La vie au guichet

Transcription

La vie au guichet
Florent Michelot
Groupe 04
TD de Sociologie Politique :
La vie au guichet
Relation administrative et traitement de
la misère
de Vincent DUBOIS
éditions Économica, collection Études politiques, 1999
La vie au guichet – Vincent DUBOIS · p. 1
Actuellement Maître de conférence à l’I.E.P. de Strasbourg, Vincent DUBOIS y enseigne
l’Analyse des politiques publiques en Europe dans le cadre du D.E.A. d’Études politiques et
du D.E.S.S. de Politiques publiques en Europe. Ce politise a travaillé sur les politiques
culturelles avec les publications de Politique locale et enjeu culturel (éditions Documentation
française, 1998), et La Politique culturelle, genèse d’une catégorie d’intervention publique (éditions
Belin-Economica, 1999) et, dans un autre domaine, La question technocratique (éditions
Presses Universitaires de Strasbourg, 1999).
Le but de l’étude présentement réalisée, décrite et analysée dans La vie au guichet est,
en fait, une analyse sociologique micro-interactionniste de la relation de face à face (ou
« relation de service » au regard des travaux de GOFFMAN) qui s’instaure au guichet d’une
administration, en l'occurrence, la Caisse d’Allocation Familiale (CAF), entre le guichetier et
l’usager. Il observe ainsi les relations entre les deux agents devant intégrer le « rôle » qui leur
est dévolue par l’institution : les uns agents d’accueil, incarnation de la CA.F donc de l’Etat,
les autres usagers sollicitant une prestations.
Les fonctions des CAF ont évolué depuis leur création par les ordonnances de 1946,
certes, suite aux différentes réformes menées par l’Etat, mais surtout suite à l’évolution
économique de la société, passant de la fonction de « gestionnaire du bonheur » à celui de
« gestionnaire de la misère, de la précarité ».
Corollaire du traitement de la précarité : la modification de la composition du public
usager a conduit la C.A.F. à adapter le traitement administratif de ses actions et, à une époque
ou il était bon de se donner un slogan, d’afficher « Pour vous faciliter la vie ».
Les méthodes utilisées pour réaliser cette étude sont clairement explicitées dans
l’introduction. Le champ géographique est ainsi constitué de deux CAF, couvrant tout ou
partie d’un département, de zones urbanisées à forte population immigrée et de zones rurales.
Pendant plus de six mois, lors de l’été 1995, il a observé les accueils et les permanences
des CAF de ce secteur en se focalisant sur le guichet, la salle d’attente...
Sa grille d’analyse est composée de trois variables significatives :
✗
la tonalité de l’échange
✗
la pratique des allocataires
La vie au guichet – Vincent DUBOIS · p. 2
✗
la pratique professionnelle des agents
I. Les agents en interactions ou la confrontation d'identités
et rôles sociaux
L’auteur va nous amener à revenir sur la fiction ou lieu commun de la relation
Administration / Usager. Amenant, à un « retournement des stigmates », faisant du guichetier
une fonction qui est loin de « l’idéal type » wébérien du bureaucrate « sans haine et sans
passion ».
A. Le « street level bureaucrats » incarné par l'agent
d'accueil
DUBOIS
a fait figurer, dans son annexe 1, une courte biographie des agents, nous
permettant ainsi de mieux appréhender leurs parcours personnels et professionnels et, par
conséquent, de définir un « portrait robot » de ces personnes.
Première constatation, ce n’est pas une vocation. Généralement peu diplômés (37% de
bacheliers ou de niveau Bac.), rares sont ceux qui ont choisi la CAF pour ce qu’elle est (un
organisme social) comme lieu d’exercice de leur vie professionnelle, ils sont arrivés à la CAF
souvent fortuitement (difficultés personnelles) ou par choix de la sécurité de l’emploi.
Jamais ce poste de guichetier n’a été leur première fonction au sein de la CAF, la
maîtrise du fonctionnement interne (traitement, liquidation des dossiers, …) est une ressource
préalable indispensable à la fonction de guichetier d’autant plus que l’adaptation à l’emploi
n'est qu'une formation rapide : quelques heures, se résumant à un rappel des valeurs
véhiculées par l’institution.
L’agent doit opérer un dédoublement : d’un côté, les guichetiers en tant que
représentants de l’Etat appliquant des normes admises (WEBER) et les dispositions personnelles
qui leurs sont attachées. « Savoir faire » et « savoir être » sont donc indispensables au
guichetier. Une modification majeure au sein du travail des agents d’accueil à été de faire
appel, de plus en plus, à ses compétences personnels, son vécu, etc, voire sa faculté
d’adaptation à l’égard des individus pour la plupart en grande difficulté au détriment de ses
capacités techniques, pour personnaliser l’entretien
Face à l’exposition à la misère, un certain détachement moral et un cloisonnement vie
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professionnelle / vie privée, sont de rigueur si l’ « on ne veut pas se faire bouffer par les gens »
et aboutir à « une situation de repli » (DOBRY), à la régression vers les habitus (MERTON).
« Il faut un certain entraînement pour parvenir à l’observation psychologique car le
premier obstacle à vaincre et l’IMPLICATION AFFECTIVE PERSONNELLE dans la
SITUATION D’ AUTRUI » (extrait de la plaquette résumant les enseignements d’un stage de
formation à l’accueil – 1996, page 134)
B. Usagers allocataires ou clients d'allocations ?
Principal écueil de l'ouvrage ici étudié, leur sort ne semble avoir été analysé que dans
une moindre mesure par DOBRY.
Le vocable généralisant « d’usagers » reflète en réalité une grande diversité de
populations. Cela s’explique par la diversité des missions désormais dévolues aux CAF. Tous
les agents d’accueil constatent qu’ils assistent depuis près de vingt ans à une paupérisation de
la population. C'est de ces degrés de misère que va dépendre la relation à l’institution :
l’usager sera ou déférent, ou hostile. « En fonction de l’idée qu’il se fait de sa propre situation
et de celle qu’il reçoit, de l’écart qui les sépare, l’agent d’accueil ajuste son comportement,
détermine ce qu’il pourra se permettre envers l’allocataire et ce qu’il pourra lui permettre. ».
L’institution constitue un lieu de socialisation à travers les normes qu’elle véhicule auprès des
allocataires, et les agents constituent le relais d’acculturation de ce que l’administration attend
des allocataires (LIPSKI).
Ainsi, selon le respect ou non de ces normes, et selon des critères subjectifs propres à
chaque agents, les usagers entrent automatiquement dans l’une des deux catégories : le bon et
le mauvais :
Le bon :
✗
patient et courtois
✗
déférent à l’égard de l’institution et des ses guichetiers
✗
faisant preuve de bonne volonté dans ses démarches
Le mauvais :
✗
manifestant un désengagement total de son dossier et s’en remettant totalement à l’agent ;
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on parle de « remise de soi »
✗
irresponsable
✗
non coopératif voire opposé
On pourra résumer en opposant ceux qui demandent leurs droits (les bons), de ceux qui
exigent leurs dus (les mauvais).
II. Les interactions suscitées par la rencontre des agents
d'accueil avec les usagers au guichet
A. Échanges et incitation au consentement
L’institution a une double vocation qui est à la fois de distribuer des prestations sociales
et, par le biais des normes qu’elle véhicule de socialiser son public qui doit correspondre aux
identités qu’elle prescrit. C’est pour cette raison que l’agent, instrument de l’institution, doit
obligatoirement maîtriser l’échange afin d’obtenir le consentement de l’allocataire.
La définition institutionnelle première n’englobe plus l’ensemble des missions dévolues
aux CAF. Concrètement, la précarisation et l’exclusion sociale dont sont victimes certains
allocataires font que la CAF, en tant qu’institution, et, dès lors, l’agent d’accueil, en tant que
personne, sont parfois les derniers lieux d’écoute et de dialogue pour ces allocataires.
L’institution constitue à ce stade, le dernier lieu de socialisation aux normes prescrites
par la société. Le face-à-face est généralement l’occasion de régler des problèmes
administratifs, mais les agents tentent bien souvent, quand ils sentent que l’allocataire en est
capable, de donner une dimension pédagogique à leur action. Dans ce cas la capacité, ou non,
de l’allocataire à comprendre le langage technique, relève de l’analyse propre de l’agent à
travers son « coup d’œil sociologique » permettant un ajustement instantané et naturel au
public.
Ainsi, avant même le face-à-face, l’agent va observer et analyser un certain nombre
d’indices qui vont l’amener à s'ajuster par rapport à l’usager.
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B. Des interactions multiformes
Au cours de l’interaction, l’agent d’accueil va devoir faire face à trois types de
comportements :
✗
les personnes qui se conforment au comportement attendu, marquant ainsi une
acceptation des règles de fonctionnement de l’institution
✗
plus problématiques, le rejet de l’institution, de ses règles et par conséquents de ses
représentants : les agents d’accueil.
✗
enfin plus difficile à traiter : les violents.
Même si les violences verbales ou physiques sont, compte tenu du nombre de personnes
reçus à l’accueil, relativement rares, elles existent. Cependant, le « passage d’un territoire (la
salle d’attente) à un autre (le guichet) » conduirait souvent à une atténuation de cette violence.
Certaines tactiques peuvent réduire cette tension : l’attente (mais parfois elle peut la
renforcer), le recours à un cadre, un entretien plus individualisé…
Ainsi, si le fossé se creuse entre l’usage officiel et l’usage réel des services publics
proposés dans les CAF, pourra-t-on tout autant s'interroger sur la situation d’autres services
publics (service d’urgence des hôpitaux, la Poste – voir Marie Cartier, Les facteurs et leurs
tournées, un service public au quotidien, …). Les instances de socialisations se déplacent et les
guichets des services publics ouverts à tous deviennent des lieux où l’on parle ; ce qui suppose
une redéfinition des rôles et des usages des nouveaux guichetiers voire des lieux où s’exercent
cet échange. Enfin, l'usage de certaines procédures administratives dématérialisées (bornes
informatiques, internet, ...) depuis la présente étude, tendant à « rationaliser » ce types de
services, pouvant alors amener à ce que les usagers les plus conformés (« les bons usagers »)
disparaissent peu à peu de ces guichets.
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