Lettre ouverte au Président de la République de Guinée

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Lettre ouverte au Président de la République de Guinée
Lettre ouverte au Président de la République de Guinée
L’emploi des jeunes, une grande cause nationale
Monsieur le Président,
En cette période de difficultés économiques, l’emploi des jeunes est une préoccupation
des plus fondamentales des pouvoirs publics. Beaucoup a déjà été dit et écrit sur cette
question.
Monsieur le Président, en tentant de répondre aux questions liées au fléau du chômage
des jeunes en république de guinée, ma contribution propose une feuille de route basée
sur des recherches et études existantes qui ont donné des résultats probants ailleurs
dans d’autres pays y compris la France. Ces recherches et études m’ont permis de
consolider plusieurs certitudes qui ont été à la base de ma réflexion, à la recherche des
solutions crédibles.
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l’emploi des jeunes est une grande cause nationale. L’avenir de notre pays en
dépend. Des mesures spécifiques pour la jeunesse sont incontournables. L’emploi
des jeunes ne représente pas le même enjeu que celui des adultes ou seniors.
c’est sur le secteur privé que l’effort doit être porté principalement pour l’emploi,
notamment le premier emploi
la situation ne peut s’améliorer que si l’école s’ouvre davantage sur le monde de
l’entreprise et des métiers
l’alternance est la voie clef pour rapprocher le monde du travail et celui de
l’éducation, car la formation duale est au cœur de la réussite et de l’ascension
sociale
il faut proposer un interlocuteur unique aux jeunes et aux entreprises, de
l’orientation à l’insertion professionnelle en passant par la formation.
chaque jeune doit pouvoir bénéficier d’un parcours personnalisé de l’école à
l’entreprise.
Je propose de viser un objectif majeur que je crois pouvoir d’atteindre de manière
réaliste et logique pour faire reculer durablement et nettement le chômage des jeunes.
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la création d’un contrat unique d’insertion qui permettra l’insertion d’au moins
200.000 jeunes sur le marché du travail en s’appuyant sur l’aspect formation en
alternance qui est un mode de formation qui permet de combiner
enseignements théoriques et expériences professionnelles au sein d'une
entreprise. A la fois salarié et étudiant, l'apprenti bénéficie d'une formation
complète qui lui permet de trouver un emploi décent plus facilement. Je
propose donc de faire entrer au moins 200.000 jeunes dans l’économie de notre
pays d’ici la fin de votre deuxième mandant
Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire d’alléger le cout d’insertion pour inciter
davantage les entreprises à s’engager dans l’insertion et la formation des jeunes. Elles
ont besoin du savoir et des talents de jeunes.
Chacun peut et doit faire un effort pour aider les jeunes à franchir avec succès « le
parcours du combattant » que représente la recherche de leur orientation
professionnelle.
Dans l’intérêt de tous, il est indispensable de donner aux jeunes la possibilité de saisir
leur chance et de prendre en mains leur destin, il y va de notre futur commun.
Selon des études réalisées en 2011 par les perspectives économiques africaines, plus de
74% de la population guinéenne sont âgées de moins de 30 ans. Aujourd’hui, plus de
deux tiers des jeunes sortants du system éducatif guinéen sont sans emploi
La guinée se retrouve aujourd’hui soit avec des jeunes diplômés à qui on ne peut donner
de poste, soit avec des jeunes sous-qualifiés qui n’ont aucune chance de faire leur place.
L’ensemble du système d’éducation est globalement inadapté aux réalités économiques
guinéennes. L’offre de la formation ne répond que très partiellement aux besoins en
compétences des entreprises, les formations techniques et professionnelles sont peu
nombreuses et lacunaires. Un tel décalage entre les besoins du marché et l’éducation
nécessite de réévaluer la pertinence des formations ainsi que le contenu de leurs
programmes.
En sachant que les jeunes constituent la majeure partie de la population guinéenne, un
tel constat ne peut qu’inquiéter : avec un taux de chômage aussi élevé, le taux de
pauvreté atteindra des proportions inquiétantes, avec tous les risques d’instabilité
sociale que cela implique.
Cette jeunesse frustrée et livrée à elle-même devient la cible idéale de groupes
extrémistes ou des narcotrafiquants.
Combiner formation et emploi
En 2009, les dirigeants africains s’étaient réunis dans la capitale éthiopienne AddisAbeba pour tenter d’endiguer le chômage des jeunes. En lançant la « Décennie de la
jeunesse africaine » (2009-2018), ils ont consacré la nécessité de lutter à la fois contre le
chômage et le sous-emploi.
Pour tenir cet engagement, de nombreux pays ont multiplié les initiatives. Par exemple,
le Ghana a mis en place un service national de la jeunesse et des programmes afin de
doter les diplômés de l’enseignement supérieur des compétences requises et à les aider
à trouver un emploi. La Zambie a de son côté créé un fonds pour les jeunes
entrepreneurs afin de stimuler la création d’emplois. Pour aider à l’insertion, le
gouvernement béninois a opté pour la rénovation et l’adaptation du dispositif de
formation professionnelle, notamment par le biais de certificats de qualification
professionnelle.
La formation ne peut plus se faire uniquement selon une approche purement
académique, mais au contraire en lien avec les entreprises. Il faut en effet mieux
prendre en compte les besoins des acteurs économiques et s’en rapprocher ; il ne s’agit
plus seulement de former pour qualifier, mais de former pour insérer.
Une autre piste d’insertion professionnelle est aussi envisageable : au lieu de former
une personne pour qu’elle puisse intégrer une entreprise, certains programmes
proposent d’abord d’intégrer la personne dans l’entreprise pour ensuite la former. Cela
permet aux jeunes sans qualification d’être éduqués non pas par l’école, mais via
l’emploi.
Il est alors indispensable de développer les collaborations avec les entreprises. Ce que
tente de proposer l’Agence française du développement au Burkina Faso, au Cameroun,
ou en Côte d’Ivoire, en travaillant avec le secteur privé pour former de jeunes dans des
domaines porteurs comme l’énergie ou l’agriculture.
L’une des options royales pour la guinée serait de créer un contrat unique d’insertion
qui a pour objet de faciliter l’insertion des personnes sans emploi rencontrant des
difficultés sociales et professionnelles particulière d’accès à l’emploi.
Les entreprises intéressées par le recrutement dans le cadre d’un contrat unique
d’insertion bénéficieront des aides de l’Etat qui sont :
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aide à l’insertion professionnelle. Le montant de cette aide financière sera fixé
entre l’Etat et l’Entreprise sur la base des études préalablement faites.
aide à la formation. l’Etat peut également contribuer au financement des actions
de formation professionnelle et de validation des acquis de l’expérience (VAE).
les exonérations de charges dont les modalités seront fixées entre l’Etat et
l’entreprise d’un commun accord.
La validation des acquis de l’expérience (VAE) permet d’obtenir un diplôme
professionnel, un titre professionnel ou un certificat de qualification professionnelle
(CQP) faisant valoir des compétences acquises au cours d’un parcours professionnel,
syndical ou associatif. La VAE s’adresse à tous les salariés en activité, demandeurs
d’emploi, indemnisés ou non, fonctionnaires, travailleurs indépendants, agriculteurs ou
chefs d’entreprises. Il faut toutefois justifier d’une expérience de trois ans minimum en
relation avec le contenu du diplôme ou du titre visé.
Au début du mois de Mars 2016, il y a eu des échanges d’emails entre le ministre de la
jeunesse, Mr. Moustapha Naite et moi-même, au cours desquels je suis parvenu à lui
envoyer un document contenant un plan et des propositions pour aider à réduire le
chômage des jeunes en guinée. Ce document contient aussi une liste des agences des
Nations Unies impliquées dans la réduction du chômage des jeunes à travers le monde.
De nombreux pays africains y compris le Sénégal, s’appuient sur les leçons, apports
financiers et techniques, et expertises multidisciplinaires de ces Agences en matière de
l’emploi des jeunes pour faire face au fléau. Apparemment satisfait du document, le
ministre m’a envoyé un email, que je retiens encore, où il a promis de soumettre ce
document à votre autorité pour y attirer votre attention.
A la fin du mois de Mars, au cours du séminaire organisé lors de la retraite du
gouvernement, le ministre de la jeunesse a fait un discours où il a proposé la création de
700.000 emplois pour les jeunes d’ici la fin du quinquennat. J’étais quelque peu surpris
car j’ai trouvé ce chiffre (700.000) largement au-dessus de la capacité d’absorption de
l’économie guinéenne en l’espace de 5 ans compte tenu de sa faiblesse et sa fragilité.
L’économie guinéenne dans les conditions actuelles est pratiquement incapable
d’absorber 700.000 de chômeurs en l’espace de 5 ans. Il faut être réaliste et logique. Les
discours tenus simplement pour calmer les esprits ne vont pas tenir longtemps s’il n y a
pas de base concrète.
Ce serait intéressant de savoir, au jour d’aujourd’hui, combien d’emplois ont été créés
pour les jeunes depuis ce discours de Mars 2016.
Pour mieux cerner tous les contours de la question, il est important de faire la
différence entre chômage structurel et conjoncturel
Le chômage structurel est un chômage chronique, de long terme, qui correspond à un
déséquilibre profond et durable du marché du travail. Il est le corollaire des
changements structurels de la nation (structure démographique, sociale…) qui va
impliquer une inadéquation entre l’offre et la demande du travail. L’exemple souvent
cité est l’inadéquation des qualifications de l’offre face aux besoins des entreprises.
Le Chômage conjoncturel, par contre, est directement lié à la conjoncture et donc à
l’activité économique. Plus cette dernière ralentit, plus le taux de chômage est élevé. En
effet, les entreprises afin d’anticiper la baisse de la demande des biens et services
qu’elles produisent vont agir sur le facteur travail en licenciant et/ou en arrêtant toute
embauche. La récession devient alors la cause directe de ce type de chômage.
Ce constat interpelle donc les pouvoirs publics à agir pour inciter les employeurs aux
actions créatrices d’emplois afin de redynamiser l’activité économique.
Pour résoudre le problème de chômage, les pouvoirs publics doivent jouer des rôles
actifs et courageux, prendre des mesures appropriées et spécifiques dans le cadre de la
formation et de l’emploi des jeunes, et des mesures pour inciter tous les acteurs de la
vie socioéconomique.
Une jeunesse désœuvrée et abandonnée à elle-même sans aucune perspective d’avenir
est une bombe à retardement. La révolte de la jeunesse en Tunisie a été à l’origine de la
Révolution tunisienne (2010-2011) qui a changé la donne sociopolitique dans le monde
entier.
Monsieur le Président, les jeunes diplômés qui cherchent activement de l’emploi en
guinée rencontrent d’endormes difficultés et sont exposés à toutes sortes de caprices.
Les employeurs qui les acceptent pour des stages avant l’embauche proposent le plus
souvent des stages de trois ans minimum sans salaire ni primes. Conditions injustes et
inacceptables. Les jeunes doivent se déplacer tous les jours le stage, ils doivent s’habiller
correctement pour le travail. Comment le faire sans salaires, sans primes et ni d’autres
sources de revenu? Ce n’est pas un stage, c’est une exploitation qui interpelle
intervention et actions des pouvoirs publics.
Mohamed Conde
Agrobusiness économiste
Gestion des données et technologies analytiques.
UN Mission en Afghanistan, Kabul
[email protected]