la feuille de boucher - La Halle des bouchers

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la feuille de boucher - La Halle des bouchers
LA FEUILLE DE BOUCHER
Placée sous l’égide la synesthésie, la programmation 2014 du Centre d’art
contemporain La Halle des bouchers questionne les relations entre le son et
l’image, et la façon dont ces deux champs se répondent et se nourrissent l’un
et l’autre. L’exposition collective « Les sons du silence / The Sounds of Silence »
regroupe ainsi sept jeunes artistes qui, chacun à leur manière et selon leur sensibilité, tentent de matérialiser visuellement le silence. Si notre monde actuel est
rempli d’un bruit sonore permanent, que signifie aujourd’hui faire acte de silence ?
Présentée pendant le festival Jazz à Vienne, cette exposition propose autant de
propositions artistiques interrogeant le silence.
La vidéo The Moon shall never take my Voice (2010) de l’artiste croate Damir
Očko consiste en une interprétation en langue des signes de trois poèmes (autour de Gustav Mahler, John Cage et Neil Amstrong) dans lesquels le silence
occupe une place d’importance. Présentée dans la perspective de l’espace du
centre d’art, cette projection opère comme le chef d’orchestre décalé liant les
autres œuvres entre elles, comme la partition muette conçue par Elisabeth S.
Clark, réalisée à partir d’un livre de Raymond Roussel dont l’artiste a supprimé
tous les mots. De son côté, Maxime Rossi a tenté – vainement – d’apprendre
le silence à un mainate, oiseau pourtant réputé pour sa capacité à reproduire
fidèlement la voix humaine. Julien Tiberi propose quant à lui un aquarium duquel semble être diffusé le son d’un film documentaire, comme remontant des
abysses. Dans une dynamique similaire, Sébastien Rémy mêle habilement
photographie, enregistrements sonores et voix de l’au-delà. L’absence de présence humaine telle que photographiée par Charlotte Moth peut être considérée
comme une forme de silence. Enfin, à la manière d’un Jimi Hendrix survolté,
Émilie Pitoiset met fin à toute sonorité en brisant en mille morceaux une guitare
électrique qu’elle recolle ensuite, annihilant la fonction première de cet instrument.
Le thème de cette exposition est prolongé par des moments de rencontre (visites, ateliers pour enfants et adultes, projections, conférences…) propices à
l’échange et au partage d’expériences. À travers ce dispositif de médiation au
service de tous les publics, le Centre d’art contemporain La Halle des bouchers
souhaite offrir les clés pour mieux comprendre l’art d’aujourd’hui.
Synesthésie
La synesthésie est un phénomène neurologique
qui permet au cerveau d’associer simultanément deux ou plusieurs sens a priori distincts
l’un de l’autre : le sujet peut par exemple entendre des couleurs, voir des sons, goûter des
mots... Dans les arts, de nombreuses expériences
ont été menées dès la fin du XIXe siècle afin que
la musique puisse être traduite par des formes
abstraites (chaque couleur correspondant à une
note musicale). La synesthésie est célébrée par
Charles Baudelaire dans un poème des Correspondances : « Les parfums, les couleurs et les
sons se répondent. »
La feuille de boucher
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Les sons du silence / The Sounds of Silence
Elisabeth S. Clark
(née en 1983, vit et travaille à Londres)
Investissant des formes aussi
diverses que la sculpture, la musique, la
linguistique, la performance et l’installation,
les œuvres à la fois radicales et minimales d’Elisabeth S. Clark interrogent
le langage et ses variations. Se référant
souvent à la science et à la littérature, elle met en place des protocoles
simples qui viennent déjouer le côté
immuable des choses, en retirant ou
ajoutant des éléments à ce qui est
déjà là. En interrogeant l’ordre des
choses, elle nous oblige à (re)considérer le champ des possibles. Sa
recherche s’oriente vers un langage
en pointillé qui n’est jamais figé mais
toujours mis en jeu, sujet au changement,
au recyclage et au renouvellement.
Between Words
2009
Partition reliée (impression sur papier et
annotations de l’artiste, 84 pages)
30,5 x 42 x 1 cm
Courtesy de l’artiste et Galerie Dohyang Lee,
Paris
Pour Between Words, Elisabeth S.
Clark a repris l’intégralité du roman
Nouvelles Impressions d’Afrique de
Raymond Roussel, dont elle a supprimé
tous les mots, ne conservant que la
ponctuation de cet ouvrage constitué
d’un long poème de 1274 lignes. Elle
fait ainsi ressortir les points, virgules,
parenthèses, tirets, points d’interrogation qui sont autant de marqueurs
de temps de pause lors de la lecture.
Ces moments de respiration révèlent
alors la façon dont le texte est structuré, faisant ressortir les petits temps de
silence dont il est aussi constitué. En
collaboration avec des musiciens, elle
transforme ensuite ce « paysage de grammaire » (un paysage de ponctuation) en
une partition musicale qu’elle fait jouer
par un quatuor. Interprétée cinq fois
depuis 2008, cette partition a été jouée
selon un tempo, une instrumentation,
un rythme et une durée spécifiques.
Elisabeth S. Clark est diplômée de la Slade
School of Fine Art en 2008, et du Goldsmiths College (Londres) en 2005. Elle a
reçu plusieurs prix, dont une bourse de
voyage en Amérique du Sud en 2009 et le
Clare Winsten Research Fellowship Award
en 2008. Elle a été résidente du Pavillon au
Palais de Tokyo en 2011, de la Fondation
d’entreprise Hermès en 2010 et, plus récemment, en résidence à New York, Medellin, Bad Ems. Elle a entre autres exposé
au Palais de Tokyo, à la Fondation d’entreprise Ricard, à la Biennale de Lyon en
Résonance, au Dallas Contemporary (USA),
à la ROOM Gallery (Londres), et à Site Gallery (Sheffield). En octobre 2012, invitée par
la Fondation d’entreprise Hermès et Actes
Sud, elle a présenté un nouveau Book
Concerto à Paris pendant la Fiac.
La feuille de boucher
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Les sons du silence / The Sounds of Silence
Raymond Roussel (1877-1933)
Ecrivain, inventeur, poète – la vie et
l’œuvre de Raymond Roussel sont
entrés dans la légende littéraire du XXe
siècle, tant cet auteur a influencé
de nombreux artistes. Héritier d’une
grande fortune boursière, Raymond
Roussel passe sa vie à se consacrer
à l’écriture, aux voyages et aux inventions.
En 1897, âgé seulement de 19 ans, il
publie son premier roman intitulé La
Doublure, un récit en alexandrins se
déroulant pendant le carnaval de Nice.
La qualité indéniable de son style aujourd’hui célébré ne fait pourtant pas
l’unanimité du vivant de l’auteur, et la
majorité de ses ouvrages ne connaitront pas le succès public escompté.
Développant un univers où l’imagination – appuyée par des jeux stylistiques complexes – domine, Impressions d’Afrique (1910), Locus Solus
(1914) ou encore Nouvelles Impressions d’Afrique (1932) ont cependant
eu un fort ascendant sur les Surréalistes qui adulent Raymond Roussel.
La feuille de boucher
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Les sons du silence / The Sounds of Silence
Jorge Luis Borges (1899-1986)
Né à Buenos Aires, Jorge Luis Borges
est considéré comme l’un des grands
auteurs de la littérature du XXe siècle.
Passant la majeure partie de sa jeunesse en Europe, il revient en Argentine en 1921 où il fonde une revue,
traduit en espagnol les œuvres de
Franz Kafka et William Faulkner et
publie ses premiers poèmes et essais.
À la fois conteur, essayiste et poète,
son œuvre se caractérise par un aspect fantastique permettant au réel de
basculer subtilement vers l’étrange, à
travers des thèmes et motifs tels que
l’infini et le miroir ou la dérive et le labyrinthe. Ayant inspiré de nombreux
écrivains et artistes, ses nouvelles,
écrites à partir des années 1930, ont
entre autres été publiées dans Fictions
(1944), L’Aleph (1949) et Le Livre de
sable (1975).
When I buried the Book of Sand…
2009-2011
Le Livre de sable
1. Première edition de El libro de Arena (Le Livre de
Sable) de Jorge Luis Borges, 18,5 x 12,4 cm
2. Atacama Desert, photographie (Canson Baryta Gloss print), 46,9 x 58,2 cm
3. Texte, transfert à sec, 18,5 x 12,4 cm
Courtesy de l’artiste et Galerie Dohyang Lee,
Paris
Dans cette nouvelle, Jorge Luis
Borges questionne l’infini : le narrateur
fait l’acquisition d’un livre qui lui est
présenté comme étant une Bible sans
début et sans fin. « Il me dit que ce
livre s’appelait le livre de sable, parce
que ni ce livre ni le sable n’ont de
commencement ni de fin ». Obsédé
par cet ouvrage magique dont il devient prisonnier, le narrateur décide de
le perdre délibérément dans les rayonnages des réserves de la bibliothèque
nationale.
Très souvent, les œuvres d’Elisabeth
S. Clark parlent de déplacements et
de disparitions, ou encore de transformations et d’apparitions. C’est notamment le cas avec When I buried
The Book of Sand [Quand j’ai enterré
Le Livre de sable], qui évoque la façondont l’artiste a volontairement enterré la
première édition d’un livre majeur de
l’œuvre de Jorge Luis Borges dans le
désert d’Atacama, le rendant ainsi à
une matière première métaphorique
– le sable du désert. L’acte d’enterrer
un livre peut altérer son présent et raconter son futur, tout en le rendant au
silence.
La feuille de boucher
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Les sons du silence / The Sounds of Silence
Charlotte Moth
(née en 1978, vit et travaille à Paris)
Le travail de Charlotte Moth se développe
autour d’une réflexion sur la subjectivité du regard et explore les notions
d’objet, de lumière et d’architecture.
Une partie de ses œuvres est fréquemment réalisée dans le cadre
de collaborations. La pluralité des
perspectives et des subjectivités, qui
engendre un nouveau degré de visibilité, et – inévitablement – d’absence,
devient le résultat de processus
d’échanges. Ces dialogues s’avèrent
être une méthode de travail pour
l’artiste, un mécanisme nécessaire à
la production de ses travaux, dont le
résultat varie selon le degré d’intimité
de ses interlocuteurs.
To see the things amongst which we live
2012
Série de 8 photographies, 41,5 x 60 cm
Courtesy de l’artiste et Galerie Marcelle Alix, Paris
Cette série de photographies entretient un rapport étroit à l’espace et à la
lumière. L’architecture des intérieurs
photographiés peut ici s’entendre
comme une narration spatiale, liée aux
propriétaires des lieux. Charlotte Moth
a en effet photographié les salons,
cheminées et bibliothèques d’historiens de l’art et de collectionneurs.
Pour l’artiste, le fait d’observer et capter visuellement des éléments qui
entourent quotidiennement ces personnes équivaut à un acte de silence,
qui révèle, tout en retenue, l’identité et
les particularités des usagers de ces
lieux.
Artiste britannique installée à Paris, Charlotte
Moth a étudié à l’UCCA - University College for the Creative Arts (Canterbury) et à la
Slade School of Art (Londres), avant d’achever sa formation à la Jan van Eyck Academie à Maastricht. Elle a été en résidence au
Pavillon du Palais de Tokyo (2007-2008),
à la Fondation Serralves à Porto (2011), à
Fieldwork Marfa, Texas (2012) et au Schloss
Solitude (Stuttgart). Son travail a fait l’objet
de plusieurs expositions personnelles : au
Centre d’art contemporain de Genève ; à
l’Araújo Porto Institute (Fundaçao de Serralves et SONAE), Porto ; à la galerie Carlier
Gebauer, Berlin ; au Musée départemental
d’art contemporain de Rochechouart ; au
Pied-à-Terre, San Francisco. Elle a par ailleurs participé à de nombreuses expositions
collectives, notamment à la Dallas Biennale,
à la Cole Gallery (Londres), à la Kunsthalle
de Bâle et à la synagogue de Delme.
La feuille de boucher
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Les sons du silence / The Sounds of Silence
Damir Očko
(né en 1977, vit et travaille à Zagreb)
Les œuvres de Damir Očko s’inscrivent
dans une constellation d’idées à la fois
dense et poétique ou les éléments se
répondent les uns aux autres, prenant la
forme de poèmes, dessins, collages et
vidéos. C’est l’artiste lui-même qui écrit
les poèmes, qu’il transforme en partitions graphiques, avant de les transposer en films qu’il réalise en collaboration
avec des compositeurs.
The Moon shall never take my Voice
2010
Vidéo, couleur, son, 20’
Courtesy de l’artiste et Galerie Tiziana Di Caro,
Salerne
Damir Očko est l’un des artistes croates
les plus prometteurs de sa génération.
Après des études à l’Académie des beauxarts de Zagreb, il a récemment bénéficié
de résidences en Autriche et en Irlande.
Ses vidéos ont été diffusées dans de nombreux festivals. Il a bénéficié d’expositions
personnelles au Künstlerhaus KM de Graz
(« Studies on Shivering », 2014), à la galerie
Yvon Lambert (« The Body Score », 2013),
au Palais de Tokyo (« The Kindgom of Glottis », 2012), à la Kunsthalle Düsseldorf (« On
Ulterior Scale », 2011), à la Miroslav Kraljevic Gallery de Zagreb (« The End of the
World », 2007) ou encore au Tirana Institute of Contemporary Art (« Why does Gravity make things fall? », 2007). Ses œuvres
font partie de collections telles la Fondation
Louis Vuitton pour la création, le Centre
national des arts plastiques, le Mudam
(Luxembourg) ou le Frac Ile-de-France.
La feuille de boucher
Organisée en trois actes, la vidéo
The Moon shall never take my Voice
[La Lune ne prendra jamais ma voix]
est une interprétation en langue des
signes d’un poème en trois actes écrit
par Damir Očko, inspiré par trois histoires (autour de Gustav Mahler, John
Cage et Neil Amstrong) dans lesquels
le silence a profondément influencé
un rapport inédit à l’expérience et à la
création.
Le premier acte évoque la prise de
conscience de Gustav Mahler (18601911) du pouvoir de l’absence comme
mécanisme musical, lors de la composition de sa dixième et dernière
Symphonie. Pendant l’été 1910, alors
qu’il vit à Manhattan où il dirige l’orchestre philarmonique de New York,
le compositeur autrichien est témoin
d’une procession funéraire italienne
passant sous ses fenêtres. Ce sont
les temps morts dans l’intermittence
des roulements de tambours qui lui
font comprendre que ces accalmies
silencieuses amplifient le lyrisme et la
solennité de sa composition à venir.
Le deuxième acte s’articule autour de la
journée pendant laquelle John Cage,
après avoir visité la chambre anéchoïque de l’université d’Harvard, réalise la difficulté à saisir le silence – ce
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Les sons du silence / The Sounds of Silence
qui l’amène à composer ses célèbres
4’33 de silence. S’il fait l’expérience
d’un environnement totalement hermétique, il s’aperçoit néanmoins que
« le silence n’existe pas car deux sons
persistent » : les battements de son
cœur et le son aigu de son système
nerveux. Le troisième et dernier acte
revient sur l’expérience de l’astronaute
Neil Armstrong, premier homme ayant
marché sur la Lune – satellite dont
l’absence d’air en fait le seul et unique
endroit totalement silencieux jamais
visité par l’Homme.
Gustav Mahler (1860-1911)
Compositeur, pianiste et chef d’orchestre
autrichien, le nom de Gustav Mahler
reste aujourd’hui attaché à une œuvre
dont la dimension orchestrale et l’originalité musicale jettent un pont entre
la fin du XIXe siècle et la période moderne. Il est l’auteur de dix symphonies qui combinent des influences
romantiques avec une utilisation de la
musique populaire viennoise, utilisant
pour ce faire les ressources de l’orchestre symphonique.
On voit dans la vidéo une femme
sourde et muette qui interprète ces
trois actes dans une langue des
signes déformée, dansant et performant le texte initial. Bien que les mots
restent inexprimés, leur signification
est surlignée par des sons acoustiques liés aux mouvements de l’actrice.
La feuille de boucher
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Les sons du silence / The Sounds of Silence
John Cage (1912-1992)
John Cage s’est illustré comme compositeur de musique contemporaine,
poète, plasticien, philosophe. Vers la fin
des années 1940, il visite la chambre
insonorisée de l’université d’Harvard,
s’attendant à « entendre » le silence
: « J’entendis deux bruits, un aigu et
un grave. Quand j’en ai discuté avec
l’ingénieur, il m’informa que le son
aigu était celui de l’activité de mon
système nerveux et que le grave était
le sang qui circulait dans mon corps.
» C’est à ce moment qu’il réalise l’impossibilité de trouver le silence quel
que soit l’endroit, ce qui le mène à
composer 4’33’’. « En composant un
morceau qui ne contiendrait aucun son,
je craignais de donner l’impression de
faire une blague… En fait, j’ai travaillé
plus longt em ps à m on m or ce a u
“ silencieux” qu’à aucun autre. J’y ai
travaillé quatre ans… » Souvent décrit
comme quatre minutes trente-trois
secondes de silence, le morceau de
musique avant-gardiste 4’33’’ est structuré en trois mouvements inégaux
(30’’, 2’23’’, 1’40’’). Sur la partition, chacun est présenté au moyen de chiffres
romains et est annoté « tacet », qui est
le terme utilisé dans la musique occidentale pour indiquer à un instrumentiste qu’il doit rester silencieux pendant
toute la durée du mouvement.
L’œuvre musicale a été interprétée pour
la première fois par le pianiste David
Tudor le 29 août 1952 à Woodstock.
Ce soir-là, le vent, la pluie et l’agitation
du public agacé s’étaient naturellement mêlés à l’interprétation.
La feuille de boucher
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Les sons du silence / The Sounds of Silence
Émilie Pitoiset
(née en 1980, vit et travaille à Paris)
« Émilie Pitoiset travaille sur le mouvement
(instable) et la ligne (oblique), recherchant dans l’histoire du XXe siècle des
moments de rupture. Ses œuvres –
dessins, collages, vidéos, sculptures –
jouent sur le trouble et la confusion ; elles
parlent de perte de contrôle, d’équilibre
précaire et de chute – qu’il s’agisse
d’animaux ou d’humains, d’images
fixes ou en mouvement – à travers
des grilles de lecture et des lignes de
fuite. L’artiste tente ainsi de brouiller
les pistes, évitant que ses œuvres ne
s’inscrivent dans un récit unique ou,
comme elle le dit, n’« apportent des
points de fiction a priori erronée ».
Hard to Explain
2005
Guitare électrique Fender Stratocaster, pied,
ampli Marshall, colle
Collection Frac Champagne-Ardenne, Reims
Émilie Pitoiset intègre très souvent
dans ses œuvres des éléments possiblement violents et émotionnels, générant par-là même une forme d’affect
quasi angoissant et sans véritable
résolution. Hard to Explain traduit
ainsi une violence à l’état brut : lors
d’une performance, l’artiste a brisé une
guitare sur une scène blanche, en la
frappant violemment contre le sol puis
en l’achevant avec une masse de 5 kg.
Rappelant l’euphorie d’un « air-guitar
contest » et à la manière des rockeurs
en fin de concerts (tel un Jimi Hendrix
survolté) où la tradition veut de détruire
sa guitare comme pour marquer un
geste de désinvolture, une dispute
– une rupture qui sait, Émilie Pitoiset
met fin à toute sonorité en brisant en
mille morceaux cette guitare électrique.
Comme prise de remords, elle en a
ensuite recollé les morceaux pulvérisés, annihilant la fonction première de
cet instrument.
Daria de Beauvais
Diplômée de l’École nationale supérieure
des beaux-arts de Paris, Émilie Pitoiset a
présenté son travail dans diverses institutions en France (Centre Pompidou ; Palais
de Tokyo ; Frac Champagne-Ardenne ;
Musée départemental d’art contemporain
de Rochechouart ; Frac Ile-de-France ;
Rencontres Photographiques d’Arles ;
etc.) et en Europe (Casino - Forum d’art
contemporain, Luxembourg ; Galerie
Klemm’s, Berlin ; Bielefelder Kunstverein,
Bielefeld ; Pavement Gallery, Manchester ;
Attitudes, Genève…). Elle a obtenu une
bourse et résidence de la Fondation
Hermès en 2011 et a été lauréate du Audi
Talents Awards en 2010.
La feuille de boucher
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Les sons du silence / The Sounds of Silence
« Air guitar »
Jimi Hendrix (1942-1970)
Le « air guitar » est une activité qui
consiste à mimer le geste d’un guitariste sans avoir l’instrument en main.
Né en Finlande au milieu des années
1990, le phénomène de la « guitare
invisible » se développe ensuite partout dans le monde et s’organise en
championnats nationaux dont les
qualifiés s’affrontent lors de la grande
finale mondiale. La France y participe
depuis 2005. Le Français Sylvain
Quimène, alias Gunther Love, remporte le championnat du monde en
2009 et 2010.
Le 18ème Air Guitar World Championships
se déroulera à Oulu en Finlande fin
août 2014.
Guitariste mythique, Jimi Hendrix est
l’un des musiciens les plus novateurs
de son siècle. Improvisateur sortant
des sentiers battus, il libère la guitare
de ses contraintes en utilisant les
ressources de l’amplification, en domestiquant l’effet larsen et en explorant toutes les facettes du maniement
de la manette de vibrato ou de la pédale « wah wah ». Il est le fondateur et
leader du groupe anglo-américain The
Jimi Hendrix Experience, actif de 1966
à 1970, avec lequel il réalise une performance historique au Monterey International Pop Festival (États-Unis) le 18
juin 1967 : il clôt ce concert en brulant
sa guitare avant de la briser en mille
morceaux. « Quand j’ai brûlé ma guitare,
c’était comme un sacrifice. On sacrifie
ce qu’on aime et j’aime ma guitare. »
La feuille de boucher
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Les sons du silence / The Sounds of Silence
Sébastien Rémy
(né en 1983, vit et travaille à Paris)
Le travail de Sébastien Rémy se
déploie sous les formes les plus
variées (vidéo, installation, article,
conférence, enquête, musique, performance…). Traversant différents
champs d’études (théories langagières,
histoire des sciences, communication
avec les défunts…), sa pratique se
présente comme autant de manières
d’envisager la transmission et de
relire successivement des formes aux
contours à redéfinir.
The Voices from Space
depuis 2009
Collection de documents sonores,
héliogravures, vitrine, 110 x 250 x 60 cm
Courtesy de l’artiste
Diplômé de l’École Nationale Supérieure
d’Arts de Paris-Cergy en 2009, Sébastien
Rémy a récemment participé aux expositions « Le Nouveau festival » (Centre Pompidou, 2014), « Média Mediums » (Ygrec,
2014), « L’apparition des images »
(Fondation d’entreprise Ricard, 2013),
« Brigadoon » (La Tôlerie, ClermontFerrand, 2013), « La Nuit des musées »
(MAC/VAL, 2013), « Le tamis et le sable
3/3 » (La Maison populaire, Montreuil,
2013), « Bye Bye Ducks and Drakes!
[Ricochets] » (La Villa du Parc,
Annemasse, 2013).
La feuille de boucher
« Le phénomène de voix éléctroniques
(Electronic Phenomen) est lié à l’enregistrement (un message de provenance inconnue devient audible sur
un enregistrement audio).
Le projet The Voices from Space
(2009-2013) met en parallèle transcommunication instrumentale et
photographie spirite. S’intéressant à
l’iconographie associée à ces enregistrements sonores, l’artiste fait subir
à l’image une succession de transformations.
Il collecte sur Internet des images
source qu’il transcode en sons à l’aide
d’un logiciel adapté. Lorsque ce son
est lu par un lecteur multimédia auquel est incorporé un spectogramme,
l’image resurgit mais est altérée,
comme si elle subissait des interférences. Elle rappelle la photographie
spirite de la fin du XIXe siècle. L’artiste
choisit de tirer ces images en utilisant
un procédé photomécanique ancien
qui s’oppose à la faible qualité de
l’image générée : l’héliogravure contribue à brouiller la datation de l’image.
Ces hybridations visuelles et sonores
contenues dans une boîte d’archive
surdimensionnée réincarnent cette
histoire de la transcommunication
intrinsèquement liée aux techniques
d’enregistrement. » Audrey Illouz
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Les sons du silence / The Sounds of Silence
Transcommunication
Héliogravure
Inventée dans les années 1980 par le
physicien allemand Ernest Senkowski
(né en 1922), la Transcommunication
instrumentale désigne les moyens de
communication avec les esprits. Ce
procédé fait intervenir des appareils
électroniques, tels que les téléphones,
magnétophones, téléviseurs ou
ordinateurs, qui servent de support de
communication avec l’au-delà lors de
ces expériences.
L’héliogravure est un procédé ancien
de très haute qualité utilisé pour des
tirages photographiques artistiques
(procédé appelé aussi « héliogravure
au grain »). Il s’agit d’une méthode
d’impression en creux par laquelle
l’encre est transférée directement
depuis le cylindre métallique vers le
support. Ce cylindre est gravé mécaniquement à l’aide d’un diamant ou
au laser. La taille et/ou la profondeur
des creux (alvéoles) va déterminer
une trame plus ou moins dense et
donc une intensité de couleur plus
ou moins importante. L’encre doit
être très liquide afin de pouvoir rentrer
dans les creux du cylindre.
Photographie spirite
Apparu à la fin des années 1840, le
Spiritisme croit à la possibilité de communiquer avec l’esprit d’un mort ou de
le faire réapparaître. Dès les années
1860 aux États-Unis, puis à partir des
années 1870 en Europe, plusieurs
photographes, mettant en avant leurs
pouvoirs médiumniques, se spécialisent dans la production de photographies montrant, à côte du modèle,
l’effigie translucide d’une personne
décédée. Les résultats photographiques
révèlent des images fantomatiques.
Véritable mouvement de caractère
historique, la photographie spirite est
pratiquée par des pseudo-scientifiques
regroupés dans des associations ou
par des amateurs.
La feuille de boucher
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Les sons du silence / The Sounds of Silence
Maxime Rossi
(né en 1980, vit et travaille à Paris)
L’univers de Maxime Rossi convoque
à la fois une housse de couette
cinétique, un bagel philosophique,
des préservatifs fleuris ou encore
des partitions aléatoires de Frédéric
Chopin. Soit autant de télescopages
improbables qui lui permettent de
s’inscrire dans une poésie du langage, où la sémantique et l’histoire de
l’art sont constamment mises à mal,
non sans humour.
Diplômé de l’École nationale supérieure des
beaux-arts de Lyon en 2005, Maxime Rossi a récemment bénéficié d’expositions
personnelles à la galerie Tiziana Di Caro à
Salerne (« Kemosabe », 2013), au
Palais de Tokyo (« Mynah Dilemma »,
2012), à la galerie Anne de Villepoix à
Paris (« Bouquet fleuri, bouquet flétri »,
2010). Il a entre autres participé aux
expositions « You Imagine What you
Desire – 19ème biennale de Sydney, 2014),
« L’origine des choses » (La Centrale for
Contemporary Art, Bruxelles, 2013), « Pop
Up Store » (Galerie des Galeries Lafayette,
2012). Il a obtenu une aide à la création de
la Fondation nationale des arts graphiques
en 2014, et ses œuvres font parties des
collections du Centre national des arts
plastiques.
La feuille de boucher
Cheap Imitation
2010-2014
Affiche, disque vinyle, planche de BD
Courtesy de l’artiste et Galleria Tiziana di Caro,
Salerne
Pour son projet intitulé Cheap Imitation
[Imitation bon marché], Maxime Rossi
a essayé d’apprendre le silence à un
mainate, oiseau pourtant réputé pour
son habileté à reproduire fidèlement la
voix humaine. Tentative vaine que d’imposer le silence à un oiseau parleur,
ce mainate a en fait appris à imiter
des sons environnants aussi banals
qu’une porte qui claque, un parquet qui
grince, un chien qui aboie ou encore
une chasse d’eau. En totale opposition aux sacro-saintes 4’33 de silence
de John Cage, ces sons ont ensuite
été enregistrés par Maxime Rossi sur
un disque vinyle picture disc. Ce projet
résulte d’un processus allant à l’encontre de toute logique, et, dans ce
sens, questionne l’impact d’un son qui
devient obsolète dès lors qu’il a été
enregistré.
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Les sons du silence / The Sounds of Silence
Cet ensemble est complété par une
planche de bande dessinée reprenant
les aventures de Superman dans le
comics intitulé Clark Kent’s Mynah
Dilemma [Le dilemme du mainate de
Clark Kent]. Dans cette aventure publiée en octobre 1979, les voisins de
Clark Kent lui confient la garde de leur
mainate qui découvre le secret de la
double identité du super héros. Trente
ans après, Maxime Rossi a demandé
à un dessinateur de Marvel Comics,
éditeur des aventures de Superman,
de dessiner une planche inédite à insérer dans l’histoire originale : un moment où Clark Kent, en faisant une recherche sur Internet pour trouver une
solution pour faire taire son mainate,
tombe sur le site Internet de Maxime
Rossi…
Mainate [Gracula]
Le mainate est un oiseau originaire de
l’Asie tropicale (Inde, Myanmar, Thaïlande, Chine du sud, Bornéo, Java, Sri
Lanka, Sumatra, etc.), son plumage est
noir lustré avec des reflets violet. Il se
nourrit d’insectes, de fruits et de
légumes. Sa durée de vie varie de 15 à
30 ans. Oiseau surprenant, le mainate
a la capacité d’imiter la voix humaine,
divers bruits familiers, et de mémoriser
quelques brèves mélodies. Répétant les
mots de façon plus claire et distincte
que les perroquets, il apprend facilement à parler, tout en étant capable de
siffler des airs de musique, d’imiter le
cri de nombreux oiseaux, de miauler
comme un chat, de bêler comme un
mouton, d’éternuer ou de rire comme
un être humain.
Le soir du vernissage, Maxime Rossi
invite le mime Ivan Bacciocchi à interpréter les sons du mainate en langage
corporel.
La feuille de boucher
15
Les sons du silence / The Sounds of Silence
Julien Tiberi
(né en 1979, vit et travaille à Paris)
Julien Tiberi nous conduit dans des
méandres où les référents culturels
et les pratiques graphiques n’ont de
cesse de s’entremêler subtilement.
Privilégiant souvent le dessin, l’artiste
propose un univers pictural nourri d’œuvres littéraires allant de Mark
Twain à G.K. Chesterton en passant
par Robert A. Heinlein qu’il n’hésite
pas à entremêler d’objets, créant ainsi
des installations au sein desquelles
le visiteur peut faire vagabonder son
esprit. La méthode de travail de Julien
Tiberi convie les éléments épars d’une
constellation de références diverses :
étirés, extirpés, digérés, revisités, ces
éléments sont ainsi mis en perspective,
non sans humour, et font co-exister
différents systèmes et degrés de
représentation sur un même plan
spatio-temporel.
The sounds of the sounds of science
2008
Aquarium, sable, gel médium, eau,
vieux poste radio, lecteur mp3
Courtesy de l’artiste et Galerie Sémiose, Paris
Diplômé de la Villa Arson à Nice, Julien
Tiberi expose depuis 2003. Il a récemment
montré son travail à la Fiac avec le projet
Sir Thomas Trope (avec Aurélien Mole,
2013), à la Villa du Parc d’Annemasse
(2012), au Palais de Tokyo (2011), au Salon de Montrouge, ou à la galerie RLBQ
à Marseille. Il a par ailleurs bénéficié de
plusieurs expositions monographiques à
la galerie Sémiose à Paris. Ses œuvres
sont présente dans diverses collections
publiques (Fnac).
La feuille de boucher
Le temps qui passe a pour représentation l’histoire. Que celle-ci soit
grande ou petite, Julien Tiberi s’amuse
souvent à la faire bifurquer ou à lui
donner d’autres prolongements,
comme c’est le cas avec The sounds
of sounds of science [Les sons des
sons de la science]. Cette sculpture
sonore, prenant la forme d’un aquarium, diffuse le son du documentaire
du cinéaste Jean Painlevé Images
mathématiques de la quatrième
dimension réenregistré sous l’eau.
Émis depuis un poste radio de 1937
(année de production du film), le son
évoque une résonance étouffée,
comme remontant des abysses.
16
Les sons du silence / The Sounds of Silence
Jean Painlevé (1902-1989)
Biologiste spécialisé dans la faune
sous-marine, réalisateur de documentaires scientifiques, mais aussi fondateur
du premier club de plongée sous-marine (« Le Club des sous l’eau », 1934),
Jean Painlevé est considéré comme
l’un des pères fondateurs du cinéma scientifique. Réalisés entre 1928
et 1960, ses courts-métrages mêlent
habilement recherche scientifique,
observation savante et vision plastique
et poétique. L’univers de Jean Painlevé
se trouve au croisement de l’art et des
sciences, de l’outil documentaire, de
la fiction du naturel, de la politique et de
la fabrication de produits dérivés (tissus,
papier peint, bijoux déclinant les motifs
des algues et de l’hippocampe).
La feuille de boucher
17
Les sons du silence / The Sounds of Silence
Cette feuille de boucher est éditée à l’occasion
de l’exposition
« Les sons du silence / The Sounds of Silence »
présentée au Centre d’art contemporain
La Halle des bouchers de Vienne
du 7 juin au 22 août 2014
Remerciements
Centre d’art contemporain
La Halle des bouchers
7 rue Teste du Bailler
F-38200 Vienne
téléphone +33 (0)4 74 54 51 37
email : [email protected]
Les prêteurs et galeries :
Les artistes :
Elisabeth S. Clark, Charlotte Moth, Damir Očko,
Émilie Pitoiset, Sébastien Rémy, Maxime Rossi,
Julien Tiberi
Frac Champagne-Ardenne (Florence Derieux,
Jean-Martial Dutheil, Antoine Marchand)
Galerie Dohyang Lee (Dohyang Lee)
Galerie Marcelle Alix
(Isabelle Alfonsi, Cecilia Becanovic)
Sémiose (Benoît Porcher, Pierre Malachin)
Maire de Vienne
Président de ViennAgglo : Thierry Kovacs
Galleria Tiziana Di Caro
(Tiziana Di Caro, Cristina Masturzo)
Adjoint à la Culture : Patrick Curtaud
Les partenaires :
Directeur du Développement culturel :
Jérôme Migayrou
Ecole internationale de mime corporel dramatique (Ivan Bacciocchi, Natalie Stadelmann)
Lutherie Alticelli (Elie Hoffmann)
Directeur du centre d’art contemporain :
Marc Bembekoff
Assistante / Responsable des publics :
Delphine Rioult
Médiatrices :
M’barka Amor, Ludivine Machado
Accueil des publics :
Aïssa Cherouana, Jean-Philippe Estre,
Kevin Girot
Régisseurs :
Maxime Lamarche, David Posth-Kohler
Graphistes :
Thomas Bizzarri & Alain Rodriguez
Peintre en lettres :
Alaric Garnier
Librairie Lucioles
(Alain Bélier, Renaud Junillon, Mélinda Quillet)
Crea Factory
(Jérémy Barrault, Jérôme Donabédian, Ghislain
Merat)
Les services de la Ville de Vienne :
Direction de la culture
(Lucia Allamanche, Julie Fize, Lydie Hartmann)
Musée des Beaux-arts de Vienne
(Elsa Gomez, Martine Couloumy)
Animation du Patrimoine
(Chrystèle Orcel, Thérèse Rodriguez)
Conservatoire (Sylvie Ducatel, Nora Simili)
Médiathèque
(Joseph Belletante, Sylvain Lecour, Laetitia Timon)
Association des Amis du Centre d’art
Présidente : Michèle Desestret
Vice-Président : Bernard Collet
Trésorier : Franck Devigne
Secrétaires : Bernard Chapotat, Patrick Curtaud
Finances
(Rémy Barbarossa, Magali Montel, Guillaume
Perrin, Stéphanie Sanchez, Mercedes Sendras)
Communication
(Élodie Guiguitant, Julie Trivier, Martine Vignal)
Foncier (Elodie Ricci, Chrystèle Robic)
Propreté (Catherine Villegas, Anne-Sophie
Diagne, Rodolphe Riviera)
Bâtiments communaux (Boris Bertrand,
Véronique Blanchard)
Informatique (Jean-Yves Cazorla, Anthony Garnier,
Morad Mahla)
Protocole (Bernard Tournier)
Reprographie (Eric Gasrel, Serge Detruit,
Danielle Repussard)

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