Communication et marketing

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Communication et marketing
Stratégies & marchés 9
DR
Mory
La reprise en dix leçons
Avec dix offres de reprise, le groupe Mory devrait sortir
rapidement de son redressement judiciaire, même si cette
sortie s’accompagne d’un inévitable démembrement.
C
e sont finalement dix offres de
reprise de Mory que le tribunal de
commerce de Bobigny aura reçues
fin juillet et définitivement entérinées le 22
août dernier. Il faut dire que, n’eût été la
mise en redressement judiciaire provoquée
par des manigances du créancier public,
en juin 2011, Mory se porterait comme un
charme. Son Pdg, Alain Bréau, a chaque
mois pu rassurer ses créanciers sur le
règlement de leurs factures et ses clients
sur la pérennité de l’entreprise, ajoutant en
surplus d’excellents résultats opérationnels et la garantie d’une paix sociale.
Créanciers et clients lui en ont d’ailleurs su
gré, puisqu’ils ont conservé leur fidélité au
groupe. Le juge de commerce a ainsi pu
confirmer la période d’observation de
6 mois du groupe et fixer au 23 septembre
2011 l’examen des offres de reprise. Si
celles-ci sont au nombre de dix, aucune
n’est globale et le groupe sera donc
démembré, le groupe Bolloré n’ayant pas
fait d’offre. Geodis, Norbert Dentressangle,
ID Logistics ou Grimomprez convoiteraient
les activités logistiques. La messagerie a
elle fait l’objet d’une offre détaillée des
fonds d’investissement Caravelle et Butler
DR
Disparition d’un prédateur scrupuleux
Le décès brutal et dans l’action de
Pierre-André Martel, Pdg du fonds d’investissement Caravelle, aura été aussi
médiatique que sa vie a été discrète. La
faute, sans doute, à la fois à sa spécialité,
qui était la détection de sociétés en
situation de reprise, métier qui s’effectue
pour l’essentiel dans l’ombre, et au dernier dossier sur lequel travaillait ce polytechnicien de 57 ans, à savoir la reprise
en force de Mory, groupe de transport
emblématique dont la notoriété s’était
nourrie ces dernières années de nombreux aléas. En fait, Pierre-André Martel aura consacré sa vie au rachat d’entreprises en difficulté, mais à forte valeur
ajoutée, auxquelles il aura redonné vie.
En créant le fonds Caravelle, en 1995, il
aura ainsi repris avec succès Benalu,
Marrel, Edbro, Lamberet, Ducros Express, Girard et, dans le domaine de l’automédication, Cooper, amenant ainsi le
chiffre d’affaires de son groupe à 375
M€ pour 5000 salariés. Le groupe Norbert Dentressangle avait bien compris
où se situait le génie de cet homme
puisque, depuis 2005, il l’avait intégré en
toute discrétion dans son conseil de surveillance, avec pour mission de conseiller
la stratégie de développement du
groupe. Norbert Dentressangle a
d’ailleurs publié un hommage appuyé à
son collaborateur disparu. Discrète,
aussi, sa passion pour l’aviation, laquelle
lui aura été fatale. Discret encore, le
Pdg, que TIH a en vain tenté d’interviewer à chaque fois que Caravelle a repris
une entreprise du secteur du transport.
Il préférait déléguer ses collaborateurs,
hommes de terrain ou financiers avertis.
Sauf une fois, semble-t-il, avec le groupe
Mory, justement. Avait-il trouvé en
Alain Bréau un adversaire qu’il estimait
à sa taille ? Nous ne le saurons jamais,
mais il est clair qu’après l’échec de la
mise en redressement judiciaire du
groupe de transport en juin, un
guet-apens monté sous le regard bienveillant du Ciri et du ministère du
Transport, il avait cru bon de s’occuper
personnellement du dossier. Une réaction d’homme pressé et de prédateur
qui ne veut pas voir sa proie lui échapper, mais certainement aussi d’homme
scrupuleux. Peut-être a-t-il regretté que
son action ait mis Mory en grande difficulté. Son engagement total a d’ailleurs
séduit Alain Bréau, président de Mory,
pourtant farouchement opposé à Caravelle depuis le début de l’affaire. Passé le
choc du redressement judiciaire, les
deux hommes ont collaboré fraternellement à la passation de pouvoir de Mory,
concoctant un dossier qui reste certainement le meilleur de toutes les offres de
reprise du groupe. Le nouveau Pdg de
Caravelle, Marc-Olivier Laurent, l’a bien
compris puisqu’il l’a porté tel quel au
tribunal de commerce de Bobigny. Son
œuvre survivra donc à Pierre-André
Martel, comme il avait prévu que cela
devait être pour l’ensemble de ses biens.
En revanche, Pierre-André Martel aura
laissé derrière lui un orphelin qu’il n’avait pas prévu : Alain Bréau, à nouveau
seul pour sauver l’emploi de ses salariés
face à une légion de détracteurs, d’envieux et de prédateurs sans scrupules,
MG
eux.
Transport Info Hebdo ● 26 août 2011 - N°335
Capital Partner (propriétaire de Sernam).
Prêt à investir plusieurs dizaines de
millions d’euros et à ne réduire le personnel que de 500 personnes sur un effectif
de 3500, Caravelle présente la meilleure
proposition. Aussi bien a-t-elle été élaborée de son vivant par Pierre-André Martel,
en concertation avec Alain Bréau. L’offre
de Butler, elle, est à la fois plus brutale,
avec 1000 emplois supprimés, et moins
étoffée avec un apport financier non
précisé. Aux dires de certains observateurs, Butler ne croirait déjà plus en sa
chance de gagner la partie et aurait déjà
DR
Alain Bréau
lancé ses forces commerciales à l’assaut
de la clientèle de Mory. Restent les activités à l’étranger, sauf la filiale belge,
incluse dans l’une des offres de messagerie, et diverses autres. Ce qui permettra
sans doute à Alain Bréau de faire une
offre complémentaire, comme il semblerait que l’ait déjà fait “un investisseur
privé”. Le 23 septembre, le juge aura
donc le choix. Alain Bréau ayant dit à plusieurs reprises qu’il céderait ses propres
actions pour un euro symbolique, la différence entre les offres se fera moins au
niveau financier que social. MICHEL GRINAND
Médias
Communication et marketing
L
’autre jour une de mes étudiantes m’a
demandé s’il m’était possible de lui
expliquer la différence entre marketing et
communication. Je n’ai pas pensé, naturellement, à lui parler de la communication utilisée comme arme visant non à promouvoir
un service, un produit ou une firme, mais au
service de l’objectif inverse : détruire. Il est
certain que la stratégie marketing – en particulier dans le domaine des services –
nécessite souvent la valorisation d’une
image. Il est en effet impossible de faire de
la réclame pour le produit mis en rayonnage. Il est aussi difficile d’opter pour la publicité comparative, tant les services sont multiformes et avant tout affaire de qualité. En
fait, la stratégie des firmes requiert aujourd’hui une attention tout autant tendue vers la
valorisation de l’image du service rendu, de
l’éthique, de la confiance que l’on tâche
d’inspirer. Cette communication “corporate”
a finalement pour objectif de valoriser le
“produit”, la firme et sa perception “sociale”
dans l’esprit du public. De cette triple valorisation peut découler – pour les firmes géantes – une bonne note auprès des agences
de notation, une bonne cote sur les réseaux
sociaux, une bonne notoriété et une cotation boursière au plus haut. Il
s’agit en fait de valoriser en “racontant” une
histoire attrayante, séduisante, sécurisante.
La communication peut cependant servir à
tout autre chose. À dénigrer, à dévaloriser, à
déstabiliser. Le plus efficace étant semble-til non pas de dire mais de faire dire, faire
courir le bruit. En fait, on alimente une spéculation, une croyance, dont la rumeur servira de point d’appui. Les événements relatifs
à “l’affaire Mory” ont mis en évidence deux
grandes familles de communication – et du
coup on voit bien la différence avec le marketing. La première “destructive” visait à
affaiblir Mory et la stratégie de son patron.
La seconde à défendre l’entreprise et la
stratégie de son dirigeant. Je fais, en présentant les choses ainsi, un amalgame
qu’on pourrait considérer comme coupable
entre Bréau et Mory, Mory et Bréau. Mais
les deux “marques”, pardon, les deux entités, sont liées. La stratégie d’Alain Bréau
visant à éviter la dévalorisation excessive
de la firme et son dépeçage se heurte
naturellement à la stratégie inverse.
Globale. Or qu’a-t-on vu ? Rien ou pas
grand-chose pour commencer. Des
rumeurs contre des dénégations. Puis une
communication défensive d’Alain Bréau,
avec une vidéo dont on sentait qu’elle était
plus sur un registre personnel que “corporate”. De quoi fallait-il convaincre ? D’un
non-dit, d’un indicible peut-être. Celle d’une
manœuvre sournoise, d’un coup porté,
organisé contre l’entreprise et la stratégie
de sortie de crise de son chef. Avec la
crainte d’un discours parano, impossible,
indémontrable… Alors ne disant pas, on
suggère. On murmure. On n’affirme pas. Là
ou la communication doit être une mise en
scène convaincante, une parole claire, la
vidéo donnait une impression de crise. La
“crise” était donc là… Elle arriva quelque
temps après. Pendant ce temps, la rumeur
courait toujours et le film s’écrivait ailleurs.
Entre ultimatum et menace de prédation.
Au moment précis du dépôt de bilan pour
une fraction – significative – des entreprises du groupe Mory, la communication s’effaça devant l’info, toute crue, et l’attente
d’un dénouement. À ce moment précis se
pose la question de savoir si un nouveau
temps fort de la “com” adviendra et avec
quelles armes, quels objectifs ? Quel en
sera l’acteur principal ?
PATRICE SALINI

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