L`orthographe française

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L`orthographe française
our définir ce que sont les orthographes approchées, il convient tout
d’abord de préciser ce qu’est l’orthographe, ce qui en justifie l’apprentissage et comment fonctionne l’orthographe française.
L’orthographe française
L’orthographe correspond à une norme relative à la manière d’écrire un mot.
Cette norme contraignante évolue dans le temps. La contrainte de la norme
orthographique se ressent clairement lorsque l’on considère comment sont
nommés les écarts à celle-ci dans les productions écrites – des fautes – et la
dévalorisation sociale de ceux qui commettent abondamment de tels écarts
en écrivant. Le terme faute est largement associé à un manquement moral, à
une mauvaise action. Ce rapport à l’orthographe, caractérisé par la crainte de
la faute, conduit à l’inhibition du scripteur en développement. Ainsi, bien
souvent, le scripteur va renoncer à l’écriture, de crainte d’avoir à porter la
culpabilité de ses fautes. Que convient-il de faire ? Supprimer la contrainte
de la norme orthographique ? Non. Cette contrainte est nécessaire et il est
essentiel, dans l’enseignement, de faire prendre conscience de l’origine de
cette nécessité.
Lorsqu’on demande à un public adulte pourquoi il est nécessaire de respecter
l’orthographe, deux types de réponses sont le plus souvent apportés : pour ne
pas être dévalorisé et pour être compris. La première réponse correspond à la
façon dont la maîtrise de la langue (et de manière encore plus marquée, celle
de la langue écrite et de l’orthographe) conditionne les perceptions sociales
relatives à la hiérarchisation des individus dans la société. Effectivement, le
souhait de se voir reconnu constitue une raison valable de respecter l’orthographe. Toutefois, il s’agit là d’une raison extrinsèque, et on peut se demander
s’il existe également des raisons intrinsèques de maîtriser l’orthographe.
Être compris est souvent une autre réponse apportée pour justifier la nécessité de la maîtrise orthographique. Néanmoins, un message écrit qui ne respecte pas la norme orthographique du français tout en étant correct pour ce
qui est des règles de correspondance phonogrammique de cette langue sera
généralement très bien compris. À titre d’exemple, considérons la phrase
suivante : jème bocou menjé ché mami. Malgré le fait que l’orthographe française n’est pas respectée, le sens énoncé est tout à fait compréhensible. Ainsi,
la maîtrise de la norme orthographique n’est pas strictement nécessaire à
la compréhension.
Pourquoi respecter la norme
orthographique ?
En dehors d’une certaine valorisation sociale accompagnant cette maîtrise,
pourquoi est-il nécessaire de consentir aux efforts visant l’appropriation de
l’orthographe ? Reprenons notre exemple ( jème bocou menjé ché mami). Certes,
le sens de cette phrase est parfaitement accessible malgré son irrégularité
orthographique. Par contre, le lecteur doit, pour accéder à ce sens, décoder
chacun des mots en convertissant les phonogrammes (lettre ou groupe de
lettres) en phonèmes (sons) de manière à trouver la forme orale du message.
Ce décodage est lourd et coûteux en ressources attentionnelles. Pour un
lecteur habile, la même phrase écrite en respectant l’orthographe sera beaucoup plus rapide à lire. En effet, le respect de la forme orthographique des
mots permet au lecteur de reconnaître directement les mots de manière
lexicale. Ainsi, l’appropriation de l’orthographe conventionnelle accroît la
rapidité de l’identification des mots en lecture et de la production de ceuxci en écriture. C’est précisément à cause de ce gain dans la maîtrise de la
langue écrite qu’il est important de consentir aux efforts liés à la maîtrise
de l’orthographe.
Cette analyse, qui permet de dégager une raison intrinsèque de maîtrise de
l’orthographe, repose sur le modèle de la double voie orthographique. Selon
ce modèle, on considère que le lecteur-scripteur dispose de deux voies d’accès à la langue écrite. L’une d’elles, indirecte, est la voie phonologique. Elle
se caractérise par la nécessité d’avoir recours à une conversion des phonèmes
en phonogrammes dans le processus d’écriture ou des phonogrammes en
phonèmes dans le processus de lecture. L’autre, directe, est la voie lexicale.
Elle permet, si le mot est connu et mémorisé, de le reconnaître ou de le produire globalement et rapidement. La voie phonologique est très fortement
mobilisée au début de l’apprentissage, lorsque le bagage de mots mémorisés
est encore peu important. En effet, elle permet d’identifier des mots qui ne
sont pas encore connus du lecteur. La voie lexicale, quant à elle, est de plus
en plus utilisée avec l’expérience grandissante de la langue écrite. Cependant,
les deux voies demeurent constamment utiles, même si leur usage respectif
varie en fonction de la maîtrise accrue de la langue écrite.
En plus de ces deux voies, un troisième mécanisme, qui correspond à l’interaction entre la voie phonologique et la voie lexicale, a également été décrit.
Il s’agit de la capacité à établir des analogies entre les mots et à se servir du
mot le plus familier pour écrire celui qui l’est moins. Au début, ces analogies
sont essentiellement phonologiques. Par exemple, un jeune scripteur peut se
servir de son prénom, Julien, pour écrire le mot bien. Au fur et à mesure que
l’expertise se développe, les analogies deviennent morphologiques. Par exemple,
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Que sont les orthographes approchées ?
un scripteur de plus en plus expérimenté peut se servir du mot cinéma afin
d’écrire une première fois le mot cinétique ; il considère alors le lien sémantique entre ces deux mots qui concerne le mouvement.
Ainsi, au regard du modèle de la double voie orthographique (Écalle et
Magnan, 2002) et de la description de la stratégie analogique (Goswami,
2002), la maîtrise de l’orthographe est une voie incontournable afin d’utiliser la langue écrite de manière efficace et rapide. Non seulement la maîtrise
de l’orthographe permet d’être valorisé au point de vue social, mais aussi de
parfaire le maniement de ce précieux outil qu’est la langue écrite. Avant
de décrire comment contribuer à un développement optimal des habiletés
orthographiques en français, il convient de dépeindre avec précision le fonctionnement de l’orthographe française.
Le français écrit est une langue dite alphabétique, compte tenu du fait qu’elle
nécessite de faire correspondre des lettres ou groupes de lettres (phonogrammes) à des sons (phonèmes). Notre alphabet, qui vient du latin, est
composé de 26 lettres auxquelles s’ajoutent, sur certaines d’entre elles, des
signes diacritiques (les accents, la cédille et le tréma). En ce qui concerne les
phonèmes, la langue française possède de 17 à 20 consonnes – selon que,
dans les descriptions, sont considérés les phonèmes issus d’autres langues et
présents en français par suite de l’intégration de certains mots (comme le
[ ] de camping) –, 16 voyelles et 3 semi-voyelles. Jean-Pierre Jaffré et Michel
Fayol précisent que « les correspondances alphabétiques entre phonèmes et
lettres sont loin de se faire terme à terme. Un phonème peut correspondre à
plusieurs lettres et, inversement, une lettre peut correspondre à plusieurs
sons. On dit que ces correspondances ne sont pas biunivoques » (1997,
p. 37). Cette caractéristique contribue à rendre l’orthographe française difficile à maîtriser.
L’appropriation de
l’orthographe est analogue
à une marche, plus ou
moins rapide en fonction
des individus, plus ou moins
difficile.
Même si le français est une langue qui obéit à un principe alphabétique,
comme nous venons de le voir, les unités qui la composent ne s’y limitent
pas. En fait, la linguiste Nina Catach (1995) présente le français écrit comme
un plurisystème graphique composé de trois principes : phonogrammique,
morphogrammique et logogrammique (voir le tableau 1.1 à la page suivante).
On le constate aisément à la lumière de cette brève description, l’orthographe française présente une certaine complexité. De ce fait, elle demande
du temps pour être comprise et maîtrisée. L’appropriation de l’orthographe
est analogue à une marche, plus ou moins rapide en fonction des individus,
plus ou moins difficile. Dans le contexte d’une marche, plusieurs aspects
sont importants : les ressources biologiques propres au marcheur, sa façon de
s’investir dans cette activité, le sens que le marcheur donne à son effort, sa
motivation à atteindre un but, le chemin choisi, l’environnement, le soutien
(l’eau, la nourriture, etc.) qu’il pourra trouver afin de persévérer dans ses
efforts. Dans l’appropriation de l’orthographe, ces aspects sont également
importants. Les ressources biologiques de l’enfant, sa capacité à se concentrer, sa résistance à l’effort intellectuel et ses capacités d’abstraction vont
jouer un rôle dans son appropriation. Cependant, ce ne sont pas les seuls
aspects à considérer. En effet, l’engagement de l’enfant dans son apprentissage,
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