Télécharger la source

Transcription

Télécharger la source
Le vin et les jours,
Peynaud Emile
Bordas, 1995, 476 p.
[p. 351]
« La façon de conserver les vins est certainement aussi déterminante pour sa qualité et
pour son avenir que la façon de le faire. Le logement contribue au développement
gustatif et au style du vin qu’il contient. Resté pendant longtemps fonction des moyens
et des matériaux disponibles, tributaires du gisement d’argile à amphore, plus tard des
bois de la forêt et même du béton armé, récemment des progrès de la chaudronnerie de
l’acier, le « vaisseau vinaire » s’est beaucoup diversifié, surtout au cours des quarante
dernières années. Le fait que le vin réagisse à la nature du récipient qui l’emprisonne et
le protège est surprenant. Il se passe constamment des choses entre le contenant et le
contenu, entre le vin et la paroi. Suivant le cas, le vin la colmate ou l’agresse. Il
l’épaissit, il l’humidifie, l’imbibe, la gonfle, l’obstrue, et de la sorte la rend étanche, la
cristallise et l’incruste de tartre, y accroche des lies, l’encrasse de ses colloïdes, de ses
matières colorantes, la culotte en quelque sorte, ou bien il l’attaque, la corrode, fait des
échanges discrets avec elle et en reçoit quelques éléments solubles, métaux ou
minéraux, principes sapides ou odorants. De son côté, la cloison sur laquelle il s’appuie
façonne le vin et crée son environnement ».
[p. 355]
« La barrique, ou la pièce, n’est pas qu’un simple récipient de deux cent vingt et
quelques litres, un simple contenant, c’est un merveilleux engin à conserver les vins.
Sous des apparences simples, les rapports entre le vin et son fût sont d’une grande
complexité.
Grâce à son relatif petit volume et à son inertie thermique, la barrique possède un bon
pouvoir de clarification ; elle facilite étonnamment la sédimentation des lies. En quelques
jours d’entonnage, le vin nouveau, trouble et chargé au sortir de sa cuve, devient limpide
dans son berceau de chêne ; son goût se stabilise, on peut dès lors l’apprécier plus
sûrement et l’échantillonner.
La structure très particulière de la paroi de bois créé autour du vin un environnement
idéal. Le vin se trouve, juste ce qu’il faut, protégé de l’air et de ses dommages ; il ne
reçoit que des microdoses d’oxygène et reste en permanence à la limite de l’état
d’asphyxie. En fait, le bois est un filtre sans pores, un écran subtil entre l’air et le vin. Il
ne permet pas le passage direct du gaz oxygène, mais assure une diffusion
homéopathique de formes oxydantes atténuées. Au fil des mois, il n’engendre ainsi,
insensiblement, que des transformations aux vins qui peuvent les supporter, décrites
sous le nom de maturation ou de vieillissement : ce sont le virage discret de al couleur,
l’affinement olfactif et le fondu des saveurs.
(...)
Mais je n’ai pas encore dit le principal sur l’utilisation du fût de chêne : ce qui est le plus
recherché est incontestablement la bonification organoleptique. La barrique fonctionne à
la façon d’un macérateur. Sont en présence deux cents et quelques kilogrammes de bois.
La surface interne des douelles cède lentement au vin des principes odorants et sapides.
Le bois contient, en effet, des résines odorantes, des dérivés vanillés de la lignine (acides
et aldéhydes vanilliques, syringiques). D’ailleurs il vieillit lui-même et son odeur s’accuse
avec l’âge. Le rancio de vieux bois accompagne le vieillissement oxydatif des eaux-devie, des banyuls, des olorosos, des portos. En revanche, le chêne neuf ou peu usé est
préférable pour les grands vins de vieillissement réductif, conservés à l’abri de l’air. Le
bois contient aussi des tanins, des catéchines, à saveur astingentes. Ils sont plus ou
moins torréfiés par la flambée des copeaux qui cintre les douelles. Ils prennent des
odeurs de noix sèches, d’amandes grillées, de fumée fine. Il était d’usage dans la
tonnellerie locale de les brûler davantage pour les vins de graves que pour les médocs.
(...) Les caractères boisés sont d’ailleurs fluctuants. Ils évoluent, s’affinent, se marient à
la longue avec le goût du vin. Ce sont les seules épices exogènes que se permet le grand
vin. Mais point trop n’en faut : si leur saveur domine, la préparation est ratée.
Au fond la barrique ne fait pas le vin, pas plus que l’habit ne fait le moine. Il ne suffit pas
d’adhérer au tout nouveau « Club de la barrique neuve », et de compter sur elle pour
donner du corps aux vins efflanqués et de la noblesse aux vins roturiers. A la vérité, elle
en convient qu’aux vins riches et n’améliore que ceux qui ont déjà assez de structure et
de race pour la supporter ».

Documents pareils