homélie des funérailles
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homélie des funérailles
HOMÉLIE DES FUNÉRAILLES DU F. ÉLOI CATAPHARD ÉGLISE DE LA VISITATION. 4-02-1-2010 Frère Éloi, nous sommes allés t’accueillir avec la croix. Maintes fois tu as entendu cette parole : « Il n’y a pas de plus grande preuve d’amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime ». Cette parole, Jésus ne s’est pas contenté de la dire, il est allé jusqu’à donner sa vie sur une croix. Désormais la croix nous rappelle que l’amour est plus fort que la mort. Frère, tu viens de vivre ton passage, c’est déjà ta Pâque. Un jour tu ressusciteras. Près de ta dépouille, nous avons placé le cierge pascal. Il nous rappelle que tu as reçu la lumière au jour de ton Baptême. Cette lumière était celle du Christ ressuscité. Ta lumière a dû, â certains jours vaciller, à d’autres, elle fut ranimée. À nos yeux elle semble désormais éteinte, aux yeux de Dieu elle brille toujours. I Jean, 3, 14. 16-20 Matt. 25, 31-40 Mes sœurs, mes frères, Lorsque qu’un défunt est déjà entré tout vivant dans la légende, on peut être tenté de lui faire un panégyrique aussi coloré que sa personnalité et sa carrière et oublier les règles de l’homilétique. Il serait bien dommage de se priver de l’éclairage que la Parole de Dieu peut apporter aux traits et aux gestes d’une personne que le Seigneur lui-même a consacrée pour la conduire à un beau sommet. Né alors que le siècle dernier était encore jeune, dans une famille toute imprégnée des valeurs chrétiennes, le jeune Éloi en a hérité tout ce qui devait faire de lui un homme bien accordé même à notre siècle de mutations rapides, un homme qui aimait la vie et les gens et qui semait l’amour autour de lui. Son père Pierre, un cultivateur cultivé, profondément engagé dans son milieu social et religieux et sa mère Mériza qui portait un nom aussi fruité que les pommes de son Oka natal et de St-Joseph-du-Lac, n’auront pas eu comme les patriarches bibliques à attendre la vieillesse pour connaître une belle fécondité et pouvoir offrir à Dieu un petit peuple, nombreux et fin comme les sables de son terroir. Personnes de foi, ils auront la joie de voir deux de leurs fils s’engager sur les sentiers de la vie religieuse tandis que leurs autres enfants les imiteront en se sanctifiant comme eux dans l’état conjugal en élevant de belles grappes d’enfants. Comme dans toute grande famille, on apprenait chez les Cataphard, le partage, l’esprit de sacrifice, l’attention à l’autre, en un mot, l’amour. Pas étonnant alors qu’ Éloi se sentit, encore jeune, appelé à donner sa vie pour le bien de son prochain. Un coup de pouce de sa mère et il suit son oncle, le Frère Guy, chez les Gabriélistes où il pourra faire partager à des milliers de jeunes et d’adultes son idéal humain et chrétien. Tout au cours de sa vie, il lui faudra des dizaines de fois, s’arracher, comme ce matin-là, à un milieu aimé pour servir ailleurs et pour obéir à la voix divine médiatisée par ses supérieurs, soucieux du bien-être de tous et de chacun. Il partira en laissant un morceau de son cœur, tant il avait investi dans sa tâche et dans ses relations. « Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Ces paroles de Jésus sont bien consolantes pour lui et pour nous aujourd’hui. Sans doute nous devons aimer avant tout le Seigneur d’un amour concret, efficace, en faisant nôtre de tout cœur sa volonté. Mais cet amour serait non seulement incomplet mais mensonger s’il ne s’accompagnait pas de l’amour du prochain. « Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne saurait aimer Dieu qu’il ne voit pas. » En effet, le prochain, quel qu’il soit, est pour nous présence du Seigneur, signe, appel à notre attention, à notre compassion, à notre amitié. Et notre amour doit s’efforcer de répondre à l’attente de chacun, comme le soleil répond à l’attente multiple des êtres par sa lumière et sa chaleur. C’est pourquoi saint Jean peut dire, dans sa 1ère lettre dont on nous a lu un passage : « Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie (entendons : de la mort du péché à la vie des fils et filles de Dieu) parce que nous aimons nos frères. » Lui aussi parle d’un amour concret et réaliste, qui ne se nourrit pas que de sentiments superficiels et de pompeuses déclarations, mais qui se traduit en actes, véritablement. Jésus l’a précisé dans l’Évangile : Donner à manger à ceux qui ont faim de pain ou de savoir, d’amitié, de respect, d’amour. Donner à boire à ceux qui ont soif d’eau ou de tendresse, de justice, de paix. Accueillir les étrangers ou les petits élèves qui s’ennuient de maman, ou les ados qui se sentent incompris, méprisés, rejetés. Habiller ceux qui sont nus, privés de vêtements ou de considération, de vertus ou de talents. Visiter les malades frappés dans leur corps ou dans leur cœur. Prêter une oreille à tous les inadaptés et les esseulés, au foyer, dans leur profession, dans un monde trop rapide ou trop lent pour eux. S’occuper des prisonniers, enfermés dans leur cellule ou leur chagrin et leurs préjugés, prisonniers de leur race ou de leur condition sociale ou de leurs mauvaises habitudes. Sans doute l’histoire de la Véronique de nos Chemins de la Croix d’avant Vatican II n’est-elle pas que pieuse légende, car presque chaque jour, on peut avoir l’occasion d’essuyer la face douloureuse du Christ que l’on crucifie, de lui rendre sa beauté, sa vérité. Face défigurée par le péché, le mal, la souffrance. « C’est à moi que vous l’avez fait. » Au jeu de la charité, celui qui perd sa vie la gagne. Comme le grain qui accepte de mourir pour que demain lève la moisson. « Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour. » Semer l’amour pour récolter l’amour. Nous serons jugés aussi par l’amour. : « Là où je suis, là aussi sera mon serviteur. » Semeur d’amour, d’espérance et de joie partout où il a passé, F. Éloi a récolté du trente et du cent pour un en taquineries et autres attentions de la part de ses confrères, de ses anciens élèves et autres amis. Jusqu'à la Maison provinciale où ces dernières années, en plus de leurs soins attentifs, il a été entouré de la chaleureuse amitié de tous ses frères. N’est-ce pas d’ailleurs ce qui l’a gardé jeune jusqu’à quatre-vingt-treize ans et demi et lui a pratiquement épargné les aléas de la seconde enfance ? Homme de prière et de travail, Éloi semblait avoir fait sienne la devise de l’Ordre bénédictin : « Ora et labora ». Il nous laisse le bon exemple d’une fidélité absolue à la prière communautaire et d’une dévotion eucharistique qu’il traduisait par de fréquentes visites à la chapelle, notamment après les repas. En dehors de ces moments, on savait où le trouver : il était à la bibliothèque où il a trouvé jusqu’au bout le moyen de se rendre utile et de poursuivre en douceur sa mission éducative. Notre frère a aimé les siens, il a été fidèle à ses amitiés communautaires et familiales. Son dernier chagrin, sa dernière croix, n’a-t-elle pas été de ne plus pouvoir visiter les siens aussi souvent que jadis et de ne plus être capable de bien suivre les conversations à cause d’une surdité croissante, lui qui était à l’affût des dernières nouvelles. Qu’à cela ne tienne, Péguy, la petite Thérèse et beaucoup d’autres personnages qu’il aurait aimé connaître ici bas n’ont qu’à bien se tenir, ils vont sûrement devoir se prêter à quelques interviews comme nous en avons tous eu à tour de rôle et plus d’une fois. Hélas ! l’âge faisait son oeuvre : son pas devenait de plus en plus hésitant, sa mémoire moins vive et son organisme ne pouvait plus suivre les appels de son cœur. Consolons-nous : nous restera toujours le souvenir agréable de ce confrère délicat, enjoué, travailleur et visiblement heureux de participer à tous les événements de notre vie communautaire. Nous célébrons cette Eucharistie avec Jésus qui a aimé les siens « jusqu’à en mourir » pour que le Seigneur accueille dans sa maison son serviteur fidèle, pour qu’il nous donne, à nous aussi, d’user chaque jour notre vie, avec lui et comme lui, car c’est la preuve suprême de l’amour. L’amant des belles-lettres que fut notre frère ne m’en voudra pas de citer pour clore l’un de nos poètes d’ici, Doris Lussier, réfléchissant sur la mort de son fils : Mourir, au fond, c’est peut-être aussi beau que de naître. Est-ce que le soleil couchant n’est pas aussi beau que le soleil levant ? Un bateau qui arrive à bon port, n’est-ce pas un événement heureux ? Et si mourir n’est qu’une façon douloureuse d’accéder au bonheur de la vie, Pourquoi mourir ne serait-il pas qu’une façon douloureuse de devenir heureux ? Père, laisse-nous mettre sur nos lèvres ces dernières paroles de ton Fils sur la Croix : « Père entre tes mains, je remets mon esprit ! » Oui, Père, entre tes mains, nous remettons notre cher Éloi. Entre tes mains à toi, notre Dieu ! Pour les siècles des siècles. Amen. Guy St-Onge, sg