception par type de véhicules 19 . Dans certains cas, les contentieux relatifs aux impôts et taxes ou aux marchés publics ne relèvent également pas de la compétence des juridictions administratives. Le deuxième critère auquel de nombreux rapports se réfèrent, est celui de l'identité ou de la nature de la personne auteur de l’acte attaqué ou impliquée dans le contentieux - le plus souvent en tant que défendeur. Ainsi, le fait qu’un organisme public ou une autorité publique soit partie à la procédure, ou le fait que cet organisme utilise des fonds publics sont souvent considérés comme des critères de compétence de la juridiction administrative. En Thaïlande par exemple, la compétence des juridictions administratives repose à la fois sur la nature du litige et sur l'identité du défendeur qui doit être un organisme «administratif», c’est-à-dire un ministère, un sous-ministère, un département ministériel, une agence gouvernementale, une administration provinciale ou locale, une entreprise d'État créé par une loi ou un décret royal ou tout autre organisme d'État 20 . D’autres rapports soulignent que la décision contestée doit avoir été édictée par une personne morale de droit public, tels 18 Rapport national de l’Algérie (FR), p. 3. Rapport national de la Suisse (FR), p. 2 et 3. 20 Rapport national de la Thaïlande (EN), p. 17. 19 11 que l’Etat, une commune, des autorités régionales ou une municipalité. L’un des rapports mentionne comme critère de compétence le fait que l’acte administratif doit être un « acte légal, ayant des conséquences juridiques, édicté dans l’exercice d’une fonction publique ». Dans certains cas, la nature publique de l’autorité à l’origine de l’acte attaqué est considérée comme concluante pour définir la compétence de la juridiction administrative. Tel est le cas, par exemple en Algérie 21 et en Colombie 22 . De manière générale, toutefois, ce critère n’apparaît pas déterminant : de nombreux rapports indiquent que le contentieux afférent à des personnes privées, en particulier des personnes morales – telles des associations- peut relever de la juridiction administrative dès lors qu’elles exercent des prérogatives de puissance publique ou des fonctions publiques. L’objet de l’acte ou des stipulations contractuelles s’avère également un critère retenu par les juridictions pour déterminer leur compétence. Au Kenya, par exemple, lorsque des pouvoirs législatifs sont conférés à des personnes privées qui ne tirent pas leur pouvoir de la loi, ces pouvoirs peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire (judicial review) 23 . Mutatis mutandis, tel est le cas également en France et dans de nombreux autres pays. Les troisième et quatrième critères qui déterminent la compétence de la juridiction statuant en matière administrative s’appliquent essentiellement dans les pays de Common law. La nature administrative du recours y est déterminée par les règles sur lesquelles la décision faisant l’objet du recours est fondée, qui doivent être des règles de droit administratif – de droit public-, comme celles tenant à l’obligation de suivre une procédure équitable, à l’interdiction de l’excès de pouvoir (ultra vires), ou encore celles limitant le pouvoir discrétionnaire de l’administration, autant de règles dont l’application est déterminée en fonction des dispositions qui fondent la décision et du contexte, et qui distinguent le droit public du droit privé. Le rapport du Canada, par exemple, indique que le fait de savoir si une décision d’une autorité publique ou de l’exécutif ne dépend pas tant de la nature ou de la substance de la décision, mais bien plutôt de la législation dont procède cette décision et de la nature des droits constitutionnels mis en jeu par cette législation 24 . Par ailleurs, la nature du recours (remedy) détermine souvent la compétence juridictionnelle – et le caractère administratif de la procédure-. Tel est le cas lorsqu’est demandée au juge la délivrance d’une ordonnance « in the nature of a prerogative writ ». 21 Rapport national de l’Algérie (FR), p. 3 : « le législateur algérien a opté pour la simplicité et la facilité, il a fondé la compétence du juge administratif sur le critère organique, la juridiction administrative est compétente dès lors que l'une des parties est l'Etat, la wilaya ( collectivité territoriale équivalent au département en France), la commune ou un établissement public à caractère ad ministratif. 22 Rapport national de la Colombie (FR), section 12, p. 32. 23 Rapport national du Kenya (EN), p. 3. 24 Rapport national du Canada (EN), p. 2 ; (FR), p. 3. 12 Dans ce cas, la Cour doit être convaincue qu’un comité, une commission ou un tribunal a agi en dehors de sa compétence ou n’a pas exercé la plénitude de cette compétence, qu’il n’a pas respecté une règle de droit naturel ou d’équité procédurale que le droit lui imposait d’observer, qu’il a commis une erreur dans le droit applicable, y compris si cette erreur ne ressortait pas des pièces du dossier qui lui étaient soumis, que cet organisme ait fondé sa décision sur des faits erronés, sans tenir compte des éléments qui lui étaient présentés, de manière arbitraire, ou qu’il ait agi par fraude, sans raison ou qu’il n’ait pas respecté le droit, de quelque manière que ce soit. Dans certains pays, c’est la substance du droit demandé qui détermine la compétence de la juridiction administrative : ainsi, lorsque est demandée au juge la reconnaissance d’un droit purement subjectif, comme l’indemnisation d’un préjudice causé par un organisme public, l’affaire ne relève pas de la compétence des juridictions statuant en matière administrative – la solution est inverse si c’est l’annulation de la décision qui est demandée. Tel est le cas par exemple en Belgique 25 et en Indonésie. En Italie, selon la Cour constitutionnelle, la loi ne peut donner compétence au juge administratif en matière de droits subjectifs que s’ils relèvent d’une situation dans laquelle l’administration agit comme une autorité 26 . Au Luxembourg, la nature administrative de l’autorité auteur de la décision est une condition préalable de la compétence de la juridiction administrative. Cette condition n’est toutefois pas suffisante. Il faut également que la décision porte sur un droit objectif (concept qui désigne l’ensemble des règles de droit applicables dans un territoire ou à un ensemble de situations indéterminées), qui forme le cœur du contentieux, ou sur un droit subjectif politique. En revanche, les décisions émanant d’une autorité administrative ne relèvent pas de la compétence des juridictions administratives lorsqu’elles portent sur un droit subjectif civil 27 . Dans une affaire récente, en Australie (l’affaire Hicks), la Cour fédérale a considéré que pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire –judicial review- et d’une demande en ordonnance d’habeas corpus, le refus implicite du ministre de l’immigration et de la citoyenneté de solliciter du gouvernement des Etats-unis le rapatriement, afin d’être jugé, d’un ressortissant australien détenu à Guantanamo, David Hicks, à qui avait été refusé le droit à un procès aux Etats-unis. Le ministre avait indiqué qu’une telle demande de rapatriement pourrait éventuellement aboutir, mais avait refusé de l’adresser effectivement. La question soulevée par cette affaire était celle de savoir si, en tant que citoyen australien, 25 Rapport national de la Belgique (FR), p. 3 ; (EN), p.2. Rapport national de l’Italie (FR), p. 2 ; (EN), p. 3. 27 Rapport national du Luxembourg (FR), p. 1 et 2. 26 13 M. Hicks disposait d’un droit à ce que le gouvernement australien assure sa protection et prenne les mesures nécessaires pour que son incarcération ne se prolonge pas à Guantanamo où il était détenu depuis 5 ans. Des affaires analogues ont eu lieu au Royaume-Uni : affaires Abbasi (2003) et Al Rawi (2007). Dans ces affaires, les tribunaux ont néanmoins estimé que la décision du ministre n’était pas susceptible de recours. Sur cette première question, les rapports nationaux mettent en évidence le large éventail des domaines de compétence des cours statuant en matière administrative et des possibilités de recours devant elles. La compétence de ces juridictions est essentiellement déterminée par le fait que l’acte contesté ou la règle de droit utilisée relèvent du droit public, soient en relation avec des prérogatives de puissance publique ou en lien avec l’organisation ou l’exécution d’un service public, ou que la règle ou l’acte aient été édictées dans la réalisation d’un intérêt public. Il n’est en revanche pas déterminant que l’acte ou la décision émane d’un organisme public ou privé. 1.2.2 Domaines de compétence Les rapports mentionnent de nombreux exemples de domaines dans lesquels des recours en matière administrative sont exercés. Certains rapports mentionnent ainsi les décisions relatives à l'exercice direct de prérogatives de puissance publique ou de contraintes envers les particuliers (y compris les arrestations de personnes par la police, en Autriche 28 ). De nombreux rapports font également référence au domaine de l’emploi public ou de la fonction publique. En Belgique, le tribunal administratif est compétent pour examiner les recours formés contre les actes relatifs aux membres du personnel des assemblées législatives ou de leurs organes -y compris les médiateurs-, de la Cour des Comptes, de la Cour Constitutionnelle, du Conseil d'État et des juridictions administratives, ainsi que des organes du pouvoir judiciaire et du Conseil supérieur de la Justice 29 . La juridiction administrative française est compétente pour connaître des recours formés contre les décisions individuelles relatives à la situation individuelle des juges judiciaires -juges civils et pénaux- et contre les règles d’organisation du service public de la justice. Cette compétence des juridictions statuant en matière administrative à l’égard de l’emploi public peut néanmoins être variable et dépendre de la nature, publique ou non, de la relation entre l'organisme public et son employé. Au Kenya, par exemple, les litiges ayant trait à la situation d’agents employés par contrat par des organismes publics relèvent du droit privé. 28 29 Rapport national de l’Autriche (FR et EN), p. 4. Rapport national de la Belgique (FR), p. 2 ; (EN), p. 1. 14 Le fait que l'employeur soit un organisme public ou que l’activité de l’employé implique la réalisation de tâches d’intérêt public ne suffit pas à donner un caractère administratif au litige 30 . Beaucoup d’autres domaines sont mentionnés dans les rapports : la santé publique, l’environnement, l’urbanisme, l’aménagement du territoire, le patrimoine culturel, les services publics, la promotion, l’indemnisation pour l'acquisition de terres par le gouvernement, la liberté d'information et la prise en charge d’enfants ou de drogués adultes ainsi que les soins psychiatriques (Suède 31 ). Parmi ces questions, les élections locales sont également souvent mentionnées (Cameroun 32 , France 33 ), mais elles sont parfois expressément exclues. 1.2.3 Exclusions de compétence Dans tous les pays, des législations spécifiques peuvent conduire à autoriser, limiter ou exclure le droit au recours en matière administratives. Une loi relative à l'extradition, par exemple, peut exclure tout recours à l’encontre des décisions administratives sollicitant des renseignements en provenance d’autres pays. Il est intéressant de relever que la quasi-totalité des rapports font état du fait que certaines décisions, qui pourraient être considérées comme des décisions administratives, ne peuvent néanmoins faire l’objet d’aucun recours. Cette solution résulte le plus souvent de dispositions législatives particulières, mais elle peut également avoir été déterminée par la jurisprudence. Seuls deux rapports nationaux mentionnent que, dans leur système juridictionnel, aucune décision de l’exécutif ou des autorités publiques n’est susceptible d’échapper à l’exercice d’un recours en raison de la nature ou de la substance de cette décision. Il s’agit de l’Autriche 34 et de la Colombie 35 . Les autres rapports mentionnent principalement quatre cas dans lesquels des décisions administratives ne peuvent faire l’objet d’aucun recours. 30 Rapport national du Kenya (EN), p. 14. Rapport national de la Suède (EN), p. 1. 32 Rapport national du Cameroun (FR et EN), p. 1. 33 Rapport national de la France (FR), p. 30. 34 Rapport national de l’Autriche (FR), p. 4 : « Dans le cadre des compétences des chambres administratives indépendantes et de la Cour administrative, il n’y a pas d’actes émanant du pouvoir exécutif ou des autorités publiques, qui, en raison de leur nature ou de leur objet, échappent au contrôle juridictionnel » ; (EN), p. 5 : « Within the competence of the Independent Administrative Tribunals and the Administrative Court, there are no rulings of the Executive or public authorities which cannot be submitted to review by reason of the nature or the substance of such decisions ». 35 Rapport national de la Colombie (FR), section 12, p. 32 : « En Colombie, il n’existe aucun acte du pouvoir exécutif ou des autorités publiques qui, en raison de leur nature ou de leur objet, échappe à tout contrôle juridictionnel ». 31 15 Le premier est celui des décisions prises par des autorités publiques dans des domaines considérés comme étant politiques et non administratifs. Le rapport de l’Egypte justifie cette exclusion de compétence en raison du principe de la séparation des pouvoirs 36 . La nature des décisions relevant du domaine politique peut varier selon les pays. Ont été principalement mentionnées : • les décisions relatives à la politique étrangère et aux relations internationales, telles que la nomination d’un consul honoraire 37 ou la signature d’un protocole bilatéral 38 . • Les décisions relatives à la sécurité nationale et/ou aux actions militaires. La décision d’envoyer des forces armées à l’étranger, par exemple, ne peut en général faire l’objet d’aucun recours car elle est considérée comme un acte de nature politique. La décision de suspendre un officier de l’armée est également évoquée. Les autres exemples mentionnés dans les rapports ont trait à l’entrée sur le territoire de personnes suspectées d’actes de terrorisme, à la confiscation de matériel de propagande pour des raisons de sécurité nationale et à la délivrance des visas. En Suisse, certaines décisions, sont exclues de la compétence du Tribunal fédéral en raison du caractère politique ou technique ou en raison d'une liberté d'appréciation spécifique de l'administration, ainsi celles concernant notamment les visas, en matière d’asile ou celles relatives à la naturalisation ordinaire –ces dernières sont de la compétence des cantons et des communes-. Dans ces cas, le Tribunal administratif fédéral décide en dernière instance. Le contrôle judiciaire se limite donc à une seule instance 39 . • Les décisions qui concernent les relations entre les pouvoirs constitutionnels et entre le Parlement et le Gouvernement. Ainsi, en Nouvelle-Zélande, a-t-il été jugé que la décision d’un ministre de déposer au Parlement un projet loi légalisant un accord passé avec les peuples autochtones ne pouvait faire l’objet d’un recours judiciaire en raison de la nature politique de cet accord 40 . • Les décisions liées aux élections nationales et régionales. En Norvège, par exemple, les décisions du Parlement sur la légalité des élections parlementaires ne peuvent faire l’objet d’un recours devant les juridictions 36 Rapport national de l’Egypte (FR), p. 9 ; (EN), p. 6. Par ex Rapport national du Cameroun (FR et EN), p. 2. 38 Par ex, rapport national de la Thaïlande (EN), p. 23. 39 Rapport national de la Suisse (FR), p. 2 et 3. 40 Rapport de la Nouvelle-Zélande (EN), p. 3. 37 16 administratives 41 . L’acte de l’exécutif convoquant les électeurs est également mentionné à plusieurs reprises parmi les exclusions de compétence de la juridiction administrative 42 . En Italie, la nomination des sénateurs à vie ne peut également faire l’objet d’aucun recours 43 . Dans tous les cas, les rapports soulignent que le critère pertinent pour exclure toute possibilité de recours à l’encontre de ces décisions n’est pas celui de l’identité de l’auteur de l’acte, mais bien la nature de celui-ci. Le rapport de l’Afrique du Sud mentionne ainsi une affaire dans laquelle était en cause la distinction entre « un agissement de nature administrative et un agissement relevant de la conduite du pouvoir exécutif », à savoir le licenciement du responsable de l'Agence de la sécurité nationale 44 . En Espagne, l’activité administrative des organes constitutionnels tels que les Cortes (parlement), les parlements des Communautés autonomes, la Cour constitutionnelle, la Cour des comptes et les institutions du pouvoir juridictionnel peuvent faire l’objet d’un recours devant les juridictions administratives 45 . En Thaïlande, peuvent faire l’objet d’un recours judiciaire en matière administrative l’exercice par des organes constitutionnels (le Parlement ou l’exécutif), en vertu d’une loi, de pouvoirs de nature administrative 46 . La deuxième hypothèse dans laquelle des décisions administratives ne peuvent faire l’objet d’aucun recours résulte de la distinction entre les décisions qui n’ont de conséquences juridiques qu’internes à l’administration et celles ayant des conséquences extérieures à l’administration, qui produisent des effets juridiques sur des individus ou des personnes morales tiers. Les décisions ayant des conséquences extérieures peuvent faire l’objet d’un recours, contrairement aux décisions purement internes. Un exemple de décision aux effets purement internes non susceptible de recours est donné par le rapport des Pays-Bas : il s’agit des directives internes aux ministères portant sur la manière dont les documents doivent être établis. Ces directives sont regardées comme n’ayant pas une influence significative sur les particuliers et comme se rapportant exclusivement au fonctionnement interne du ministère. Pour cette raison, elles sont insusceptibles de recours 47 . En Pologne, ne peuvent faire l’objet d’un recours les actes qui relèvent de l’exercice du pouvoir hiérarchique sur un subordonné, ou les décisions relatives 41 Rapport national de la Norvège (FR et EN), p. 1. Par ex, rapport national de l’Egypte (FR), p. 7-8 ; (EN), p. 6. 43 Rapport national de l’Italie (FR et EN), p.2. 44 Rapport national de l’Afrique du Sud (EN), p. 1 : “the distinction between conduct of an administrative nature and conduct of an executive nature”. 45 Rapport national de l’Espagne (FR et EN), p. 2. 46 Rapport national de la Thaïlande (EN), p. 30-31. 47 Rapport national des Pays-Bas (EN), p. 4. 42 17 au refus de nommer à un poste ou d'appeler à une fonction dans l'administration publique, sauf si des dispositions légales en prévoient l'obligation 48 . Plusieurs rapports soulignent également que les opinions juridiques, de même que les directives générales ou l’interprétation de dispositions émises par l’administration, lorsqu’elles ne lient pas cette dernière, ne peuvent faire l’objet d’aucun recours car elles ne portent pas atteinte à des droits particuliers, sauf lorsque ces opinions, directives ou interprétations sont relatives à la situation d’une personne en particulier. Cet aspect est évoqué par un certain nombre de rapports dont celui des Pays-Bas et de la Chine. La troisième hypothèse d’exclusion de compétences mentionnées par certains rapports est celle des décisions en lien avec le maintien de l’ordre public ou avec l’organisation du service public. Parfois tout recours est ainsi exclu sur les décisions en lien avec l’organisation du trafic routier ou qui concernent les catégories de véhicules en circulation. D’autres catégories de décisions ne pouvant faire l’objet d’un recours ont également été mentionnées : celles ayant trait aux priorités en matière de greffe d’organes ou d’opération médicale, les décisions en lien avec l’assurance maladie, les décisions prises en urgence dans le domaine des contrats publics ou celles relatives à l’aide internationale. Ont également été mentionnées, comme décisions ne pouvant faire l’objet d’un recours, celle visant un agent public révoqué à la suite de la réorganisation du service dans lequel il était employé, la décision de fermer une salle d’accouchement dans un hôpital, ou encore les décisions relatives au fonctionnement du service public de la justice – avec certaines exceptions. La quatrième hypothèse d’exclusion de compétence mentionnée dans certains rapports est celle des décisions traduisant l’exercice, par l’administration d’un très large pouvoir discrétionnaire. Dans certains cas, le pouvoir discrétionnaire dévolu à l’administration peut être si large que tout contrôle est exclu ou que la portée de ce contrôle est extrêmement limitée. Ainsi, en Autriche, le contrôle de la Cour administrative est, dans sa portée, limité lorsque le législateur n'a pas fixé de réglementation contraignante concernant le comportement de l'autorité administrative, en laissant la détermination de ce comportement à l’autorité elle-même –mais ces cas sont très rares- 49 . 48 49 Rapport national de la Pologne (FR et EN), p. 8. Rapport national de l’Autriche (FR), p. 4-5 ; (EN), p. 5. 18 Dans la plupart des pays, les limitations au droit de recours sont interprétées de manière très stricte, dénotant ainsi le caractère étendu du contrôle juridictionnel exercé sur l’administration. Le rapport national de la Suède, ainsi, renvoie à une affaire dans laquelle aucune procédure légale n’était ouverte à l’encontre d’une décision administrative rejetant une demande de subvention en matière agricole au motif que cette demande était tardive. Des dispositions expresses interdisaient même tout recours à l’encontre de telles décisions. La Cour administrative suprême a néanmoins neutralisé cette interdiction, en raison de sa contrariété avec les principes résultant du droit de l’Union européenne, et a reconnu la possibilité d’exercer un recours à l’encontre de cette décision devant les juridictions administratives 50 . Dans les pays de Common law également, ces dispositions interdisant ou limitant l’exercice d’un recours sont interprétées de manière très stricte et étroite. Le rapport de la France met aussi en évidence cette interprétation large de la compétence des juridictions administratives, en décrivant le contrôle étendu qu’exerce le juge administratif sur les décisions prises par l’administration pénitentiaire à l’encontre des personnes détenues 51 . Le rapport de la Pologne souligne lui aussi l’interprétation large des dispositions qui autorisent l’exercice des recours devant la juridiction administrative et l’interprétation stricte des dispositions qui interdisent de tels recours. Par exemple, une loi interdisant tout recours à l’encontre des décisions affectant un soldat à un emploi a été interprétée comme ne s’opposant pas à l’exercice d’un recours portant sur la rémunération afférente à cet emploi 52 . A l’inverse, le rapport de l'Afrique du Sud indique que la juridiction peut refuser d’exercer sa compétence en cas de délai manifestement déraisonnable entre la demande devant le juge et l’acte administratif contesté, ou lorsque la juridiction ne pourrait pas donner suite à ce qui est décrit comme une « attente légitime sur le fond » 53 . 50 Rapport national de la Suède (EN), p. 2. Rapport national de la France (FR), p. 9-10. 52 Rapport national de la Pologne (FR et EN), p. 10. 53 Rapport national de l’Afrique du Sud (EN), p. 7-8. 51 19 2 Procédure 2.1 Où trouve-t-on les règles de procédure ? Par quels textes sont-elles définies ? Tous les rapports nationaux indiquent que les règles qui régissent la procédure sont rassemblées dans des codes qui détaillent de manière complète les différentes étapes de la procédure. Toutes les juridictions ont également élaboré des jurisprudences propres relatives à l’application de ces règles. En Australie, les règles procédurales devant les juridictions sont également contenues dans une série de « notes pratiques », qui rassemblent la jurisprudence applicable en décrivant concrètement chacune des étapes de la préparation d’une affaire en vue de la tenue de l’audience publique. Ces notes pratiques, par exemple, expliquent comment utiliser les nouvelles technologies lors des procédures, rappellent les délais impartis à chaque étape de la procédure, décrivent la gestion des dossiers, la manière dont les preuves ou les documents, en particulier lorsque ceux-ci résultent de recherches effectuées par des moyens électroniques, doivent être présentés. Elles décrivent également la présentation des mémoires écrits, la manière dont les conclusions doivent être présentées préalablement à l’audience publique, les règles relatives à la conservation des preuves et des documents et la manière dont les rapports d’expertise doivent être préparés, présentés et certifiés par les experts. La procédure est-elle plutôt dirigée par les parties ou par le juge ? Quelles sont leurs responsabilités respectives ? Dans la plupart des cas ce sont les parties qui, par les moyens qu’elles invoquent et les conclusions qu’elles présentent, déterminent l’étendue du litige, la nature et les limites de leurs demandes, de même que la nature des recours qu’elles souhaitent exercer (par exemple : annulation, injonction, renvoi de l’affaire à une audience ultérieure, rétablissement de la situation antérieure, demandes en dommages et intérêts et/ou compensation). Les juridictions n’ont aucun contrôle sur le nombre de conclusions formulées, ni sur la manière dont elles sont formulées. Le tribunal sera généralement lié, à la fois en première instance et, plus encore, en appel, par la portée du litige et la nature des recours choisis par les parties, questions qui déterminent et limitent l’étendue des plaidoiries et mémoires, de même que le type de preuves, pouvant être présentés. Dans certains pays, néanmoins, les rapports ont indiqué que les juridictions ont la faculté de dépasser les limites des conclusions et moyens afin d’aboutir à ce qu’elles considèrent comme la meilleure solution. En Pologne, le tribunal d'instance se prononce certes dans les limites du cas particulier, mais il n’est pas tenu, néanmoins, par les demandes qui lui sont présentées ni par les fondements juridiques invoqués par les 20 parties 54 . La Cour administrative suprême, en revanche, ne peut pas, de sa propre initiative, procéder à des démarches qui auraient pour effet de déterminer d’autres erreurs entachant la décision contestée que celles qui sont relevées dans le pourvoi en cassation 55 . Les juridictions en Tunisie peuvent, dans le contentieux de l’excès de pouvoir, faire porter leur contrôle sur n’importe quelle illégalité entachant l’acte attaqué, indépendamment des moyens invoqués 56 . Dans la majorité des pays, le caractère inquisitorial de la procédure donne au juge des pouvoirs étendus, dans les limites du litige qui lui est soumis, pour mener les procédures préliminaires (l’instruction) et conduire l’affaire à son terme. Sous réserve du caractère contradictoire de la procédure, la juridiction peut adresser toutes instructions aux parties pour aboutir à une résolution du litige rapide et efficace. Par «contradictoire», il faut entendre l’obligation faite au juge de donner à chaque partie la possibilité de prendre connaissance et de répondre à l’ensemble des écritures, preuves et documents produits par l’autre. Plusieurs rapports nationaux justifient le recours à la procédure inquisitoriale dans le domaine de la justice administrative par le fait que cette procédure permet de rétablir l’équilibre entre les parties, dont l’une est une personne privée et l’autre un organe de l’Etat. Existe-t-il un parquet ? Quel est son rôle ? Trois sujets différents ont été abordés dans les rapports nationaux en réponse à cette question : L'existence d’un ministère public (procureur) devant les tribunaux administratifs. Le rôle du juge-rapporteur Le rôle du magistrat public. Il est apparu, en premier lieu, qu’il existe effectivement dans quelques cas un « parquet » devant les juridictions administratives. Au Portugal, le ministère public intervient activement dans les procédures qui relèvent de la compétence des juridictions administratives. C’est lui qui met en mouvement l'action publique ; il agit pour contrôler la légalité et l'intérêt public en tant que représentant de l'État afin de faire valoir et de défendre l’intérêt général 57 . En 54 Rapport national de la Pologne (FR), p. 12 ; (EN), p. 12-13. Idem. 56 Rapport national de la Tunisie (FR), p. 20. 57 Rapport national du Portugal (FR), p. 7 ; (EN), p. 5-6. 55 21 Pologne, un procureur public et le Commissaire pour les droits des citoyens (le médiateur) peuvent intervenir dans n’importe quelle procédure, ainsi qu'introduire une requête, un recours en cassation, une plainte, une requête en réouverture de la procédure, s'ils considèrent que la protection de la légalité ou des droits de l'homme et du citoyen l'exigent 58 . La Côte d'Ivoire 59 , la Bulgarie 60 , l'Algérie 61 , l'Espagne 62 et la Slovaquie 63 , parmi d’autres pays, indiquent également qu’un procureur peut mettre en mouvement l'action publique devant les tribunaux administratifs, à tout le moins dans certaines matières. Dans la plupart des cas, cependant, il n'existe pas de «procureur» ou de représentant des intérêts du gouvernement, autre que le défendeur dans l’instance. De nombreux rapports indiquent que l'organisme administratif dont la décision est contestée fera appel à l’un de ses agents pour le représenter, tant pour la conduite de l’affaire que pour présenter des considérations relatives à l'intérêt public, tel qu’il est interprété par l’organisme administratif ou le ministère en question. Cette approche peut néanmoins être perçue comme délicate au regard du principe d’impartialité dès lors que le représentant de cet organisme public est une partie à l’instance et n’a qu’une perception limitée à son domaine de l’intérêt public à promouvoir. Il est intéressant de relever qu’en Suède, jusqu’en 1995, le demandeur n’avait aucun contradicteur à l’instance, la juridiction en charge de juger de l’affaire jouant également le rôle de représentant de l’autorité publique 64 . La plupart des pays de droit continental (civil law), en deuxième lieu, ont évoqué l’existence d’un magistrat-rapporteur, qui joue un rôle central dans l’instruction des affaires. Il guide les parties au travers de la procédure et, d’une certaine manière, les assiste, en soulignant les véritables enjeux du procès, en indiquant les pièces du dossier qui peuvent présenter une réelle importance et en s'assurant que les affaires sont prêtes pour l’audience et le délibéré. Les pouvoirs de ce juge-rapporteur sont généralement très grands. Il est responsable du caractère équitable et contradictoire de la procédure, il veille à ce que chaque partie reçoive tous les documents, renseignements et mémoires présentés par les autres parties afin de permettre une réponse complète et appropriée aux prétentions de l'autre. Le rapporteur peut ordonner la production de tout document requis pour la résolution de l'affaire. Il peut également ordonner des enquêtes. En Suisse, l’affaire est confiée à un juge d'instruction qui peut prendre toute mesure pour protéger le statu quo ante, même si les parties ne présentent aucune demande en ce sens. Dans la plupart des cas, le rôle du 58 Rapport national de la Pologne (FR et EN), p. 15. Rapport national de la Côte d’Ivoire (FR), p. 3. 60 Rapport national de la Bulgarie (FR) p. 5 ; (EN), p. 8. 61 Rapport national de l’Algérie (FR), p. 4. 62 Rapport national de l’Espagne (FR et EN), p. 5. 63 Rapport national de la Slovaquie (FR), p. 8 ; (EN), p. 4. 64 Rapport national de la Suède (EN), p. 3. 59 22 magistrat-rapporteur est également de proposer une solution à l'affaire aux autres membres de la formation de jugement, dans laquelle il siège également. En troisième lieu, certains pays ont souligné l’existence d’un «magistrat public» devant les juridictions administratives. Celui-ci peut porter des noms différents, tels que «parquet» (Sénégal 65 ), «parquet général » (Bénin) 66 , «commissaire du gouvernement» (Burkina Faso 67 ), « juge-commissaire de la justice» (Thaïlande 68 ) ou «rapporteur public» (France 69 ). Le rôle de ce magistrat public est d'exposer en public son avis sur les questions soulevées par chaque affaire et de présenter en toute indépendance la solution qu’elle appelle. Il ne fait pas partie de la formation de jugement. Plusieurs rapports soulignent que ce système aide à assurer l'exactitude de la décision du tribunal. La Belgique connaît une institution intéressante appelée l’«auditoriat». L’ « auditeur » joue un rôle central dans l’instruction de l’affaire. Ses pouvoirs sont ceux du magistratrapporteur (il met l’affaire en état d’être jugée en disposant pour ce faire de pouvoirs étendus) et il propose une solution au tribunal, solution qui est, au préalable, débattue par les parties, mais il ne siège pas avec le tribunal pour rendre la décision finale. Le rapport national de la Belgique décrit l’auditeur comme un amicus curiae 70 . La procédure est-elle écrite ou orale? Dans les pays de droit continental (civil law), l’essentiel de la procédure est écrite et l’audience publique qui la complète est brève. Dans de nombreux cas, pour qu’elle se tienne, l’audience publique doit être expressément demandée par les parties – demande qui n’est en pratique pas très fréquente-. De nombreux rapports indiquent également que, lors de l’audience publique, les parties peuvent se contenter de s’en référer à leurs écritures. Il n’est pas attendu, dans ce cas, qu’elles en répètent le contenu, mais plutôt qu’elles concentrent leurs plaidoiries sur les principales questions posées par le dossier. Dans certains pays de droit continental (civil law), les audiences publiques sont utilisées dans le cadre des procédures préliminaires, lors de l’instruction de l’affaire, ou à l’occasion des procédures d’urgence (au Portugal, les audiences publiques sont utilisées notamment pour la production de preuves 71 ). En Espagne, depuis 1998, les procédures 65 Rapport national du Sénégal (FR), p. 3 ; (EN), p. 2. Rapport national du Bénin (FR), p. 9. 67 Rapport national du Burkina Faso (FR), p. 2. 68 Rapport national de la Thaïlande (FR), p. 31 ; (EN), p. 38. 69 Rapport national de la France (FR), p. 12. 70 Rapport national de la Belgique (FR), p. 5 ; (EN), p. 4. 71 Rapport national du Portugal (FR), p. 8 ; (EN), p. 6. 66 23 orales sont utilisées pour les affaires d’importance mineure 72 . L’utilisation de procédures essentiellement orales permet au juge de mesure rapidement les demandes et l’argumentation des parties, tout en ayant, à un premier stade de la procédure, une idée raisonnable des tenants et aboutissants de l’affaire, idée suffisante pour permettre, le cas échéant, l’octroi de mesures provisoires. De plus, le tribunal peut, lors des audiences publiques, tester la solidité de l’argumentation des parties. Au Portugal, par exemple, dans les procédures particulièrement urgentes pour la protection des droits et des libertés, le juge tient une audience orale à l’issue de laquelle il rend aussitôt sa décision 73 . Dans bien des cas, une procédure préliminaire orale permet de clore les dossiers rapidement, en particulier ceux qui n’ont pas de réelles chances de succès. Dans les juridictions de Common law (Nouvelle-Zélande, États-Unis, Canada, Australie, Royaume-Uni), les rapports mettent en évidence le caractère central de l’audience publique dans la procédure, mais ils indiquent également que les mémoires, les preuves, les témoignages et, plus généralement, les documents écrits font l’objet d’une attention croissante, notamment car ils permettent de raccourcir la durée de la procédure. Ainsi, devant les juridictions d’appel fédérales aux États-Unis et devant la Cour suprême, les demandes des parties se font sous la forme d'un échange de mémoires contenant une présentation extrêmement détaillée de l'argumentation et un résumé des faits. C’est essentiellement à partir de ces mémoires que le juge rendra sa décision. L’audience publique est en général limitée à 20 ou 30 minutes, même dans les affaires les plus importantes. Même si, devant la plupart des juridictions de Common Law, l’audience publique n’est pas limitée, devant la Haute Cour d’Australie – où le recours est soumis à autorisation- les parties disposent chacune d’un délai strictement limité à 20 minutes. Dans ce cas, l'audience publique permet aux juges d’obtenir des précisions sur les écritures, de tester les allégations des parties et de mettre en évidence les questions qu’elles posent, afin de décider si l’affaire se prête à un examen devant la Haute Cour. L’oralité a toujours été et reste néanmoins d’une grande importance dans les procédures ; elle se traduit par des échanges animés entre les juges et les parties ou leurs avocats. En première instance, dans les pays Common Law, les audiences publiques peuvent ainsi se prolonger sur de très longues périodes (parfois jusqu'à 2 à 3 mois), lorsque l’affaire implique de décider de questions factuelles complexes, nécessitant l’audition d’experts et l’examen d’un nombre important de documents. Dans les juridictions des pays de Common Law, l’audience publique permet également l’interrogatoire détaillé des témoins importants par les deux parties. 72 73 Rapport national de l’Espagne (FR et EN), p. 11. Rapport national du Portugal (FR), p. 8 ; (EN), p. 6. 24 De manière tout à fait notable, les procédures devant les juridictions de droit continental et celles de droit de Common Law tendent toutefois à se rapprocher de plus en plus, chaque système cherchant à tirer partie des avantages de l’autre. Dans les pays de Common Law, bien que les juridictions n’estiment pas que la convocation des témoins relève de leur office, il existe une forte tendance à considérer que le système inquisitorial est parfois plus efficace pour aboutir à la résolution de l’affaire. A l’inverse, de nombreux pays de droit continental (civil law) accordent de plus en plus de place à l’oralité dans les procédures juridictionnelles administratives. En Colombie, par exemple, la mise à jour en cours du code de contentieux administratif va généraliser les procédures orales devant les juridictions, en n’autorisant que des interventions écrites limitées 74 . En France, une réforme récente de la procédure administrative contentieuse permet aux parties de répondre aux conclusions orales du rapporteur public, ce qui n'était pas possible auparavant 75 . Ainsi que le souligne le rapport de la Finlande, les procédures orales et écrites sont en réalité complémentaires, puisque l'objet de l’audience publique est de permettre d’obtenir des preuves et des éléments, là où les écritures et les pièces du dossier ne suffisent pas à assurer une bonne compréhension de l’affaire. La juge statue-t-il seul ou en formation collégiale ? Dans de nombreux pays, en première instance, les affaires sont entendues par un juge unique. En appel, la Chambre est généralement constitué par un collège de trois juges et, dans certains cas, selon l'importance de l'affaire, par cinq juges ou plus. En général, plus la juridiction devant laquelle l’affaire est soumise est importante, plus la formation de jugement sera nombreuse, mais il existe un certain nombre d'exceptions. Dans beaucoup de pays, la formation de jugement sera constituée de trois juges, que ce soit devant les tribunaux de première instance –en Thaïlande par exemple 76 - ou de dernière instance mais, dans les affaires les plus importantes, elles peuvent être jugées par un collège composé de l’ensemble des juges qui forment la juridiction. Dans certains pays, comme la Suède et la Norvège, certaines dispositions prévoient qu’un ou plusieurs juges non professionnels, qui peuvent être des experts dans un domaine particulier, participent à la formation de jugement devant les tribunaux de première instance et, parfois, en appel également. Cette pratique permet au tribunal de juger des affaires impliquant des questions techniques particulières ou faisant appel à des connaissances spécialisées en pleine connaissance de cause. Elle renforce la crédibilité et la solidité de la décision du juge dans les affaires qui nécessitent une expertise particulière. Tel est le cas, 74 Rapport national de la Colombie (FR), section 12, p. 33 ; (EN), section 12, p. 36. Rapport national de la France (FR), p. 12. 76 Rapport national de la Thaïlande (EN), p. 44. 75 25 par exemple, lorsque l’affaire requiert une expertise particulière dans le domaine médical, de l’ingénierie, du bâtiment, mais aussi celui des technologies ou lorsque les questions scientifiques posées par l’affaire requièrent des recherches poussées dans des domaines tels que la biologie, la chimie, l’économie, la comptabilité ou les pratiques commerciales. Dans certains pays, le tribunal désigne des experts comme témoins et pour assister le tribunal. Dans ce cas, ils ne participent pas à la formation de jugement. Lorsque l’affaire est jugée en formation collégiale, la solution est adoptée majorité. Parfois, l’arrêt rend compte du vote au sein de la formation de jugement. L’un des arrêts du Conseil d’Etat de Colombie, qui figure dans le rapport national de ce pays, a été rendu par une formation constituée de 23 juges, dont 9 ont exprimé un désaccord avec la solution retenue 77 . Le rapport national de la Grèce mentionne également cette pratique des opinions dissidentes 78 . Dans la plupart des pays de droit continental (civil law), néanmoins, la décision est rendue par l’ensemble de la formation de jugement et les opinions dissidentes ne sont pas autorisées. A l’inverse, dans les systèmes de Common Law, les opinions dissidentes sont écrites et rendues publiques. L’expression par chaque juge de son opinion, y compris si elle est en désaccord avec la majorité, est même un devoir du juge. Ce système permet de conserver une certaine flexibilité à l’évolution du droit, en maintenant ouverte la solution rendue par chaque arrêt. Dans presque tous les pays, les délibérations des juges ont lieu à huis-clos. En Suisse, en revanche, devant le Tribunal fédéral, la délibération des juges a lieu en présence des parties, mais aucun autre rapport national ne mentionne l’existence d’une telle pratique. Dans les affaires qui exigent des mesures urgentes, les rapports mettent en évidence l’existence de dispositions spécifiques qui permettent l’adaptation de la formation de jugement à l’urgence de l’affaire. Le président de la Chambre appelée à juger l’affaire ou de la juridiction peut ainsi désigner un juge qui décidera seul des mesures urgentes à prendre ou de la suspension de l’exécution de la décision, notamment lorsqu’il existe une atteinte au droit de propriété ou à un droit fondamental. Ce juge statuant seul peut alors prendre des ordonnances ayant un caractère provisoire. Dans les pays de Common Law, les procédures d’urgence sont également bien établies : l’affaire est entendue par un juge unique qui rendra le plus souvent une décision préliminaire au vu des éléments dont il dispose à ce stade de la procédure. 77 78 Rapport national de la Colombie (FR) Affaire 1, p. 8 ; (EN), case 1, p. 7. Rapport national de la Grèce (FR), p. 14 ; (EN), p. 17. 26 Devant les juridictions de droit continental et celles de droit de Common Law, les juges qui participent à la formation de jugement sont ceux qui ont siégé lors de l’audience publique. Ce n’est que dans certains cas exceptionnels, par exemple si un juge décède ou est atteint d’incapacité, que la formation de jugement qui décide de l’affaire peut comprendre un juge qui n’a pas assisté à l’audience publique. 2.2 Quelles sont les règles de recevabilité des requêtes ? Le demandeur doit-il justifier de son intérêt pour agir ? Si oui, celui-ci est-il conçu de façon large ou stricte (citer des cas de jurisprudence) ? Dans la plupart des pays, la recevabilité de la demande ou de la requête introductive d’instance est subordonnée au respect de cinq catégories d’exigences. En premier lieu, la requête doit indiquer les détails de la contestation, les voies de recours qui sont exercées et le fondement juridique de la demande. Elle doit également préciser les moyens d’annulation et les conclusions demandées au juge. Dans la plupart des cas, la requête doit être présentée sous forme écrite mais, dans certains pays, la juridiction peut également être saisie par voie orale. Dans ce cas, un greffier du tribunal retranscrit et enregistre la demande. En deuxième lieu, la requête doit être présentée par une personne physique ou morale qui dispose de la capacité juridique pour ce faire. Cette notion de « capacité juridique » signifie que la personne qui introduit la requête doit remplir les conditions d’aptitude juridique nécessaires pour pouvoir exercer une action juridique, comme par exemple être suffisamment âgé ou, s’agissant des personnes morales, être représentées par une personne physique remplissant les mêmes conditions. En troisième lieu, la requête doit être présentée à la juridiction dans les délais requis pour l’introduction de l’instance. La plupart des rapports mentionnent à cet égard 'un délai de deux mois ou de 60 jours après la publication ou la notification de la décision, mais ce délai peut parfois être beaucoup plus court (14 jours pour une décision individuelle en Bulgarie 79 ) ou beaucoup plus long (au Kenya la demande en certiorari doit être fait dans les 6 mois suivant la date de la décision dont la révision est demandée 80 ). 79 80 Rapport national de la Bulgarie (FR), p. 4 ; (EN), p. 6. Rapport national du Kenya (EN), p. 18. 27 Dans ces cas, en particulier en ce qui concerne les questions relatives à la forme de la requête, de nombreux rapports mentionnent la possibilité pour le Tribunal de connaître du recours, de manière discrétionnaire, y compris si l’ensemble des conditions formelles ne sont pas remplies. Certains rapports font état de la possibilité pour le juge de prolonger les délais, de dispenser le requérant de certaines exigences procédurales ou de l’obligation dans laquelle il se trouve d’inviter le requérant à régulariser avant de pouvoir rejeter le recours comme irrecevable. En quatrième lieu, certains des rapports ont mentionné comme condition de recevabilité des demandes, celle tenant à l’épuisement des recours préalables. Dans plusieurs pays, une personne ne peut en effet introduire une demande devant le juge qu’à la condition d’avoir préalablement épuisé les recours administratifs qui lui permettraient d’obtenir gain de cause. De nombreuses administrations permettent en effet d’obtenir la révision d’une décision qu’elles ont prises par le moyen de recours internes. En Espagne, l'épuisement des recours administratifs préalables est une condition sine qua non pour pouvoir introduire une requête devant les juridictions administratives 81 . La même condition est requise en Indonésie, aux Pays-Bas, en Allemagne et en Côte d'Ivoire. Dans le rapport de la Slovaquie cette condition est décrite comme étant «l'un des principes fondamentaux de la justice administrative» 82 . Dans certains pays, la règle d’épuisement préalable des recours administratifs s’applique, mais seulement dans certains domaines particuliers, tels que les impôts (France, Bénin, Bulgarie), ou la sécurité sociale (Bulgarie). En cinquième lieu, tous les rapports sans exception ont mentionné comme condition de recevabilité de la requête le fait qu’elle soit introduite par une personne ayant un intérêt à agir (locus standi). Dans certains cas, ce sont des dispositions législatives qui déterminent les personnes pouvant exercer un recours. Des législations particulières dans le domaine de l’environnement, par exemple, ouvrent très largement l’intérêt à agir, y compris à des personnes qui ne sont pas directement touchées par l’acte attaqué. En Colombie, les services du Médiateur peuvent intervenir à l'appui d'un recours et, dans certains cas, des personnes peuvent comparaitre comme amicus curiae. En Australie, en 1996, les évêques catholiques ont été autorisés à comparaître en tant qu’amicus curiae dans une affaire concernant l'avortement, alors même qu’ils ne disposaient pas d’un intérêt à agir suffisant pour pouvoir être regardés comme une partie à l’instance. 81 82 Rapport national de l’Espagne (FR), p.6 ; (EN), p. 5. Rapport national de la Slovaquie (FR), p. 10 ; (EN) p. 9. 28 Dans la plupart des pays, la question de l’intérêt à agir est une question d’espèce. Elle est étroitement dépendante des circonstances particulières de chaque affaire et il n'est pas possible d'énoncer un principe universel. A l’occasion d’une célèbre affaire jugée en Australie en 1980, Australian Conservation Foundation c/ Commonwealth, la Haute Cour a considéré qu'une personne physique ou morale, sans autre lien avec l’affaire que l’intérêt du public en général pour cette question, n'avait pas intérêt à agir pour exercer un recours tendant à prévenir la violation d’un droit public ou à faire respecter l’exécution d’une obligation publique. La juridiction a considéré que l’intérêt à agir était subordonné à l’existence d’une atteinte actuelle ou future à des biens, à un droit de propriété en lien avec une activité économique ou des intérêts commerciaux et, sans doute également à des intérêts sociaux ou politiques. La conviction, aussi forte soit-elle, qu’un droit doive être respecté ou qu’une conduite particulière doive être empêchée, ne suffit pas à conférer un intérêt à agir particulier. Dans les pays de Common Law comme dans ceux de droit continental, il est souvent fait référence au fait que la personne auteur du recours doive être « lésée » par la décision contestée. Cette personne peut aussi bien être une personne physique qu’une personne morale, agissant à titre personnel ou dans un intérêt collectif, pour un groupe ou une catégorie particulière de personnes, ou une association agissant dans l’intérêt de ses membres. Le terme «lésé» ne renvoie pas à une conception purement subjective des effets de la décision : cette dernière doit en général avoir un impact négatif objectivement identifiable sur les droits ou l'intérêt de la personne concernée ; tel est le cas, dans certaines hypothèses, en Belgique et au Luxembourg. La plupart des juridictions n’autorisent pas les recours contre les actes purement hypothétiques ou les actions n’ayant qu’un caractère consultatif. L'intérêt requis pour exercer un recours est en général décrit comme devant être «direct et concret» (le rapport national de la Chine indique que l’intérêt à agir ne doit pas être abstrait et que l’acte attaqué doit avoir un effet direct 83 ). Le rapport de la Belgique résume les conditions liées à l’intérêt agir, en indiquant que celui-ci doit être concret, personnel, direct et légitime 84 . Comme le souligne l’un des rapports nationaux, l’exigence d’un intérêt à agir permet de prévenir l’exercice de recours trop nombreux par des personnes qui n’auraient qu’un vague intérêt pour demander le contrôle d’un acte administratif. Cette condition permet à la fois d’éviter qu’un trop grand nombre de contestations ne freinent l’action de l’administration 83 84 Rapport national de la Chine (EN), p. 8-9. Rapport national de la Belgique (FR), p. 6 ; (EN), p. 5. 29 et de prévenir l’engorgement des juridictions. Pour ces raisons, dans la plupart des pays, la simple qualité de contribuable ne confère pas un intérêt suffisant pour contester la légalité des actes réglementaires, mais elle peut en revanche suffire pour intenter un recours à l’encontre de décision particulières touchant directement la personne concernée. La tendance générale qui ressort des rapports nationaux, quel que soit le système juridique du pays concerné, est celle d’une interprétation large et ouverte de la notion d’intérêt à agir, dans le sens d’un accès facilité au recours. L’un des rapports nationaux, celui de la Tunisie, souligne qu’une interprétation large de l’intérêt à agir va dans le sens de l’intérêt public, qui commande que les actes administratifs illégaux ne subsistent pas dans l’ordonnancement juridique 85 . L’intérêt peut être personnel, ou celui de membre d’une société, d’un groupe ou d’une association dont l’objet est affecté par la décision ou l’acte attaqué. Par exemple en matière de protection de l’environnement : il est très souvent reconnu aux organisations dont l’objet statutaire est en lien avec ce domaine un intérêt à agir pour contester des projets d’utilisation des sols, comme la construction d’un barrage ou l’exploitation des forêts. Un exemple fréquemment cité dans les rapports des pays des deux systèmes juridiques est celui de l'urbanisme, lorsqu’une personne souhaite contester un permis de construire délivré à son détriment par les autorités locales à un voisin et qu’il estime les prescriptions imposées par le permis insuffisantes pour prévenir les inconvénients qui en résultent pour lui. L’un des exemples cités est celui de la construction d’une tour pour la radio : un voisin habitant à 60 m de la construction envisagée se verra alors reconnaître un intérêt à agir contre la décision autorisant la construction, dès lors qu’il a vu sur cette construction, mais un voisin résidant à 500 m de la construction et sans vue sur l’édifice projeté, lui, ne se verra pas reconnaître d’intérêt à agir car l’impact sur sa situation n’est pas suffisamment défavorable. La question de l’intérêt à agir est souvent une question factuelle et d’intensité. En Suède, si des dispositions expresses prévoient qu’une personne doit être entendue par l’administration avant que cette dernière ne prenne une décision, alors cette personne est considérée comme ayant un intérêt à agir suffisant contre cette décision 86 . En Italie, il a été jugé que les parents d'un élève ont un intérêt à agir propre, tout autant qu’un intérêt comme représentant légal de leur enfant, à attaquer la décision d’une 85 86 Rapport national de la Tunisie (FR), p. 7. Rapport national de la Suède (EN), p. 4. 30 autorité scolaire lorsqu’elle affecte les intérêts économiques et moraux de leur famille 87 . Au Cameroun, l’association des Témoins de Jéhovah a été considérée comme ayant un intérêt à agir suffisant contre une décision lui faisant grief, alors même qu’il s’agissait d’une association de fait non déclarée 88 . D'autres exemples montrent que l'intérêt peut être purement moral ou, dans certains cas, minime. Au Portugal, il a été jugé qu’un syndicat de fonctionnaires avait un intérêt à agir suffisant pour contester la légalité d’un règlement concernant les salaires en invoquant l’omission du pouvoir réglementaire à prendre certaines dispositions 89 . En Turquie, il a été jugé que des personnes se réclamant de leur qualité de locataires de locaux n’avaient pas intérêt à agir contre la décision administrative ordonnant la restauration du bâtiment dans lequel ils vivaient, dès lors qu’un autre tribunal leur avait antérieurement ordonné d’évacuer ces locaux et que, par suite, ils avaient ainsi perdu leur statut de locataires 90 . En Algérie, il a été jugé qu’une association de parents d’élèves avait intérêt à agir contre le permis autorisant la surévélation d’un mur adjacent à l’école, qui empêcherait la pénétration du soleil et de la lumière dans la salle de classe, ce qui nuirait à la santé des élèves 91 . En Grèce, il a été jugé que l’intérêt à agir des habitants d’une région pour contester la construction d’une ligne électrique aérienne n’avait pas disparu du seul fait qu’ils avaient acheté leur terrain et construit leur maison après avoir été informé des projets de construction de la ligne aérienne. En matière d’environnement, en Grèce, le droit au recours est décrit comme une quasi action populaire 92 . En France, il a été reconnu qu’un journaliste chroniqueur judiciaire a, en cette qualité, intérêt à demander l’annulation d'un décret fixant les règles de publicité des débats judiciaires 93 . Chypre donne l’exemple d'une décision de sa Cour suprême dont il ressort que la décision d’une municipalité de créer un nouveau poste lié à la restructuration générale des services municipaux constituait un acte lié à l’organisation interne des service municipaux et ne portait pas atteinte à l’intérêt légitime du demandeur. Le rapport de Chypre fait également référence à une affaire dans laquelle n’a pas été reconnu l’intérêt à agir d’un 87 Rapport national de l’Italie (FR et EN), p. 5. Rapport national du Cameroun (FR et EN), p. 4. 89 Rapport national du Portugal (FR) p. 11 ; (EN), p. 8. 90 Rapport national de la Turquie (FR), p. 10 ; (EN), p.9. 91 Rapport national de l’Algérie (FR), p. 5. 92 Rapport national de la Grèce (FR), p. 7-8 ; (EN), p. 10. 93 Rapport national de la France (FR), p. 14. 88 31 demandeur contre la décision du service en charge des véhicules refusant de délivrer une licence pour l’utilisation d'un véhicule automobile immatriculé au nom de, et appartenant à, son épouse 94 . Cette affaire mettait en jeu une disposition particulière de la Constitution de Chypre, mais il serait intéressant de savoir comment les juridictions des autres pays apprécieraient l’intérêt à agir dans un tel cas. Dans la plupart des cas les rapports indiquent qu’il est possible pour un tiers d'intervenir à l’instance, alors même qu’il n’est pas directement concerné par l’acte ou la décision faisant l’objet d’une contestation, lorsque ce tiers a un intérêt, en fait ou en droit, à intervenir dans cette affaire ou est susceptible d’être lésé indirectement par cet acte ou cette décision. Les tiers peuvent également parfois interjeter appel. Dans ces cas, les rapports soulignent la nécessité que le tiers soit lésé par la décision ou puisse retirer un avantage particulier si la contestation est fondée ou soit désavantagée si la contestation n’a pas abouti. Dans certains pays, les juridictions admettent l’exercice de recours collectifs ou d’actions populaires pour protéger la légalité des droits civils et politiques. 2.3 Le justiciable a-t-il un accès direct au juge, ou bien cet accès est-il subordonné au recours à un conseil ou au ministère d’avocat ? Dans la plupart des pays, les demandeurs peuvent exercer un recours devant les juridictions directement, sans avoir recours au ministère d’un avocat. Dans de nombreux cas, le recours à un avocat est obligatoire pour introduire la demande initiale, mais l’assistance de celui-ci n’est pas requise pendant la totalité de la procédure. Dans certains pays, le ministère d’avocat n’est pas obligatoire devant les juridictions de première instance, mais il le devient devant les juridictions supérieures, en appel ou en cassation ; tel est le cas en France par exemple 95 . Seul un petit nombre de pays ont indiqué que le recours à un avocat était obligatoire à toutes les étapes de la procédure et devant toutes les juridictions (Grèce 96 , Italie 97 , Liban 98 , Portugal 99 et Espagne). Mêmes cas, des exceptions à cette obligation existent, en particulier pour les litiges de faible importance (en Grèce 100 ou en Slovaquie par exemple 101 ). 94 Rapport national de Chypre (EN), p. 7-8. Rapport national de la France (FR), p. 15. 96 Rapport national de la Grèce (FR), p. 9 ; (EN), p. 11. 97 Rapport national de l’Italie (FR et EN), p.6. 98 Rapport national du Liban (FR), p. 6. 99 Rapport national du Portugal (FR), p. 11 ; (EN), p. 9. 100 Rapport national de la Grèce, idem. 95 32 Dans certains pays (en France par exemple, mais aussi en Italie), seuls les membres d'un barreau spécialisé sont autorisés à comparaître devant les plus hautes juridictions, comme le Conseil d'État. De manière générale, tous les rapports ont souligné l’approche libérale des juridictions dans l’interprétation des demandes présentées par des personnes physiques ou morales sans le ministère d’un avocat. 2.4 Les requêtes peuvent-elles être formées en faisant usage des nouvelles technologies (Internet) ? Dans la plupart des pays, les nouvelles technologies ne sont pas utilisées de manière extensive pour la gestion des procédures juridictionnelles. La plupart des juridictions se dirigent vers la mise en place de systèmes d’enregistrement électronique des requêtes et de transmission des documents par Internet mais aucune n’a encore développé de dématérialisation complète de ses procédures devant toutes les juridictions et à tous les stades de la procédure juridictionnelle. Il est inévitable, compte tenu de la révolution en cours dans le domaine des communications électroniques, que la technologie soit de plus en plus utilisée. Le Portugal, notamment, semble avoir déjà développé de manière forte l’utilisation des ressources électroniques et de la vidéoconférence devant les juridictions de première instance. Il existe une plate-forme électronique commune aux différents tribunaux 102 . Dans beaucoup de cas, des règles particulières de procédure ont été édictées pour permettre l’enregistrement électronique des requêtes et garantir l’authenticité des signatures ou des cachets sur les documents officiels émanant des juridictions. Le courrier électronique semble être utilisé dans quelques cas. Il est particulièrement significatif de constater que la plupart des pays reconnaissent l’utilité des nouvelles technologies. Certains d’entre eux ont beaucoup avancé dans le sens de leur utilisation massive, comme par exemple l’Australie, le Canada, la France, les Etats-Unis ou le Royaume-Uni - pour n’en citer que quelques-uns. La plupart d'entre eux ont mise en place des expérimentations dans ce domaine et permettent déjà aux parties de consulter certaines informations sur les affaires en cours par le biais de l’Internet. 101 102 Rapport national de la Slovaquie (FR), p. 11 ; (EN), p. 10 Rapport national du Portugal (FR), p. 12 ; (EN), p. 9. 33 2.5 Existe-t-il un système public ou privé d’aide pour faciliter l’accès au juge pour les personnes ne pouvant avoir recours à un conseil juridique pour des motifs liés à l’insuffisance de leurs ressources ? Seuls quelques rapports nationaux ont indiqué qu’aucun mécanisme d’aide juridictionnelle n’était disponible devant les juridictions administratives. Tel est le cas à Chypre 103 , en Colombie 104 -mais d’autres mécanismes existent- et, en un certain sens, en Autriche, où l’aide juridictionnelle est très limitée devant les chambres administratives indépendantes 105 . Dans la plupart des autres pays existent, sous une forme ou une autre, des mécanismes permettant l’aide juridictionnelle. Ils sont souvent un élément essentiel pour garantir l’accès à la justice par le citoyen lésé par un acte de l’Exécutif. L’octroi de l’aide juridictionnelle est en général subordonné à des conditions tenant aux revenus et au patrimoine du demandeur. Cette aide peut être publique mais elle est également souvent le fait d’associations d’avocats qui délivrent leurs services à titre bénévole. En Australie, les avocats offrent une assistance pro bono. La nature et l’étendue de l’aide juridictionnelle est variable. Dans certains cas, elle permettra seulement l’assistance d’un avocat pendant les procédures préliminaires alors que, dans d’autres, elle permettra une assistance complète du demandeur à toutes les étapes de la procédure, y compris pendant l’audience publique. La plupart des mécanismes d’aide juridictionnelle légale exigent que le demandeur démontre de réelles chances de succès pour son affaire, tout autant qu’un manque de moyens. Les rapports nationaux montrent que les systèmes légaux d’aide juridictionnelle sont souvent perçus comme des moyens de favoriser et de raccourcir le traitement et la de résoudre plus efficacement les affaires. L’expérience démontre qu’il en est ainsi. 2.6 Les recours suspendent-ils l’exécution des décisions attaquées et, si oui, dans quelles conditions ? La plupart des rapports indiquent que la simple présentation d’un recours contre une décision administrative ne suspendra pas les effets de l'acte contesté. Comme le souligne le 103 Rapport national de Chypre (EN), p. 10. Rapport national de la Colombie (FR), section 12, p. 35 ; (EN), section 12, p. 36. 105 Rapport national de l’Autriche (FR), p. 10 ; (EN), p. 11. 104 34 rapport des Pays-Bas, cette règle générale est destinée à préserver la sécurité juridique des décisions administratives et à garantir le bon fonctionnement de l’administration publique 106 . Il existe néanmoins quelques exceptions notables : en Allemagne 107 et en Autriche (devant les juridictions inférieures) 108 , ainsi qu’en Finlande 109 et en Bulgarie 110 , pour les recours formés contre les décisions individuelles. Dans les autres pays, la suspension automatique de l’exécution de la décision contestée n’a qu’un caractère exceptionnel et est limitée à certains contentieux. En France, par exemple, l’exercice d’un recours à l’encontre d’un arrêté de reconduite à la frontière, dans les 48 heures après sa notification, suspend automatiquement l’exécution de l’acte 111 . En matière fiscale, le demandeur peut solliciter de l’administration un sursis de paiement et, en cas de refus, exercer un recours devant le juge administratif 112 . En Turquie, un recours en matière fiscale suspend le recouvrement de l’impôt correspondant 113 . Dans la plupart des cas, néanmoins, les requérants peuvent solliciter du tribunal, par le biais de procédures préliminaires et en urgence, la suspension de l’exécution de la décision, ou à ce que des mesures permettant de préserver le statu quo ante soient ordonnées, jusqu’au jugement de l’affaire. L’exercice de telles voies de recours permet de supprimer ou de réduire l’éventualité de dommages irréparables ou qui ne pourraient plus être indemnisés, alors que la décision litigieuse est susceptible d’être annulée ultérieurement et sera alors regardée comme n’ayant jamais eu d’effet ni existé. Les circonstances qui justifient la suspension de l’exécution ou l’octroi de mesures provisoires peuvent varier, mais elles impliquent en général de prendre en considération l'étendue et la nature du préjudice éventuel, le fait de savoir s’il peut être amoindri ou compensé par l’octroi d’une somme d’argent ou, plus généralement, de dommages et intérêts, ou s’il peut y être remédié par d’autres mesures, qui peuvent être déterminées par voie de directives ou d’ordonnances. Plusieurs pays mentionnent l’existence, à cet égard, de procédures d’urgence spécifiques en « référé suspension » qui, sous des formes diverses, permettent au juge, en fonction des circonstances d’ordonner la suspension de l’exécution de l’acte, de préserver la situation existante ou de prévenir la survenance d’un préjudice. 106 Rapport national des Pays-Bas (EN), p. 24. Rapport national de l’Allemagne (EN), p. 13. 108 Rapport national de l’Autriche (FR), p. 10 ; (EN), p. 12. 109 Rapport national de la Finlande (EN), p. 8. 110 Rapport national de la Bulgarie (FR), p. 9 ; (EN), p. 13. 111 Rapport national de la France (FR), p. 16. 112 Idem. 113 Rapport national de la Turquie (FR), p. 12 ; (EN), p. 10. 107 35 2.7 Quels sont les pouvoirs du juge dans la conduite de la procédure pour imposer à l’administration de produire des éléments dont l’autre partie n’a pas connaissance ? (citer la jurisprudence pertinente). Le principe est qu’il appartient à chaque partie de produire devant la juridiction les documents et les preuves nécessaires pour établir la réalité de ses prétentions. Il s’agit d’un principe de justice naturelle qui veut que chaque partie est en droit de connaître le contenu des documents susceptibles d’être utilisés contre lui, afin de pouvoir y répondre. Dans certains domaines, telle que les législations relatives à l’accès aux documents administratifs ou à la liberté d’information, des dispositions particulières peuvent interdire au juge administratif l’accès à certains documents produits par les cabinets ministériels ou les ministères, désignés par un certificat émanant du ministre de la justice. Ce certificat lie les juridictions. Parfois, il a été indiqué que la juridiction n’est habilitée à prendre connaissance que des seuls documents qui lui sont produits par l’organisme administratif. Dans la plupart des cas, néanmoins, le juge dispose de pouvoirs étendus pour imposer aux parties et aux tiers de produire des documents. Ainsi que le souligne le rapport de la Finlande, « il appartient à la juridiction, de sa propre initiative, de requérir les preuves nécessaires, dans le respect des principes d’impartialité et d’équité de la procédure » 114 . S’il l’estime nécessaire, le tribunal peut également désigner un « expert » qui déterminera si d’autres preuves doivent être produites ou non. Le juge-rapporteur ou l’auditeur est en général chargé de s’assurer de la production par les parties des documents nécessaires à la résolution de l’affaire. En Suisse, il existe une distinction entre les documents nécessaires à la décision, auquel les parties ont accès, et les actes internes, à savoir les documents qui ne servent qu'à la formation d'opinion de l'administration et qui n'ont pas valeur de preuves devant les juridictions. Ces derniers ne sont donc pas communiqués aux parties 115 . De manière générale, il n’existe pas, dans les systèmes de droit continental, de procédure de « discovery » équivalente à celle existant parfois devant les juridictions des pays de Common law. Dans certains pays, le fonctionnaire qui ne produit pas un élément de preuve requis par le tribunal peut faire l’objet de poursuites et être condamné à s’acquitter d’une amende 114 115 Rapport national de la Finlande (EN), p. 5. Rapport national de la Suisse (FR), p. 12. 36 (ainsi en Colombie 116 , Grèce 117 ou Bulgarie 118 ). La plupart des rapports soulignent également qu’en l’absence de production par l’administration des preuves nécessaires, la juridiction peut alors conclure que les faits allégués par le demandeur correspondant aux preuves non produites sont établis. Parfois, cela peut même conduire à déterminer complètement la solution de l’affaire. Dans d’autre cas, lorsque les documents requis n’ont pas été produits, la juridiction peut considérer la partie qui aurait dû les produire comme défaillante et rendre sa décision sur ce fondement. En Australie, si une partie ne demande pas à un témoin susceptible d’apporter des éléments essentiels de se présenter, cette circonstance peut être utilisée par la juridiction à l’encontre cette partie dans la détermination des faits. En Turquie, l’administration ne peut se fonder, en défense, sur des documents qu’elle n’a pas produit au demandeur au cours de l’instance 119 . Un principe similaire est appliqué dans les pays de Common law. Le rapport de la Turquie rapporte également une décision d’une cour supérieure annulant un jugement en raison de l’insuffisance des diligences en vue de la recherche de preuves accomplies par la juridiction qui l’avait rendu 120 . Dans la plupart des pays, les juridictions attachent une importance particulière au fait que, en général, ce sont les organismes administratifs qui sont les mieux à même de déterminer les documents pertinents pour la résolution des affaires et que ce sont eux qui les détiennent. Les juridictions adoptent ainsi une attitude plus libérale à l’égard du demandeur, en ce qui concerne la production des preuves, lorsque celles-ci sont des documents émanant de l’administration. Dans certains pays, comme les Etats-Unis, devant les juridictions, il est prévu que les témoins puissent faire l’objet d’interrogatoires oraux soutenus sur l’existence et la localisation des documents pertinents en leur possession. Leurs réponses peuvent être soumises à un contre-interrogatoire. Il s’agit de la procédure de « discovery » des pays de Common Law, qui est une procédure qui se prolonge pendant toute la durée de l’affaire, de sorte que lorsqu’un nouveau document est identifié, l’organisme qui le détient est toujours tenu de le produire. 116 Rapport national de la Colombie (FR), p. 36 ; (EN), p. 37. Rapport national de la Grèce (FR), p. 10 ; (EN), p. 12. 118 Rapport national de la Bulgarie (FR), p. 10 ; (EN), p. 14. 119 Rapport national de la Turquie (FR), p. 12 ; (EN), p . 11. 120 Idem (FR), p. 13 ; (EN), p.11. 117 37 2.8 Existe-t-il des procédures d’urgence ? Lesquelles ? Sont-elles destinées uniquement à prendre des mesures provisoires et conservatoires ou peuvent-elles régler un litige au fond ? De manière générale, le juge peut être saisi à tout moment d’une demande tendant à ce qu’il prenne des mesures urgentes pour suspendre l’exécution d’un acte ou d’une décision administratifs, totalement ou partiellement, jusqu’à ce que le tribunal se prononce, soit au fond, soit sur des procédures préliminaires. Dans plusieurs pays de droit continental (civil law) s’est développé un système de « référés », qui permettent à un juge unique, désigné par un président de chambre ou le président de la juridiction, de décider en urgence, après audience publique, de la suspension d’une décision de justice ou de toute mesure utile pour protéger des libertés individuelles, mais aussi l’exercice d’autres droits comme le droit de propriété. Ces procédures permettent également le règlement en urgence de créances, lorsque la dette du débiteur n’est pas sérieusement contestable. En règle générale, l'ordonnance rendue en référé par le juge est susceptible de faire l’objet d’un recours devant une juridiction supérieure, où il sera examiné en formation collégiale. Lorsque des libertés fondamentales sont en jeu, des dispositions peuvent être prises pour que l’affaire soit examinée dans un délai extrêmement bref. Le rapport de la France souligne qu’à la suite de l’introduction des référés, il y a environ dix ans, juridictions administratives ont développé une véritable « culture de l’urgence » 121 les , dont l’objectif est de prévenir que les actes administratifs susceptibles d’être annulés par la suite puissent conduire à des préjudices irréversibles ou irréparables (Ce concept de « culture » est souvent d’une importance fondamentale pour la modification de pratiques existantes ou l’introduction de nouvelles règles). Afin de pouvoir obtenir du juge des mesures sur le fondement de ces procédures, il est en général nécessaire que le demandeur établisse, d’une part, l’existence d’une situation requérant des mesures urgentes et, d’autre part, l’existence d’une crainte raisonnable de dommages ou de pertes. Dans les pays de Common Law, les tribunaux ont des pouvoirs extrêmement étendus pour prendre, par ordonnance des mesures suspensives. Ces mesures sont en général accordées lorsqu’il existe des perspectives raisonnables de succès de la demande au fond et lorsque la prise en considération de l’équilibre entre les inconvénients (« balance of 121 Rapport national de la France (FR), p. 22. 38 convenience ») pour chaque partie des mesures provisoires penche en faveur de l’octroi de telles mesures à celui qui les demande. Dans les pays de Common Law, des injonctions et des mesures provisoires peuvent également être sollicitées du juge dans l’objectif de la préservation des documents et des preuves. Lorsque l'affaire est extrêmement urgente, en cas de démolition imminente d'un bâtiment, par exemple, ou d’expulsion d'un non-résident ayant sollicité le statut de réfugié, une demande peut être faite ex parte pour préserver la situation et une injonction peut être obtenue en quelques heures. Les mesures ordonnées le sont toutefois pour une très courte durée, jusqu’à ce qu’une nouvelle ordonnance intervienne, après avoir laissé la possibilité au défendeur de présenter ses arguments. Les mesures de suspension et les mesures provisoires expirent lorsque l’affaire est décidée sur le fond de manière définitive. Ces mesures sont temporaires par nature dans le sens où elles n’ont de force contraignante que jusqu’à ce que la juridiction se détermine sur le fond ou jusqu’à l’intervention d’une nouvelle ordonnance. Elles visent à préserver le statu quo ante. La mise en œuvre des procédures d’urgence peut souvent conduire à ce que la solution de la totalité de l’affaire soit déterminée très rapidement. La solution rendue par le juge des référés conduit en effet les parties à évaluer de manière raisonnable leurs chances de succès. Par ailleurs, la tenue d’une audience de référé peut souvent conduire la juridiction à audiencer de manière accélérée le jugement de l’affaire au fond, afin d’éviter les mesures provisoires ne conduisent elles-mêmes à des conséquences importantes, ou pour minimiser ces conséquences. 3. Les pouvoirs du juge administratif 3.1 Quelle est la hiérarchie des normes dont le juge administratif contrôle le respect (Constitution, traités internationaux, lois) ? La notion de «hiérarchie» désigne la priorité entre elles des règles qu’applique le juge administratif lors de l’examen des recours portés devant lui. Elle dépend de la source juridique dont procède le droit qui est invoqué. En cas de conflit, les normes plus élevées dans cette « hiérarchie » priment sur les normes d’un rang inférieur. Dans la plupart des cas, les rapports décrivent ainsi la hiérarchie des normes : 39 La Constitution Dans certains pays, il n’existe pas de constitution écrite. Telle est le cas au RoyaumeUni 122 et en Nouvelle-Zélande 123 où c’est la jurisprudence qui a défini le plus grand nombre des principes fondamentaux pertinents. En l'absence de constitution écrite, les lois adoptées par le Parlement constituent la norme de référence la plus élevée pour le contrôle des décisions administratives. Dans ces pays, les traités internationaux peuvent prévaloir sur le droit interne si une loi leur donne une force juridique contraignante. Dans la plupart des autres pays, c’est la Constitution qui prévaut sur les autres normes juridiques, sauf s’il est expressément indiqué que les traités et accords internationaux ont une autorité qui lui est supérieure, auquel cas l’ensemble des normes leur sont soumises. Les rapports de la Belgique 124 et des Pays-Bas 125 , par exemple, indiquent que les traités internationaux prévalent sur la Constitution. Les principes constitutionnels Dans plusieurs pays de droit continental (civil law), un certain nombre de principes et de valeurs, reconnus et appliqués par les juridictions, sont mentionnés dans le texte de la Constitution ou en dérivent directement. Ils expriment et protègent les valeurs et principes fondamentaux du pays considéré, tels que la liberté d'expression, la liberté individuelle, l'égalité de traitement et la dignité humaine. En France, comme dans d’autres pays, le principe de laïcité figure parmi ceux-ci 126 . Les rapports nationaux parlent à cet égard de « principes constitutionnels fondamentaux », de « règles coutumières constitutionnelles » ou de « principes à valeur constitutionnelle ». Y figurent des principes fondamentaux sousjacents qui ne sont pas mentionnés dans la législation, comme celui de continuité du service public. Dans les pays de Common Law, ces principes sont protégés par le pouvoir qu’ont les juridictions de mettre en œuvre les « prerogative writs », comme celui d’habeas corpus, le writ de certiorari et celui de prohibition, par lequel une juridiction peut annuler une décision ou un acte en contradiction avec le droit. Certains pouvoirs qui dérivent du droit non écrit permettent également de remettre en cause la compétence d’une personne pour exercer une charge publique (quo warranto). Le plus imposant des « writs » est celui d’habeas corpus. L’abondante jurisprudence qui en définit la nature et la portée a récemment été 122 Rapport national du Royaume-Uni (EN), p. 2. Rapport national de la Nouvelle-Zélande (EN), p. 7. 124 Rapport national de la Belgique (FR), p. 11 ; (EN), p. 8. 125 Rapport national des Pays-Bas (EN), p. 28-29. 126 Rapport national de la France (FR), p. 23. 123 40 approfondie par les juridictions fédérales des Etats-Unis à propos de l’incarcération de citoyens américains et de ressortissants étrangers à Guantanamo Bay. Le droit international Dans beaucoup de pays (régime dualiste), le droit international issu des traités doit être spécifiquement adopté par le parlement (par exemple: le Canada, la Chine, la Finlande, l'Allemagne, la Norvège et le Royaume-Uni). Dans d'autres pays (régime moniste) comme la Suisse, la France et la Pologne, les traités internationaux n’ont pas à faire l’objet d’un acte de réception dans l’ordre juridique interne. En Thaïlande, la non-conformité d’une décision administrative aux traités et accords internationaux ne peut être contestée devant les juridictions 127 . Dans les autres cas, les traités n'ont pas besoin de faire l’objet d’un acte d’adoption particulier, parce qu'ils s'appliquent automatiquement dès l’adhésion au traité. Dans la majorité des pays, le droit international en vigueur prévaut sur les normes législatives. Néanmoins dans certain cas, les rapports entre la loi et le dorit international peuvent dépendre de la nature et de la date d’entrée en vigueur des traités. En Turquie, par exemple, certains traités internationaux sont mentionnés dans la Constitution et ont donc une valeur constitutionnelle. Tel est le cas des traités relatifs aux droits fondamentaux, comme la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévalent sur les lois en cas de conflit, alors que les autres traités ont la même valeur que ces dernières 128 . En Autriche, le droit international ne prévaut pas sur le droit national ou les lois fédérales, comme c’est le cas dans d’autres pays, sauf s’il est adopté postérieurement à la loi, en vertu du principe lex posterior derogat legi priori. A l’inverse, une loi nationale ou fédérale promulguée plus récemment prévaudra sur un traité antérieur 129 . Dans les pays de l'Union européenne, la place du droit européen vis-à-vis du droit interne dans la hiérarchie des normes soulève d’intéressantes questions. Dans ces pays, les normes juridiques qui émanent de l’Union européenne prévalent généralement, en cas de conflit, sur les normes internes, que la norme communautaire soit contenue dans un traité, un acte de droit dérivé, qu’elle soit un principe général du droit ou qu’elle procède d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne. Le cas de Chypre est particulièrement intéressant à cet égard. Selon un amendement apporté à la Constitution en 2006, aucune disposition de la Constitution ne peut rendre invalide (i) les lois, (ii) les actes, ou (iii) les mesures prises par la République de Chypre, lorsque ceux-ci sont nécessaires à l’exécution des obligations qui découlent de son adhésion à l’Union européenne 130 . Dans 127 Rapport national de la Thaïlande (EN), p. 64. Rapport national de la Turquie (FR), p. 14 ; (EN), p. 12. 129 Rapport national de l’Autriche (FR), p. 12 ; (EN), p. 14. 130 Rapport national de Chypre (EN), p. 12. 128 41 cette mesure, le droit de l’Union européenne prévaut sur les dispositions constitutionnelles expresses. S’agissant du droit international coutumier, la lecture des rapports nationaux n’a pas permis de mettre en évidence une pratique générale claire. Dans certains pays, les principes généraux du droit international prévalent sur la loi et créent des droits et des devoirs pour les habitants du pays (en Allemagne 131 et en Grèce 132 par exemple). Dans d’autre pays, ces principes ont un rang inférieur à la loi dans la hiérarchie des normes, sauf lorsqu’il s’agit de principes généraux du droit de l’union européenne (en France par exemple). Les lois – la législation Ces termes renvoient aux actes adoptés par le Parlement. Le droit réglementaire - la législation déléguée Le droit réglementaire comprend les règles, les règlements, les ordonnances et les décrets d’application des lois, de même que les règlements administratifs et les autres dispositions prises en vertu d’une délégation législative. Les principes généraux du droit Cette notion recouvre les règles élaborées par le juge, qui imprègnent et guident l’interprétation du droit national. Le rapport de la Thaïlande, par exemple, mentionne une décision de la cour suprême administrative annulant un règlement qui méconnaissait un principe général du droit exigeant que les textes juridiques thaïlandais soient écrits en langue thaïlandaise et puissent ainsi être parfaitement compris 133 . Ces règles d’origine jurisprudentielle constituent un fondement de principes et de règles qui ne figurent pas dans les lois mais peuvent être modifiés ou abrogés par le législateur si celui-ci en exprime clairement l’intention. Ces principes généraux du droit, tout comme la jurisprudence des juridictions à dont ils font partie, constituent un ensemble de principes qui influencent l’interprétation des dispositions législatives, en renforçant la prise en compte des droits de l’homme et des principes fondamentaux. Ainsi, les lois seront généralement interprétées, sauf dispositions expresses en sens contraire, comme ne permettant pas de porter atteinte à la liberté 131 Rapport national de l’Allemagne (EN), p. 17. Rapport national de la Grèce (FR), p. 10 ; (EN), p. 13. 133 Rapport national de la Thaïlande (EN), p. 67. 132 42 individuelle ou au droit de propriété. Les juridictions y ont recours lorsqu’aucune disposition législative n’existe. Ces principes constituent alors une base légale qui permet de fonder la décision. Dans les fédérations d’Etats (comme l'Australie) ou les confédérations (comme la Suisse ou le Canada), tant le Parlement national que les gouvernements des états, provinces, régions ou cantons sont compétents pour adopter des normes juridiques générales et impersonnelles. Dans ces cas, c’est la Constitution qui détermine quelles normes prévalent sur les autres et qui définit les domaines de compétence exclusifs du Parlement fédéral. En Australie, par exemple, si deux lois adoptées respectivement par le Parlement d’un Etat et par le Parlement fédéral sont en contradiction, la Constitution prévoit explicitement la primauté de la loi fédérale – dans la limite des dispositions de la loi de l’Etat qui lui sont contraires. En cas de contrariété, les juridictions doivent donc appliquer la loi fédérale et non la loi de l’Etat. 3.2 L’interprétation des lois donnée par l’administration (« circulaires ») peut-elle être attaquée devant le juge – et si oui, au regard de quelles règles et critères – ou s’impose-t-elle à lui ? Oui. La plupart des rapports indiquent, sans aucune réserve significative, que les juridictions ne sont pas liées par l’interprétation que l’administration donne des lois. Cela n’est guère surprenant au regard du principe selon lequel le rôle fondamental des juridictions est d’interpréter et de rendre plus claire le droit et son application et non (au moins en théorie), de créer de nouvelles règles. Plusieurs rapports nationaux ont indiqué que, dans certains domaines, eu égard à leur nature particulière, les juridictions se soumettent à l’interprétation de la loi donnée par l’exécutif, les administrations ou les organismes publics. Tel est le cas dans des matières particulièrement techniques, dans lesquelles certains ministères ou organismes publics sont plus spécialisés. Ceux-ci ont alors une expertise et des connaissances particulières qui doivent être prises en considération. En outre, comprendre les méthodes de fonctionnement de l’exécutif et les raisons pour lesquelles un texte a été interprété d’une certaine manière permet d’exercer un contrôle clair et cohérent sur l’administration. Dans la plupart des pays, les rapports nationaux indiquent en effet que les ministères et les organismes publics adoptent des circulaires et directives générales qui interprètent les dispositions législatives et réglementaires, afin d’en assurer une application uniforme par l’ensemble des administrations. Cela ne signifie pas, néanmoins, que l’interprétation contenue dans ces 43 circulaires et ces directives liera les juridictions dans l’interprétation du droit à l’occasion des recours formés contre les actes administratifs. La fonction d’interpréter et d’imposer l’application du droit, et de la loi en particulier, a toujours été, historiquement et presque de manière universelle, celle des juges et non des pouvoirs exécutif et législatif. Mais cela ne signifie pas que les juges ne prêtent pas attention à l’interprétation de la loi –lorsqu’il en existe une- que donnent l’exécutif et le Parlement. Dans la plupart des pays –de Common Law comme de droit continental-, les travaux préparatoires 134 sont pris en considération pour l’interprétation des lois. Les juridictions regardent ainsi l’objet des dispositions législatives tel qu’il a été exprimé dans les discours prononcés devant le Parlement ou dans l’exposé des motifs qui accompagne le projet de loi transmis au Parlement. Ces documents retracent les buts et intentions du législateur. En dernier lieu, toutefois, seule l’interprétation de la loi donnée par le juge aura un caractère contraignant. En Suède, ainsi que l’a souligné le Président Sten Heckscher, la Constitution prévoit qu’aucune autorité publique –ce qui inclut le Gouvernement- ne puisse exiger qu’une autorité administrative décide dans un sens déterminé lorsqu’elle met en œuvre ses prérogatives de puissance publique à l’égard des particuliers ou d’une autorité locale 135 . Par suite, les décisions administratives ne relèvent pas de l’exercice du pouvoir politique, pas plus que les juridictions administratives lorsqu’elles contrôlent la légalité des décisions de l’administration. Le pouvoir de décider n’est pas considéré, pour l’administration, comme résultant d’une délégation du pouvoir politique, mais comme un pouvoir qui lui est dévolu en propre. Dès lors, l’interprétation de la règle de droit fait par le Gouvernement ou les ministères ne lient pas les autorités administratives dans leur pouvoir de décision. En général, la légalité d’une norme ou d’une obligation édictée par l’administration peut être vérifiée en déterminant si l’interprétation que donne cette dernière des lois et du droit est en contradiction ou non avec une règlementation ou une norme qui se situe à un degré plus élevé dans la hiérarchie des normes (ultra vires). Ainsi que le souligne le rapport de Chypre, la légalité de l’interprétation du droit faite par l’administration est examinée au regard, notamment, du droit communautaire et des principes constitutionnels, en utilisant les pratiques standards de l’interprétation du droit, qui tiennent compte de l’objet et du but des dispositions interprétées, mais aussi de la langue utilisée, du contexte et de la signification 134 135 NDT en français dans le texte. Heckscher S., ‘Should the Swedish Model of Administrative Justice be Abandoned?’, Constitutions and Institutions, Honoris Causa Eivind Smith, Seminar at the Norwegian Academy of Science and Letters, 30 novembre 2009, p. 3 44 courante des termes utilisés 136 . Les juridictions prennent également en considération l’interprétation de ces dispositions qui résulte de précédentes décisions de jurisprudence et des circonstances qui ont conduit à adopter ces dispositions. De simples circulaires générales qui n'affectent en rien les intérêts particuliers des personnes ne peuvent généralement pas être contestées – du moins pour leur partie purement interprétative. L’Allemagne, l’Autriche et la Suisse représentent à cet égard des exceptions puisque dans ces pays, ainsi que le souligne le rapport de l’Allemagne, l’interprétation de la loi donnée par l’exécutif, que l’on trouve généralement dans les circulaires et les directives, peut faire l’objet, sans restriction aucune, d’un contrôle devant les juridictions 137 . Mais dans la plupart des cas, les circulaires générales ne peuvent être contestées que lorsque l'interprétation qu’elles donnent de la loi a un effet particulier sur des personnes ou des projets ou le cours d’une action contentieuse. Lorsque les circulaires sont appliquées par l’administration comme des textes contraignants, elles peuvent alors être contestées. En revanche, une déclaration faite par un ministre ou un haut fonctionnaire quant à l’interprétation d’une loi ne lie jamais le tribunal. Lorsque l’interprétation de la Constitution est faite sous la forme de directives générales, celles-ci ne lient pas les juridictions. Ces directives sont considérées comme des orientations ou des indications mais non comme des instructions contraignantes. Dans certains cas, pour les pays de Common Law, lorsque ces directives générales sont appliquées sans prise en considération des circonstances particulières de chaque cas, la décision prise sur leur fondement sera annulée. 3.3 L’interprétation des traités donnée par l’administration s’impose-t-elle également au juge ? Dans la plupart des cas, les juridictions ne sont pas liées par l’interprétation des traités donnée par l’exécutif. La plupart des tribunaux appliquent les principes d’interprétation qui résultent de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 (articles 31 et 32). Parfois, néanmoins, certaines juridictions s’estiment liées par l’interprétation donnée par l’exécutif, parce que la conclusion des traités relève des relations entre les Etats et peut faire intervenir des considérations de politique étrangère, comme la nécessaire cohérence 136 137 Rapport national de Chypre (EN), p. 14. Rapport national de l’Allemagne (EN), p. 20. 45 des relations internationales, ce qui peut persuader les juridictions de suivre l’interprétation du traité donnée, par exemple, par le ministère des affaires étrangères, en particulier lorsque cette interprétation est ancienne, mais à condition qu’elle soit raisonnablement ouverte. Dans certains cas, les tribunaux prennent en considération l’interprétation des traités donnée par les autorités sans s’estimer liés par celles-ci. Devant les juridictions australiennes, lorsque l’interprétation susceptible d’être donnée par la juridiction peut avoir des répercussions sur l’exercice de services publics placés sous la responsabilité d’un ministre, ce dernier peut être autorisé à intervenir, de manière confidentielle, pour donner son interprétation et motifs qui l’expliquent. Le rapport de la France indique que, dans ce pays, la réponse apportée à cette question pu être variable. C’est une décision de la Cour européenne des droits de l’homme qui a conduit à un changement de pratique en la matière et, désormais, depuis 1990 le juge administratif assume l’entière responsabilité de l’interprétation des traités, en prenant toutefois en considération la position de l’exécutif 138 . 3.4 Caractériser, au regard de quelques exemples tirés de la jurisprudence, la portée et l’intensité du contrôle opéré par le juge : le juge de l’administration pratique-t-il un contrôle de proportionnalité entre les motifs d’une décision administrative et le contenu de cette décision ? On pourra notamment penser à des exemples retenus en matière de police ou de droit de l’urbanisme. Trois sujets différents ont été abordés dans les rapports nationaux, en rapport avec ce point relatif à la manière dont les juridictions contrôlent les décisions administratives : L’objet et la définition du contrôle judiciaire des décisions administratives ; La définition du contrôle du caractère raisonnable/ proportionné des décisions administratives ; La pratique du contrôle du caractère raisonnable/proportionné des décisions administratives. 138 Rapport national de la France (FR), p. 24. 46 En premier lieu, il est intéressant de constater que tous les pays ont une approche similaire de l’objet et de la définition du contrôle judiciaire des décisions administratives. Dans les pays de Common Law, les juridictions contrôlent le pouvoir discrétionnaire de l’administration en utilisant les standards du « judicial review » (contrôle judiciaire). Les fondements de ce contrôle comprennent notamment le contrôle des erreurs manifestes entachant la forme de la décision, celui de l’erreur de fait ou de droit, le contrôle des discriminations, de l’ultra vires, du caractère approprié ou non et complet ou non des considérations et critères pris en compte par l’administration, le contrôle du caractère équitable de la procédure, de la mauvaise foi, de l’erreur d’appréciation grossière, l’insuffisance du raisonnement, et/ou celui des erreurs significatives de fait ou de droit. L’approche du contrôle discrétionnaire en Australie, qui est similaire à celle des autres pays de Common Law, est opportunément résumée par la citation d’un arrêt de principe rendu par la Haute Cour à propos de la durée d'une peine d'emprisonnement - House v The King (1936) 55 CLR 499- : « ….Il doit apparaître que des erreurs ont été commises dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Si le juge se fonde sur un principe erroné, s'il s’autorise à être guidé ou affecté par la prise en considération d’éléments étrangers à l’affaire ou s'il se trompe sur les faits, s'il ne prend pas en compte certains faits, alors son jugement peut faire l’objet d’un contrôle et la cour d’appel peut alors substituer son propre pouvoir discrétionnaire à celui du premier juge, si elle dispose des éléments pour ce faire. Il est possible que le raisonnement par lequel le premier juge a abouti à la solution dont il a décidé de l’affaire ne soit pas apparent mais si, au regard des faits, la solution apparaît comme déraisonnable ou complètement injuste, la Cour d’appel peut en déduire que, d’une certaine manière, le pouvoir discrétionnaire que la loi ouvre au juge de première instance n’a pas été exercé correctement. Dans ce cas, même si la nature exacte de l’erreur commise n’est pas immédiatement identifiable, l’exercice du pouvoir discrétionnaire fait l’objet d’un contrôle au motif qu’il en a résulté un tort important. … » Tous les rapports établis par des pays de droit continental indiquent également que l’objet du contrôle judiciaire porte sur le fait savoir si la décision contestée a été prise par une autorité compétente, dans les limites de ses pouvoirs, après une procédure juste et équitable –impliquant normalement la motivation de la décision-. En d’autres termes, il s’agit de déterminer si la décision attaquée est fondée sur des faits et des considérations pertinents et si l’administration a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire. 47 En deuxième lieu, il est également intéressant de constater que la définition du contrôle du caractère raisonnable ou de la proportionnalité des décisions administratives fait l’objet, dans les grandes lignes, d’une approche similaire par l’ensemble des pays. Tous les rapports, ceux de pays de droit continental (civil law) comme ceux des pays de Common Law, soulignent la nécessité de contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration en appréciant le caractère « raisonnable » de l’action de celle-ci, ou en utilisant des fondements et degrés de contrôle similaires -–mais pas nécessairement identiques – comme celui de l’erreur manifeste d’appréciation ou la notion de proportionnalité. Tous les rapports soulignent également que l’étendue du pouvoir discrétionnaire de l’administration est déterminée en fonction de la précision des lois qui le définissent. Ainsi que le rapport du Portugal, tout comme celui de nombreux autres pays, le met en évidence, la marge d’action de l’administration dépend du point de savoir si la législation qui lui permet d’exercer ce pouvoir permet un nombre restreint ou non d’actions possibles. Mais même lorsque la marge discrétionnaire de l’administration est vaste et ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire approfondi, la décision administrative prise sur le fondement de ce pouvoir doit toujours présenter un caractère raisonnable. Dans certains cas, les critères particuliers qui définissent le pouvoir discrétionnaire de l’administration sont mentionnés en détail dans les dispositions législatives qui prévoient l’exercice de ce pouvoir, soit que ces critères soient expressément énumérés, soit qu’ils soient implicites et puissent être déduits d’une lecture minutieuse de la loi dans son ensemble. Dans d’autres cas, néanmoins, l’exercice du pouvoir discrétionnaire est large et n’est pas déterminé par des critères précis. Dans cette situation, le contrôle exercé par les juridictions sur les décisions administratives est plus lointain, seules les erreurs les plus grossières sont alors censurées. En troisième lieu, il est également intéressant de constater une approche similaire, par l’ensemble des pays, dans la pratique du contrôle du caractère raisonnable et de la proportionnalité des décisions administratives. Cela passe notamment par un renforcement progressif, par l’ensemble des juridictions, de l’intensité du contrôle qu’elles exercent sur les décisions de l’administration. Dans les pays de Common Law, le «caractère raisonnable» d’une décision s’apprécie en se demandant si la décision n’est pas à ce point déraisonnable qu’aucune personne ou 48 groupe de personnes doués de raison n’auraient pu prendre une telle décision. Ce concept est nommé “Wednesbury unreasonableness", en référence à une célèbre décision de justice rendue sur une affaire impliquant un établissement public dénommé Wednesbury Corporation. Lorsqu’ils examinent la question du caractère raisonnable d’un acte administratif, les juridictions essaient en pratique de déterminer si cet acte n’est pas « manifestement disproportionné ». Dans une certaine mesure, ce contrôle correspond à celui de l’ « erreur manifeste d’appréciation » décrite dans le rapport national de la France comme une erreur grossière ou évidente 139 . Ce rapport donne également un exemple relatif au contrôle des sanctions prises à l’encontre des fonctionnaires et agents publics. Dans ce cas, le juge exerce un contrôle approfondi sur le fait de savoir si l’exercice même d’une sanction est justifié ou non (contrôle normal), en examinant le comportement de l’agent dans le service et ses antécédents. En revanche, le juge n’exerce qu’un contrôle restreint sur le niveau de la sanction (contrôle de l’erreur manifeste) 140 . Au-delà de ce contrôle de l’erreur manifeste, de nombreux rapports font état d’un renforcement de l’intensité du contrôle exercé par les juridictions. Au Royaume-Uni, la proportionnalité des actes administratifs constitue désormais un fondement un fondement de contrôle indépendant qui permet aux juridictions d’exercer un contrôle renforcé. Le juge étudie alors les aspects factuels de la décision de plus près que lorsqu’il exerce un contrôle du caractère manifestement déraisonnable de cette décision. Dans certains pays de Common Law, le contrôle du caractère déraisonnable est seulement l’un des nombreux fondements qui permettent d’apprécier l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Il ne s’agit pas d’un contrôle qui, a lui seul, permet de censurer l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Ainsi, à l’occasion du contrôle d’un permis de construire, le juge peut être conduit à se demander si l’une des conditions imposées pour l’octroi de ce permis n’est pas tellement couteuse et tellement peu nécessaire qu’elle doive être regardée comme entachée d’erreur d’appréciation. Pour arriver à une telle conclusion dans certaines affaires traitant de sujets économiques, plusieurs juridictions ont pris en considération le rapport coûts/avantages de l’opération. Lorsque le rapport coûts/avantages d’un projet particulier autorisé par une décision administrative est manifestement disproportionné, ou dans le cas d’une sanction manifestement disproportionnée aux agissements commis, alors la décision peut être annulée totalement. Le rapport de la Corée mentionne ainsi un contrôle de « la balance des intérêts » 141 .Le rapport de la Thaïlande, en lien avec la notion de mauvaise foi, donne un l’exemple de la validation, par le juge, d’une décision portant restriction de droits 139 Rapport national de la France (FR), p. 27. Idem (FR), p. 29. 141 Rapport national de la Corée (EN), p.17. 140 49 de pêche, en raison du caractère proportionné de cette décision à l’intérêt public de protection des ressources marines pour le futur 142 . Le rapport de l’Afrique du Sud se réfère également au critère de « rationalité » comme fondement du contrôle 143 , et celui de la Nouvelle-Zélande indique que, dans certains cas particuliers, en matière de protection des droits de l’homme, les juridictions ont évoqué la nécessité d’un renforcement du contrôle exercé et ont ainsi une approche désormais variable en intensité du contrôle du caractère déraisonnable des décisions 144 . Dans beaucoup de pays de droit continental, le juge apprécie et teste la validité d’une mesure en examinant la proportionnalité entre les motifs et le résultat. Le rapport de la France mentionne deux exemples 145 . Le premier exemple est celui des mesures de police administrative, domaine dans lequel le principe général est que la liberté et la règle et la restriction l’exception. Le juge, lorsqu’il contrôle une telle mesure, examine le caractère proportionnel et nécessaire de celle-ci par rapport aux circonstances qui imposent que cette mesure soit prise. Cet examen peut donner lieu à l’appréciation du conflit entre une liberté –individuelle par exemple- et les nécessités de l’ordre public. Le juge examine alors attentivement le lien entre les deux et détermine si la décision administrative est raisonnable et proportionnée à l’objectif poursuivi. L’administration peut en effet limiter l’exercice d’une liberté dans l’intérêt du maintien de l’ordre public, mais uniquement si cela est strictement nécessaire. Le second exemple mentionné est celui de l’éloignement des étrangers, domaine dans lequel le juge apprécie le caractère disproportionné ou non entre les objectifs de la mesure et l’atteinte portée au droit à une vie privée et familiale. Une autre méthode d’examen des rapports de proportionnalité est d’opérer une comparaison coûts/avantages entre, d’un côté, l’utilité publique et, de l’autre, le coût d’une opération. Une telle approche est utilisée dans le domaine de l’expropriation, lorsque l’intérêt qui s’attache à l’acquisition d’une propriété par un organisme public est mis en balance avec les intérêts du propriétaire privé. Cette approche coûts / avantages est mentionnée, par exemple, dans le rapport de la Grèce 146 . La question qui est alors posée est celle de savoir si la balance entre les effets positifs et négatifs de l’opération conduit à se prononcer en faveur ou en défaveur de l’acte qui l’autorise. Cette approche fondée sur l’équilibre coûts/avantages est utilisée dans les 142 Rapport national de la Thaïlande (EN), p . 70. Rapport national de l’Afrique du Sud (EN), p. 18. 144 Rapport national de la Nouvelle-Zélande (EN), p. 5. 145 Rapport national de la France (FR), p. 28-29. 146 Rapport national de la Grèce (FR), p. 12 et sq. ; (EN), p. 15 et sq. 143 50 domaines relatifs à l’aménagement urbain, à la création de zones de conservation ou de protection. Plusieurs rapports se réfèrent également, lorsqu’ils évoquent le contrôle exercé dans ce domaine, à un test permettant de savoir s’il existe d’autres solutions possibles au projet d’aménagement proposé, par exemple la construction de l’usine projetée dans une zone résidentielle. Un traitement discriminatoire non justifié peut aussi constituer un motif de contrôle d'une décision ou d’un acte administratif. Ainsi, imposer à un candidat des conditions plus strictes qu’à un autre sans justification particulière peut être un motif de contestation d’une décision 147 . 3.5 Le choix offert au juge est-il seulement d’annuler la décision administrative contestée ou de rejeter la requête ? Peut-il en outre modifier ou réformer la décision ? Dans les pays où le contrôle exercé par les tribunaux est un contrôle de l’excès de pouvoir -judicial review- (en d’autres termes un contrôle de la légalité d’une décision administrative), le juge n’a généralement pas le pouvoir de modifier la décision initiale. La juridiction indique les motifs de l’illégalité, annule la décision et renvoie à l’autorité administrative le soin de déterminer les mesures à prendre, dans le respect de la décision du juge. Dans les systèmes de Common Law où le « judicial review » est en vigueur, le juge peut prendre lui-même la décision finale afin d’éviter des couts et délais supplémentaires inutiles, sans renvoyer le soin de prendre la décision à l’administration, mais uniquement dans les rares cas où le jugement ne peut conduire qu’à une seule solution possible. Dans un certain nombre de pays, le « judicial review » est exercé par les juridictions, mais il existe un système parallèle de tribunaux administratifs, compétents pour examiner au fond et juger les recours portés contre des actes administratifs. Tel est le cas en Australie. Les décisions du Tribunal administratif ne peuvent en général pas faire l’objet d’un recours en « judicial review » devant les juridictions, mais seulement d’un recours portant sur 147 Rapport national de la Thaïlande (EN), p. 72. 51 l’application correcte des règles de droit. En Australie, néanmoins, le Tribunal d’appels administratifs lorsqu’il contrôle les décisions de l’administration, est compétent pour reconsidérer, à la lumière des éléments nouveaux dont il dispose, le fond même de la décision, prise par un ministère ou une autorité administrative, qui est contestée devant lui. Le Tribunal peut également renvoyer à l’administration le soin de prendre la décision finale mais en principe, la fonction première du Tribunal d’appels administratifs d’Australie est de déterminer la décision « juste et préférable » qui aurait dû être prise par le ministre ou l’organisme public, tant au regard des faits que du droit 148 . Dans les rapports qui ont été produits, il semble qu’aucune autre juridiction ne puisse exercer un contrôle aussi complet sur le fond des décisions de l’administration. Les rapports de la plupart des autres pays ont indique que si la décision administrative est annulée en raison de son illégalité, l’affaire est alors renvoyée pour un nouvel examen à l’autorité administrative auteur de l’acte ou de la décision. Dans certains pays (à Chypre par exemple), le fait pour les juges de déterminer le fond d’une décision administrative méconnaîtrait la stricte séparation des pouvoirs prévue par la Constitution. Cette solution s’explique par le fait que la mission de prendre une décision administrative sur un cas particulier relève, dans l’organisation des pouvoirs, du pouvoir exécutif et non juridictionnel. Ce problème constitutionnel ne se présente pas lorsque les juridictions font elles-mêmes partie de l’exécutif Dans les pays de droit continental, les juridictions administratives relèvent souvent du pouvoir exécutif sans toutefois être subordonnées au Gouvernement. Selon ce schéma, il n’existe aucun problème en termes de séparation des pouvoirs. Certains rapports nationaux ont indiqué que les juges ont en principe le pouvoir de substituer leur propre décision à celle initialement prise par les autorités administratives (la Bulgarie 149 , la Finlande 150 , la Suède 151 , la Lituanie 152 et la Suisse 153 ). Dans beaucoup d’autres pays, le juge n’a le pouvoir de modifier la décision administrative initiale que dans un certains nombres de domaines, comme celui des sanctions administratives par exemple. 148 Rapport national de l’Australie (FR), p. 21 ; (EN), p. 20. Rapport national de la Bulgarie (FR), p. 14 ; (EN), p. 21. 150 Rapport national de la Finlande (EN), p. 10. 151 Rapport national de la Suède (EN), p. 7. 152 Rapport national de la Lituanie (EN), p. 11. 153 Rapport national de la Suisse (FR), p. 17. 149 52 Le rapport français donne quelques exemples de domaines limités dans lesquels le juge a le pouvoir de modifier lui-même la décision de l’administration, comme celui de l’environnement ou celui des recours en matière fiscale. Une distinction existe alors, dans les recours qui sont exercés, entre ceux dans lesquels seule l’annulation peut être demandée et ceux dans lesquels le juge est un juge de pleine juridiction. En France, le juge peut ainsi être conduit à statuer sur des affaires dont l’issue ne conduit pas uniquement à l’annulation de la décision attaquée ; c’est ce qui est appelé le « plein contentieux », qui peut être rapproché de la notion d’ « appel » (appeal) dans les pays de Common Law. Dans le contentieux de l’annulation, il est également possible que l’acte attaqué ne soit annulé que partiellement, sous réserve que la partie de l’acte entachée d’illégalité soit « détachable » du reste de l’acte ou de la décision. Dans ces cas, les juges ont ainsi plus de pouvoir et peuvent modifier la décision attaquée en y substituant une nouvelle décision. Ce pouvoir de substitution s’applique également dans d’autres domaines, comme les élections et dans certains contentieux économiques, en matière d’environnement, d’autorisations de certaines constructions, dans le contentieux des autorités administratives indépendantes, dans le domaine de l’audiovisuel ou des marchés financiers par exemple 154 . 3.6 Lorsqu’il annule la décision, le juge fait-il toujours produire effet à cette annulation à la date à laquelle la décision a été prise. Peut-il moduler dans le temps les effets de l’annulation ? Dans la majorité des pays qui connaissent un contentieux de l’annulation, cette dernière, lorsqu’elle est prononcée, s’opère de manière rétroactive ; c’est-à-dire à partir de la date à laquelle la décision attaquée a initialement été prise. L’effet du jugement est donc de restaurer la situation qui existait avant l‘intervention de la décision qui a été annulée (le statu quo ante). L’annulation rétroactive de la décision est une conséquence logique du fait que si une décision est annulée, elle est réputée n’avoir jamais existé. La question ne se pose pas, en revanche, ddans les juridictions devant lesquelles l’exercice d’un recours suspend l’exécution de la décision (Finlande, Allemagne, Autriche, Bulgarie). En pratique, néanmoins, l’annulation rétroactive d’une décision peut donner lieu à des difficultés considérables, dans le cas où, par exemple, la décision administrative a créé des droits pour les parties entre le moment où elle a été prise et le moment où la juridiction en déclare la nullité. 154 Rapport national de la France (FR), p. 30. 53 En Suisse, l’annulation ne prend effet qu’à compter de la décision de la juridiction. Le juge ne module par conséquent pas la date de l’annulation pour qu’elle prenne effet de manière rétroactive. Il existe toutefois certaines exceptions, conduisent à une intervention du législateur 155 qui, en règle générale, . Les problèmes susceptibles de naître du fait du caractère rétroactif de l’annulation des décisions administratives sont illustrés par plusieurs exemples mentionnés dans les différents rapports. L’exemple du permis de construire en est un, puisque celui-ci peut, le cas échéant, être annulé alors même que la construction de l’immeuble a débuté. Partant, la plupart des rapports nationaux indiquent que les juridictions ont le pouvoir de moduler les effets des décisions afin d’amoindrir les conséquences défavorables qui peuvent être occasionnées à certaines personnes du fait de l’invalidation d’une décision. Les mesures en ce sens peuvent inclure l’octroi d’une indemnisation ou d’un dédommagement. En France, par exemple, ce problème a été résolu par une décision du Conseil d’Etat en 2004. Depuis, les juridictions peuvent prendre en considération de manière plus approfondie les conséquences du caractère rétroactif des décisions et les préjudices qui peuvent en résulter, en modulant dans le temps les effets des annulations contentieuses 156 . Afin de déterminer s’il convient de moduler ou non l’effet rétroactif d’une décision d’annulation, le juge tient compte de l’importance de l’illégalité qui a été commise et de l’équilibre entre cette illégalité et les préjudices susceptible de résulter, pour les parties ou les tiers, du caractère rétroactif de l’annulation. Dans les pays de Common Law, une démarche similaire est mise en œuvre à l’occasion de l’évaluation par le juge des préjudices susceptibles de naître du fait des demandes d’injonctions discrétionnaires qui lui sont formulées. Cette méthode est souvent dénommée celle de l’ « équilibre des intérêts en présence » (« balance of convenience »). En Grèce, les juridictions n’ont pas le pouvoir de limiter dans le temps les effets des décisions de justice. Ce pouvoir discrétionnaire de moduler la date à laquelle le jugement deviendra effectif ou d’accorder des mesures compensatoires permet de prévenir ou d’amoindrir le préjudice résultant des décisions de justice. 155 156 Rapport national de la Suisse (FR), p. 18. Rapport national de la France (FR), p. 31. 54 3.7 De quels moyens le juge dispose-t-il pour imposer à l’administration l’exécution d’une décision à laquelle elle ne se conformerait pas spontanément ? Dans certains pays, tel que cela ressort des rapports nationaux, les juridictions administratives ne disposent d’aucun pouvoir particulier pour imposer l’exécution des décisions qu’elles rendent en cas d’échec ou de refus de l’exécution (Finlande 157 , Cameroun 158 , Chypre 159 , Côte-d'Ivoire 160 , Nouvelle-Zélande 161 et Suède 162 ). De manière concrète, néanmoins, il est souligné que les cas dans lesquels les décisions de justice ne sont pas appliqués sont très rares. En Australie, par exemple, le tribunal d’appels administratifs n’a aucun moyen direct pour contraindre l’administration à respecter ses décisions. Les parties qui ne seraient pas satisfaites peuvent néanmoins en appeler à la Cour fédérale pour faire exécuter la décision. Celle-ci a des pouvoirs importants pour faire exécuter les décisions du Tribunal, par la voie, notamment, des procédures d’outrage à la Cour. Dans les pays où le contrôle judiciaire des décisions administratives est exercé par des tribunaux ordinaires, toutes les mesures d’exécution dont disposent les juridictions peuvent ainsi être mises en œuvre. Statistiquement, le rapport français indique que le nombre de recours formés en raison de l’inexécution par l’administration d’une décision de justice est extrêmement faible. En 2008, par exemple, sur 10 250 affaires enregistrées devant le Conseil d’Etat, seulement 120 demandes d’aide à l’exécution ont été présentées devant cette juridiction, 549 devant les cours administratives d’appel (pour 27 802 affaires enregistrées) et 1 245 devant les tribunaux administratifs (pour 176 313 affaires enregistrées) 163 . De plus, ces chiffres renvoient au nombre de demandes d’aide à l’exécution formées, pas au fait de savoir si elles étaient toutes justifiées. Dans la plupart des pays, les juridictions administratives n’assurent pas elles-mêmes et de leur propre initiative le suivi de l’exécution des décisions de justice qu’elles rendent, ni ne s’assurent que leurs décisions sont bien suivies d’effet. Elles ne mettent en œuvre ces pouvoirs qu’à le demande d’une personne qui s’estime lésée par un défaut ou un retard d’exécution. 157 Rapport national de la Finlande (EN), p. 11. Rapport national du Cameroun (FR et EN), p. 7. 159 Rapport national de Chypre (EN), p. 17. 160 Rapport national de la Côte d’Ivoire (FR), p. 10. 161 Rapport national de la Nouvelle-Zélande (EN), p. 9. 162 Rapport national de la Suède (EN), p. 8. 163 Rapport national de la France (FR), p. 35. 158 55 Lorsqu’une personne est victime d’un défaut ou retard dans l’exécution d’une décision de justice, elle peut en général s’adresser aux juridictions afin d’obtenir de celles-ci qu’elles enjoignent à l’administration de se conformer à ses obligations. En cas de refus, le juge peut, dans certains cas, convoquer directement la personne responsable de l’organisme administratif afin qu’elle vienne s’expliquer et pour lui indiquer, le cas échéant, la démarche à suivre (en Thaïlande par exemple 164 ). Le juge peut également ordonner à l’administration de se conformer à la décision dans un délai déterminé. En Indonésie, le défaut d’exécution d’une décision de justice par une partie peut faire l’objet d’une publicité dans les médias pour le grand public, mais il est indiqué que ces mesures sont onéreuses et relativement peu efficaces 165 . Lorsque les procédures d’exécution permettent aux responsables des organismes administratifs de s’expliquer devant le juge, l’affaire peut parfois se résoudre à l’amiable par la voie d’une médiation. Si cette dernière échoue, le juge peut alors imposer une astreinte journalière à l'organisme. Dans certains cas, lorsqu’une demande d’aide à l’exécution est formée, les juridictions peuvent nommer un représentant qui agit en lieu et place de l’administration et peut procéder à toutes les diligences nécessaires à l’exécution de la décision de justice (tel est le cas en Italie 166 et au Luxembourg 167 par exemple). En Espagne, depuis 1998, les juridictions ont reçu une compétence spécifique pour assurer elle-même le contrôle de l’exécution des décisions qu’elles rendent 168 . Dans certains cas particuliers, au Portugal, le juge peut décider en lieu et place de l’administration et prendre lui-même une décision qui a pour effet de remplacer celle entachée d’illégalité 169 . Dans certains pays, il est possible de poursuivre l’administration en dommages et intérêts devant les tribunaux civils lorsque celle-ci n’a pas exécuté une décision de justice. En Indonésie, un système très élaboré a été mis en place pour assurer l’exécution des décisions de justice 170 . En Algérie, lorsqu’un fonctionnaire ne se conforme pas à une décision de justice, il peut, dans certains cas extrêmes, faire l’objet d’une peine 164 Rapport national de la Thaïlande (FR), p. 63 ; (EN), p. 86. Rapport national de l’Indonésie (EN), p. 27. 166 Rapport national de l’Italie (FR), p. 10 ; (EN), p.9. 167 Rapport national du Luxembourg (FR), p. 9. 168 Rapport national de l’Espagne (FR et EN), p. 16. 169 Rapport national du Portugal (FR), p. 27 ; (EN), p. 22. 170 Rapport national de l’Indonésie (EN), p. 26 et sq. 165 56 d’emprisonnement de six mois à trois ans, assortie de l’obligation de s’acquitter d’une forte amende 171 . En Bulgarie et dans de nombreux autres pays, lorsque la décision de justice implique le versement d’une somme d’argent, ce versement peut être exécuté d’office par un huissier de justice ou un agent du tribunal. Si ces procédures échouent, un recours peut être formé devant la juridiction contre le refus d’exécution, dans un délai de sept jours après que l’administration a été informée de ces mesures 172 . A l’inverse, en Suède, les juridictions ne peuvent prendre des mesures directes pour assurer l’exécution de leurs décisions mais, dans certaines circonstances –lorsque le refus d’exécution émane d’une municipalité- les tribunaux du comté peuvent imposer le paiement d’une amende ou de frais spéciaux 173 . Conclusion Cet aperçu général des rapports nationaux met en évidence, à bien des égards, l’existence de similitudes entre les différentes approches adoptées par les juridictions nationales pour résoudre des questions pratiques communes, qui tiennent à la détermination du champ des litiges qui leurs sont soumis et à l’exigence d’une résolution juste et dans un délai raisonnable des contentieux portées devant elles. L’objectif de ce rapport est de stimuler le dialogue et de soulever des interrogations ouvrant la voie à d’autres discussions et d’autres travaux. Avec l’examen approfondi, pendant les séances des comités, des pratiques et exemples nationaux, nous aurons la chance unique de pouvoir apprécier dans leur globalité les ressemblances et les différences entre nos juridictions sur les sujets qui viennent d’être évoqués. Nous pourrons alors tirer de tous les éléments que nous avons de substantielles conclusions, ce qui sera le point le plus culminant du 10ème Congrès de l’AIHJA. L'Honorable Brian Tamberlin QC Vice‐président Tribunal des appels administratifs d’Australie Avec l’assistance inestimable de M. Timothée Paris du Conseil d'État, France 171 Rapport national de l’Algérie (FR), p. 11 Rapport national de la Bulgarie (FR), p. 15 ; (EN), p. 22. 173 Rapport national de la Suède (EN), p. 8. 172 57