Comment répondre aux besoins de financement des

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Comment répondre aux besoins de financement des
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Le secteur privé
contribue-t-il
à améliorer les
systèmes de
santé des pays en
développement ?
Comment répondre aux
besoins de financement
des prestataires de soins ?
Dans les pays en développement, le secteur de la santé est peu structuré et mal régulé, les assurances
maladie sont quasi inexistantes. Cela n’encourage pas la prise de risque – et pourtant les besoins en
financement sont considérables. Les institutions de développement, qui interviennent déjà dans le
secteur, doivent mettre en place des solutions financières toujours plus innovantes pour faire face
aux besoins croissants.
Philippe Renault et Magali Rousselot
adjoint au chef de division, division Santé et protection
sociale, Agence française de développement
chargée d’affaires, division des Secteurs manufacturier,
agro-industriel et des services, Proparco
L
a rareté et le coût élevé des financements est un des problèmes majeurs
des économies des pays en développement ; c’est tout particulièrement vrai pour le
secteur de la santé. Bien que les partenaires
financiers s’efforcent de proposer un large
éventail d’instruments de financement adaptés – de la dette à la prise de participation –,
les freins restent nombreux, tant du côté de
l’offre de financement que de la demande. Or,
Philippe Renault
Magali Rousselot
Philippe Renault a rejoint
en 2005 la division Santé et
protection sociale de l’Agence
française de développement
(AFD) ; il est responsable
adjoint de la division depuis
2011. Il a supervisé des
projets santé à l’étranger, en
particulier dans le secteur
hospitalier. Diplômé de l’IEP
de Paris et de l’École nationale
de santé publique de Rennes,
il a été attaché de direction au
CHRU de Lille et consultant
dans deux bureaux d’études
avant de rejoindre l’AFD.
Magali Rousselot est chargée
d’affaires au sein de la division
des Secteurs manufacturier,
agro-industriel et des services de
Proparco. Elle est en charge de
la structuration et de la mise en
place de projets de financement,
en particulier dans les secteurs
sociaux (santé, éducation).
Diplômée de Reims Management
School, elle rejoint le groupe
AFD en 2007 en tant qu’analyste
crédit, après une expérience
en finance d’entreprises chez
PricewaterhouseCoopers puis
LCF Rothschild.
www.proparco.fr
les besoins en nouveaux investissements sont
énormes. Dans les 49 pays les plus pauvres,
les besoins de financement privé sont estimés à 25 milliards de dollars entre 2011 et
2015. Les institutions de développement ont
un rôle déterminant à jouer pour renforcer les
contreparties, structurer la demande, pérenniser l’offre dans un cadre régulé par les pouvoirs publics, rapprocher prestataires de soins
et financeurs – et enfin, pour favoriser l’accessibilité des soins du plus grand nombre.
Un secteur atomisé, capitalistique
et à rentabilité moyenne
Le risque de marché dans le secteur de la santé pourrait sembler relativement limité : les
besoins sont connus, globalement stables et
les perspectives de croissance importantes –
en raison des transitions démographique et
épidémiologique en cours dans le monde. En
dehors de phénomènes épidémiques, les besoins en matière de soins ne sont ni cycliques,
ni liés à des effets de modes. Le vieillissement
et le développement des maladies chroniques
vont inévitablement entraîner une hausse des
besoins en soins hospitaliers. Mais la solvabilité « La solvabilité très
très limitée de la demande limitée de la demande
– liée au manque de cou- (...) génère un risque de
verture sociale, qu’elle marché important. »
soit publique ou privée,
obligatoire ou volontaire –, génère un risque
de marché important, une incertitude sur le
niveau de revenus des hôpitaux et une difficulté à évaluer le juste prix des prestations.
En Afrique subsaharienne et en Asie du Sud,
où seulement 5 à 10 % de la population est
couverte (partiellement) par une protection
sociale organisée, les soins sont très majoritairement payés directement par les malades.
Si certaines hypothèses des prévisions finan-
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cières d’un établissement hospitalier sont
relativement faciles à modéliser (les compétences et les technologies qui doivent être
mobilisées sont connues), il est souvent plus
difficile d’estimer les besoins générés par un
bassin de population – et encore plus compliqué d’évaluer sa capacité à payer les prestations proposées.
En outre, la santé est un secteur à fort besoin
capitalistique. En effet, il rend indispensable
le développement d’infrastructures, la mise
en place de plateaux techniques modernes,
le regroupement des petites structures pour
générer des économies d’échelle. La qualité et
la continuité des soins doivent sans cesse être
améliorées, tout particulièrement en mobilisant des équipes spécialisées. Par ailleurs, les
entreprises de ce secteur ont des besoins importants en fonds de roule« La santé est un ment. Les charges d’exploitasecteur à fort besoin tion récurrentes sont élevées
capitalistique. » : frais de personnel, maintenance des équipements, hygiène et sécurité des patients, entretiens des
locaux, achat de médicaments, gestion des déchets et des divers dispositifs médicaux, etc.
Ce besoin de liquidités est souvent accru par
les délais de paiements importants de la part
des assurances publiques ou privées.
Il n’est pas rare de voir des projets intéressants
ne pas aboutir ou ne pas parvenir à proposer
des solutions adaptées aux marchés uniquement par manque de capitaux et de financements. Dans les pays émergents, la mobilisation des financements (tant en dette qu’en
fonds propres) est plus complexe et difficile ;
de ce fait, le secteur privé de la santé tarde à
se moderniser, reste émietté, peu capitalisé et
offre des gammes de soins de qualité variable.
Les freins au financement
de l’offre de soins
La croissance de la demande représente un
véritable atout pour les prestataires de santé.
Mais lorsqu’il s’agit de lever de la ressource
auprès de banques locales, cet avantage est
contrebalancé par divers facteurs pénalisants.
La structure des revenus peut par exemple
poser problème. En effet, les paiements en
R E p è res
Entre 2004 et 2011, l’AFD a engagé 850,6 millions d’euros dans le
secteur de la santé dont 49 % sous forme de prêts. Ces financements
ont entre autres permis le renforcement des systèmes de santé,
principalement en Afrique subsaharienne (38 % des montants). Ce
soutien financier a été attribué à des services publics, à des projets
portés par des ONG et à des opérateurs privés de santé (77,6 millions
d’euros de prêts de la filiale secteur privé Proparco et 6,5 millions
d’euros de garanties bancaires).
liquide sont particulièrement importants, les
centres de recettes sont multiples1, les systèmes d’assurance maladie sont rares et peu
développés. De fait, les établissements sont
peu bancarisés. Leurs comptes ne reflètent
que très partiellement leur activité et leur
surface ; ils ne permettent pas à des prêteurs
d’envisager sereinement une prise de risque
raisonnable et équilibrée. La majorité des
structures sont de petites tailles et peu spécialisées. En Afrique subsaharienne, la taille
moyenne des projets d’investissement oscille
entre 250 000 et trois millions de dollars.
Pourtant les opportunités d’investissements
sont nombreuses (voir Figure 1).
Même lorsqu’il est envisageable, le développement des prestataires de soins est rendu
difficile par les conditions d’accès à l’emprunt.
La structuration de la dette de ces établissements est complexe. Certes, il est facile de
garantir les emprunts par des sûretés réelles2,
comme des hypothèques sur les terrains, bâtiments et équipements (crédit-bail). Mais leur
exercice (enforcement) n’est pas simple, à la
fois pour des raisons éthiques et morales mais
aussi – dans le cas de certains équipements –,
pour des raisons pratiques. Certaines sûretés
engendrent moins de problèmes, telles que
les délégations de créances sur les mutuelles.
Toutefois, trop peu d’hôpitaux génèrent suffisamment de revenus issus desdites assurances
privées – et la sécurité sociale publique,
Les patients peuvent bien souvent payer directement les médecins,
sans même avoir à passer par l’établissement hospitalier.
Une sûreté est une garantie accordée à un créancier lui permettant
d’obtenir paiement de sa créance en cas de défaillance du débiteur, par
affectation d’un bien (sûretés réelles) ou par la garantie apportée par
un tiers.
1
2
Encadré : Le financement d’un réseau
d’hôpitaux au Liban
Le Centre Hospitalier du Nord – hôpital universitaire de
référence de 160 lits – a été créé en 1996 au Liban, en particulier
pour répondre à un besoin criant d’offre de soins hospitaliers
dans cette zone reculée du nord du pays. Le succès rencontré
par cet hôpital a suscité la création du groupe Caremed,
modèle innovant de réseau d’hôpitaux. Depuis 2012, Proparco
a accompagné Caremed dans son programme d’expansion
de 51 millions de dollars, comprenant la construction de
deux nouveaux centres de soins dans le pays (un centre
de jour et une unité hospitalière), la modernisation du
centre de radiothérapie et l’achat de matériel de pointe
pour le traitement des cancers. Proparco a contribué à ce
programme à hauteur de 15 millions de dollars, aux côtés de
banques locales. La durée de différé plus longue proposée par
Proparco permet de débuter la période de remboursement
une fois la structure opérationnelle. La présence de
Proparco depuis l’origine du projet sur la structuration du
financement a permis aux banques locales libanaises, bien
capitalisées, d’accepter de prendre ce risque à long terme
sur un projet de construction d’unités supplémentaires,
plus risqué qu’une extension d’hôpital existant.
Secteur Privé & Développement
14 Comment répondre aux besoins de financement des prestataires de soins ?
elle, est souvent peu solvable. Les banques refusent donc fréquemment, dans de nombreux
pays émergents, de prendre le risque d’investir dans le secteur privé de la santé.
Quand il est possible, le recours à l’emprunt
pénalise fortement la rentabilité du prestataire puisque les conditions de mise en place
du financement sont peu favorables (taux d’intérêt élevés et maturités trop courtes). Seuls
des tarifs élevés peuvent, dans ce cas, assurer
une certaine rentabilité. Dans la plupart des
« Les banques refusent cas, les établissements ne
(...) fréquemment, trouvent pas le juste équidans de nombreux libre entre des conditions
pays émergents, de prendre de financement acceple risque d’investir dans le tables et des perspectives
secteur privé de la santé. » de recettes suffisantes
pour leur permettre d’entrer dans un cycle d’investissement vertueux
– qui favoriserait au final la baisse de leurs tarifs. Les établissements qui réussissent à se financer sont souvent des structures de plus de
100 lits qui peuvent supporter un service de la
dette, à condition que les maturités s’allongent
à plus de dix ans.
Le cadre réglementaire dans lequel évoluent
les établissements de soins constitue lui aussi
un des freins majeurs à leur financement. Les
États peinent à réguler le secteur et à définir
un cadre pour la mise en place d’une protection sociale obligatoire – qu’elle soit publique
ou déléguée au secteur privé. Le rapport de
l’OMS de 2010 faisait de la mise en place d’un
système de protection sociale le prérequis
pour attirer les investisseurs. La capacité de la
puissance publique à encadrer et contrôler la
qualité des installations et des prestations, à
imposer des normes d’hygiène et de sécurité
est faible. Elle ne contraint pas les promoteurs
à se moderniser.
Le secteur privé
contribue-t-il
à améliorer les
systèmes de
santé des pays en
développement ?
Les solutions proposées par les
institutions de développement
Le secteur de la santé est souvent à la frontière
entre des logiques strictement privées et des
missions d’intérêt général. Pour assurer son
développement en tenant compte de cette spécificité, les institutions de développement proposent plusieurs schémas de financements.
Dans le secteur privé de la santé, ces institutions financent des prestataires de soins
via des crédits sur mesure, les assurances
maladies ou bien des projets innovants. Le
développement du secteur privé de la santé
résulte le plus souvent d’une politique d’incitation menée par les pouvoirs publics, qui
implique généralement la mise en œuvre de
la réforme de l’assurance maladie dans une
perspective d’extension de la population solvable. Cependant, les populations des pays
www.proparco.fr
pauvres sont peu enclines à dédier une part
de leurs revenus à des dépenses futures et
non certaines si elles n’ont pas un caractère
obligatoire ; de plus, le secteur de la « microassurance »3 reste très peu développé. Le système de mutualisation des risques semble
fonctionner quand la cotisation a un caractère
obligatoire, ce qui est le plus souvent réservé
aux salariés du secteur formel. Or, ces salariés
sont encore loin de représenter la majorité de
la population. Le financement de mutuelles
privées ou semi-privées permet d’apporter des revenus plus stables au secteur tout
en diminuant la part des dépenses directes
des patients – le développement de l’offre de
soins s’en trouve alors favorisé. Autant de raisons qui expliquent que les bailleurs de fonds
s’intéressent au financement des mutuelles.
Par ailleurs, les institutions financières de développement peuvent être amenées à proposer des subventions ou des prêts à taux préférentiel à des projets innovants dont le niveau
de risque est élevé. Mais la subvention ne
peut pas toujours être considérée, à elle seule,
comme un produit financier structurant. Elle
ne permet pas, en général, d’améliorer la gestion financière et la gouvernance du bénéficiaire. En outre, elle ne débouche pas toujours
sur d’autres financements – qui permettraient
d’améliorer la situation sur le long terme.
Le développement du marché de la santé
passe aussi par la présence structurante des
fonds d’investissement. Ils peuvent en effet
répondre au besoin de fonds propres du secteur et améliorer la gouvernance des établissements de soins. Certains fonds de capitalinvestissement semblent décidés à pénétrer
le secteur de la santé. Initiés et soutenus par
les institutions de développement, ces fonds
ont construit leur modèle sur la diversification
du risque, à la fois dans plusieurs pays d’une
même région et dans différents sous-secteurs.
Ils cherchent une rentabilité « patiente », et
accompagnent les structures dans leur professionnalisation et leur croissance (par exemple,
Africa Health Fund ou Investment Fund for
Health in Africa).
Outre un financement adapté sur des maturités longues (10 à 15 ans) et une capacité
d’intermédiation financière (soutien aux secteurs bancaires locaux et aux fonds d’investissements spécialisés), la valeur ajoutée des institutions de développement est aussi d’inciter
et d’aider les structures à se professionnaliser
pour améliorer leur gestion et leur modèle économique (voir encadré). À ce titre, les instituLa micro-assurance désigne un système qui utilise le mécanisme de
l’assurance et dont les bénéficiaires sont souvent des personnes exclues
des systèmes formels de protection sociale. L’adhésion n’est pas obligatoire
et les adhérents contribuent, au moins partiellement, au financement des
prestations.
3
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tions de développement proposent un service
d’assistance technique pouvant être utilisé à
l’amélioration de la gouvernance d’entreprise,
des systèmes de gestion interne et de la formation (un enjeu majeur du développement
du secteur).
Enfin, les institutions de développement utilisent aussi l’innovation financière pour favoriser l’impact social, en proposant une baisse
de taux d’intérêt des crédits conditionnée à
la réalisation de projets sociaux. Cela peut
prendre la forme, par exemple, de fonds dédiés à améliorer l’accessibilité et la gratuité
des soins pour les personnes défavorisées, la
construction de dispensaires dans des zones
reculées, ou encore l’introduction de nouvelles
technologies comme la télémédecine.
Le secteur privé de la santé des pays en développement va vivre des mutations à la mesure
des progrès économiques et sociaux en cours
– et de l’essor des maladies chroniques. Dans
cette perspective, l’action des bailleurs de
fonds doit mobiliser toute l’innovation financière possible. Il s’agit en effet d’appuyer le
développement des acteurs du secteur, qu’il
s’agisse des petites entreprises dites solidaires, de cliniques privées ou de grands hôpitaux privés. Ainsi, à côté des instruments
traditionnels – subvention et prêt, essentiellement –, des outils plus
innovants voient le jour, « Les institutions de
comme le mixage prêts- développement utilisent
dons, le développement aussi l’innovation
de la microfinance santé, financière pour favoriser
l’expérimentation de sys- l’impact social. »
tèmes de subventions partiellement remboursables, etc. Par ailleurs,
les institutions de développement doivent
contribuer à une meilleure péréquation des
politiques publiques et privées et contribuer à
la structuration du secteur. Plus qu’ailleurs, les
institutions de développement doivent jouer
leur rôle moteur – basé sur l’effet démonstratif – et mettre en avant, au-delà de la rentabilité attendue, l’amélioration des services de
soin et le développement humain, vu comme
un facteur de croissance économique.
Élevée
Figure 1 : Des opportunités d’investissement prometteuses – les prestataires de santé
La taille indique la
dimension relative
dans le total des opportunités
du marché
Totalement viable
Petits centres
haut de gamme
Viabilité financière
Fonctionnement
courant viable
(c-à-d. sans les coûts
d’établissement)
Faible
Hôpitaux
Télé-médecine proposant
une assurance
interne
Non viable
Hôpitaux
utilisant des
mécanismes
d’interfinancement
0-0,25
million de dollars
Petite
Grands
laboratoires
Résau de centres d’analyses
de soins primaires
et secondaires
Hôpitaux
à fort débit
et bas tarif
Médecins
spécialistes
couvrant un
résau d’hôpitaux
0,25-1
million de dollars
1-3
millions de dollars
3
millions de dollars
Taille des projets individuels
Grande
Note : ce schéma est indicatif et vise à montrer la diversité des entreprises et des organisations bien gérées qui existent, et à donner des
indications générales sur ce qui les différencie surtout. D’autres types d’entreprises peuvent exister en dehors de cet éventail.
Source : étude McKinsey, SFI, 2008
Références / SFI, 2008. Investir dans la santé en Afrique. Le secteur privé : un partenaire pour améliorer les conditions de vie des populations. Washington. Groupe de la Banque
mondiale. // Organisation mondiale de la santé, 2010. Rapport sur la santé dans le monde 2010. Le financement des systèmes de santé : le chemin vers une couverture universelle, Genève.
Secteur Privé & Développement

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