La lutte contre l`impunité et la nécessaire complémentarité

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La lutte contre l`impunité et la nécessaire complémentarité
La lutte contre l'impunité au Pérou : une nécessaire complémentarité
entre justice pénale et transitionnelle
près 20 années de violence (1980-2000), le Pérou a mis en route des éléments pour instaurer une
démocratie et pour lutter contre l'impunité des années de guerre civile. Cette impunité est-elle
véritablement révolue? Peut-on déjà parier sur une réconciliation véritable et durable? Dans ce
contexte, quel est le rôle des différents acteurs en présence?
À l'occasion d'un “Déjeuner en paix”1, organisé par Justice et Paix en collaboration avec la FUCID2,
nous avons pu débattre sur ces questions en compagnie de Luis Mujica, anthropologue péruvien et
professeur à la Pontificia Universidad Católica del Perú. Il a également été chercheur au sein de la
Commission Vérité et Réconciliation péruvienne.
L'impunité est-elle révolue au Pérou?
Qu'est-ce que l'impunité? Nous analysons souvent le concept d'impunité des points de vue juridique
et politique. L'impunité est alors définie comme l'absence de sanction en réponse à la violation
d'une règle de droit préétablie. À cette définition, Justice et Paix, dans ses analyses sur le thème,
ajoute une citation de Louis Joinet3 : « l'impunité est à la fois source et conséquence du silence et de
l'oubli (...) elle bafoue certains droits et devoirs élémentaires qui devraient être garantis pour
chacun: droit à la vérité et devoir de vérité, droit à la justice et devoir de justice, droit à réparation et
devoir de réparation”. Cette définition a le mérite, non seulement de donner une place prioritaire
aux concepts de « vérité », « justice » et « réparation » (éléments essentiels de la lutte contre
l'impunité) mais de placer en plus l'humain au centre.
À cette analyse, il nous semble important d'ajouter aujourd'hui celle de Luis Mujica qui définit
l'impunité comme « les actions de personnes qui occasionnent des dommages irréparables à
d'autres, sans se sentir coupables et sans être punies pour ces actions ». En effet, cette définition
apporte deux éléments importants à mettre en évidence : non seulement le manque de sanction mais
aussi l'absence de sentiment de culpabilité.
L'impunité est-elle révolue au Pérou? Il est vrai que depuis 2000, le pays a pris le chemin de la
démocratie et a choisi de faire face à son passé en instaurant, par exemple, une Commission Vérité
et Réconciliation (CVR). Cette dernière avait pour objectifs de « tirer au clair les faits et les
responsabilités4 de la violence entre 1980 et 2000 et formuler des recommandations à l'État
péruvien pour que plus jamais une telle situation ne se reproduise ».
Qu'en est-il aujourd'hui... presque quatre ans après la remise de l'énorme travail réalisé par la CVR?
Le nouveau gouvernement est loin de considérer les suivis des recommandations de la CVR comme
une priorité... et pour cause, l'actuel président du Pérou, Alan García a été cité par la CVR comme
un des responsables politiques de la violence.
1 Déjeuner en paix : “La lutte contre l'impunité et la nécessaire complémentarité entre justice pénale et
transitionnelle : le cas du Pérou”, organisé à Namur le 17 avril 2007.
2 Fondation Universitaire de Coopération internationale et de Développement. Liée à l'Université de Namur.
3 Ancien président et membre de la Sous-commission des droits de l'Homme des Nations Unies et rapporteur spécial
sur la lutte contre l'impunité à l'ONU.
4 La CVR a d'ailleurs mis en évidence non seulement les responsabilités des mouvements terroristes (dont celui du
Sentier Lumineux) mais aussi celles de l'État et de ses forces armées pour sa répression violente et démesurée.
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Pour Luis Mujica, la violence n'est pas terminée. Elle est toujours présente. Et c'est ici qu'il importe
de prendre en compte l'aspect humain... ; pour la victime des violences, ou pour ses proches, la
souffrance est toujours présente. « La recherche de la justice implique que l'on tienne compte du
temps auquel nous nous référons (...). Or, pour les victimes, la violence politique et ses
conséquences ne sont pas des sujets du passé, mais du présent », dit Luis Mujica. Dès lors, ce
ressenti doit être pris en compte lorsque l'on parle de justice. Malheureusement, au Pérou, que ce
soit sur le terrain du judiciaire, du législatif ou du politique, de nombreux exemples montrent que
l'impunité est toujours présente.
- Des 47 cas présentés à la justice par la CVR et pour lesquels il existe suffisamment de preuves
contre les responsables, seuls 23 cas sont entrés dans un processus pénal.
- En 2005, le Congrès péruvien avait proposé que soit créée une « Commission nationale de
retrouvailles et de réparations aux défenseurs de la Nation dans la lutte contre le terrorisme ». Cette
commission aurait donné un appui aux militaires accusés en justice.
- Le monument « l'oeil qui pleure » (monument commémoratif érigé à la mémoire des 70.000 morts
de la guerre) a dernièrement été à la base d'une importante controverse sociale. Sur les milliers de
galets qui font partie du monument sont inscrits les nom, âge et année de mort des victimes...Y
figurent aussi des noms de morts ayant fait partie du mouvement terroriste « Sentier Lumineux ».
Certains veulent que le monument soit détruit sous prétexte qu'il serait un « hommage aux
terroristes ». Ces réactions ne tiennent pas compte de l'objectif premier de ce monument qui est de
rappeler à la population péruvienne les horreurs que peut causer une guerre opposant une population
d'un même pays.
- Enfin, pour citer un dernier élément, il existe une campagne de discrédit envers les ONG et
personnes qui travaillent pour la défense des droits de l'Homme, campagne qui va parfois jusqu'au
harcèlement et l'intimidation.
Au regard de ces quelques exemples, nous pouvons conclure qu'actuellement le Pérou est dans un
système, qui dans le cadre de ses relations sociales, élude la question de la responsabilité des
violations des droits de l'Homme. Pour éviter la justice, certains utilisent la violence et le mensonge,
d'autres se cachent derrière leurs responsabilités politiques, soit pour justifier leurs faits et gestes,
soit pour faire jouer une éventuelle immunité en cas d'accusation. Quoiqu'il en soit, ce qui est
dramatique pour une société, c'est que tout ceci est socialement et culturellement accepté... voire
même promu au sein de certaines instances.
Dans ce contexte, quel espoir y a-t-il de voir un jour une véritable réconciliation au sein de la
population péruvienne?
Conditions d'une réconciliation durable et véritable
Par « réconciliation » nous entendons rétablir des liens qui ont été rompus. Mais, pour qu'une
population puisse revivre ensemble de manière saine, il faut qu'il y ait une reconnaissance de
l'offense, l'expression d'un regret, d'un repentir et une réparation. Bien entendu, rien ne peut
ramener à la vie un être cher mais l'État peut et doit assumer son rôle et réparer au mieux les
souffrances infligées.
Dans un contexte d'après guerre, il est nécessaire d'avoir une complémentarité entre justice pénale et
transitionnelle. Selon Paul Seils5, cette dernière « traite des causes et des effets des abus des droits
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De International Center for Transitional Justice
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de l'Homme dans le passé et cherche la remise des comptes et la prévention des abus des droits de
l'Homme dans le futur ». Elle permet dès lors d'aborder des questions essentielles telles que les
responsabilités politiques et morales (et non pas uniquement les responsabilités pénales) et de
mettre le pays sur le chemin de la réconciliation.
Pour Luis Mujica « les autres ne sont pas des objets de nos décisions mais des sujets avec lesquels
nous pouvons interagir, et donc considérer qu'ils ont des capacités pour prendre des décisions sur le
type d'État et de société que nous voulons ». Les différents acteurs de la société (pouvoirs judiciaire,
exécutif, législatif, société civile, victimes...) doivent donc travailler de manière concertée.
Une réforme de l'État est dès lors une condition essentielle. En effet, les victimes doivent savoir
qu'elles peuvent faire confiance aux instances étatiques et que ces dernières tiennent compte des
souffrances vécues par la population. C'est également une condition pour que la société civile (qui a
un grand rôle à jouer dans la justice transitionnelle) puisse avoir confiance et confie à l'État les
différents rôles qu'il a l'obligation d'assumer (rendre la justice en est un).
Ce nouveau modèle de l'État doit reconnaître et connaître ses citoyens (ce qui implique, par
exemple, un processus de reconnaissance de toutes les victimes de la violence) et bannir toute
exclusion. Le Pérou, où le racisme envers les populations indigènes est fortement présent, doit
mettre en place des mécanismes sociaux, économiques et culturels qui en finissent avec les
inégalités existantes. La pauvreté (qui touche majoritairement les populations indigènes et
paysannes) est un bouillon de culture pour le silence et la violence.
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Axelle Fischer
Mai 2007.
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