1174 Les temps de la consultation du comité d`entreprise : réflexions
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1174 Les temps de la consultation du comité d`entreprise : réflexions
Étude DOCTRINE 1174 1174 Les temps de la consultation du comité d’entreprise : réflexions pratiques Romain Chiss, avocat associé, cabinet Cotty Vivant Marchisio & Lauzeral Si la conclusion d’accords sur les délais de consultation du comité d’entreprise apparaît comme un échec, la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 a néanmoins eu le mérite de faire du temps de la consultation du comité d’entreprise le cadre de la consultation des autres instances représentatives du personnel. La question plus générale de l’expiration des délais de consultation n’est pas pour autant réglée par la loi, celle-ci s’étant déplacée du terme du délai à son point de départ. 1 - L’application de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 1 suscite depuis son entrée en vigueur un certain nombre d’interrogations, encore aujourd’hui non tranchées par les tribunaux. Le temps de la consultation du comité d’entreprise est l’une d’elles. Au cœur de la pratique des relations sociales au sein de l’entreprise, le temps consacré à la consultation du comité d’entreprise affecte la mise en œuvre et la conduite des projets de l’entreprise. La consultation du comité d’entreprise est juridiquement nécessaire. Elle est dorénavant anticipée, réfléchie, discutée et intégrée très en amont dans la réflexion stratégique, jusqu’au plus haut niveau décisionnel de l’entreprise. Il est devenu exceptionnel qu’une direction générale ne s’intéresse pas au temps de la consultation du comité d’entreprise (et par ricochet à celui du ou des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) dans la planification de son projets, et en particulier dans l’élaboration du « rétro planning ». 2 - Près de deux ans après l’entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013, l’encadrement du temps de la consultation du comité d’entreprise, tant voulu par le législateur, a-t-il eu l’effet escompté en pratique ? Rappelons brièvement le schéma qui avait présidé à l’élaboration de ce texte : l’encadrement des délais de consultation, à travers la conclusion d’accords et à défaut par la loi, avait pour vocation de donner plus de temps au comité d’entreprise pour être consulté tout en réduisant les contraintes inhérentes au processus de consultation pour l’employeur, c’est-à-dire en faisant reculer les facultés de blocage et en limitant les procédures judiciaires. In fine, devait être réduit, voire anéanti, le risque qui pesait sur l’employeur soit de devoir recommencer une procédure de consultation depuis son début, soit de retarder la mise en œuvre de son projet, soit encore, dans certains cas, de devoir assumer un risque pénal pour délit d’entrave. Pour autant, la pratique de la nouvelle loi ne tranche pas de manière aussi nette ces questions. Apparaissent même de nouvelles interrogations en particulier s’agissant de la conduite de projets d’entreprise n’impliquant pas de réduction d’effectifs 2. En pratique, la consultation du comité d’entreprise semble en effet, soulever moins de difficulté lors d’une procédure de licenciement pour motif économique, ce qui s’explique probablement par le rythme imposé par le rôle de l’administration du travail et son contrôle a posteriori. 3 - À partir de ce constat, quelques interrogations peuvent être identifiées et certaines réflexions d’ordre pratique doivent être menées en ce qui concerne l’application des nouvelles dispositions légales portant détermination des délais de consultation du comité d’entreprise. 1. Les temps de la consultation du comité d’entreprise, échec pratique de la négociation relative aux délais 4 - Le constat est cinglant : tandis que la loi du 14 juin 2013 avait ouvert la faculté à l’employeur et au comité d’entreprise de négocier Ndlr : Cette étude est issue de l’intervention de l’auteur au colloque organisé le 10 avril 2015, sous la présidence de Jean-Yves Frouin et de Philippe Vivien, par le Laboratoire de droit social de l’université Panthéon-Assas (Paris II), sur le thème « Les évolutions du droit du comité d’entreprise ». 1. L. n° 2013-504, 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l’emploi : JO 16 juin 2013, p. 9958. 2. Nous ne traiterons pas ici des délais de consultation du comité d’entreprise à l’occasion des procédures de licenciement pour motif économique et nous ne discuterons pas non plus du caractère préalable à une décision du chef d’entreprise de la consultation du comité d’entreprise. JCP / LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION SOCIALE N° 19-20. 12 MAI 2015 1 1174 un accord portant détermination des délais de consultation, très peu d’entreprises ont négocié sur le sujet. Encore moins sont parvenues à un accord. 5 - Faut-il s’étonner de cet échec ? Non, selon nous. L’idée d’être contraint par un accord a sans aucun doute rebuté les intéressés. En effet, le chef d’entreprise qui avait l’habitude de recueillir l’avis du comité d’entreprise à l’occasion d’une seule réunion ne peut comprendre qu’il lui faudrait désormais en prévoir a minima une seconde 3. Il ne peut davantage concevoir de devoir remettre l’information au comité d’entreprise plus en amont de la réunion que ne lui impose la loi ou qu’il le faisait auparavant. Négocier un accord relatif aux délais de consultation du comité d’entreprise suscite donc des interrogations là où il n’y en avait parfois aucune.Dans certains cas,la conclusion d’un tel accord consisterait pour le chef d’entreprise à se contraindre sur un sujet sur lequel il n’y avait pas de difficultés au sein de son entreprise et qui d’ailleurs n’appelait pas de concession de sa part. Du côté du comité d’entreprise, s’engager à rendre un avis dans un certain délai est contre nature. Or, systématiser les délais, donc la procédure de consultation elle-même, affecte les relations sociales nécessairement. C’est quelque part le rôle des élus, voire leur liberté, qui est en question. Sans compter que la conclusion d’un tel accord peut en pratique, contrairement à l’objectif initialement poursuivi par le législateur, conduire à des situations inconfortables pour les comités d’entreprise. L’employeur ayant conclu un accord pourrait, en effet, se croire moins obligé de remettre au comité d’entreprise une information de qualité. Surtout, ce dernier, en ayant conclu le même accord, serait moins légitime à solliciter en justice la suspension de la procédure de consultation dans l’attente de la remise des informations demandées. Finalement, se pose alors la question de la force, et surtout de l’intérêt, de ce type d’accord. 6 - Ainsi, c’est l’objet même de l’accord qui pose difficulté, ce qui est pour le moins paradoxal. Il était pourtant promis à un bel avenir tant était louable l’esprit qui avait animé les signataires de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 d’abord et le législateur ensuite. Mais c’était en réalité minimiser la pratique des relations sociales au sein des entreprises. En effet, saisir le tribunal sur le fondement de dispositions légales (imposant ou non des délais), dont l’interprétation peut être plaidée, est davantage attractif qu’une saisine contentieuse fondée sur la lettre d’un accord dont la volonté des parties a précisément été d’encadrer les délais de consultation,voire,dans certains cas, de les systématiser. Autrement dit, en voulant réduire la part de variabilité, d’incertitude à travers la conclusion de tels accords, c’est finalement le dispositif originel de consultation de l’instance avant tout projet de l’employeur qui peut être fragilisé. 7 - Ce dévoiement potentiel de la procédure de consultation par l’encadrement des délais a d’ailleurs été, sans doute inconsciemment, anticipé par le législateur. En effet, en ne rendant pas obligatoire cette négociation, les parties ont préféré conserver leur liberté sur un sujet essentiel. Le fameux « à défaut d’accord » de l’article L. 2323-3 du Code du travail ne signifie pas que le chef d’entreprise doive obligatoirement engager une négociation relative à ces délais. 8 - Pourtant cette position a été défendue par certaines organisations syndicales. Selon elles, les dispositions supplétives des articles R. 2323-1 et R. 2323-1-1 du Code du travail seraient inopposables au comité d’entreprise si l’employeur n’a pas préalablement recherché la conclusion d’un accord sur ce thème. Si cette interprétation est contraire à la lettre et à l’esprit de la loi,une discussion relative au délai de consultation lors de l’ouverture de celle-ci pourrait néanmoins avoir sens. Il ne s’agirait pas ici d’ouvrir une discussion en vue de la conclusion d’un accord relatif au délai de la consultation sur le projet en question, mais plutôt de fixer d’un commun accord le point de 3. Circ. DGT n° 2014/1, 18 mars 2014, fiche 2, 2. 2 JCP / LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION SOCIALE N° 19-20. 12 MAI 2015 Étude DOCTRINE départ de la consultation. Ce dernier déterminé, le délai légal courrait et le chef d’entreprise serait davantage sûr du processus de consultation ; la mise en œuvre du projet serait « sécurisée ». Cette discussion trouverait tout son sens à l’occasion de projets complexes, « à tiroirs », dont la mise en œuvre s’échelonne dans le temps, par exemple à l’occasion d’un déménagement de l’entreprise. En effet,ce type de projet suppose souvent plusieurs phases de consultation du comité d’entreprise (et du ou des CHSCT). À défaut d’accord sur les délais de consultation, chacune de ces phases doit, indépendamment des autres, respecter les délais fixés à l’article R. 2323-1-1 du Code du travail. Globalement, la procédure de consultation pour ce type de projet s’en trouve donc mathématiquement allongée. Or, c’est une rationalisation des délais de consultation qu’attendait fortement la pratique.C’est pourquoi,à défaut d’accord, connaître – s’accorder sur ? – le point de départ des délais légaux de consultation serait intéressant. Les délais de consultation sur ce type de projet complexe seraient ainsi, dans une certaine mesure, « sécurisés ». 9 - Le point de départ du délai de consultation a vocation à devenir l’enjeu clé, donc la source de contentieux. Si jusqu’à la loi du 14 juin 2013,l’interrogation portait essentiellement sur le terme de la consultation du comité d’entreprise (avait-elle pris fin ?), il est désormais devenu essentiel de savoir à quel moment elle a commencé. 2. Les temps de la consultation du comité d’entreprise, « méridien de Greenwich » des temps de consultation des autres instances 10 - Point positif de la loi du 14 juin 2013 : avoir inséré le temps de la consultation du CHSCT dans celui du comité d’entreprise. Depuis quelques années, le poids du CHSCT dans les relations sociales s’est considérablement accru : sa consultation est très souvent nécessaire ; il dispose d’une faculté de blocage. Quel chef d’entreprise n’a jamais retardé la mise en œuvre d’un projet en raison d’une absence de consultation du CHSCT, d’une consultation irrégulière ou encore de l’exigence du comité d’entreprise de disposer de l’avis du ou des CHSCT avant de rendre le sien ? 11 - En pratique, la consultation du CHSCT est plus complexe à mettre en œuvre que celle du comité d’entreprise. Le document d’information et de consultation du CHSCT est, en effet, plus complexe à élaborer ; les thèmes abordés (santé, conditions de travail, etc.) sont moins précis qu’une question d’ordre économique ou « organisationnel ». Sans compter que le recours à un expert par le CHSCT est devenu quasi-systématique. Il était donc primordial de concilier et de rationaliser les procédures de consultation du comité d’entreprise et du ou des CHSCT. À cette fin, la loi du 14 juin 2013 a fait du temps de la consultation du comité d’entreprise le cadre, le « méridien de Greenwich » de celui du CHSCT. À travers le temps de sa consultation, le comité d’entreprise a finalement retrouvé une place de choix parmi les autres instances représentatives du personnel. 12 - Mais ce rôle du comité d’entreprise en tant que garant du temps de la consultation des autres instances représentatives du personnel ne s’exerce pas sans poser de difficiles questions.Ainsi, l’entreprise peut être confrontée à la situation suivante : à l’occasion d’un projet impliquant la mobilité de salariés à travers tout le territoire national, le chef d’entreprise consulte le comité central d’entreprise ainsi que les différents comités d’établissement (dès lors que la déclinaison locale des mouvements de personnel relève des pouvoirs du chef d’établissement).Le chef d’entreprise consulte également les différents CHSCT. Un contentieux s’élève à propos de la consultation de ces derniers qui considèrent ne pas détenir suffisamment d’informa- Étude DOCTRINE tions pour rendre un avis et demandent donc au tribunal la suspension de la mise en œuvre du projet de l’entreprise. A. - Questions 1° Première question 13 - La première question posée est celle de savoir si la consultation des CHSCT est enserrée dans un délai ? Les CHSCT allèguent que non.Ils considèrent être libres de rendre leur avis lorsqu’ils seront destinataires des informations selon eux manquantes. Ils plaident que l’article R. 2323-1-1 du Code du travail – précisant que les CHSCT sont tenus de remettre leur avis au comité d’entreprise sept jours avant l’expiration du délai de consultation de ce dernier – ainsi que la circulaire DGT 4 (qui réalise une lecture particulièrement extensive du texte de loi), ne leur sont pas opposables.Autrement dit, les CHSCT arguent de ce que le temps de la consultation du comité d’entreprise n’a pas d’incidence sur le temps de leur propre consultation. Ils font incidemment valoir qu’à supposer que le temps de leur consultation soit enserré dans celui d’une autre instance, celle-ci ne peut pas être le comité central d’entreprise ; il ne peut s’agir que des comités d’établissement (dont la consultation a commencé plus tardivement). 2° Deuxième question 14 - La deuxième question posée est celle de savoir à quel moment le temps de la consultation du CHSCT a commencé à courir ? Les CHSCT font valoir que si le temps de leur consultation est enserré dans celui de la consultation du comité d’entreprise, il n’a en tout état de cause pas pu commencer à courir dès lors qu’ils ne disposent pas, selon eux, de l’information suffisante. Mais les dispositions relatives au point de départ du délai de consultation du comité d’entreprise sont-elles applicables aux CHSCT ? 3° Troisième question 15 - La troisième question posée est celle de savoir si le comité central d’entreprise ou les comités d’établissement peuvent euxmêmes arguer du fait que,n’ayant pas été rendus destinataires des avis des CHSCT, le délai de consultation de l’article R. 2323-1 du Code du travail ne leur est pas opposable ? Élément de complexité supplémentaire : l’un des CHSCT est en cours de renouvellement des mandats de ses membres, les précédents mandats ayant expiré avant que le CHSCT n’ait pu rendre un avis, et avant même d’ailleurs que l’expert mandaté n’ait pu rendre son rapport... La question additionnelle soulevée ici est celle de savoir si le chef d’entreprise encourt le risque que le tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, saisi par le comité d’entreprise sur le fondement de l’article L. 2323-4 du Code du travail, ordonne la suspension de la procédure de consultation de ladite instance au motif qu’elle n’a pu être destinataire de l’avis du CHSCT dont les mandats des membres ont expiré en 4. « En cas de saisine d’un ou plusieurs CHSCT ou de mise en place d’une instance de coordination, soit dans le cadre des consultations obligatoires du CHSCT, soit au titre des articles L. 2323-27, L. 2323-28, L. 2323-30 et L. 4612-13 qui permettent au comité, lorsqu’il est consulté sur des questions ayant un impact sur les conditions de travail, de s’appuyer sur les avis du CHSCT, l’article R. 2323-1-1 prolonge le délai au terme duquel est réputé, en cas de saisine, avoir émis un avis négatif. Ce délai est ainsi porté à trois mois en cas de saisine d’un ou plusieurs CHSCT et à quatre mois en cas de mise en place d’une instance de coordination. Ce même article prévoit également l’articulation entre les avis du comité d’entreprise et du CHSCT. Afin de préserver l’effet utile de la consultation du CHSCT, son avis doit ainsi nécessairement être transmis au comité d’entreprise au plus tard 7 jours avant l’expiration du délai de trois ou de quatre mois. Au cas où le ou les CHSCT ne se pronconeraient pas, ils seraient également considérés comme ayant rendu un avis négatif » (Circ. DGT n° 2014/1, 18 mars 2014 relative à la base de données économiques et sociales et aux délais de consultation du comité d’entreprise et d’expertise). 1174 cours de processus consultatif. Conformément à l’article L. 2323-4 du Code du travail, le délai de consultation du comité d’entreprise peut être prolongé dans le cas où ce dernier serait confronté à des difficultés particulières d’accès aux informations nécessaires à la formulation d’un avis motivé. En l’occurrence, l’expiration des mandats du CHSCT constitue-t-elle une difficulté particulière d’accès aux informations justifiant une prolongation du délai de consultation du comité d’entreprise ? 16 - Ainsi, le temps de la consultation du comité d’entreprise, tel qu’issu de la loi du 14 juin 2013, soulève en pratique un certain nombre de questions. B. - Réponses 17 - Le temps de la consultation du CHSCT est-il enfermé dans le temps de la consultation du comité d’entreprise ? La réponse ne peut qu’être affirmative. Sinon, c’est tout l’édifice de la consultation du comité d’entreprise qui serait remis en cause. En effet, si le CHSCT pouvait déconnecter « le temps de sa consultation de celui du comité d’entreprise », ce dernier en serait fragilisé, l’objectif de la loi étant de permettre au comité d’entreprise de disposer de l’avis du CHSCT pour rendre son propre avis. D’ailleurs, le délai d’un mois pour la consultation du comité d’entreprise a été expressément allongé à trois ou quatre mois en cas de consultation d’un ou plusieurs CHSCT ou encore d’une instance de coordination. Si un doute demeurait, c’est bien la démonstration que le temps de la consultation du comité d’entreprise a été volontairement rendu dépendant de celle du CHSCT,et inversement.Apparaît alors une forme d’interdépendance entre les deux instances. 18 - Cette interdépendance oblige à considérer que la circulaire du 18 mars 2014 donne l’exacte interprétation des dispositions de l’article R. 2323-1-1 du Code du travail. Le CHSCT doit inscrire le temps de sa consultation dans celui du comité d’entreprise ; à défaut, il doit être réputé avoir rendu un avis négatif. La consultation du CHSCT doit se clore avant celle du comité d’entreprise, que l’avis du premier soit rendu spontanément ou qu’il soit réputé avoir été rendu. Le temps de la consultation du comité d’entreprise est donc un repère autour duquel la consultation des autres instances doit s’organiser. C’est le « méridien de Greenwich ». 19 - Lorsque le comité central d’entreprise et les différents comités d’établissement sont consultés, laquelle de ces instances est le « méridien de Greenwich » ? Dès lors qu’il s’agit d’un projet d’entreprise, c’est le comité central qui doit servir de cadre au temps de la consultation des autres instances. Si le comité central doit rendre son avis à une date, les CHSCT devront leur remettre leur avis sept jours avant cette date, peu important la date à laquelle est intervenue ou interviendra celle des comités d’établissement. En pratique, la consultation des comités d’établissement pourrait alors être opérée postérieurement à celle du comité central, ce qui n’est au demeurant pas interdit. 20 - Le CHSCT peut-il invoquer le fait que son délai de consultation n’a pas commencé à courir dans la mesure où le chef d’entreprise ne lui a pas donné d’information suffisante ? La réponse semble affirmative. Mais dans ce cas, en pratique, il doit alors saisir le tribunal de grande instance pour demander des informations complémentaires. En ces circonstances, bien que la loi ne le prévoie pas, le temps du contentieux ne doit aucunement avoir pour effet de reporter le délai de consultation du CHSCT ni, a fortiori, celui du comité d’entreprise. À défaut, tout l’édifice serait à nouveau fragilisé. La pratique du référé d’heure à heure peut apparaître ainsi incontournable. La saisine du juge par le CHSCT ne saurait avoir d’incidence sur le temps de la consultation du comité d’entreprise. Mais l’inverse n’est pas vrai.En effet,seul un défaut d’information du comité d’entreprise peut justifier que le délai de consultation n’ait pas commencé à courir. Dans ce cas, l’éventuel allongement de la procédure de consultation JCP / LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION SOCIALE N° 19-20. 12 MAI 2015 3 1174 du comité d’entreprise aurait logiquement pour effet de prolonger le temps de la consultation du CHSCT. 21 - Le fait que le CHSCT n’ait pas rendu son avis est-il un motif pour que le comité d’entreprise refuse de rendre le sien dans le temps qui lui est imparti ? De même, l’absence d’avis de certains CHSCT seulement est-il un motif pour que le comité d’entreprise requière l’allongement du temps de sa consultation ? L’article R. 2323-1 du Code du travail est explicite. Le CHSCT doit avoir rendu son avis sept jours avant que n’expire le délai de consultation du comité d’entreprise.S’il ne le fait pas,il faut considérer qu’il est réputé avoir rendu un avis négatif. En conséquence, si un ou plusieurs CHSCT n’ont pas rendu leur avis, ils sont réputés avoir rendu un avis négatif. En pratique, cette solution clarifie la situation. Le comité d’entreprise ne pourrait arguer qu’un ou plusieurs CHSCT n’ont pas rendu leur avis pour refuser de rendre le sien. Mais il faut aussi reconnaître que cette interprétation ne prend pas en considération la variété de motifs pour lesquels le ou les CHSCT n’ont pas rendu leur avis. Pour autant, pour la « sécurisation » des processus de consultation, les dispositions légales en la matière doivent être interprétées strictement. 22 - Le fait que l’un des CHSCT n’ait pu rendre d’avis en raison de l’expiration du mandat de ses membres peut-il être une cause de report ? Non car, d’abord, il s’agit d’une situation connue et non exceptionnelle. Ensuite et surtout, juridiquement, l’article L. 2323-4 du Code du travail décide que les membres élus du comité d’entreprise peuvent, s’ils estiment ne pas disposer d’éléments suffisants, saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés pour qu’il ordonne la communication des éléments manquants. Le juge doit alors se prononcer dans un délai de huit jours. Point majeur,cette saisine n’a pas pour effet de prolonger le délai dont dispose le comité pour rendre son avis, sauf en cas de difficultés particulières d’accès aux informations nécessaires à la formulation de l’avis. 23 - L’échéance du mandat des membres du CHSCT constitue-telle pour le comité d’entreprise une difficulté particulière d’accès aux informations nécessaires à la formulation de son avis motivé ? Non, car le législateur a strictement limité le cas de la prolongation du délai à la caractérisation d’une « difficulté particulière d’accès aux informations nécessaires à la formulation de l’avis motivé du comité d’entreprise ».Tel n’est pas le cas de l’impossibilité de recueillir un avis du fait de l’expiration du mandat des membres d’une instance. Même si cette situation demeure aujourd’hui encore floue, elle pourrait a priori être caractérisée lors d’un refus pur et simple de l’employeur de délivrer telle ou telle information, notamment pour préserver une certaine confidentialité (ce qui est en pratique souvent le cas, mais qui résiste peu devant les tribunaux dès lors que, juridiquement, les élus sont soumis à une obligation de discrétion), ou lorsque l’information demandée est détenue uniquement par la maison-mère à l’étranger. 24 - En pratique, il convient d’anticiper le fait que les comités d’entreprise seront moins enclins à saisir le tribunal pour requérir la prolongation du délai de consultation pour une difficulté d’accès à une information mais auront plutôt tendance à demander au tribu- 4 JCP / LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION SOCIALE N° 19-20. 12 MAI 2015 Étude DOCTRINE nal de juger que le délai de consultation n’a pas commencé à courir à la date retenue par l’employeur. En effet, l’article R. 2323-1 du Code du travail précise que le délai de consultation du comité d’entreprise court à compter soit de la communication par l’employeur des informations prévues par le Code du travail pour la consultation, soit de l’information donnée par l’employeur de leur mise à disposition dans la base de données économiques et sociales. C’est ici que se trouve la plus importante fragilité du nouveau dispositif légal d’encadrement des délais de consultation du comité d’entreprise. Non que le danger soit plus grand qu’avant la loi du 14 juin 2013, mais il n’est pas moins important ! Quels que soient les délais imposés pour la consultation d’une instance, c’est la qualité de l’information donnée à celle-ci qui constituera toujours le socle de la consultation, et la preuve de la bonne foi de l’employeur dans la conduite de celle-ci.En l’état de la législation,rien ne pourra altérer ce postulat : si l’information est insuffisante, la consultation est irrégulière. En revanche, ce que la loi du 14 juin 2013 a ajouté à ce postulat, c’est davantage de pression pour le chef d’entreprise et le comité d’entreprise. Pour l’employeur, parce que s’il veut profiter de l’encadrement des délais, il doit être particulièrement vigilant quant au degré de qualité de l’information qu’il délivre. Pour le comité d’entreprise, parce que s’il veut engager une procédure judiciaire,il est contraint de le faire rapidement. À cet égard, il a par exemple été jugé par le tribunal de grande instance de Nanterre qu’un comité d’entreprise était forclos à agir s’il saisit le tribunal trop tardivement.En l’occurrence,le comité d’entreprise avait saisi le tribunal le matin du jour où expirait le délai de consultation sans solliciter une date d’audience le jour même, prenant ainsi le risque que le juge ne puisse plus ordonner la communication des documents et prolonger le délai de consultation 5. 25 - En conclusion, au moins deux enseignements peuvent être tirés de l’application des dispositions de la loi du 14 juin 2013 relatives au temps de la consultation du comité d’entreprise : – le temps de la consultation du comité d’entreprise est le temps repère, le « méridien de Greenwich » des autres instances représentatives du personnel ; il s’agit d’une avancée remarquable ; – mais le problème de l’expiration des délais de consultation n’est pas pour autant réglé puisque la « difficulté » s’est déplacée du terme du délai à son point de départ, ce qui, finalement, peut s’avérer pire... Mots-Clés : Comité d’entreprise - Information et consultation - Délais de consultation - Point de départ de la consultation - Articulation avec la consultation du CHSCT Textes : C. trav., art. L. 2323-3, art. L. 2323-4, art. R. 2323-1 et art. R. 2323-1-1 JurisClasseur : Travail Traité, Fasc. 15-21, par Yannick Pagnerre 5. TGI Nanterre, 10 févr. 2015, n° 15/00195, Comité d’établissement de l’établissement de Quetigny de la Société Sanofi Winthrop Industrie c/ Société Sanofi Winthrop Industrie.