Petite et grosse frayeurs

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Petite et grosse frayeurs
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Petite et grosse frayeurs...
Höfn, le 9 juillet. 5 heures, l'équipage se lève. Il fait beau temps. Branle-bas de combat. L'un fait le petit déjeuner de la main
gauche pendant que l'autre hisse le genaker de la main droite. Les pieds sont affectés à d'autres tâches.
6 heures, les amarres sont larguées, 160 milles à
tracer jusqu'à Vestmannayar. Ce sera la plus
longue étape. Thoè peine à suivre les
alignements pour sortir du port, car le Cap' se
laisse distraire en prenant des photographies
pour illustrer « La Route de Thoè », son
inventaire de 60 ports et mouillage islandais. Il
s'en est fallu d'un doigt écrasé pour que Thoè
reste en rade dans les rails sous-marins du travel
lift du chantier naval d'en face. Puis cela a été le
courant de 2 à 3 kts tantôt traversier tantôt de
face et les hauts-fonds. En mer, petit temps. À
peine dix kts de vent sur l'arrière du travers. Le
Cap' envoie le genaker. Repos au soleil.
Vestmannaejyar, le 11 juillet. À 160 milles du départ et 4 milles de l'arrivée, Thoè fait un soubresaut, le moteur tousse et se
trémousse, puis reprend son régime normal, mais avec un petit quelque chose de tellement indéfinissable que le Cap' se résout
à le mettre sur ses légendaires appréhensions. Pour bénéficier du meilleur, il faut prévoir ou redouter le pire. Il pense à un
bout pris dans l'hélice, mais le bateau semble atteindre sa vitesse normale. Il allonge les milles restant jusqu'au port. Avant
d'embouquer le chenal, par précaution, le Cap' a quand même tout préparé pour renvoyer les voiles en catastrophe. L'ancre est
toujours prête à servir.
Scénario mental. Il s'imagine devoir jeter l'ancre dans
l'étroit chenal du port, dont la largeur de quelques mètres a
été déterminée par l'éruption de 1973 qui a été à deux
doigts de boucher complètement l'entrée du second port
d'Islande. Les autorités avaient déversé 3 millions de m3
d'eau pour freiner la coulée de lave. Tous les habitants de
l'île avaient été évacués. Le volcan avait fini par laisser un
étroit chenal. Pour se faire pardonner les frayeurs, la
protection du port s'en trouva renforcée.
Thoè cède le passage à deux chalutiers de 71 et 29 mètres
et se place dans son sillage, à l'abri de ses vagues d'étrave.
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Il s'imagine devoir jeter l'ancre en plein milieu du passage et envoyer un message d'alerte PAN PAN sur le canal 16 de la VHF
à tous les navires géants entrant et sortant du port, chalutiers-usines, bateaux de croisière, ferries, cargos, etc. Pour éviter le
choc frontal.
Vous vous en doutez, le Cap' a vu le pire, à tort. Mais si le pire n'était pas au rendez-vous, le meilleur ne l'a pas été non plus.
Le Cap' fait faire de petits tours à Thoè pour se donner le temps préparer l'amarrage et trouver un endroit convenable dans le
port. Il n'en trouve pas. Il finit par choisir un morceau du quai mal protégé où se trouve le bateau-pilote. Des semi-rigides
passent régulièrement à 30 kts pour faire frissonner et donner des émotions aux touristes en mal de sensations fortes.
C'est le moment d'arrêter Thoè le long du quai. Le Cap' actionne le levier du moteur pour battre en arrière. À ce moment-là,
Thoè se met à vibrer de toutes ses membrures. M... on a quand même pris quelque chose dans l'hélice ! Il va falloir plonger !
La réparation ne peut attendre, car le bout risque d'empêcher les pales de l'hélice, qui sont mobiles, de fonctionner en avant
ou en arrière. Pour se donner bonne conscience et ne pas jeter l'éponge tout de suite, le Cap' se dit « si l'eau a moins de 10 °C,
je ne plonge pas ». Le Cap' plonge. Il plonge un thermomètre dans l'eau du port. Elle fait 10.1 °C. En arrondissant, cela fait
10 °C. Moins l'erreur de mesure d'un thermomètre de premier prix, cela fait moins de 10 °C. Il faudra trouver de l'aide.
Le Docteur Watson s'arme de la Gopro et l'arrime à un bras télescopique. Il filme la scène du drame en se penchant pardessus les boudins de l'annexe. Le diagnostic est vite fait. De deux choses l'une. Ou bien un filet de pêche a confondu l'hélice
de Thoè avec un gros cabillaud affamé. Ou bien nous avons pris un très gros bout dérivant. Dans les deux cas, l'objet du délit
n'a pas résisté et s'est déchiré... sans bloquer le moteur.
Au début de la saison, le Cap' avait fait fabriquer une entretoise à placer entre l'hélice et l'embase pour que des bouts éventuels
ne bloquent plus le moteur en se coinçant à cet endroit. Dans ce cas, c'est panne sèche au milieu de la mer. C'était sans doute
une bonne idée prémonitoire basée sur des expériences vécues préalablement.
L'origine des vibrations !
L'entretoise, entre l'anode et l'hélice
Un responsable de la sécurité du port vient nous conseiller de déplacer le bateau à un endroit plus calme. Merci, mais avant de
bouger, il faut d'abord régler un problème. Il enverra un plongeur.
- Quel sera le prix ?
- 20 000 ISK (150 €)
- (Oups ! Pour une plongée de 5 minutes plus les préparatifs c'est bien payé !) Je vous propose 15 000 ISK (110 €)
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- OK.
Le problème a été résolu 5 heures après notre arrivée, preuve que les Islandais savent y faire. Tout est bien qui finit bien, le
Cap' déplace Thoè à l'endroit conseillé. Il est prêt à repartir. Petite frayeur lorsque le moteur s'est mis à trembler. Grosse
frayeur virtuelle lorsque le Cap' s'est mis à trembler à l'idée de ce qui aurait pu arriver.
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