D`éCRITe pAR oLIVIER iSSAURAT

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D`éCRITe pAR oLIVIER iSSAURAT
LA
BANLIEUE
GRISE
D'éCRITe pAR oLIVIER iSSAURAT
Qu’est-ce qu’on a dans le buffet ?
4h30 du matin. La brigade de Meaux. Le planton regarde un petit écran carré. La nuit est bien
avancée. Elle attend que la lune finisse de se noyer dans la brume du petit matin. Quatre flics se
pointent.
- Putain, il nous a refait le Petit Louis. Combien, il a ramassé déjà… 250 euros ! On s’est bien
fait plumer ! Tiens, je sais même pas le pognon que j’ai paumé…
- Moi j’ai pas laissé grand-chose, deux ou trois euros, et toi Lucas ?
- Je ne m’en sors pas trop mal, je rentre même avec 20 euros en plus.
- Marco t’en est de combien ? Cinq balles ! Merde alors j’en ai suis de, attendez un peu que je
compte…
- Cherche pas, ça fait 263 euros …
- Tu joues comme un manche, c’est tous les coups la même rengaine, tu devrais arrêter.
- Ta gueule, t’es pas ma bonne femme !
- Je m’en voudrais…
- Bon assez rigolé, dis nous un peu les nouvelles du soir, je suppose qu’à la Brigade vous n’avez
pas dû vous ennuyer pendant qu’on jouait au tarot…
- Tu veux dire pendant que vous faisiez les cons chez Luce à vous faire plumer, enfin surtout toi
Fredo… On a eu une histoire pas banale. Vous allez vous marrer, un braquage…
- Ca commence mal !
- Attends un peu de savoir. On a un père Noël qui doit apprécier le braquemart car on l’a retrouvé
le cul à l’air, le pantalon sur les genoux et une balle dans le citron. En tous les cas, à force de se
faire tringler, c’était plus un trou du cul qu’il avait, le père Noël mais un terrier à fouine. Ca s’est
passé aux Galeries, vous voyez où c’est… Il semblerait bien que le gars en question y bosse.
- Ouais, continue ça prend un air sympa tout à coup.
-… Le problème c’est que la recette du jour a disparu, quelque chose comme trois bâtons.
- Il est dans le coup le père Noël ?
- On pense que oui, il a dû se faire doubler…
- Tu veux dire enfiler !
- Arrête merde, si vous le faites poiler on est là jusqu’à demain… C’est déjà demain, bon alors !
Allez la suite, pour le moment elle n’est pas mal ton affaire…
- Attendez, ça c’est le hors-d’œuvre. Dans le café des Sportifs, qu’à pas plus avoir avec le sport
que ma grand-mère avec le trafique d’héroïne, on a une baston pour une histoire de 150 euros et de
sorcière. L’un des gars est salement amoché d’un coup de surin dans le buffet. L’autre, il est au
placard, ça fait deux plombes qu’il gueule comme veau. Il en veut à une sorcière qui serait une tante
et qui l’aurait sucé. C’est pas très clair. Je pense que le gus en tient une sérieuse !
- Y dois bien y avoir une explication…
Quelques heures plus tôt. Un bistrot. Sombre, enfumé. Les gens posés là semblent tous venus
d’un monde d’enfermement. Lucien entre. Il est en pétard. Il est remonté contre la terre entière. Il
traverse le bar en gueulant. Il veut un cognac pour se remettre. Il fait une étape au comptoir, c’est
Mémène qui sert. Son cognac à la main, il fonce dans l’arrière-salle. Bébert et Larsen l’attendent
depuis un bon moment.
- Alors ?
- Vous n’allez pas le croire… Attendez, je bois un coup pour me remettre… Francis la même
chose !
- Bon alors, t’accouches ?
- Minute papillon…
- Dis-nous au moins combien que t’as ramassé aux Galeries ?
- 150 euros !
- Tu te fous de nous, y avait au moins trois plaques dans la caisse !
- 150, pas un rond de plus. Je vous raconte.
- Tu ferais bien…
- Je me pointe comme on avait dit par l’entrée du ciné. Je prends par la petite porte qui mène aux
caves et après impeccable directe dans le magasin, par la réserve….
- Je t’avais bien dit, les renseignements c’était du béton…
- Tu vas la fermer un peu ouais, laisse le raconter.
- Bon je file par le grand hall, et là qu’est-ce que trouve, je vous le donne en mille ?
- Tu vas pas nous faire les devinettes parce que là j’ai pas trop envie de jouer !
- Moi je trouve pas, je donne ma langue au chat…
- Tu vas fermer ta gueule oui ou merde ! Continues et passes-nous les étapes à deviner parce que
je commence à avoir les oreilles qui me chauffent…
- Sous mes yeux, deux asticots. Le père Noël, le ben sur les genoux entrain d’enfiler une
blondasse déguisée en sorcière. Putain y a plus de morale. Et moi je rigole pas avec l’éthique.
- C’est quoi l’éthique ?
- T’occupes, tu comprendrais pas !
- Alors t’as fait quoi ?
- J’ai buté le père Noël et j’ai sodomisé la blondasse. Après j’y ai foutu une grande claque dans
la gueule histoire de la détendre.
- T’as buté la sorcière aussi ?
- Non, elle avait l’air bonnasse, elle m’a filé un coup de main pour le coffre. La combinaison
était bonne mais il y avait une tonne de paperasse, elle m’a aidé à trier. Après quoi elle m’a sucé la
bite, j’y ai filé dix sacs et me v’là.
- … avec 150 euros, tu crois pas qu’il y a quelque chose qui cloche…
- Hé c’est la sorcière qui fait Halloween dans le magasin au mois Novembre que t’as tringlé ?
- Je crois bien que c’est elle qu’il s’est envoyé ce crétin.
- Il est con, c'est pas une sorcière, c’est Gégé. Il est pédé comme un phoque…
- Comment dire tu t’es fait enfiler deux fois en gros. Le pognon et la partie de jambes en l’air.
T’es qu’un gros pédé qu’a un seul neurone. Manque de chance il est relié à ta bite.
- Redis ça pour voir.
- Il a raison, t’es qu’un gros con ! Putain j’en reviens pas, tu t’es fait sucer par Gégé et tu l’a
laissé filer avec le pognon…
- Arrête de ricaner ou je vais te refaire le sourire !
- Touche un peu à mon frangin et je te bute…
- Mémène appelle les flics, va y avoir du grabuge !
La banlieue blanche
Juke-box, la Fièvre du Samedi Soir. Le bar est pas mal enfumé. Brouhaha de voix. Éclats de
rires. La patronne qui plaisante, ce n’est pas dans ses habitudes. C’est parce qu’il y a des
connaissances à elle qui sont installées dans l’arrière-salle. Sinon elle fait la gueule.
Table du milieu, légèrement sur la droite par rapport à la porte d’entrée. Pas trop loin du jukebox. Freddy, Lydia et Régis, des habitués. Moyenne d'âge : 16 ans. Un petit noir, un lait fraise et un
tango panache. Trois boissons abordables pour se carrer dans un rade. Régis à la tronche de traviole.
Trop picoler la veille.
- Font chier avec leur musique de daube. T’as pas une pièce Lydia?
- Non…
- Et toi Freddy ?
- Non plus…
- Putain j’aurais de la ferraille je dis pas.
- Ça tombe bien, voilà la patronne et faut régler l’addition. Jeannine ! C’est Régis qui règle la
note, vous nous faites la monnaie, c’est pour le juke-box.
Tronche en biais, pas de sourire. La taulière n’aime pas la jeunesse. Encore moins quand c’est
des beatniks. Plus exactement, deux Babs et un rockeur blouson de cuir, jean serré, docks, une
chaîne en or et la coupe. Le costard quoi.
- Freddy c’est quand qu’il arrive ton pote avec notre herbe ?
- Tu déconnes Lydia, t’as pas filé la tune à Freddy !
- Si, en ce moment Samantha n’est pas chez elle.
- Attends, son pote à Freddy, je le connais, c’est Momo. A l’heure qu’il est, il est en train de
fumer notre herbe à la MJ.
- Momo, il est réglo !
- Tu parles, il est même pas réglo avec les notes de musique. Dans un blues en ré, il trouve le
moyen de se gourer de gamme ! On reverra pas notre beuh avant trois quatre jours.
- T’aurais pu me le dire non !
- Si ça se trouve, aujourd’hui il joue pas.
- Ah ouais, alors il foutait quoi avec Michel en train de décharger la tire à Robert. Il livrait des
salades à la MJ pour l’atelier cuisine dans une grosse caisse avec des cymbales !
Plantés devant leur consommation, les trois ados sont silencieux. Deux sont intrigués par la table
d’à côté. Il y a une punk déguisée en punk. Elle est seule. Le troisième, Régis, a le regard accroché
au fond de verre. Il observe la mousse. Angie a chassé Rock Around de Clock. Freddy n’a même pas
eu besoin de mettre sa pièce. La blondasse décolorée, épingle à nourrice plantée dans la joue,
cheveux orange dressés sur la tête, l’a devancé. Elle est tellement dans le gaz, qu’elle s’est plantée
dans la sélection. Tant pis pour God Save The Queen. Patrick, entre dans le bar. Il n’a plus de
Marlboro pour rouler son pétard. Il est accompagné de sa meuf, Corinne. Dit Coco pour les intimes.
- Salut Coco, qu’est-ce que tu fous ?
- Lydia ! Ca fait un bail… Patrick tu connais ? On se fait la bise.
- Les autres c’est Freddy et Régis.
- T’es pas au club de hand ?
- Si je viens d’arriver, je suis le nouveau gardien de but.
- Moi aussi je suis gardien, on s’est croisé l’autre fois, mais je devais riper j’avais ma mère à
récupérer.
- C’est pour ça alors…
- Coco on est en carafe, ce con de Freddy a filé nos tunes à Momo.
- Faut pas passer par lui, vous êtes tarés, fallait demander Patrick à la MJ.
- On ne pouvait pas savoir avant de te connaître.
- Bah maintenant c’est fait, on se connaît… Qu’est-ce que vous faites après ?
- Que dalle, on s’emmerde…
- Ca vous dit d’aller chez Claude, le pivot… Lydia tu le connais.... Sa sœur a laissé
l’appartement, si ça vous tente il y a de la place pour tout le monde.
- Moi je me casse, je vais voir Momo à la MJ, on sait jamais, si j’arrive à récupérer le matos je
vous rejoins.
4 heures de mat devant la maison de fous. Le Toboggan continue obstinément à enjamber le
carrefour, sous la neige. Stairway To Haven fredonné. Patrick ne connaît pas. La banlieue est
recouverte de poudre blanche, les bagnoles font le tour. On ne peut plus monter, ça patine trop à
cause de la neige qui tient bien au sol. Pour une fois les piétons sont rois et l’autopont leur
appartient. Les deux filles et les deux garçons, plus Claude. Comme des gamins, ils se lancent le
ballon.
- Putain la balle de hand est tombée chez les fous !
- Fais attention à toi, y a des bouts de verre sur le mur…
- Ca y est il est de l’autre côté !
- Régis t’aperçois quelque chose ?
- Non, je trouve pas la balle, vous êtes sûres qu’elle est tombée là… Ah je la vois…
- Qu’est-ce que vous foutez là ! C’est interdit d’entrer. Vous auriez pu vous briser une cheville…
- Régis s’est fait chopper ! Qu’est-ce qu’on fait ?
- Vous n’avez donc rien d’autre à fiche que de traîner dehors par ce temps. En plus vous n’êtes
qu’une bande de crétins, la petite porte sur la gauche est toujours ouverte, c’est pour les urgences.
On ne vous a pas appris la lecture à l’école ? Allez oust !
Essoufflés, mais hilares. Tous les cinq, à plat ventre dans la neige ou roulés en boule, trempés. Le
vent se lève, les flocons ont cessé. Quelques uns s’obstinent, en suspension dans l’air. Ce sera tout
pour cette nuit.
- Il est cinq heures, on bouge ?
- A la baraque, Il reste de la Marie Brizard…
- C’est vraiment dégueux…
- Moins que la fois où on s'est fini à la fleur d’oranger.
- C’est quand ta frangine à essayer de fumer des herbes Ducros ? Putain qu’est-ce qu’on tenait !
- Va pour la Marie Brizard, puis il me reste un peu d’herbe, ça fera passer le goût !
10h45, Dimanche matin. 23 à 24. Les joueurs quittent le terrain. Retour vestiaire. Ça sent la
transpiration. La vapeur envahit les lieux. La buée se colle sur le carrelage. La fatigue commence à
se faire sentir. Les muscles se relâchent. La tension aussi. Les deux entraîneurs marchent côte à
côte. Ils regagnent les vestiaires. Ils ne sont pas pressés.
- Ton équipe de minimes a super bien jouée, félicitations. Battre la Stella Saint-Maur en poule 1
c’était pas gagné, loin c’en faut !
- J’ai recruté un nouveau gardien. Il vient du Collège Maurice Thorez, ça fait qu’avec le Patrick
ils ne se connaissent pas… Comme ça, le dimanche matin, j’en ai au moins un qui tient sur ses
pattes… Malin l’entraîneur !
- Ils ont bien joué tous les deux ! Je connais Patrick, et l’autre il s’appelle comment ?
- Régis.
- T’es certain qu’ils se connaissent pas. Tout à l’heure, avant le match, ils ont raconté une histoire
à dormir debout avec une balle de hand tombée chez les fous. Tu sais les Beatus rue de la Rép… Ils
se sont fait chopper par un infirmier …
- C’est n’importe quoi, l’asile a fermé ses portes depuis belle lurette. A force de fumer des
saloperies, ils finissent par avoir des hallus…
- En tous les cas ils ont bien joué. Ca va nous faire une recrue d’enfer pour l’année prochaine
chez les juniors.
Le bruit résonne dans le gymnase immense. Les balles rebondissent en échos. Des cris traversent
l’espace pour se perdre dans les vestiaires. L’équipe seniors se prépare. Ils rencontrent les
champions de France. L’ambiance n’y est pas. Ils savent qu’ils vont prendre une sévère branlée.
Tout le monde ne peut pas avoir deux gardiens de but qui ne se connaissent pas.