Nafissatou DIALLO, victime de DSK et de l`opinion publique ? L`effet

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Nafissatou DIALLO, victime de DSK et de l`opinion publique ? L`effet
Nafissatou DIALLO, victime de DSK et de l’opinion publique ?
L’effet du coup de tonnerre dans le ciel mondial que fut l’annonce de
l’arrestation de monsieur Dominique Strauss-Kahn dit DSK, patron du FMI,
résonne encore dans les oreilles.
À l’incrédulité a succédé l’horreur de le voir encadré de deux policiers, menotté dans
le dos, puis, au tribunal dans des habits froissés, assis entre deux petits délinquants.
Son placement dans une des prisons les plus dangereuses aux États-Unis apportera
une pierre de plus aux édificateurs de la thèse du complot contre D.S.K. On
comprend aisément le choc des uns et des autres face à la brusque déchéance d’un
des hommes les plus puissants au monde, des plus admirés et dont le tapis rouge se
déroulait lentement, mais sûrement du FMI vers l’Élysée.
Du coup, la plaignante contre DSK, madame Nafissatou DIALLO1 passe
d’accusatrice à l’accusée aux yeux de l’opinion publique mondiale. Elle devient
"celle par qui est arrivé le scandale." Des questionnements fusent alors de partout :
qui s’est servi d’elle pour sortir le directeur général du FMI de son poste? Qui l’a
instrumentalisé pour barrer à DSK le chemin vers la présidence française? Combien
d’argent a-t-elle reçu pour cela? etc. Pour apporter des preuves de sa culpabilité, on
fouine dans sa vie. On se rend dans son village d’origine en Guinée, on déniche sa
mère en visite chez sa sœur au Sénégal. On met en doute les propos de Pape Baïdy
Diallo dit Blake d’avoir dit au départ qu’il est le frère de Nafissatou Diallo. Or, dans
la culture africaine, il est de coutume d’appeler frère ou sœur, quelqu’un-e à qui on
est lié-e- par l’origine ethnique, villageoise ou par simple amitié.
Par ailleurs, l’Affaire DSK a mis en relief le degré de banalisation des agressions
sexuelles contre les femmes dans le monde. On fait peu cas de la femme qui se
plaint, de ses blessures et de ses souffrances. Pire, dans ce cas, lieu par excellence de
toutes les inégalités sociales (un grand intellectuel contre une illétrée, un homme
puissant contre une femme humble, une famille riche contre des gens modestes, un
Blanc contre une Noire, un fonctionnaire international contre une immigrée), on y va
sans retenue. On défend DSK bec et ongles, on s’attéle à laver sa dignité, à le sauver
d’une condamnation. Les propos de certains de ses amis tels que Jacques LANG qui
qualifie l’acte reproché à leur ami, de "troussage domestique" reflète bien l’opinion
de la classe dominante française. Comme le dénonçait la députée française, MarieGeorge BUFFET au micro de Radio France Internationale (RFI), on ne désigne
Nafissatou Diallo que par des stéréotypes tels que "femme de ménage", "femme
d’origine" etc. alors que c’est une femme. En effet, domestique ou PDG,
Nafissatou est avant tout et après tout, une femme. C’est en tant que telle qu’elle
aurait été agressée.
De même, le fait que les amis de DSK au FMI rassemblent de l’argent pour acheter
le silence de la plaignante parce qu’ils ont vu à travers un reportage que son village
1
http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2011/05/16/portrait-ce-que-lon-sait-de-la-femme-de-chambre/
et sa famille sont pauvres, dénote bien le mépris vis-à-vis des femmes victimes de
viol, surtout quand celles-ci sont défavorisées et de surcroît d’origine africaine
vivant dans les pays occidentaux.
Pourtant, sur la moralité de Nafissatou DIALLO, les témoignages2 concordent. Des
membres de sa communauté résidant à New-York à sa mère3 en passant par son
employeur à l’hôtel SOFITEL, ses voisins au Bronx, le chef religieux des Peulh à
New-York, son ami et confident Pape Baïdy DIALLO dit Bleck, tous reconnaissent
que c’est un femme dotée d’une bonne éducation, sans histoire, pieuse, travailleuse
et préoccupée de l’éducation de sa fille. En d’autres termes, Nafissatou Diallo n’a
pas le profit d’une "séductrice" capable de piéger des hommes par vice ou pour
de l’argent ou d’être instrumentalisée pour des gains pécuniaires. «Ce qui m’a
beaucoup marqué chez elle, c’est qu’elle ne se ne mêle pas de la vie mondaine newyorkaise. Elle ne fait pas les rues comme le font certaines filles. Elle fait sa vie
décemment et n’a jamais dévié du droit chemin.» témoigne Pape Omar.4
En plus, la réponse de son frère à RFI, le 26 mai, est claire et nette : "Nous ne
voulons pas de l’argent, nous voulons retrouver notre dignité." Ces propos sont
lourds de sens. Car, si pour certains l’argent est une fin en soi et que tous les moyens
sont bons pour l’avoir, pour d’autres l’honneur et la dignité sont au-dessus de tout,
ils ne sont pas négociables. Cela est valable pour beaucoup d’Africain-e-s, surtout
les Peulh/Hal Pulaar qu’on retrouve dans dix neuf (19) pays d’Afrique et qui
représente 80% de la communauté guinéenne de New-York. Leur principe
séculaire, c’est de vivre dans l’honneur ou de mourir dans la dignité. Comme
l’expliquait monsieur Souleymane DIALLO, président de l’Association des
Guinéens aux États-Unis, l’Union pour le développement du Fouta-Djalon «le viol
chez nous, c’est un déshonneur.» Il peut conduire au rejet de la femme violée et
même à celui de ses filles dont personne ne voudra comme épouse. On sait que la
marginalisation est une des sanctions sociales que redoutent le plus les Africains
et les Africaines. Comme dit monsieur Diallo : "On ne s’amuse pas avec ça", une
femme n’ose pas porter une accusation de viol à la légère. Il explique que pour les
Peulh de la Guinée : «le viol est un sujet particulièrement douloureux. Car le
régime de Conakry, quand il a envoyé ses milices contre les populations peules, a
incité ses soudards à violer systématiquement les femmes. Qu’une des leurs ait subi
le même sort dans un palace de Manhattan plonge les Guinéens dans leurs
souvenirs les plus sombres.»5
L’honneur de madame Nafissatou DIALLO est donc aussi important que celui
de monsieur Dominique Strauss-Kahn dit DSK. Ce n’est point celui d’un individu
qui est en jeu, mais celui d’une famille et d’une communauté. Cet honneur est quasi
sacré aux yeux de celles-ci.
2
http://xalimasn.com/temoignages-nafissatou-diallo-est-bel-et-bien-guineenne
http://www.rfi.fr/afrique/20110525-affaire-dsk-une-famille-guineenne-tourmente-internationale
4
L’Oservateur, Entretien avec … Pape Baïdy DIALLO alias Blake, confident de Nafissatou DIALLO,
No 2303, jeudi 26 mai, 2011, page 6
5
Xalima, op. Cit.
3
Nafissatou accuse D.S.K d’agression sexuelle. Semble t-il que, d’après ce dernier, il
s’agissait de relations consentantes. Comme certains le soulignent : «il n’y a pas de
fumée sans feu» C’est la parole de l’une contre celle de l’autre. En fait, seuls DSK
et Nafissatou savent ce qui s’est exactement passé ce 14 mai dans la chambre
2806 de l’hôtel Sofitel de New-York. Les autres ne font que des hypothèses, voire,
des supputations. Peut-être que le procès nous édifiera, mais, peut-être aussi pas.
S’il est nécessaire d’attendre le verdict de la justice américaine pour faire des
jugements plus éclairés, il est par contre opportun de tirer dès à présent les
leçons de l’Affaire DSK. Il devient urgent de repenser en profondeur les relations
femmes/hommes afin de dégager des stratégies adéquates pour mettre fin aux
violences sexuelles cachées et impunies. Ces agressions que les fillettes et les
femmes se gardent de dénoncer par peur de devenir doublement victime; à
savoir, celle qui est abusée, puis, mise au banc de la société, jugée, condamnée et
souvent rejetée. Tant qu’on ne trouvera pas des dispositions pour mettre fin à cet
état de fait, des centaines de milliers d’hommes coupables de violences sexuelles
vont courir librement les rues et continuer à faire des victimes silencieuses.
Saluons les voix de femmes qui se sont élevées au Sénégal* et en France pour
dénoncer le traitement fait à Nafissatou Diallo, la présumée victime de DSK et
souhaitons que d’autres en fassent autan, surtout des voix d’hommes, dont celles des
décideur-e-s politiques.
L’agression sexuelle n’est pas un problème de femmes, mais une question de
société, à solutionner.
Dre Aoua Bocar LY-TALL
Sociologue et Chercheure associée à l’Institut des Études des femmes, Université d'Ottawa,
CANADA
Expert-conseil en Genre, Diversité, Environnement et Stratégies organisationnelles, QUÉBEC
Présidente-Fondatrice du Réseau "FEMMES AFRICAINES, Horizon 2015 (FAH2015)"
Cell.: 514 - 662 - 2876 ; Tél.: 514 – 439 4770 ; SENEGAL : 221 77 507 82 81
Site Web: www.femenvie.ca ; Blogue : http://aouabocarlytall.wordpress.com
E-mail: [email protected] ou [email protected]
*
Un collectif d’ONG de droits humains composé de l’Association des Juristes sénégalais (AJS), d’Amnesty
International-Sénégal, la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO) et la Ligue
Sénégalaise des Droits de l’homme.

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