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MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR
Discours de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur,
A la mosquée de Cenon
25 février 2015
Je suis particulièrement heureux de me trouver aujourd’hui avec vous dans cette belle
ville de Bordeaux pour évoquer certaines des questions que se posent, à juste titre, nos
concitoyens musulmans.
Comme chacun le sait, votre ville fut de longue date une ville-monde, une porte vers
l’Océan. Ses liens avec le Maroc, par exemple, sont anciens, puisque des échanges
universitaires existent depuis 1915 et que le futur roi Hassan II y fit son droit.
L’exercice du culte musulman y est attesté au moins depuis 1949, avec la relation dans
le journal « Sud-Ouest » d’une fête de l'Aïd El Kébir en présence des autorités
officielles et de l'imam Si Mohamed BEN AHMED devant la mosquée de la rue
Cornac.
Le grand islamologue Jacques BERQUE, qui a terminé sa vie à Saint-Julien-en-Born,
non loin d’ici, concluait ainsi son récit autobiographique Mémoire des deux rives: « Aire
gréco-latine d’un côté, aire arabo-islamique de l’autre, peut-être ne manque-t-il entre
l’une et l’autre que les signes de la communauté ». Aujourd’hui pourtant, nul ne saurait
contester que cette communauté d’affection, cette communauté d’intérêts existe. J’en
veux pour preuve ces traits d’union entre les deux rives de l’Orient et de l’Occident que
sont nos compatriotes originaires de l’autre bord de la Méditerranée, ou bien les
Français qui y sont nés, y vivent ou y ont vécu, tel mon propre grand-père, qui repose à
Oran.
Nous sommes un peuple, un seul et unique peuple, quelles que soient nos origines,
quelles que soient nos convictions ou nos croyances. Nous sommes tous Français. La
République ne fait pas de distinctions parmi ses enfants : généreuse et bienveillante, elle
les accueille tous en son sein. Et en République, il n’y a qu’une seule communauté : la
communauté nationale que nous formons tous ensemble. Voilà pourquoi nous devons
être intraitables en ce qui concerne le respect de la loi républicaine et la lutte contre tous
les communautarismes, qui sont toujours des tentatives pour s’isoler, et finalement
s’exclure de la République. La loi interdisant le port du voile intégral doit ainsi être
appliquée avec fermeté. Si la République donne des droits, elle impose des devoirs :
ceux-ci sont même la condition de ceux-là, et réciproquement. C’est la raison pour
laquelle nous serons toujours fermes dans l’application de la loi. En République, il y a
des règles, et ce sont ces règles qui nous permettent de vivre ensemble. Car, en
définitive, ce que nous avons en commun et en partage est plus important que ce qui
nous distingue les uns des autres, et qui parfois pourrait nous opposer les uns aux autres.
La République est l’autre nom de ce « commun ».
C’est la laïcité qui rend possible l’existence de cette communauté une et indivisible qui
nous réunit. La laïcité n’est pas une conviction que l’on respecterait selon son bon
vouloir, pas plus qu’une idéologie qui nous imposerait une même vision du monde. Elle
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est un principe fondateur, qui transcende nos convictions et nos croyances, et qui par là
même nous permet de vivre en bonne intelligence.
C’est ainsi, dans le respect des valeurs républicaines, que l’islam de France peut
pleinement assumer sa liberté de conscience et de culte.
La République y veillera. Je sais que vous y œuvrez. Tareq OUBROU, que je salue, ne
cesse d’écrire sur les voies et moyens de vivre en musulman dans notre République. Le
Conseil français du Culte musulman l’a évoqué dans sa Convention des musulmans de
France pour le vivre-ensemble. Je ne doute pas une seconde que les Français
musulmans sauront inventer cette voie, avec les ressources que leur offrent leur foi et
leur Tradition.
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Mais je sais aussi l’inquiétude qui saisit aujourd’hui nombre de nos compatriotes
musulmans. Je veux leur dire, à travers vous, que j’en comprends les motifs et que je
ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour apaiser leurs craintes, répondre à leurs attentes
légitimes et leur procurer la tranquillité d’esprit à laquelle, comme chaque Français, ils
ont droit.
Cette inquiétude a plusieurs sources. Elle résulte d’abord de la multiplication des
violences commises contre les musulmans et leurs lieux de culte : le nombre de ces
actes a atteint, au cours du seul mois de janvier, le seuil observé pour l’ensemble de
l’année 2014. La prévention et la répression de ces violences intolérables constituent
donc un sujet prioritaire. L’Etat ne négligera aucun effort pour traquer, arrêter et
traduire en justice leurs auteurs. Le président de la République a d’ores et déjà annoncé
sa volonté de durcir la répression des actes et des menaces racistes, antisémites et antimusulmans. La prévention et la répression des actes anti-musulmans constitueront un
axe majeur du plan d’action pour la lutte contre le racisme et l’antisémitisme que
prépare actuellement le nouveau délégué interministériel, Gilles CLAVREUL. Ainsi,
des mesures seront très prochainement annoncées, qui concerneront à la fois la
mobilisation conjointe de tous les services de l’Etat et de la société civile, le
renforcement de la répression, la lutte contre les messages de haine sur Internet et sur
les réseaux sociaux, et enfin l’éducation. L’école a un rôle fondamental à jouer pour
lutter contre les préjugés nés de l’ignorance ; personne ne naît raciste, antisémite ou
anti-musulman. Le renforcement de l’enseignement du fait religieux à l’école, sur lequel
travaillent les services de la ministre de l’Education nationale, Najat VALLAUDBELKACEM, s’inscrira naturellement dans cette politique.
J’ai pour ma part donné instruction aux préfets de signaler systématiquement aux
procureurs de la République tous les actes racistes, antisémites ou anti-musulmans dont
ils auraient connaissance. Par ailleurs, près d’un millier de mosquées et de lieux liés au
culte musulman, en métropole ou outre-mer, font l’objet de mesures de protection
renforcées dans le cadre du plan global mis en place, sous l’autorité du Président de la
République, par le ministère de l’Intérieur, avec le concours du ministère de la Défense.
Des moyens sont en outre prévus dès 2015 par le Fonds interministériel de prévention
de la délinquance (FIPD) pour financer des équipements de sécurité, comme la vidéoprotection.
Mais au-delà des violences, je sais que le climat de suspicion qui semble peser depuis
janvier sur les musulmans constitue une autre source d’inquiétude. Je comprends que les
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musulmans trouvent injuste de devoir sans cesse rappeler qu’ils n’ont rien à voir avec
de tels crimes. Chacun sait que l’immense majorité des Français de confession
musulmane ont fermement et évidemment condamné les attentats perpétrés sur notre
sol, ainsi que la volonté des terroristes d’invoquer la religion pour justifier leurs actes
criminels. Mettre en relation les exactions de quelques individus avec les
comportements et les valeurs de cinq millions de Français musulmans relève soit d’une
coupable ignorance, soit d’une malhonnêteté inacceptable. Il faut bien de l’aveuglement
ou de la mauvaise foi pour ne pas voir que les musulmans sont, au Proche-Orient
comme en Afrique, les premières victimes des crimes commis par les terroristes, et pour
ne pas rappeler que ceux-ci n’hésitent pas à frapper les musulmans, en France même. Je
pense à Ahmed MERABET, lâchement assassiné par des barbares ignorants de ce
qu’est l’Islam. Ahmed MERABET était policier. Ahmed MERABET était musulman.
Ahmed MERABET était français.
L’inquiétude se nourrit aussi de ce que les discours les plus radicaux, comme la
propagande de DAESH sur Internet, en viennent à séduire certains, certes peu
nombreux, parmi les jeunes Français musulmans. Plus de soixante-dix jeunes Français
ont déjà perdu la vie, en Syrie ou en Irak. Environ 1 400 sont partis ou songent à partir.
Je connais l’angoisse de leurs familles et de leurs proches. C’est pourquoi le
Gouvernement a fait voter une loi permettant d’interdire les départs et de lutter plus
efficacement contre la propagande djihadiste sur Internet. C’est pourquoi nous avons
mis en place un numéro vert permettant aux familles de trouver un soutien et de signaler
leurs proches qui semblent préparer un départ. Nous luttons de façon méthodique contre
la radicalisation violente, sans jamais transiger avec nos valeurs. Nous combattons un
terrorisme qui instrumentalise l’islam, et par là même le détourne et le souille.
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Face à toutes ces inquiétudes, la réponse du Gouvernement tient en quelques mots : la
République laïque garantit à chaque Français la liberté de conscience, par là même la
liberté de croire ou de ne pas croire, et le cas échéant la liberté d’exercer son culte, quel
qu’il soit, de façon paisible.
En imposant la neutralité de l’Etat, la laïcité permet à la République de dialoguer avec
tous les cultes. La laïcité n’est donc pas hostile aux religions. Elle est au contraire la
condition de ce dialogue serein que nous souhaitons tous. C’est l’objectif des mesures
qu’à la demande du Président de la République et du Premier Ministre j’ai présentées ce
matin en Conseil des Ministres.
Ces mesures visent en premier lieu à renforcer le dialogue entre les pouvoirs publics et
l’islam de France. Pour renforcer ce dialogue, il faut l’élargir. Le CFCM est le
représentant élu des responsables du culte musulman et, à ce titre, il a vocation à être
l’interlocuteur privilégié de l’Etat. Je veux ici lui rendre hommage pour l’action qu’il
mène depuis 12 ans, comme je veux rendre hommage aux gouvernements successifs, de
droite comme de gauche, qui ont œuvré dans la même direction afin d’instaurer ce
dialogue. Mais chacun connaît la diversité de l’islam de France. C’est avec toutes les
sensibilités, toutes les fédérations, toutes les générations, tous les talents que nous
voulons dialoguer, afin d’examiner les questions concrètes qui se posent au culte
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musulman : la sécurité des lieux de culte, la formation des imams, l’enseignement
confessionnel, ou encore le fonctionnement des aumôneries.
Le Gouvernement souhaite donc réunir d’ici l’été une instance de dialogue de l’islam de
France, à l’instar de celle qui existe pour le culte catholique. Elle réunira, autour du
CFCM, les représentants des fédérations, des associations musulmanes, des mosquées,
ainsi que des personnalités de la société civile, pour éclairer le Gouvernement sur tous
les sujets qui préoccupent légitimement nos compatriotes musulmans. J’ai demandé aux
préfets de réunir les représentants des CRCM, des lieux de cultes et des associations
culturelles, afin de faire remonter les sujets qui pourraient être évoqués. Cette phase
préparatoire me semble décisive pour le succès des travaux et j’invite chacun d’entre
vous à y prendre toute sa part.
Si ce dialogue doit être le plus large possible, il doit pour autant se conduire dans le
plein respect des valeurs de la République. Tous ceux qui se mobiliseront seront
évidemment les bienvenus dans ce mouvement de rénovation, de modernisation et de
concorde. Mais ceux qui en revanche ne respectent pas nos valeurs fondamentales,
ceux-là n’auront pas leur place autour de la table de la République. La responsabilité de
chacun est engagée. Le respect se construit et il ne peut être que mutuel.
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Parmi les sujets dont nous devrons traiter ensemble figure bien évidemment la
formation des imams. La République n’a pas à juger de la formation théologique des
imams, mais il est utile que les ministres du culte disposent de connaissances précises
concernant nos institutions, les règles de la laïcité, le fait religieux dans notre pays,
notre droit. C’est l’objet des diplômes universitaires de formation civile et civique, dont
le Gouvernement a souhaité le développement. En trois ans, 5 nouveaux diplômes ont
été créés en plus de celui qui existait depuis 2003 à Paris. Nous souhaitons que ce
nombre soit porté à 12 dans les mois qui viennent afin que ces formations soient
proposées en tout point du territoire français. Ces diplômes universitaires doivent
progressivement devenir une étape incontournable de la formation des ministres du
culte, et notamment pour exercer les fonctions d’aumônier.
Nous devons aussi traiter la question des établissements d’enseignement confessionnels
musulmans. Ma conviction, partagée par la ministre de l’Education nationale, Najat
VALLAUD-BELKACEM, est que l’enseignement privé confessionnel musulman doit
pouvoir se développer dans le respect des principes républicains. Comme tous les
établissements privés d’enseignement, ces établissements peuvent conclure avec
l’Education nationale des contrats d’association. L’Etat, garant du respect de la loi, fera
usage de ses prérogatives de contrôle et veillera, quel que soit le statut de
l’établissement, au respect des valeurs républicaines et des exigences pédagogiques qui
leur sont applicables.
Nous voulons par ailleurs recréer une fondation de l’islam de France. La gouvernance
de cette Fondation devra faire une large place aux élites françaises de confession
musulmane, dans les champs de l’économie, de l’administration, de l’université et de la
culture. Une mission de préfiguration sera bientôt mise en place afin que cette nouvelle
Fondation puisse être opérationnelle avant la fin de l’année.
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Il n’est pas normal que l’islam soit la seule grande religion présente en France à ne pas
disposer d’un tel outil pour financer les projets éducatifs, universitaires, sociaux,
culturels, qu’elle inspire. Il y a beaucoup à faire pour accompagner des projets
humanitaires, construire des centres culturels, lancer des initiatives au profit des jeunes,
etc.
Il y a beaucoup à faire aussi pour aider à mieux faire connaître l’islam comme religion
et comme civilisation par nos compatriotes, en partenariat avec les musées, les
bibliothèques, les médias audiovisuels.
Je sais d’ailleurs qu’à Bordeaux, la Fédération musulmane de la Gironde (FMG) et le
recteur OUBROU portent un projet ambitieux de nouvelle Grande Mosquée, soutenu
par la Ville et la métropole. Cet édifice de grande ampleur accueillerait ainsi non
seulement un lieu de prière, mais aussi plusieurs salles de cours, une bibliothèque, un
amphithéâtre, un restaurant et une salle d’exposition. Des cours de langue arabe et de
civilisation arabo-musulmane, ainsi que des cours de soutien scolaire, seraient proposés
à tous.
Le Gouvernement a également décidé de relancer les études sur l’islam de France et
l’islamologie à l’Université. Cette relance s’appuiera sur un programme précis, que je
piloterai conjointement avec la ministre de l’Education nationale. Il existe une grande
tradition d’islamologie française, illustrée par exemple par les noms de Louis
MASSIGNON, Maxime RODINSON et Jacques BERQUE, et que nous devons
contribuer à faire renaître.
Enfin, même si le dialogue interreligieux n’est pas du ressort des pouvoirs publics, mais
des cultes, nous entendons l’encourager. Des bonnes pratiques existent, à l’initiative des
collectivités locales ou de la société civile. Un dialogue nourri est mené à Lyon,
Marseille, Roubaix ou ici à Bordeaux, sous votre égide, monsieur le Maire. Des
initiatives nationales existent également. J’ai demandé à l’Inspection générale de
l’Administration de les recenser et de me faire des propositions pour que, dans le
respect des principes de subsidiarité et de laïcité, l’Etat les soutienne.
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Je voudrais, pour achever mon propos, évoquer à nouveau la fraternité qui nous unit.
J’ai dit tout à l’heure mon indignation face à la vague d’actes anti-musulmans du mois
de janvier. Les violences qui ont frappé nos compatriotes juifs depuis plusieurs années,
qui ont culminé dans les attentats de Toulouse et de l’Hyper Cacher, sont
insupportables. Ces violences antisémites ont plus que doublé en 2014 par rapport à
l’année précédente. Quant aux profanations de cimetières et de lieux de cultes, elles
touchent toutes les confessions, et notamment la religion chrétienne, et sont, hélas, en
nombre croissant.
Aucun Français – d’où qu’il vienne, quelles que soient ses convictions ou ses croyances
– ne devrait avoir peur. Ne nous laissons pas abuser par les prêcheurs du « choc des
civilisations » et autres entrepreneurs de haine. Nous devons tenir bon sur les principes
et les valeurs de la République, qui nous permettent de vivre en paix. Nous devons être
les garants du respect, qui scelle notre vivre ensemble. Comme les Français l’ont
démontré le 11 janvier dernier à l’occasion de la marche républicaine contre le
terrorisme, notre force réside dans notre unité, et dans notre solidarité.
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