La loi Macron met en péril tous les contrats de distribution, alerte le

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La loi Macron met en péril tous les contrats de distribution, alerte le
Réseaux - 26/03/2015
La loi Macron met en péril tous les contrats de
distribution, alerte le cabinet Vogel
Après être passé entre les mains de députés, le projet de loi Macron modifie en profondeur les contrats
de distribution en instaurant notamment une durée maximale de neuf ans et en imposant en cas de
résiliation son extension à tous les contrats qui lient les cocontractants. Pour le cabinet Vogel, cette
réforme contraire au droit européen, présente de nombreux effets pervers.
Dans quelques jours le Sénat examinera à son tour le projet de loi Macron en plénière. Ils devront notamment se
prononcer sur l'article 10 qui a été profondément modifié par les députés après l'adoption de l'amendement du
socialiste François Brottes, président de la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale. Cet
amendement limite la durée des contrats d'affiliation à neuf ans, exclut leur tacite reconduction, interdit toute
clause de non-concurrence post-contractuelle, uniformise la durée des contrats conclus avec le même exploitant
et impose l'extension de la résiliation d'un contrat à tous les contrats conclus avec le même exploitant.
Initialement, cet amendement visait à assouplir les règles en vigueur dans le secteur de la grande distribution et
faciliter le passage d'un franchisé d'une enseigne à l'autre mais, tel qu'il est rédigé, il s'étend en réalité à tous les
secteurs d'activité (en dehors de quelques exceptions). Et cela risque de "fragiliser les réseaux qui n'ont rien en
commun avec les problèmes des enseignes de la grande distribution", alerte le cabinet Vogel, spécialiste de la
distribution et du droit de la concurrence, sur son blog.
Un carcan qui va à l’encontre du principe de liberté contractuelle Plusieurs points du texte amendé risquent en effet de perturber le fonctionnement des relations entre un
fournisseur et son distributeur, notamment dans le secteur automobile. Le plus emblématique est la restriction à
neuf ans de la durée des contrats. Cela signifie que tous les contrats – même à durée indéterminée - devraient
désormais être conclus pour une durée de neuf ans avec obligation de résiliation et de renégociation au terme du
contrat (puisque le texte interdit la tacite reconduction). "Le texte visait les enseignes type Leclerc et Intermarché
qui ont des contrats de franchise d’une durée souvent très longue. Mais puisque ce texte s’applique à tous les
contrats de distribution, les législateurs semblent avoir omis le fait que de nombreux secteurs optent pour des
contrats à durée indéterminée auxquels les cocontractants peuvent mettre fin en respectant une période de
préavis. En l’état, cette disposition fait peser un risque de caducité sur tous les contrats à durée indéterminée audelà de neuf ans d’ancienneté avec toutes les conséquences néfastes qui peuvent en résulter. Je pense par
exemple à la mise en cause des cautions garantissant les crédits fournisseurs", explique Maître Joseph Vogel.
L’autre point particulièrement problématique pour le secteur automobile est celui de l’extension des effets de
la résiliation d’un contrat à tous les contrats. Concrètement, si un constructeur a plusieurs contrats avec un
distributeur pour chaque activité (vente VN, vente VO, après-vente, etc.) et pour plusieurs sites, s’il veut résilier
l’un de ces contrats, il devra alors tous les résilier. "C’est particulièrement problématique si un constructeur
souhaite résilier le contrat pour un point de vente qui ne fonctionnerait pas alors que les autres points de vente
exploités par le distributeur sont performants", note Maître Vogel. "Dans ces conditions, soit le fournisseur
renoncera à résilier et sera privé du pouvoir de sanctionner une faute ou de procéder à une réorganisation
légitime, soit il devra résilier tous les contrats, ce qui serait littéralement insensé et l’exposerait en outre à un
risque juridique important", prévient le cabinet d’avocats. La réciproque est vraie pour un distributeur, soumis alors aux mêmes règles. S’il veut changer de marque sur l’un
de ses sites, ou simplement se défaire d’une marque, il sera contraint de résilier tous les contrats qui le lient à la
marque. En outre, "alors que dans le système actuel, s’il détient plusieurs contrats sur plusieurs sites, il est
protégé d’un arrêt simultané de l’ensemble de ses contrats grâce aux échéances différentes de ces accords, il
devra avec la loi Macron faire face à une échéance unique qui rendra sa reconversion plus difficile." Voilà donc
des points qui vont clairement à l’encontre "de la liberté contractuelle", s’inquiète Joseph Vogel, qui dénonce
"l’inspiration très dirigiste" de ce texte.
Contraire au droit européen de la concurrence Le texte s’affranchit en outre du droit européen de la concurrence, ajoute en substance l’avocat. Dans le cadre de
la réglementation européenne sur les accords verticaux (de distribution), dès lors que le fournisseur et le
distributeur ont moins de 30% de parts de marché (ce qui est généralement le cas), leur contrat est exempté sauf
"clauses noires et rouges". En d’autres termes, sa durée n’est pas limitée et les conditions de résiliation ne sont
pas réglementées. "Les clauses de non-concurrence sont exemptées si elles sont d’une durée inférieure à cinq
ans de même que la clause de non-concurrence post contractuelle d’un an (NDLR : condamnée par
l’amendement) en cas de transmission de savoir-faire(…) Enfin, il est de jurisprudence constante en droit
européen que l’obligation de non-concurrence est de l’essence du contrat de franchise et demeure valable
pendant toute sa durée ", rappelle le cabinet sur son blog. Le gouvernement français peut-il adopter une loi s’affranchissant totalement du droit européen ? "Tout dépend du
cadre dans lequel ce texte va entrer. S’il entre dans le cadre du droit de la concurrence, comme cela devrait être
le cas compte tenu de l’objectif qu’il défend (encourager une plus grande concurrence entre les enseignes de
distribution sur une zone de chalandise, NDLR), le texte devra tenir compte de la réglementation européenne",
explique
Joseph
Vogel.
Si la majorité tient à défendre ce texte, il devra sinon le faire entrer dans le cadre du droit des contrats mais il
aura certainement des difficultés à justifier ce changement de cap puisque l’amendement Brottes s'inspire d’un
avis de l’Autorité de la concurrence. "Et même dans ce cas, se poserait toujours la question de l’atteinte au
principe constitutionnel de liberté d’entreprendre", relève Joseph Vogel.
Hier, en fin d'après-midi, la commission spéciale du Sénat a abrogé l'article 10 résultant de l'amendement Brottes.
C'est toutefois à l'Assembée nationale qu'il appartiendra de le rétablir ou pas lors de l'adoption finale de la loi
Macron.
Emilie Binois