Introduction L`évaluation des faux-semblants

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Introduction L`évaluation des faux-semblants
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Introduction
L’évaluation
des faux-semblants
Nous savons ce que nous sommes
Mais nous ne savons pas ce que nous pouvons être.
Shakespeare, Hamlet, IV, V, 43
Parmi la cinquantaine de verbes qui peuvent servir à qualifier quelqu’un, trois
semblent le mieux s’approcher de l’objectivité requise en la matière.
– Évaluer c’est donner une valeur à quelque chose ou à quelqu’un. D’autres
termes lui sont couramment associés ou utilisés de façon interchangeable.
– Apprécier est plus précis puisqu’il s’agit de donner un prix.
– Mesurer affine encore la donne puisqu’il s’agit de recourir à un étalon de
mesure fiable, immuable et rigoureusement déterminé. La précision de la
mesure s’affine quand le mètre, initialement défini comme l’étalon déposé
au Pavillon de Breteuil, est déterminé par la distance parcourue par la
lumière dans le vide en 1/299 792 458 mètre par seconde.
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Les nouveaux outils de l’évaluation des compétences
Une évaluation sans valeur
Or quand ces trois verbes s’appliquent à une meilleure connaissance de soi en
autodiagnostic ou lors de la prise en compte des personnes au sein d’un organisme de travail pour recruter, accueillir, faire le point annuel, promouvoir,
envoyer en formation, reclasser un salarié comme bonifier la carrière d’un plus
de cinquante ans (un jenior)10, il est peu probable d’atteindre le même niveau
de précision. Il est même pertinent de se demander si cet objectif est souhaitable.
Deux constats d’observation courante peuvent alors être effectués :
En premier lieu, le jugement qui préside à ce type d’évaluation, porté sur
quelqu’un par soi-même ou par un tiers, est fortement envahi par l’affectivité.
Notre expérience montre que, dans le premier cas d’auto-évaluation, nous
avons tendance soit à nous sous-estimer, soit à nous surestimer par l’envahissement de l’affectivité et l’absence de méthode. Dans le second cas, l’affectivité parasitant l’évaluation se traduit en moins de deux dixièmes de seconde
dans nos relations interpersonnelles par des processus cérébraux spontanés,
voire mécaniques11, inscrits depuis la nuit des temps et fortifiés au cours de
l’évolution comme nous l’apprennent les Vincent12. L’amygdale, située au
cœur de notre cerveau, a pour rôle de détecter une menace et réagit pour traiter
autrui en agresseur, déclenchant alors des hormones pour conforter ce
sentiment ou l’infléchir dans le sens de l’attachement et de la sympathie. Dans
les deux cas, le jugement initié par cette réaction immédiate est faussé. C’est
donc la première mise en garde à l’évaluateur : « Méfiez-vous de votre
première impression, c’est la bonne ! », pour reprendre l’expression célèbre de
Talleyrand.
En fait, elle fut primitivement la bonne, il y a deux cent cinquante mille ans
environ, pour nous inspirer une sainte frayeur des prédateurs qui entouraient
homo sapiens. Depuis lors, l’humanité a évolué et nos rencontres avec autrui
demandent plus de finesse et de pertinence mais les réactions archaïques n’ont
guère suivi cette évolution et certaines ne sont pas vraiment adaptées aux
situations exigées par un monde dit civilisé.
10. Réservons le terme « senior » aux plus de 65 ans, celui de « zenior » aux 10 % qui ont perdu
leur autonomie. Les « jeniors » sont les plus de cinquante ans dont seulement un tiers
travaille (34 % selon l’Insee et 38 % selon l’OCDE). Ils ont le dynamisme des juniors
(jeunes débutants) tempéré par les compétences relationnelles des gens d’expérience.
11. Dennett D.C, De beaux rêves, Ed. de l’Éclat, 2008.
12. Lucy Vincent, Petits arrangements avec l’amour (Odile Jacob, 2007) et Jean-Didier
Vincent, Voyage extraordinaire au centre du cerveau, Odile Jacob, 2007.
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En second lieu notre cerveau préhistorique nous joue un tour encore plus
extraordinaire : n’ayant pas de méthode tangible pour réaliser l’évaluation, il
s’en remet toujours spontanément aux astres, à la magie, à des procédés irrationnels pour juger autrui. Or, quand bien même l’astrologie, fondée par les
Chaldéens plus de sept mille ans auparavant, aurait eu une part de légitimité
malgré des moyens d’observation de la voûte céleste rudimentaires, l’expansion
de l’univers pénalise fortement l’étalon de mesure censé déterminer ces
jugements.
Un exemple : chaque année notre système solaire s’éloigne de 26 000 kilomètres soit
210 millions de kilomètres en sept siècles13.
L’évaluation est donc fondée sur la subjectivité et des processus d’interaction
dans lesquels l’affectivité domine. Doit-elle pour autant renoncer à toute
prétention à l’exactitude, à l’exhaustivité et à la pérennité ?
Notre monde, qui a la prétention d’être scientifique dans tous les domaines du
génie humain, a aussi besoin d’une méthodologie tant pragmatique que rigoureuse pour tenter d’évaluer une personne aussi bien pour une meilleure connaissance de soi (laquelle constitue une quête éternelle de l’homme aspirant à
découvrir le mystère qui l’anime et les processus de conscience qui l’agitent) que
pour l’organisme qui a besoin de savoir à qui il confie les différentes fonctions
qui fondent sa performance, sa qualité et la satisfaction du client final. Par conséquent, cette évaluation doit se référer à des étalons, des référentiels, des situations antérieurement vécues et analysées qui permettent de prédire, non pas une
réaction unique prédéterminée pour la vie entière, mais bien un éventail de réactions possibles en fonction du dosage des paramètres auxquels le comportement
souscrit dans une situation donnée, avec tel type de personne, à l’instant t.
Si la prévisibilité est possible, il faut désormais concevoir qu’elle s’inscrit dans
un espace quantique : chaque comportement ne peut être identifié en un seul
point. Il doit être appréhendé comme l’électron dont ni la position ni la vitesse
ne peuvent être déterminées autrement que de façon probabiliste et statistique.
Ainsi, ni l’état ni l’intensité du comportement d’une personnalité ne peuvent
être parfaitement prévus et maîtrisés. Dès lors, seule une conception clinique
(individualisée et non statistique) et évolutive (probabiliste et non psychométrique), incorporant cette nouvelle dimension et cet état profondément bizarre,
est à même d’en rendre compte de façon interactive, concertée, confrontée à la
démarche maïeutique de l’évaluateur.
13. Charpak G., Omnès R., Soyez savants, devenez prophètes, Odile Jacob, 2005.
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Les nouveaux outils de l’évaluation des compétences
Bien sûr, pour un esprit rationaliste, il est plus facile de vouloir envisager des
indicateurs massifs de comportement plutôt que la finesse de tous les comportements qui peuvent se décliner en fonction de ces caractéristiques massives. Il
faut cependant avoir conscience que ces évaluations à la hache, en référence à
des typologies préétablies et à des conceptions plus ou moins ésotériques
toutes prétendument scientifiques, nous empêchent de connaître vraiment
l’objet de l’analyse. Ces typologies sont les pourvoyeurs de tous les racismes :
un jeune est comme ceci, un blond, un gros, un binoclard, un comptable et ainsi
de suite. Cette catégorisation de salon est certes très utile pour jouer au jeu des
sept familles mais pas très sérieuse pour choisir une filière scolaire, décider
d’un choix professionnel, composer une équipe de football ou déterminer
l’ensemble des compétences d’une personne et encore moins y voir clair sur
ses motivations et ses déterminants scénariques. Or, ces quatre derniers
facteurs (choix, compétences, motivations, scénarios) sont essentiels pour
faire le point d’une personne afin de choisir le candidat adapté à une fonction
ou opérer un choix professionnel sensé.
Retour un siècle en arrière au moment où les sciences humaines éclosent entre
physique et philosophie. En ce début de XXe siècle, la science s’accélère, la
relativité fournit une nouvelle conception du monde avec un univers en
expansion, des particules impossibles à localiser précisément dans des
processus où règne en maître l’imprévisibilité. Et le bon sens commun est
défié quand il est déclaré que même les continents dérivent chaque jour un peu
plus. Un changement de paradigme est amorcé. Ce n’est plus la méthode expérimentale chère à Claude Bernard qui est suivie par les scientifiques mais une
méthode d’expérience de pensée dans laquelle l’intuition et la théorie
précèdent la démonstration expérimentale et l’apport de la preuve.
Eh bien, dans ce monde en mutation, les spécialistes de la psychologie
balbutiante prétendent fixer l’homme dans un déterminisme absolu à partir de
définitions et de typologies fixées une fois pour toutes avec pour principe
l’extravagante déclaration d’Alfred Binet, l’inventeur du quotient intellectuel et
le fossoyeur de l’intelligence qui déclare « l’intelligence c’est ce que mesure
mon test ». Toutes les autres caractéristiques psychologiques vont découler de
ce principe tautologique. Les tests sont construits en déclarant qu’ils mesurent
ce que leur auteur prétend évaluer ; la personnalité, le caractère, la mémoire,
l’obéissance à la consigne, la vigilance, et ainsi de suite. Les populations
captives de marins, de soldats, de malades mentaux, d’étudiants en psychologie
sont choisies pour étalonner et valider ces épreuves sans tenir compte de leurs
motivations ni de leur avis concernant la prétendue évaluation ainsi opérée.
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Jean-Maurice Lahy l’un des fondateurs de la psychotechnique réifiante mettait
en garde « ceux qui voudraient modifier une telle méthode par l’introduction
inconsidérée de tests nouveaux ou par l’affectation de nouveaux coefficients
aux tests employés ». Autrement dit, ne bougez rien, tout est dit et figé une fois
pour toutes dans ce que Leibniz appelait une monade, une vérité révélée et
figée dans l’éternité. C’était en 1926 ! L’exemple le plus remarquable est
constitué par l’invention majeure de ce psychotechnicien de la première heure.
Suite à ses travaux sur les dactylographes en 1905, il constate que les dactylos
frappent plus vite que la mécanique des touches des machines à écrire ; il
bouleverse donc l’ordre des touches pour ralentir la dextérité des dactylos et
met au point le clavier « azerty ».
Un siècle plus tard malgré les performances de l’électronique, le clavier est
inchangé et cette disposition devient une aberration ergonomique pour les
utilisateurs d’un ordinateur. Dans nombre de domaines, de vieux concepts
psychologiques sont toujours colportés à l’identique. Cent ans plus tard ces
prétendues mesures intangibles, aussi aliénantes qu’injustes pour les intéressés, sont toujours considérées comme des dogmes fondateurs de la connaissance psychologique et utilisées lors des évaluations des personnes, pour des
bilans de compétences et des choix en tous genres pour un emploi, une
mission, l’entrée à l’école de la Magistrature (qui l’impose au concours en
2008 !) ou même encore dans la police comme dans la fonction publique…
L’homme, « une énigme, une question presque indécise », selon La Bruyère,
est ainsi évalué avec le verbe être et étiqueté toute sa vie et dans toutes les
situations à l’aide d’un code à l’alphabet réduit qui ne lui permet guère de
sortir des évaluations à l’emporte-pièce conférées comme des fatalités par de
doctes savants14. Ce système atteint ses limites extrêmes en prétendant identifier très tôt les personnalités à risque avec les concepteurs audacieux du
fameux fichier Edvige tandis qu’une compagnie aérienne nationale possède
un listing des clients codifiés selon leur niveau d’indiscipline…
La revue des quelques approches (il serait abusif de les qualifier de techniques
ou de méthodes) qui parsèment le champ de l’évaluation, éclairera le lecteur.
Nous proposerons ensuite une méthodologie plus propice à répondre aux défis
du XXIe siècle, à la mouvance des situations et à l’extraordinaire richesse de
chaque personne qui en fait une exception singulière dans le panorama de la
« nature humaine ».
14. La Bruyère, Les caractères, Ed. Rencontre, p.182 : « Straton (...) caractère équivoque, une
énigme, une question presque indécise. »
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Les nouveaux outils de l’évaluation des compétences
Le savoir-être au centre de la demande professionnelle
En consultant les profils de fonctions, les petites annonces offrant des emplois
ou les tests de personnalité établis par les psychologues, le lecteur peut être
interloqué par les modalités actuelles de l’appréciation du savoir-être et l’hétérogénéité des définitions proposées. De l’autonomie au zèle, pour reprendre un
classement abécédaire, le savoir-être est étiqueté sous des appellations qui ne
correspondent à aucune définition précise et acceptée unanimement. Ces
usages abusifs autorisent toutes les dérives et fossilisent l’humain dans des
stéréotypes, des préjugés, des caricatures où racisme et ostracisme concourent
à mésestimer autrui comme à se dévaloriser soi-même. Chacun propose une
déclinaison qui varie en fonction des commanditaires concernés et des situations. Il existe même des cas où le savoir-être exigé est un véritable fourre-tout
comme en témoigne le manuel censé éclairer les managers d’un grand groupe
industriel concernant « la capacité d’initiative ». Celle-ci est en effet définie à
partir des exigences suivantes :
« Un collaborateur montre sa capacité d’initiative lorsqu’il s’expose avec
confiance, assume volontiers des responsabilités et s’engage de manière
proactive pour la réalisation de projets au sein de l’entreprise. »15
Dans cette définition apparaissent trois termes délicats à apprécier :
– confiance,
– responsabilités
– proactivité.
Les verbes utilisés :
– montrer (comment ?),
– exposer (champ de bataille ou photographie ?),
– assumer (pourquoi et combien de temps ?),
– engager (jusqu’où ?),
mériteraient aussi leur dose d’exégèse pour que chacun des intéressés
puisse y accorder la même valeur.
15. Mennechet A., Le capital compétences, AFNOR Éditions, 2006.
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La définition est complétée de la manière suivante pour le collaborateur qui
manifeste sa capacité d’initiative, il :
– « s’efforce d’endosser de nouvelles tâches ;
– se fixe des objectifs et les poursuit activement ;
– exploite activement les nouvelles informations et expériences pour son
travail ;
– trouve toujours une voie couronnée de succès pour atteindre ses propres
objectifs ;
– acquiert de nouvelles connaissances, aptitudes, compétences ou projets de
manière
– indépendante ;
– est prêt à s’engager et de se trouve en compétition avec d’autres
personnes ;
– introduit des mesures correctives en cas de problèmes potentiels ;
– s’informe continuellement sur les options et développements actuels ;
– s’efforce activement pour obtenir les feed-back sur son propre
comportement ;
– partage spontanément ses propres idées ;
– assume la responsabilité de son propre développement professionnel. »
Il faut remarquer, dans cette définition, que l’initiative est conçue comme un
« en-soi » qui serait acquis de façon naturelle et doterait la personne d’un
dynamisme interne qui lui permettrait de façon solitaire, individuelle, de développer cette capacité sans recours à quiconque, sans aucune incitation, en
aiguisant une conscience et une connaissance de soi assez stupéfiantes pour
qui comprend le fonctionnement psychique et la nécessité d’être stimulé par
autrui – le management en l’occurrence – pour que les besoins fondamentaux
soient mis en action. Les notions de compétence et de réseau relationnel sont
ici totalement absentes. On peut imaginer la perplexité des salariés à qui est
proposée de développer cette « capacité d’initiative » par leurs propres moyens
sans aucune concertation avec quiconque, sauf au moment de « donner leurs
propres idées ». Sur quel sujet, à quel moment, à qui, par quel moyen ?
Mystère. Celui-ci s’épaissit encore avec la kyrielle des autres exigences liées
au comportement exigé par ces capabilities.
Quand on sait que le projet de cette multinationale est de développer une
vingtaine de ces capacités personnelles dont chacune comporte autant
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Les nouveaux outils de l’évaluation des compétences
d’injonctions à respecter, cela fait une trame de près de deux cents caractéristiques de comportement auquel chacun doit souscrire. Si l’objectif est défini
en des termes que chacun peut interpréter à sa façon et se satisfaire du résultat
obtenu, aucun mode d’emploi n’est proposé pour y parvenir. Ces deux inconvénients majeurs sont, bien sûr, la cause potentielle des multiples problèmes de
communication dans un groupe de travail, et d’autant de dysfonctionnements
qui se traduisent aussi dans la qualité finale et l’efficacité organisationnelle.
Les autres exemples remarquables sont fournis par les petites annonces qui
fourmillent de savoureuses descriptions des savoir-être attendus où le « goût
du travail en équipe » voisine avec la « rigueur » alors qu’« une réelle sensibilité technique » doit être associée à la « réactivité », « l’aisance
bureautique » à « l’intégrité ». C’est en tout cas ce que propose la rédaction
d’un cabinet spécialisé bien implanté sur le marché, pour des candidats
postulant à de grands groupes, dont les responsables des ressources humaines
ne sont apparemment pas choqués par d’aussi fantaisistes formulations.
À partir de ces illustrations exemplaires à la limite de la caricature, notre
propos est donc de transformer ces indications vagues et générales en autant de
modes d’emploi d’une part, puis de trouver et de décrire les domaines de
compétences qui sont à la source de l’atteinte des objectifs et des préconisations ainsi définies d’autre part. Le lecteur entr’aperçoit déjà l’importance
d’une formation spécifique dans un domaine particulier du savoir être. Pour
reprendre l’exemple de l’hôpital cité plus haut, un agent à qui le domaine de
compétence « accueil » a été enseigné devient forcément plus « poli » et plus
« aimable », il améliore sa qualité « relationnelle », il sait prendre
l’« initiative » de renseigner un visiteur et assume la « responsabilité » qui est
la sienne à son niveau de compétence, définie par ailleurs dans la description
de sa fonction. En outre, il manifeste un savoir-faire qui se traduit explicitement par des méthodes de résolution de problèmes et des techniques
d’efficacité personnelle qui facilitent le travail en équipe. Dans les situations
difficiles, il a appris à garder son calme et à se maîtriser tout en communiquant
de façon positive parce qu’il a acquis un ensemble de savoirs et savoir-faire
organisationnels (recensés au chapitre 5).
Le deuxième constat – que chacun peut faire aisément – réside dans le fait que
ces caractéristiques de savoir-être ou de comportement font le plus souvent,
pour ne pas dire toujours, l’objet d’une appréciation en termes de manque ou
de défaut. Il est alors évident que, dans ces conditions, celui ou celle qui est ainsi
étiqueté, reçoit cette évaluation au mieux comme un jugement dévalorisant, au
pire comme un reproche.
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En outre, ce manque n’est que rarement, pour ne pas dire jamais, assorti d’un
mode d’emploi qui conduise l’intéressé à améliorer le savoir-être déclaré
défaillant. L’entretien d’appréciation annuel, moment propice à cette
évaluation, se solde par la détermination d’objectifs dont la plupart sont impalpables, hormis ceux bien sûr qui déterminent des objectifs quantifiés de chiffre
d’affaires à atteindre ou de clients à voir. Pour les autres objectifs pour lesquels
il faut être plus autonome, plus créatif, plus responsable ou plus dynamique, la
case des moyens proposés pour y parvenir reste désespérément vide. Dans le
pire des cas, certains organismes prétendent même motiver l’intéressé en
formant leurs managers à des « entretiens de réprimande » supposés y
parvenir. Or un adulte réprimandé se transforme illico en enfant rebelle qui
déclenche alors la pathologie qui frappe les organismes : absentéisme, turnover, et même sabotage, comme cela a été montré depuis longtemps.
Le résultat est partout visible : celui qui fait l’objet d’un tel anathème et qui n’a
aucune indication pratique pour s’améliorer est dès lors enclin à valider le
reproche en devenant aussi peu autonome que son appréciateur le lui a indiqué
comme une fatalité. Ce cercle vicieux s’établit très tôt, aussi bien en famille
qu’à l’école, sans qu’il soit possible d’y remédier de façon pédagogique. Le
savoir-être devient désormais aussi bien une caractéristique intrinsèque à la
personne que le résultat de la pression sociale à laquelle celle-ci se soumet
pour être conforme à ce qui est attendu par l’entourage imprécateur.
Exemple :
Un opérateur de fabrication était étiqueté depuis des lustres (une décennie pour être
précis) comme un paresseux. La rumeur disait que son chef le surprenait régulièrement en train de dormir au pied de sa machine. Par la suite, aucune responsabilité ne
lui avait été confiée ni aucune formation. Il s’était réfugié derrière cette paresse et,
pour mieux se protéger, avait adhéré à un syndicat. Le front de cet agent était donc
marqué au fer rouge et son sort paraissait définitivement scellé jusqu’à la retraite, trois
décennies plus tard.
Les robots survinrent dans l’établissement et il fallut trouver des candidats pour les
programmer et les maintenir moyennant une lourde formation d’une année et l’acquisition d’un Bac F1. Cet agent fut candidat à cette évolution, fut sélectionné grâce à un
pacte moral qui nous unit puis obtint avec brio ce diplôme et le poste qui allait avec,
contre toute attente de son entourage habituel. Hélas, l’étiquetage infamant de
« paresseux » subsistait encore et il lui fut très difficile de trouver un chef de service
qui put convenir du changement radical qui s’était opéré tant sur le plan des compétences techniques que sur celui du comportement. Ce changement fut confirmé par la
suite.
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Les nouveaux outils de l’évaluation des compétences
Ce cas illustre parfaitement le fait qu’une mutation radicale d’une caractéristique du savoir être s’inscrivant dans un comportement plus adapté à une
situation professionnelle :
1. peut être favorisée après détection et évaluation de cette caractéristique
masquée derrière les faux-semblants, des apparences trompeuses qui la
manifestent à autrui ;
2. devient réalisable aidée par une action de formation intensive et un engagement personnel ;
3. trouve sa source dans l’acquisition ou l’amélioration de compétences
formelles, techniques et humaines ;
4. peut s’opérer moyennant un changement de situation, de contexte ou
d’environnement ;
5. nécessite un changement de relation et d’attitude de la part de l’entourage
pour provoquer de nouvelles perceptions et représentations des uns par
rapport aux autres.
Des évaluations manichéennes
Outre la psychologie, l’Éducation nationale possède sa part de responsabilité
dans l’étiquetage aussi infondé qu’abusif des individus. Non content de les
noter en se rendant coupable de la reproduction sociale comme
Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron l’avait montré en 196416, le
« Mammouth » les confine dans une orientation léonine les conduisant à des
impasses professionnelles qui laissent peu d’issue à la progression et au rétablissement d’une socialisation équitable. En outre, elle inculque des modèles
d’étiquetage dichotomiques qui ne favorisent pas les nuances d’une appréciation faisant place au développement personnel. Pour ne fâcher aucun des
ministres récents qui se succèdent à la tête de ce ministère, ouvrons les
ouvrages scolaires de l’entre-deux-guerres, au moment où la machine nazie se
met en marche pour un règne de mille ans en quête de la pureté aryenne.
Les manuels d’Histoire-Géographie des lycées et collèges, écrits par Léap et
Baudrillard, de dignes inspecteurs de l’institution scolaire, caractérisent les
Français en se référant à des critères d’ordre géographique ou plutôt régional.
Ainsi brossent-ils de subtils portraits dont le premier donne le ton :
16. Pourdieu P., Passeron J.C., Les héritiers, Ed. de Minuit, 1964.