Croire en un Dieu crucifié

Transcription

Croire en un Dieu crucifié
« Puisque le monde, avec toute sa sagesse, n'a pas su reconnaître
Dieu à travers les oeuvres de la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de
sauver les croyants par cette folie qu'est la proclamation de l'Évangile.
Alors que les Juifs réclament les signes du Messie, et que le monde
grec recherche une sagesse, nous, nous proclamons un Messie
crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les peuples païens. Mais
pour ceux que Dieu appelle, qu'ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie est
puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car la folie de Dieu est plus
sage que l'homme, et la faiblesse de Dieu est plus forte que
l'homme. »
1 Co 1. 21-25
Croire en un Dieu crucifié
La citation de Paul place au cœur de la question…
Comment, sans passer pour fou ou blasphémateur, témoigner d’un « Messie », un Sauveur, qui
meurt crucifié ? Comment a fortiori dire que celui que nous prenons pour le Messie est Dieu ?
Le travail d’aujourd’hui est essentiel… parce qu’il touche à l’essentiel de notre foi, ce cœur que nous
n’arrivons pas à exprimer tellement il est central.
Il suffit de se rappeler le baptême pour percevoir que croire au Dieu crucifié n’est pas croire à
« quelque chose » extérieur à notre vie de chrétien :
« Nous t’en prions : par la grâce de ton Fils, que la puissance de
l’Esprit-Saint vienne sur cette eau, afin que tout homme qui sera
baptisé, enseveli dans la mort avec le Christ, ressuscite avec lui pour
la vie. Par Jésus.
(oraison de la bénédiction de l’eau)
Notre travail d’aujourd’hui est un travail du Samedi saint.
Tout au long de notre vie, nous avons célébré Pâques – avec plus ou moins de conviction -, certes,
mais, entraînés par le printemps naissant, nous avons souvent vécu le temps de Pâques comme un
souffle relançant notre vie.
Il me semble relativement facile de parler de Pâques.
Certes, notre époque doute, mais, derrière le doute, le besoin d’espoir existe toujours.
Et, après tout, chanter la victoire de Dieu peut assez facilement être entendu…même si le mot
« Dieu » s’est depuis longtemps, pour la plupart des gens, vidé de la toute-puissance qu’il avait,
semble-t-il, dans les temps anciens. Malgré le scepticisme, la joie est communicative.
Mais faire notre travail d’aujourd’hui est encore plus difficile que de parler de la victoire de Dieu.
Nous vivons le Samedi Saint en connaissant la suite de l’histoire. Nous vivons toute la Semaine
Sainte, tellement polarisés par Pâques que, même si nous pleurons nos péchés le vendredi saint…
nous savons que tout finira bien.
Comme des enfants, souvent, nous acceptons de réentendre les passages terribles de l’histoire que
l’on nous raconte à ce moment-là, parce que nous aimons d’autant plus frissonner que nous savons
que cela se terminera bien.
D’une certaine manière, nous avons raison.
Mais d’une certaine manière seulement.
Notre question est celle du Samedi Saint.
Les Jeudi et Vendredi, l’Eglise nous propose un récit ; la nuit de Pâques, elle nous propose des
lectures, un récit et des signes.
Mais, le Samedi, elle ne propose rien.
Et ce rien n’est pas un petit rien, trois fois rien. C’est rien.
Et ce silence, ce rien, font partie de l’histoire…et de la difficulté.
Ce rien est pour notre solitude.
Pour notre humilité.
Pour notre manque et notre incapacité à comprendre.
Il me revient, je ne sais pourquoi, ces quelques vers de Rilke :
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« Car ce qui fait la mort étrange et difficile
c’est qu’elle n’est pas la fin qui nous est due,
mais l’autre, celle qui nous prend
avant que notre propre mort soit mûre pour nous… »
Le message du Samedi Saint ne peut pas se dire :
Celui qui est mort, au premier samedi, était un homme…il avait été entouré d’espoirs.
Il drainait à lui l’immense désir de vie de l’humanité. Il ouvrait des portes aux pauvres et clouait le
bec aux puissants. Il faisait prendre conscience de la proximité de Dieu et du sens du monde.
Mais, ce samedi-là, ce sabbat, tout avait été emporté dans le froid glacé de la tombe. Ce n’était ni le
jour de l’homme, ni celui de Dieu. Tout était retombé, et le vent du désert soulevait la poussière
comme avant.
Vous me direz : oui, mais cela est du passé. Au petit matin, le jardin a fleuri. Cela est vrai.
Mais…
Mais cela n’arrange pas ma compréhension, Samedi Saint après Samedi Saint,, que de savoir que le
lendemain sera la Pâque… Car, s’il est ressuscité, s’il est ami de Dieu, s’il est celui que j’attendais
pour me sauver, comme cela avait été promis…que veut dire sa mort ? La mort d’un leader est
triste. La mort de Dieu est… je ne sais pas.
Je citais Rilke, je continue :
« Tiens-nous éveillés, une fois au moins,
Révèle ce qui gît au fond de nous,
Ne nous force plus à enfanter dans la souffrance
Domme à notre enfantement un sens plus lourd. »
J’admire les théologiens. Ils savent dire ce que je ne sais pas dire.
L’animal n’interprète pas. Il constate, il éprouve, il vit, il sent.
L’homme croit, c’est-à-dire qu’il dépasse les informations et les sensations qu’il reçoit, et a besoin
de leur donner sens.
Il me semble que le Samedi Saint est le silence qui permet le commencement du jaillissement du
sens… ce lieu où ce n’est pas la mort de Dieu, mais la mienne, qui est en cause… mort de tous les
rêves, même les meilleurs et les plus généreux, mort des mots les plus porteurs (Jésus ne voulait
pas que l’on dise qu’il était le Messie), mort des croyances les plus sûres…mort où naît la foi.
Le Samedi Saint me dit que toute vie vient de Dieu. Et de Dieu seul. Le Samedi Saint est un appel à
une autre naissance.
Le monde qui, sans cesse, est plongé dans le néant, dans le silence athée du Samedi Saint, le
monde de l’espoir des plus pauvres et des tordus, ce monde-là était traversé par la Parole de Dieu.
L’absence de réponse aux questions humaines qui flotte sur les cimetières, est ce qui permet de
comprendre le langage de la Croix qui ravive le désir, le défie, juge, mais aussi crée et réconcilie.
Saint Augustin a dit : « Credo quia absurdum ». Il aimait l’intelligence et la recherchait.
Rien, en lui, ne fut acceptation de la foi du charbonnier… mais sa science le conduisait à accepter sa
position de créature devant Dieu et de marcher d’inconnaissance en inconnaissance.
Le Samedi Saint me murmure l’importance du silence de Dieu dans le dialogue.
Et de la prière simple. Celle de la remise totale de soi. De la mort à soi-même.
Mais le sabbat est à la fin du travail de la semaine. Et annonce la fin des temps.
Il nous faut apprendre à en témoigner.
Seigneur, donnez-nous de trouver les mots qui ne blessent pas le mystère.
+ Mgr Michel Dubost
Évêque d'Évry - Corbeil-Essonnes
le 29 mars 2009
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