Tribunal administratif - Juridictions administratives

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Tribunal administratif - Juridictions administratives
Tribunal administratif
du Grand-Duché de Luxembourg
3e chambre
Numéro 30375 du rôle
Inscrit le 13 avril 2012
Audience publique extraordinaire du 20 juillet 2012
Recours formé par
Monsieur ...et consorts, …
contre une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration
en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 30375 du rôle et déposée au greffe du tribunal
administratif le 13 avril 2012 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, assisté de Maître Anne
Charton, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom
de Monsieur ..., né le 19 juillet 1970 à ... (Albanie), et de son épouse, Madame ..., née le … à …
(Albanie), agissant en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants
mineurs ..., née le … à ..., … ..., né le … à ... et ..., né le … à ..., tous de nationalité albanaise,
demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant, d’une part, à l’annulation, sinon à la
réformation d’une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 8 mars
2012 portant refus de leur demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de
l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal
administratif le 21 mai 2012 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cigdem Kutlar, en
remplacement de Maître Olivier Lang, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter
en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 juin 2012.
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Le 13 septembre 2010, Madame ..., épouse de Monsieur ..., agissant en son nom propre et
en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs …, … et …, introduisit auprès du
service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande
de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à
des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ». Le 5
août 2011, Monsieur ...introduisit également une demande de protection internationale.
Madame ... fut entendue le 13 septembre 2010 et Monsieur ...fut entendu le 5 août 2011
par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police
grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
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Madame ... fut entendue les 9 et 11 mai 2011 et Monsieur ...fut entendu les 23 et 26
septembre 2011 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur
leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.
Par décision du 8 mars 2012, notifiée par lettre recommandée envoyée le 12 mars 2012, le
ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministre », informa
les consorts ... de ce que leur demande de protection internationale avait été rejetée comme étant
non fondée. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection
internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes
complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du
Ministère des Affaires étrangères en date des 13 septembre 2010 et 5 août 2011.
En application de la loi précitée du 5 mai 2006, vos demandes de protection
internationale ont été évaluées par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de
celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
En mains les rapports du Service de la Police Judiciaire des 14 septembre 2010 et 5 août
2011, ainsi que les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères des 9 mai
et 12 mai 2011 et des 23 et 26 septembre 2011.
Monsieur, il ressort du rapport du Service de la Police Judiciaire que vous auriez pris au
Monténégro un bus de la compagnie luxembourgeoise « ...» pour vous rendre au Luxembourg.
Vous dites que vous auriez vécu 13 années en Allemagne et qu'ensuite vous seriez retourné dans
votre pays d'origine.
Madame, il ressort du rapport du Service de la Police Judiciaire que vous auriez quitté
l'Albanie le 3 septembre 2010 avec un bus pour la Croatie. Ensuite, vous seriez venue au
Luxembourg avec une camionnette sans pour autant savoir quels pays vous auriez passés.
Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez été en Allemagne il y a 13 ans et
que vous y auriez déposé une demande de protection internationale, mais vous seriez rentré dans
votre pays d'origine après 3 mois. Selon vos dires, votre femme se trouverait au Luxembourg
depuis un an mais vous n'auriez pas voyagé avec elle, parce que vous n'auriez pas eu les moyens
nécessaires et vous auriez cru que vous devriez payer une amende de 3.000.- euros dans votre
pays d'origine si vous déposiez une demande d'asile à l'étranger.
Qui plus est, vous dites que vous vous penseriez être en danger en Albanie et vous dites
avoir quitté l'Albanie le 22 juillet 2011.
Concernant vos raisons sous tendant votre demande de protection internationale, vous
déclarez que le 17 juin 1999, votre cousin ... ...aurait tué deux personnes nommées ... et ...... (des
cousins) pour se défendre. Selon vos dires, la famille des deux défunts aurait juré vengeance
envers vous et votre famille. Vous vous seriez alors enfermé dans votre maison et, par
conséquent, vous auriez eu des problèmes économiques et psychiques parce que vous penseriez
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que votre vie serait en danger. Concernant vos sorties durant votre enfermement à la maison,
vous déclarez que vos copains seraient rentrés avec leur voiture par le garage et qu'alors vous
auriez pu vous déplacer.
Vous dites que le 18 juillet 2000, vous auriez été blessé par une balle quand vous auriez
circulé en moto. Vous déclarez que vous n'auriez pas vu les personnes qui auraient tiré sur vous
et personne n'aurait revendiqué cette attaque. Votre femme et votre frère vous auraient envoyé
dans une clinique privée parce que l'hôpital public serait à côté de la famille des victimes. Le
médecin vous aurait dit que ce ne serait rien de grave parce que la balle serait entrée et sortie de
votre corps. Or, vous déclarez que les médecins au Luxembourg auraient trouvé un morceau de
métal près de votre coeur mais qu'il n'y aurait pas de danger puisque le morceau ne pourrait plus
bouger. Après cet incident, des gens, non autrement identifiés, auraient tourné autour de votre
maison. Vous déclarez que vous n'auriez pas porté plainte auprès de la police parce qu'un des
frères des victimes serait policier de profession. Cependant, la police aurait été avertie de
l'incident par l'hôpital. Vous dites que vous auriez envoyé des gens de l'association de
réconciliation auprès de la famille des victimes mais celle-ci n'aurait pas accepté la
réconciliation. Selon vos dires, vous n'auriez subi aucune autre attaque après cet incident.
En outre, en 2002 vous auriez été maltraité par la police qui vous aurait fracturé la
jambe parce que vous auriez appelé les médias locaux pour les avertir que la police maltraiterait
vos frères qui auraient trop bu. Les agents de police vous auraient alors envoyé à l'hôpital et
quelques jours après, ils auraient téléphoné à l'hôpital pour savoir comment vous alliez.
Vous continuez vos dires en indiquant que votre cousin ... ...aurait été assassiné le 19
septembre 2006. En application de la « loi Kanun », un individu nommé ...l'aurait assassiné en
raison de problèmes d'argent que ce dernier aurait eu avec votre cousin. Vous dites que vous
croyiez que votre cousin aurait été quelqu'un de mauvais et que ce serait sa faute qu'il serait
décédé. Vous déclarez que vous auriez essayé de ne pas avoir des liens avec des gens comme
votre cousin. Selon vos dires, ...aurait été arrêté et condamné à six mois de prison parce qu'il
aurait été en possession d'armes illégales. Vous indiquez que vous n'auriez pas eu des problèmes
avec ...et que le supérieur de la police de ... serait venu chez vous et vous aurait demandé de dire
la vérité si vous vous sentiriez en danger par cet individu. Le supérieur aurait tout voulu savoir et
il aurait posé les mêmes questions à votre frère et votre père parce qu'il voudrait arrêter ...pour
ces nombreux crimes.
Vous indiquez que votre femme aurait quitté l'Albanie le 3 septembre 2010 et que la
dernière fois que quelqu'un se serait rapproché de votre maison aurait été en juillet 2010.
Vous indiquez également que vous n'auriez pas pu vous installer dans une autre région de
votre pays parce que l'Albanie serait trop petite.
Enfin, vous admettez n'avoir subi aucune autre persécution ni mauvais traitement, et ne
pas être membre d'un parti politique ou d'un groupe social défendant les intérêts de personnes.
Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Vous ajoutez qu'après le mois de mars
2002 vous et votre époux n'auriez plus été victimes d'une agression ou d'une tentative de meurtre.
De même, vous déclarez que vous ne sauriez pas qui aurait rodé autour de votre maison. Vous
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indiquez, qu'à part votre époux, aucune autre personne de la famille de celui-ci n'aurait été
blessée.
Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas
uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la
situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle
est telle qu'elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de
Genève.
Or, les faits que vous alléguez ne sauraient constituer un motif justifiant la
reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef
une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre
religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions
politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que
les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006. En effet, en l'espèce, les motifs sous-tendant
vos demandes de protection internationale ne soulèvent que des motifs relevant du droit commun
et punissables par les autorités de votre pays d'origine.
En premier lieu, force est de constater que vous restez très vague concernant vos soidisant problèmes. Vous n'êtes pas capable de donner les moindres détails concernant les
menaces faites par la famille des deux victimes ... et ....... Le fait de prétendre que votre cousin ...
...aurait dû se défendre en tuant les deux cousins ... et que vous seriez dès lors dans la ligne de
mire de la vengeance selon la loi de Kanun n'est pas convaincant. D'abord, il y a lieu de
constater que vous n'êtes pas en mesure de confirmez qui vous a tiré dessus avec une arme.
Ensuite, la vengeance de la famille des victimes se tourne en première instance toujours envers la
personne qui a commis l'acte d'agression, dans ce cas votre cousin ... .... Or, vous êtes le cousin
de ce dernier et ne tombez pas dans l'immédiat dans l'acte de vengeance. Qui plus est, vous
déclarez que vous ne voudriez pas entretenir des liens avec des gens comme votre cousin,
personnage réputé de mauvaise augure.
Par la suite, il convient de souligner que vous n'avez aucune connaissance sur la loi
Kanun, comme toutes vos déclarations sont opposées diamétralement aux règles de cette
dernière. En effet, la loi Kanun date du 15ième siècle et en 1913, le Kanun a été fixé par écrit,
réglant tous les aspects de la vie des sociétés montagnardes de l'Albanie. La gjakmarrja se
définit par un rituel précis, elle doit être précédée d'une annonce officielle. Ainsi, au cours des
premières vingt-quatre heures, les membres du clan de la victime peuvent tuer tout homme
appartenant au clan adverse. Durant l'année suivant le meurtre, seul un membre de la famille
proche du meurtrier peut être assassiné. Or, il est invraisemblable que la famille des victimes
aurait attendu pendant huit mois avant de se venger sur vous, d'autant plus qu'il ne ressort pas
de vos déclarations si votre cousin aurait subi des incidents à son encontre pendant cette
période. Enfin, vous dites que votre cousin aurait été assassiné le 19 septembre 2006. Au plus
tard à cette date, la situation de vengeance, telle que prévue par la loi de Kanun, aurait pris fin
et vous auriez été déchargé de tout acte de vengeance. Vos craintes par rapport aux incidents de
1999 et 2000 sont dès lors à écarter parce qu'elles sont devenues obsolètes et trop éloignées dans
le temps.
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De même, vous dites que vous auriez été enfermé pendant toute cette période, soit plus de
10 ans. Or, force est de constater qu'il semble complètement invraisemblable que vous ne seriez
plus sorti de votre domicile pendant ce temps. Qui plus est, vous déclarez que vous avez réussi à
vous rendre hors de votre maison avec l'aide de votre famille et de copains. Il y a lieu de noter
que vous n'avez-vous même pas tout à fait procédé aux règles prévues par la loi de Kanun, si
cette soi-disant loi existe encore de temps. Par ailleurs, vous indiquez que « (...) tout le monde
doit s'enfermer dans la maison et c'est ce qui m'est arrivé aussi. (...) On ne sortait plus et on ne
dormait plus. On ne pouvait pas sortir parce que nos vies étaient en danger. ». Or, comme
mentionné en supra, vous avez quitté à plusieurs reprises votre domicile, tout comme votre père.
En ce qui concerne vos craintes vis-à-vis de ..., il y a lieu de soulever que les autorités, en
l'espèce le supérieur de la police locale, vous aurait rendu visite pour demander de plus amples
informations concernant cet individu. En effet, selon vos propres dires, ...aurait été arrêté et
enfermé, preuve que l'intervention de la police démontre à suffisance l'efficacité de la protection
des autorités policières albanaise. Il y a également lieu de rappeler dans ce contexte que la
notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue
des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part
des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis,
d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne
saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans
l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par
les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.
Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. En tout état de cause, vous dites que vous n'auriez pas
personnellement eu des problèmes avec ..., vos déclarations à ce sujet restent par conséquent non
relevant à votre demande de protection internationale. De même, les agissements de cet individu
ne sont aucunement liés à votre personne et vous n'êtes pas la cible de ces agissements malgré
votre lien familial à ... ....
Il convient de remarquer en outre un manque de clarté et de détails dans vos propos,
certaines hésitations dans vos réponses sont également à relever, surtout concernant les
explications quant aux personnes qui auraient rodé autour de votre maison. Vos déclarations se
basent majoritairement sur des suppositions et ne permettent pas de clairement définir les
auteurs de ces actes.
Quoi qu'il en soit, force est de constater que les personnes susmentionnées sont des
personnes privées. Or, il y a lieu de préciser que des personnes privées ne sauraient être
considérées comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi
modifiée du 5 mai 2006.
Par ailleurs, en tenant en compte des documents que vous avez versés sans traduction de
votre part, il y a lieu de soulever un certain nombre d'incohérences et informations noncrédibles. Or, force est de noter que dans l'extrait du journal « Shekulli » en date du 20
septembre 2006, votre oncle, donc père de ... ..., est un personnage connu à ... vu qu'il est un des
leaders de la « The Peace of Reconciliation Missionaries of Albania ». Or, non-seulement avezvous les moyens de parvenir plus facilement à des documents, il résulte de même que cette
organisation n'est pas officiellement reconnue et compétente à délivrer de tels certificats. En effet
« The head of the CNR (Committe of Nationwide Reconciliation) states that his organisation is
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the sole authorised provider of attestation letters. Several sources indicate that it may be possible
to purchase attestation letters about involvement in blood feuds in Albania. The Honorary
Research Fellow at Roehampton University stated that endemic corruption persisted in Albania,
making it impossible to rule out the possibility that such letters could be purchased. The
Professor at Indiana University-Purdue University Fort Wayne similarly noted that "almost
anything can be bought or sold" in Albania, particularly documentation. However, the Chairman
of the CNR stated that it was impossible to buy an attestation letter from his organisation
because each was signed by the Chairman and identified by a unique code and protocol number
».
Ainsi, il est évident de noter que, premièrement, vos attestations libellées nr 36, 37 et 38
en date du 3 septembre 2010 ne proviennent pas du CNR, deuxièmement, n'affichent pas de
numéro de protocole crédible, troisièmement, les signatures d'un certain « ...» ne sont pas
identiques sur les trois documents, quatrièmement, les logos de cette soi-disant organisation sont
inidentifiables et, cinquièmement, deux de ces trois documents ont été remplis à main dont
l'écriture est à 100% identique à celle que vous, Monsieur, avez utilisé lors de la signature de
votre fiche de données personnelles en date du 26 juillet 2011.
Par ailleurs, le document nr 36 atteste que vous seriez enfermé depuis le 17 novembre
1999. Il est difficilement concevable pourquoi vous recevez une telle attestation neuf ans après le
début de la soi-disant revanche. Il y a évidence ce croire que vous avez obtenu ces documents
juste avant que votre épouse ait quitté l'Albanie le 3 septembre 2010, date qui coïncide avec celui
des documents. Ainsi, force est de constater que ces documents ne sont pas crédibles quant à leur
originalité et aux liens familiaux que vous entretenez avec cette organisation par le biais de votre
oncle. Néanmoins, même en supposant ces documents en question originaux et crédibles, il y a
obligation à noter que cette organisation n'est pas compétente à délivrer de telles attestations.
Vos attestations délivrées par la « The Peace of Reconciliation Missionaries of Albania » sont
dès lors à écarter pour défaut de pertinence et crédibilité.
En outre, force est de constater qu'il ne ressort pas du dossier qu'il vous aurait été
impossible de vous installer dans une autre région de l'Albanie pour ainsi profiter d'une
possibilité de fuite interne.
Vos motifs traduisent donc plutôt un sentiment général d'insécurité qu'une crainte de
persécution. Or, un sentiment général d'insécurité ne constitue pas une crainte fondée de
persécution au sens des lesdites Convention et loi.
Ainsi, Madame, Monsieur, vous n'alléguez aucun fait susceptible d'établir
raisonnablement une crainte de persécution en raison d'opinions politiques, de la race, de la
religion, de la nationalité ou de l'appartenance à un groupe social, susceptible de rendre vos vies
intolérables dans votre pays. Les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont par
conséquent pas remplies.
En outre, vos récits ne contiennent pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire
que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi
modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
En effet, les faits invoqués à l'appui de vos demandes ne nous permettent pas d'établir que a)
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vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de
subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes
susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une
violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
Ainsi, les faits que vous alléguez ne justifient pas la reconnaissance du statut conféré par
la protection subsidiaire.
Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées
comme non fondées au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit
d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un
délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à
destination de l'Albanie ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner.
(…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2012, les consorts ... ont
fait introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision précitée du
ministre du 8 mars 2012, par laquelle ils se sont vu refuser la reconnaissance d’un statut de
protection internationale, et un recours tendant à l’annulation de la décision du même jour,
incluse dans le même document, portant à leur égard l’ordre de quitter le territoire.
1. Quant à la demande tendant à la suppression d’écrits
A l’audience des plaidoiries, le mandataire des demandeurs a demandé la suppression de
certains passages du mémoire en réponse du délégué du gouvernement.
Le délégué du gouvernement a rétorqué que la procédure devant les juridictions de l’ordre
administratif est écrite et que dans la mesure où les demandeurs n’auraient pas formulé cette
demande par écrit, le tribunal ne devrait pas en tenir compte.
Le mandataire des demandeurs a donné à considérer qu’en la présente matière, il n’aurait
pas eu, d’après les dispositions légales afférentes, la possibilité de déposer un mémoire en
réplique.
En vertu de l’article 31 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure
devant les juridictions administratives, le tribunal peut, suivant la gravité des circonstances, dans
les causes dont il est saisi, prononcer, même d’office, la suppression d’écrits calomnieux et
ordonner l'impression et l'affiche de ses jugements.
Force est au tribunal de constater que la demande de suppression d’écrits formulée
oralement à l’audience des plaidoiries par le mandataire des demandeurs ne constitue pas un
moyen d’ordre public que le tribunal est obligé de soulever d’office, le tribunal ayant seulement
la faculté, conformément à l’article 31, de prononcer d’office la suppression d’écrits calomnieux
et que les demandeurs n’ont d’ailleurs pas demandé au tribunal l’autorisation de déposer un
mémoire supplémentaire, de sorte qu’il n’y a pas lieu de faire droit à cette demande, étant donné
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que, tel le délégué du gouvernement l’a relevé à juste titre, la procédure devant les juridictions de
l’ordre administratif est essentiellement écrite.
2. Quant au recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de la décision de refus
d’une protection internationale
Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation
en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est
compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre subsidiaire, de sorte qu’il est
incompétent pour connaître du recours principal en annulation.
Le recours subsidiaire en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit
dans les formes et délai de la loi.
Il convient à cet égard de relever que si le tribunal est incompétent pour connaître en la
présente matière du recours principal en annulation, il est loisible au demandeur de conclure,
dans le cadre du recours subsidiaire en réformation, principalement à l’annulation de la décision
déférée et subsidiairement à la réformation, tel que cela a été fait en l’espèce par le demandeur.
A l’appui de leur recours, les demandeurs, déclarant être de nationalité albanaise et former
un couple mixte, le demandeur étant musulman, la demanderesse étant catholique, exposent que
le 17 novembre 1999, un cousin du demandeur, le dénommé ... ..., contraint de se défendre, aurait
tué les cousins ... et ...... avec une arme à feu et que depuis, le mécanisme de la vengeance de la
famille ... contre la famille ...serait déclenché sur le fondement de la loi du « Kanun ». Ils
soutiennent que le demandeur aurait alors dû quitter leur domicile et se serait rendu dans la
campagne chez d’autres cousins, il aurait ainsi été forcé de cesser son activité professionnelle et
de délaisser son épouse et ses enfants. Ils relatent que le demandeur aurait souvent changé de
cachette, mais que néanmoins le 18 juillet 2000, on aurait tiré sur lui. Ils expliquent que le
demandeur aurait dû être soigné dans un hôpital privé, car ils auraient été persuadés que la
famille ... avait tiré les coups de feu et que le domicile de cette famille était trop proche de
l’hôpital public. Ils ne pourraient pas non plus porter plainte par rapport à cette tentative de
meurtre, étant donné qu’un membre de la famille ... serait policier. Ils font valoir qu’ils auraient
contacté une association de réconciliation, mais que la famille ... ne serait pas prête à pardonner.
Ils déclarent que la police aurait agressé deux frères du demandeur et aurait à la même occasion
jeté au sol la demanderesse qui aurait été à l’époque enceinte de huit mois. En mars 2002, lors
d’un contrôle, la police, après avoir appris qu’il s’appelle ..., aurait cassé une jambe au
demandeur pour le déposer ensuite à l’hôpital. Ils déclarent qu’en raison de la pression émanant
des policiers, ils auraient renoncé de saisir l’avocat du peuple. Ils poursuivent que le 19
septembre 2006, le cousin ... ...aurait été assassiné par un dénommé ...pour une question d’argent,
lequel aurait néanmoins déclaré qu’il aillait continuer de tuer les membres masculins de la famille
..., de sorte que cette menace s’ajouterait à la crainte de la vengeance de la famille .... Ils
indiquent ensuite que depuis juin 2010, des personnes rôderaient autour de leur domicile durant la
nuit ce qui aurait poussé le demandeur à retourner à son domicile conjugal. La demanderesse et
leurs enfants auraient finalement quitté l’Albanie le 3 septembre 2010. Le demandeur aurait
attendu une année pour les rejoindre en raison de leur crainte de risquer une amende de 3.000.euros en cas de dépôt d’une demande d’asile dans un autre pays.
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En droit, les demandeurs concluent en ordre principal à l’annulation de la décision
litigieuse en reprochant au ministre d’avoir retenu un défaut de crédibilité de leur récit et en
soutenant que cette décision serait le fruit d’une instruction viciée. Ils se prévalent ainsi de
l’article 26 (1) et (3) de la loi du 5 mai 2006. Après avoir rappelé le contenu de l’article 18 b) de
la loi du 5 mai 2006, ils reprochent au ministre de ne jamais citer ses sources et de tirer des
conclusions erronées du résultat de ses recherches. Ils citent des développements du Professeur
Christian Gut relatives à la loi du « Kanun » et en concluent qu’uniquement des experts, comme
ledit professeur, pourraient maîtriser ce sujet, de sorte que le ministre ne saurait leur reprocher
leurs connaissances limitées en la matière. Ils donnent à considérer que leur ville d’origine ...
serait tristement célèbre pour le nombre de familles concernées par la loi du « Kanun ». Ils
soulignent que le cousin du demandeur ... ...aurait été tué par ...et non par un membre de la
famille ... et que seules une réconciliation officielle entre les familles ...et ... ou la reprise du sang
par la famille ... auraient pu permettre de mettre un terme à la vengeance, pour en déduire que le
ministre ne pourrait pas mettre en cause leur crédibilité, alors que les faits concernant le pays
d’origine sur lesquels il s’est basé, ne pourraient en aucun cas être considérés comme pertinents
au sens de l’article 26 (3) a) de la loi du 5 mai 2006. Les demandeurs reprennent ensuite des
passages d’un article du journal « The Guardian » du 5 juillet 2011, d’un rapport de l’« US
Department of State » du 8 avril 2011 et d’un article du journal « Gazeta Sqiptare » du 17
octobre 2011, pour démontrer que, contrairement au constat du ministre, la vendetta serait
toujours d’actualité en Albanie. Ils font valoir que si le ministre avait estimé que leurs
déclarations seraient trop vagues, il aurait dû leur poser des questions supplémentaires. Ils
expliquent que bien qu’ils n’avaient pas reçu de menaces de la famille ..., la simple déclaration de
vengeance serait suffisante pour qu’ils craignent avec raison de se faire persécuter. Ils se
prévalent encore de l’article 9 (3) et (6) a) de la loi du 5 mai 2006, ainsi que de l’article 26 (3) c)
de la même loi en relevant qu’ils auraient répondu à toutes les questions leur posées, de sorte que
le ministre ne saurait pas remettre en cause leur crédibilité. Ils rappellent qu’en vertu de l’article 9
(6) b) de la loi du 5 mai 2006, le ministre devrait choisir un interprète capable d’assurer une
communication appropriée entre les demandeurs de protection internationale et l’agent
ministériel menant l’entretien et qu’il appartiendrait, le cas échéant, à ce traducteur de traduire les
documents versés par les demandeurs. Finalement, ils soutiennent que l’instruction menée par le
ministre serait gravement viciée et que la décision litigieuse devrait être annulée pour violation de
la loi et des formes destinées à protéger les intérêts privés en vertu de l’article 2 de la loi modifiée
du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif.
En ordre subsidiaire, les demandeurs demandent au tribunal de surseoir à statuer et de
renvoyer l’affaire au ministre afin qu’il procède à une instruction complète de leur dossier, sinon
ils concluent à la réformation de la décision litigieuse, en ce que leur demande en obtention du
statut de réfugié serait fondée.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de
la situation des demandeurs et conclut ainsi au rejet du recours.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection
internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la
protection subsidiaire.
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La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 c) de ladite loi comme étant « tout
ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa
race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un
certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de
cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant
pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut
ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».
Une crainte de persécution au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 doit reposer
nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement
et concrètement, le demandeur de protection internationale risque de subir des persécutions.
Aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une
persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent : a) être suffisamment
graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des
droits fondamentaux de l’homme, (…) ».
L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leur audition, ensemble les
moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène toutefois le tribunal
à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état de façon crédible et d’établir à
suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle
fondée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions
politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoit l’article 2 c) de
la loi du 5 mai 2006.
Le ministre a soulevé des doutes quant à la crédibilité du récit des demandeurs en leur
reprochant de rester vagues sur les problèmes invoqués par eux, de ne pas fournir les moindres
détails sur les menaces émanant de la famille ..., de ne pas connaître l’auteur des tirs ayant
prétendument visés le demandeur et en relevant que les demandeurs ne seraient pas
immédiatement concernés par la vengeance dans la mesure où un cousin du demandeur, ayant
survécu à l’incident ayant déclenché la vendetta, est à l’origine de l’acte d’agression, d’autant
plus qu’ils n’auraient pas entretenu le contact avec ledit cousin.
Le tribunal est amené à retenir qu’il n’est effectivement pas crédible que ce soit le
demandeur qui soit visé par la vendetta, plutôt que son cousin qui aurait été l’auteur du meurtre
ayant déclenché la vendetta. Ce constat est encore corroboré par l’affirmation des demandeurs
qu’ils n’auraient pas été en contact avec ledit cousin. A cela s’ajoute qu’il est pour le moins
surprenant que le demandeur ne puisse pas fournir la moindre précision quant à l’auteur des tirs
qui lui auraient prétendument été destinés, de sorte qu’il n’est établi qu’il ait effectivement été la
cible de ce coup de feu, respectivement que le coup de feu est lié à la vendetta dont les
demandeurs soutiennent être les victimes.
Le ministre a ensuite relevé le manque de connaissances des demandeurs sur la loi du
« Kanun » et a retenu qu’il serait invraisemblable que la famille ... ait attendu huit mois avant de
se venger. Le ministre donne également à considérer qu’avec la mort du cousin ... ...en 2006 la
situation de vengeance devrait être venue à son terme. Force est au tribunal de constater qu’il
paraît effectivement plus qu’étonnant que la famille ... poursuive sa vendetta après la mort de ...
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..., si pendant la période de 1999 à 2006, elle n’avait pas saisi sa possibilité de se venger
directement contre la personne de ce dernier.
Le ministre remarque de même qu’il serait invraisemblable que le demandeur ait été
enfermé en cachette pendant dix ans. Le tribunal est amené à retenir qu’il est effectivement peu
vraisemblable qu’une personne qui est réellement exposée à des persécutions se maintienne en
cachette pendant dix ans avant de fuir de son pays d’origine et que ce soit la circonstance que dix
ans après le déclanchement de la prétendue vendetta des personnes inconnues aient commencé à
rôder la nuit autour de sa maison familiale qui l’ait poussé à ce faire, d’autant plus que pendant
ces dix ans depuis les prétendus coups de feu de ... ..., elle ne soit devenue la victime d’aucun
incident qui puisse être rattaché la vendetta. Dans ce contexte, il échet de noter que le fait qu’en
2002, la police ait fracturé la jambe du demandeur, à le tenir pour établi, ne peut a priori, et en
l’absence d’explications concordantes, pas être rattaché à la prétendue vendetta perpétrée par la
famille ....
En ce qui concerne la crainte invoquée par les demandeurs suite à l’assassinat du cousin ...
...par le dénommé ..., il y a lieu d’admettre qu’il n’est pas crédible que les demandeurs en tant que
membres de la famille de la victime de cet assassinat doivent craindre une vengeance émanant de
l’auteur de l’infraction ou de sa famille.
Au de l’ensemble des considérations qui précèdent et au vu du manque de clarté des
précisions fournies par les demandeurs affectant leur récit de façon globale, le tribunal est amené
à retenir que le ministre pouvait valablement constater que le récit des demandeurs n’est pas
crédible, sans même qu’il ne soit besoin d’analyser la crédibilité des pièces remises par les
demandeurs au ministre, de sorte que le moyen fondé sur une violation de la loi et des formes
destinées à protéger les intérêts privés est à rejeter pour ne pas être fondé.
Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs le statut de
réfugié.
Quant au volet du recours ayant trait à la protection subsidiaire, il convient de relever que
dans la mesure où le tribunal vient de retenir que les faits avancés par les demandeurs manquent
de crédibilité, c’est également à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs le statut
conféré par la protection subsidiaire.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le
ministre a déclaré la demande de protection internationale du demandeur comme non justifiée et
que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
3. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire
Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation
contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu
dans la décision déférée a valablement pu être introduit, lequel recours est encore recevable pour
avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
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Les demandeurs soutiennent en premier lieu que si la décision de refus d’octroi du statut
de protection internationale encourrait la réformation, l’ordre de quitter le territoire devrait
également être annulé.
En ordre subsidiaire, ils concluent à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire au motif
qu’il violerait de façon autonome tant l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre
circulation des personnes et l’immigration que l’article 3 de la CEDH. Les demandeurs
soutiennent que ce n’est pas parce qu’ils ont été déboutés de leur demande de protection
internationale qu’ils ne seraient pas exposés à un risque de traitements inhumains ou dégradants
en cas de retour en Albanie. Ils font valoir que le champ d’application de l’article 3 de la CEDH
serait plus large que celui de l’article 2 c) et e) de la loi du 5 mai 2006. Ils considèrent que le
degré du risque de faire l’objet de mauvais traitements exigé pour obtenir la reconnaissance d’une
protection internationale serait beaucoup plus élevé que celui requis pour interdire l’éloignement
de l’étranger vers le pays dans lequel ce risque existe et que l’on ne saurait automatiquement
conclure qu’un demandeur de protection internationale débouté ne puisse pas faire valablement
état d’un risque de traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine qui interdirait
son éloignement vers ce pays. Les demandeurs donnent encore à considérer qu’ils auraient établi
ce risque grâce à un faisceau d’indices, constitué par tous les menaces et violences dont ils
auraient été victimes et par l’absence de protection de la part des autorités contre ces mauvais
traitements. Enfin, ils soutiennent que l’article 3 de la CEDH, combiné à l’article 129 de la loi
précitée du 29 août 2008, poserait un principe absolu d’interdiction de refoulement vers un pays
où la personne concernée risque de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la
CEDH.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre
vaut décision de retour, laquelle est définie par l’article 2. o) de la même loi comme étant la
décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire.
L’ordre de quitter le territoire y prononcé comporte l’indication du délai pour quitter le territoire
ainsi que le pays à destination duquel le demandeur sera renvoyé en cas d’exécution d’office.
Quant à l’incidence de l’article 3 de la CEDH, si ledit article proscrit la torture et les
peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des
souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du
délai imposé aux demandeurs pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où
son exécution risquait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas
la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention,
spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de
porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la
protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte
qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il
n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à
la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit
à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une
peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
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Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à
un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du
requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour
européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du
requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque
notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des
informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en
Albanie, le tribunal administratif a conclu ci-avant que les demandeurs n’ont pas fait état de
façon crédible d’un risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37, point
b) de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains
ou dégradants, dans la mesure où il a retenu le défaut de crédibilité de leur récit, de sorte que le
tribunal actuellement ne saurait pas se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH1, le
tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi des demandeurs
au Kosovo soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs,
le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 8
mars 2012 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le
territoire contenu dans la même décision ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais ;
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CedH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.
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Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président,
Annick Braun, premier juge,
Andrée Gindt, juge,
et lu à l’audience publique extraordinaire du 20 juillet 2012 par le vice-président, en présence du
greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann
s. Claude Fellens
Reproduction certifiée conforme à l’original
Luxembourg, le 20 juillet 2012
Le Greffier du Tribunal administratif
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