Insertion par l`activité économique :

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Insertion par l`activité économique :
Observatoire du Management Alternatif
Alternative Management Observatory
__
Cahier de recherche
Insertion par l’activité économique :
Est-il possible de concilier objectifs de profits
économique et social ?
Nathalie Rusé
12 juin 2009
Majeure Alternative Management – HEC Paris
2008-2009
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Genèse du présent document
Ce cahier de recherche a été réalisé sous la forme initiale d’un mémoire de recherche dans
le cadre de la Majeure Alternative Management, spécialité de troisième année du programme
Grande Ecole d’HEC Paris.
Il a été dirigé par Bernard Garrette, Professeur à HEC Paris, Responsable du Département
Stratégie et Politique d’Entreprise, et soutenu le 18 juin 2009 en présence de Bernard Garrette
et Nicole D’Anglejan, Responsable de la chaire entreprise et pauvreté et professeur à HEC
Paris.
Origins of this research
This research was originally presented as a research essay within the framework of the
“Alternative Management” specialization of the third-year HEC Paris business school
programme.
The essay has been supervised by Bernard Garrette, Professor in HEC Paris, Strategy and
Business Policy Area Head, and delivered on June, 18th 2009 in the presence of Bernard
Garrette and Nicole D’Angeljan, Professor within HEC Paris.
Charte Ethique de l'Observatoire du Management Alternatif
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Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Les projets d’insertion permettent-ils de concilier durablement profits
économique et social ?
Résumé : Ce mémoire se propose d’analyser un nouveau modèle d’organisation qui met ses
préoccupations sociales au cœur de son projet d’entreprise sans renier ses objectifs de
performances économiques, le social business. Ce modèle permet-il réellement de créer de la
valeur sur les plans sociaux et environnementaux ? La pertinence de ce concept sera ici
étudiée dans le cas du secteur de l’insertion par l’activité économique.
Profits et mission d’insertion sociale sont-ils vraiment conciliables comme l’affirment les
théoriciens du concept de « triple bottom line »? Si oui, comment les structures de l’économie
sociale et solidaire parviennent-elles à allier performance économique et sociale de manière
pérenne ?
Mots-clés : Développement durable, Triple bottom line, Entreprise sociale et solidaire
Do reinsertion projects offer a sustainable means of reconciling economic
and social profit?
Abstract: The purpose of this dissertation is to analyse a new business model, which places
social preoccupations at its heart without neglecting economic performance: social business.
Does this alternative business model really create social and economic value? The relevance
of this new concept will be analysed in the context of France’s social reintegration sector.
Can profit and social reinsertion really be reconciled as is claimed by theoreticians from both
the academic and the business worlds, who adhere to the concept of the “triple bottom line”?
If so, what are the conditions necessary to achieving this double economic and social
objective?
Keywords: Sustainable development, Triple bottom line, Social business
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Remerciements
Avant tout, un immense merci à Eve Chiapello et Karim Medjad, qui nous ont permis,
grâce à la majeure Alternative Management, d’aborder autrement l’enseignement à HEC.
Merci à toutes les personnes qui m’ont apporté leur soutien en me faisant profiter de leur
expérience et de leurs contacts, notamment Nicole D’Anglejan, Patrick Sapy, Matthieu
Grosset, Jean François Connan, ainsi que Mesdames Lesca, Clément et Boulenouar,
Messieurs Guilly, Giffard, Trévisan, Desurmont, Clément, Bertonazzi, Tissier, Desbrest,
Richou et Vincent.
Un grand merci et toute ma reconnaissance à Monsieur Garrette pour ses conseils et ses
commentaires qui m’ont permis d’orienter ma réflexion et d’adopter une approche critique.
Tous mes remerciements également à Madame D’Anglejan pour avoir témoigné de l’intérêt à
l’égard de mon travail et avoir accepté de l’évaluer.
Merci à ma famille pour son soutien pendant toute ma scolarité et notamment pendant la
réalisation de ce mémoire.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Table des matières
INTRODUCTION................................................................................................................................. 7
PARTIE 1............................................................................................................................................... 9
CADRAGE HISTORIQUE ET CONCEPTUEL DU SOCIAL BUSINESS ET DE L’IAE ............ 9
1.1. MISE EN PERSPECTIVE HISTORIQUE : LE SOCIAL BUSINESS, UNE THEORISATION ET UNE DIFFUSION
RECENTE .................................................................................................................................................. 9
1.1.1. Les prémices du social business, de l’économie sociale et solidaire et de l’IAE.......................... 9
1.1.2. Une diffusion portée par l’engouement pour des comportements plus responsables et éthiques et
la prise de conscience d’enjeux sociaux importants.............................................................................. 11
1.2. DEFINITION DU CONCEPT DE SOCIAL BUSINESS ET CARACTERISTIQUES GLOBALEMENT ADMISES 13
1.2.1. Les valeurs du social business illustrées par l’insertion par l’activité économique .................... 13
1.2.2. Quelles structures d’insertion rentrent dans le cadre du social business ? ................................. 18
1.3. LE SOCIAL BUSINESS ET L’IAE FACE A LA CRITIQUE ...................................................................... 23
1.3.1. La critique sociale d’un modèle incomplet et complexe ............................................................. 23
1.3.2. La critique économique de la viabilité du social business et de l’IAE........................................ 26
1.4. LE CHOIX D’UNE APPROCHE DE L’IAE SOUS DIFFERENTES FORMES .............................................. 28
1.4.1. Pourquoi l’IAE ? ......................................................................................................................... 28
1.4.2. Les critères essentiels et la définition choisie.............................................................................. 28
PARTIE 2............................................................................................................................................. 29
METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE ..................................................................................... 29
2.1. HYPOTHESES DE RECHERCHE ......................................................................................................... 29
2.2. DEFINITION DES CRITERES DE PERFORMANCE SOCIAUX ET ECONOMIQUES ................................... 31
2.1.1. Applications des modèles du social business à l’IAE : quelle pertinence ? ................................ 31
2.1.2. Définition de la création de valeur pour l’organisation............................................................... 32
2.3. PRESENTATION D’UNE METHODOLOGIE ADAPTEE.......................................................................... 37
PARTIE 3............................................................................................................................................. 39
ANALYSE DES RESULTATS DE L’ETUDE EMPIRIQUE ......................................................... 39
3.1. DES EXEMPLES DE MISE EN ŒUVRE DE L’IAE QUI CONFIRMENT LA VIABILITE DE LA COMBINAISON
D’OBJECTIFS SOCIAUX ET ECONOMIQUES SUR LE LONG TERME. ........................................................... 39
3.1.1. Quel impact social ? .................................................................................................................... 39
3.1.2. Quelles sont les structures économiquement plus performantes ? .............................................. 42
3.1.3. Quelles sont les structures qui concilient performances économique et sociale ? ...................... 44
3.1.4. Identification des conditions de succès des initiatives d’IAE ..................................................... 46
3.2. LES LIMITES DE CETTE ANALYSE .................................................................................................... 53
3.2.1. Les limites empiriques de notre analyse...................................................................................... 53
3.2.2. La « Triple bottom line », une conception discutable du développement durable ...................... 54
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CONCLUSION.................................................................................................................................... 56
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................. 58
ANNEXES............................................................................................................................................ 61
A/ SYNTHESE DES DONNEES EMPIRIQUES ................................................................................ 62
Annexe A.1 : Présentation des modèles étudiés.................................................................................... 62
Annexe A.2 : Présentation détaillée des vingt-sept SIAE sélectionnées............................................... 65
Annexe A.3 : Présentation des SIAE aux métiers à faible valeur ajoutée............................................. 68
Annexe A.4 : Présentation des SIAE intermédiaires............................................................................. 70
Annexe A.5 : Présentation des SIAE aux métiers à forte valeur ajoutée .............................................. 72
B/ ETUDES DE CAS............................................................................................................................ 74
Annexe B.1 : Sinéo, un modèle de franchises innovant conciliant les trois dimensions du.................. 74
développement durable : environnement, social et économique........................................................... 74
Annexe B.2 : Envie, une évolution métier et un développement territorial avisés ............................... 81
Annexe B.3 : Matatou, une entreprise insérante, un modèle à diffuser................................................. 89
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Introduction
Le développement durable prend aujourd’hui une importance de plus en plus considérable
dans nos sociétés développées. Les médias n’ont de cesse de diffuser les innovations
développées par des entrepreneurs audacieux. Les discours des entreprises ou des hommes
politiques sont empreints de valeurs éthiques, sociales et environnementales. Responsabilité et
solidarité semblent des mots porteurs d’avenir qui suscitent l’adhésion de citoyens de plus en
plus nombreux. Le temps où l’entreprise n’avait pour seule vocation que la création de
richesse économique serait-il révolu ? Est-il sensé de penser que l’on peut concilier viabilité
économique avec des objectifs de préservation de l’environnement et d’amélioration des
conditions de vie des plus démunis ?
Suite au rapport Brundtland publié en 1987 par la Commission Mondiale sur
l’Environnement et le Développement, de nombreux experts se sont penchés sur la notion de
développement durable donnant naissance à différents modèles conceptuels. Le plus connu est
sans doute celui proposé en 1994 par John Elkington dans son article « Towards the
sustainable corporation : Win-win-win business strategies for sustainable development ».
Selon cette théorie, souvent reprise sous les termes de « triple bottom line », le
développement durable concilie trois approches jusqu’alors jugées incompatibles : la
recherche de performance financière (« Profit »), de performance sociale (« People ») et de
performance environnementale (« Planet »). De nombreux chercheurs et entrepreneurs ont
cherché à évaluer de manière théorique et empirique les interactions entre ces trois
dimensions. Mais il demeure aujourd’hui difficile d’aboutir à des conclusions fiables, les
travaux de recherche aboutissant en effet souvent à des résultats contradictoires et
difficilement généralisables. Les principes de la « triple bottom line » suscitent encore de
nombreuses polémiques. Il semble donc intéressant de les analyser plus précisément afin de
voir s’il n’existe pas des cas où leur concrétisation s’avère pertinente, voire prometteuse.
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Les travaux de Muhammad Yunus ont donné naissance à un nouveau modèle conciliant les
dimensions sociales et économiques, le social business. Mais en dépit de la multitude
d’initiatives issues de projets sociaux, les recherches se concentrent souvent sur des projets
visant à améliorer l’accès des plus démunis au bien-être, sur le modèle des partenariats
Grameen-Danone ou Grameen-Véolia Waters, tout en assurant la viabilité économique de la
structure. D’autres modèles existent cependant, tout aussi intéressant, qui mettent les
préoccupations sociales au cœur de leur projet d’organisation et tentent de se rapprocher
progressivement des principes du social business. Les étudier nous permettra d’approfondir la
connaissance d’initiatives alternatives qui peuvent inspirer les entrepreneurs de demain, plus
soucieux des leurs ressources humaines et environnementales. C’est dans cette optique que
nous avons choisi de nous concentrer sur les structures de l’insertion par l’activité
économique. Ces structures, qui ont acquis un savoir-faire éprouvé dans l’accompagnement
des personnes en situation d’exclusion, témoignent aujourd’hui d’une volonté de conjuguer
une activité économique viable avec une mission d’insertion sociale qui implique des coûts
importants. La question de la pertinence et de l’application des principes du social business se
pose donc ici avec acuité, d’autant que les données relatives à ce secteur sont encore peu
nombreuses aujourd’hui et les bonnes pratiques méconnues.
Ce travail de recherche se propose d’étudier les interactions entre « People» et « Profit» au
sein des structures de l’insertion par l’activité économique. Nous chercherons à déterminer
dans quelle mesure les organisations de l’insertion par l’activité économique offrent des
modèles alternatifs intéressants pour des entrepreneurs soucieux de respecter les hommes et
de jouer un rôle responsable dans leur environnement. Est- il réellement possible de concilier
performance économique et sociale ? Quelles sont les alternatives innovantes qui expliquent
l’éventuel succès des modèles les plus performants ? Dans la première partie de ce mémoire,
nous définirons plus précisément le concept de social business et le cadre de l’insertion par
l’activité économique (IAE). Après avoir présenté la méthodologie utilisée pour notre étude
empirique, nous analyserons les résultats obtenus et les limites de notre étude.
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PARTIE 1.
CADRAGE HISTORIQUE ET CONCEPTUEL DU SOCIAL
BUSINESS ET DE L’INSERTION PAR L’ACTIVITE
ECONOMIQUE, (IAE)
1.1. Mise en perspective historique : le social business, une théorisation et
une diffusion récente
1.1.1. Les prémices du social business, de l’économie sociale et solidaire et de
l’IAE
Il existe depuis le XVIIIème siècle des entrepreneurs préoccupés par les questions sociales
de pauvreté et d’exclusion, des hommes responsables et éclairés qui veulent transformer nos
sociétés capitalistes. De nos jours, l’action du patronat chrétien avec des hommes comme
Antoine Riboud ou Claude Bébéar, ou celle du Centre des Jeunes Dirigeants en sont des
illustrations. Des penseurs comme Le Play, dans La Réforme sociale en France (1864),
montrent que le marché n’est acceptable que si les entrepreneurs sont conscients de leur
mission sociale et veillent à la sécurité et au bien-être de leurs travailleurs. La vie du patron
s’équilibre ainsi entre la réalisation de profits économiques grâce à son entreprise et le don
aux bonnes oeuvres pour assurer un minimum de cohésion et de soutien social. Les
associations caritatives se multiplient de manière désordonnée en fonction des besoins locaux
et de la générosité des donateurs.
Ce n’est cependant que vers la fin du XXème siècle qu’apparaît le concept de social
business. En effet, face au constat inquiétant de l’augmentation du fossé entre riches et
pauvres, quelques entrepreneurs osent remettre en cause les principes libéraux. Ainsi, Stuart
L. Hart1 rappelle dans The Unlimited business opportunities in solving the world’s most
1
Hart, S.L. (2005). The unlimited business opportunities in solving the world’s most difficult problems,
Wharton School Publishing, Upper Saddle River, NJ
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difficult problems que les entreprises multinationales réalisent 25% de l’activité mondiale en
employant moins de 1% de la main d’œuvre globale, laissant ainsi 67% de la population
employable sous-employée ou au chômage. Il constate que les inégalités n’ont cessé de se
creuser depuis 1960. Alors que les 20% plus riches détenaient 70% du PNB mondial et les
20% les plus pauvres 2% en 1960, les premiers détiennent en 2000 85% du PNB mondial et
les seconds n’ont plus que 1%.2 Ce constat d’inégalités criantes l’amène avec d’autres
théoriciens du social business à repenser le modèle capitaliste. Stuart L. Hart remet ainsi en
cause ce qu’il appelle « the great trade off illusion », idée selon laquelle les entreprises
doivent choisir entre leur performance financière et leurs obligations sociétales. Si l’on se
réfère à Milton Friedman en effet, la responsabilité sociale d’une entreprise est de maximiser
son profit. Des préoccupations sociales et environnementales considérées comme négatives
pour l’activité économique sont donc déconsidérées. Le soutien social existe, mais il est
dissocié de l’activité économique de l’entreprise, organisé par les fondations. Les dernières
décennies ont toutefois montré que la philanthropie ne suffisait pas à résoudre le problème de
la pauvreté et que les entreprises devaient davantage s’impliquer pour développer des
solutions innovantes, alliant objectifs sociaux et économiques.
De nouveaux modèles d’entreprises sont ainsi apparus et le concept de social business a
émergé. Créé par Muhammad Yunus pour combattre la pauvreté grâce au micro-crédit et à
d’autres activités au Bengladesh, le social business trouve ses fondements dans une nouvelle
définition du profit. Il ne s’agit plus de maximiser les profits économiques, mais de concilier
profits sociaux et économiques. L’objectif prioritaire est d’améliorer les niveaux de vie et de
bien être des personnes impliquées dans le cycle de production et de consommation induit par
la structure. Le profit financier, l’enrichissement des actionnaires n’est plus un objectif en soi.
Les profits sont réinvestis directement dans l’entreprise pour permettre son développement et
améliorer ses résultats sociaux. L’économique est ainsi au service du social et toute évaluation
de l’entreprise doit prendre en compte ces deux paramètres avec la même pondération.
Le secteur de l’économie sociale et solidaire, et plus précisément celui de l’insertion par
l’activité économique (IAE), s’inscrit dans ce mouvement qui propose des solutions
alternatives pour tenter de résoudre des problèmes sociaux insoutenables. A.M. Alcolea
Bureth explique en effet dans Pratiques et théories de l’économie sociale et solidaire (2004)
que l’économie d’insertion est née de la crise idéologique des valeurs et des normes de l’Etat
Providence. Face à un marché et des pouvoirs publics dépassés, des entrepreneurs sociaux ont
développé des entreprises alternatives dans le champ du travail social, avec la volonté de
2
D’après World Development Report de la World Bank comparant 1960 et 2000.
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développer des activités de qualité, gérées de manière démocratique, un respect de
l’environnement et un souci d’utilité sociale constant. Selon Jacques Dughera, Secrétaire
général du Conseil National de l’Insertion par l’Activité Economique (CNIAE), l’IAE est née
à la fin des années 1970 dans un contexte de crise pétrolière, de développement du chômage.
À l’origine, c’est un mouvement de résistance à « l’invisibilisation de la pauvreté ». Les
associations caritatives traditionnelles ont eu le sentiment que certaines personnes se
trouvaient exclues de l’emploi durablement et ne parvenaient pas à se réinsérer dans la
société. Face à ce sentiment d’impuissance, certaines associations ont délaissé leurs activités
d’assistance et d’hébergement pour créer des postes pour des personnes en difficulté, sur le
modèle des collectes et des ventes d’Emmaüs, et se rapprocher d’activités économiques leur
permettant une aide sociale plus efficace et davantage d’autonomie face à des financeurs
externes. Cette recherche d’équilibre entre performances économiques et sociales n’a fait que
se renforcer avec les années3.
1.1.2. Une diffusion portée par l’engouement pour des comportements plus
responsables et éthiques et la prise de conscience d’enjeux sociaux importants
La responsabilisation des entreprises a commencé dans les années 1980, avec la remise en
question des préjugés évoqués précédemment. Les créations de fondations se sont multipliées
pour soutenir des projets sociaux et tester de nouveaux business models. De leur côté, les
associations se sont professionnalisées pour développer de nouvelles compétences, inspirer
confiance et se lancer sur le marché.
Le rapprochement des pratiques des entreprises et des organisations sociales s’est accéléré
à la fin des années 1990 avec la dénonciation de l’augmentation du fossé entre riches et
pauvres, les crises de gouvernance et les fraudes qui ont secoué le monde capitaliste avec des
scandales comme ceux d’Enron ou Nike. Dans « Cocreating business’s New Social
Compact », C.K.Prahalad montre que de nouvelles opportunités sont apparues. Des
entreprises traditionnelles ont su mettre leurs compétences au service de communautés
défavorisées et créer de nouveaux marchés. Il cite en exemples les alliances de Danone et
Grameen, celles de Microsoft et de l’ONG Pratham ou de Nestlé et l’ONG Peru Columbia
Philippines. Selon lui, compte-tenu du déclin des subventions publiques, de tels partenariats
3
Entretien téléphonique avec Patrick Sapy du Réseau Entreprendre Autrement réalisé le 13/03/09
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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entre entreprises classiques et ONG ou associations à vocation sociale ne feront que se
multiplier dans les années à venir.
Les structures de l’IAE, (SIAE), ont bénéficié de cette prise de conscience du
développement des problèmes sociaux et, sans renoncer à leurs valeurs ni à leur projet social,
elles ont entrepris de se tourner davantage vers le monde économique. Claude Alphandéry,
Président du CNIAE4 et auteur d’un rapport à l’origine de la clarification du cadre d’action
des SIAE en 19905, explique que ces structures ont en effet constaté l’existence de niches
d’activité délaissées par les entreprises traditionnelles, mais pourtant indispensables au
fonctionnement
de
l’activité
économique
locale,
notamment
dans
le
bâtiment,
l’environnement et les services à la personne. Elles se sont rendu compte qu’en alliant
l’économique à leur mission d’accompagnement social, elles auraient davantage de moyens
de développer et pérenniser leur mission d’accompagnement et d’encadrement des personnes
en difficulté. Simultanément, le gouvernement français a fait de l’emploi et de l’exclusion sa
priorité. Philippe Seguin a mis en place les différents types de SIAE en 1988. Le CNIAE a été
créé en 1990 pour donner de la cohérence à la multitude de structures existantes. Ce dispositif
est néanmoins resté extrêmement fragile jusque dans les années 1992, les élus hésitant à
généraliser des expériences bénéfiques socialement, mais relativement éloigné du monde
économique classique. Allier social et économique semblait antinomique et ces initiatives se
heurtaient à de nombreuses réticences :
- Difficulté d’obtenir conventionnements et financements,
- Difficulté de recruter des dirigeants fiables et efficaces, capables de vaincre les peurs
des élus, des banques, des entreprises traditionnelles,
- Difficulté de convaincre les clients de la qualité des biens et services,
- Difficulté de convaincre les fournisseurs qu’ils seront payés,
- Difficulté de se partager le marché avec des concurrents qui se scandalisent des
aides publiques et crient à la concurrence déloyale.
Entre 1992 et 1993, plus de mille SIAE ont cependant vu le jour. La crise économique qui
a suivi a entraîné de nombreuses faillites et regroupement entre 1995 et 1997. Depuis 1997
cependant, le redémarrage de l’économie s’est accompagné de la conviction des pouvoirs
publics et des acteurs de l’économie sociale et solidaire que la société subissait une crise
structurelle de l’emploi et qu’il était nécessaire de trouver des solutions pour gérer
4
5
Conseil National de l’Insertion par l’Activité Economique
Alphandéry, C. (1990). “Les structures de l’insertion par l’activité économique”, La Documentation Française
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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l’inemployabilité des personnes. Une société ne pouvant être exclusivement productive, il
fallait des acteurs sociaux pour gérer les missions de service public d’insertion de l’Etat. Ce
constat s’est accompagné d’une volonté croissante de professionnaliser ce tiers secteur et de le
rendre plus indépendant des financements publics. Les aides publiques ont donc été
conditionnées à un certain nombre de critères et limitées en volume6, obligeant les entreprises
d’insertion et entreprises temporaires d’insertion à se restructurer pour augmenter leur
rentabilité économique.
L’insertion par l’activité économique a ainsi été valorisée en France comme un secteur
essentiel. Pour reprendre les mots de Claude Alphandéry : « L’économie solidaire est un
complément indispensable à l’économie concurrentielle ». L’IAE semble donc s’insérer dans
le social business puisqu’elle relève d’un secteur mixte : secteur d’utilité sociale mais dont
l’activité se situe de manière croissante dans le marché. L’étude de principes fondateurs du
social business et leur comparaison avec les valeurs et principes d’action du monde de l’IAE
nous permettra d’approfondir ce rapprochement.
1.2. Définition du concept de social business et caractéristiques
globalement admises
1.2.1. Les valeurs du social business illustrées par l’insertion par l’activité
économique
Depuis les années 2000, de nombreux auteurs comme M. Yunus, C.K. Prahalad, S.L. Hart,
se sont penchés sur le concept de social business pour en déterminer les caractéristiques,
étudier la faisabilité et évaluer les limites d’une telle alternative. Il est intéressant dans le cas
de l’étude des structures d’insertion par l’activité économique de rappeler les caractéristiques
principales du social business pour justifier notre étude comparative d’entreprises de l’IAE.
6
cf. Partie 1.2.2. Quelles formes de social business dans l’IAE ?
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1.2.1.1. Un projet social prioritaire
Le social business se caractérise tout d’abord par son projet social et son objectif de
maximisation de son impact social. Dans son ouvrage, Fortune at the Bottom of the Pyramid7,
C.K. Prahalad montre que le social business doit développer des activités qui ciblent des
publics en très grandes difficultés. Il doit non seulement créer des produits et des services
adaptés à leurs besoins, améliorant leur bien-être, mais aussi veiller à diffuser ses innovations
pour qu’elles bénéficient au maximum de personnes possibles. L’insertion par l’activité
économique rejoint cette première caractéristique. Si les structures de l’IAE se différencient
par leur activité, organisation, taille ou encore leur public, elles ont en commun une finalité
sociale. Leur raison d’être est l’aide de personnes rencontrant des difficultés particulières
d’insertion sociale et professionnelle. Leur projet et leur statut les obligent à offrir des
services d’accompagnement et de formation pour que le salarié puisse surmonter ses
difficultés, s’adapter au rythme et à la vie de l’entreprise, acquérir des qualifications et ainsi
se réinsérer socialement et professionnellement. Elles ont aussi un rôle au niveau du
développement local. Elles permettent en effet bien souvent de répondre à des besoins de
proximité, de participer à la revitalisation de certaines régions ou quartiers. Le développement
et l’action des SIAE du réseau Ardense, dans les environs sinistrés de Lens, dans le Nord-Pasde-Calais, en est une illustration. Les SIAE participent donc à la création d’un capital social
qui doit être évalué pour justifier la rémunération de cette mission d’insertion par l’Etat.
1.2.1.2. Des objectif économiques indispensables
Le modèle développé par Muhammad Yunus s’inscrit dans une conception libérale de
l’entreprise. Parvenir à développer un modèle rentable et indépendant, capable d’exercer son
activité sur le marché libre est un objectif extrêmement important pour la structure car cela lui
permet de contrôler son activité et lui assure un développement pérenne.
Tout le champ de l’IAE ne rentre pas dans cette logique de rentabilité économique. Si
toutes les SIAE sont tenues de respecter un certain nombre d’objectifs sociaux assignés par
l’Etat, seules les entreprises d’insertion (E.I.), les entreprises de travail temporaire d’insertion
7
Prahalad, C.K. (2004). Fortune at the Bottom of the Pyramid: Eradicating Poverty through Profits, Wharton
School Publishing, Philadelphia, PA
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(E.T.T.I.) et les associations intermédiaires (A.I.), ont des objectifs économiques
contraignants. L’essentiel de leur budget doit provenir de leur activité commerciale.
De nombreuses réformes ont été entreprises pour encourager les SIAE à se tourner vers des
activités rentables, à délaisser des activités occupationnelles sans plus-value économique pour
se tourner vers des activités réelles dans des secteurs porteurs comme le bâtiment ou
l’environnement. Les clauses du mieux disant social insérées dans les marchés publics leur
offrent désormais l’opportunité d’élargir leur clientèle et d’améliorer leur chiffre d’affaires.
C’est aussi pour elles l’occasion de développer des relations étroites avec les collectivités
locales, des partenariats avec des entreprises traditionnelles et de remporter ainsi des contrats
annuels ou pluriannuels qui leur offrent une meilleure visibilité économique à moyen terme.
Il serait aisé d’objecter qu’aucune des structures de l’IAE ne rentre dans le cadre du social
business puisque toutes dépendent partiellement des aides publiques. Elles ne peuvent donc
être ni totalement autonomes économiquement ni indépendantes de l’Etat. Analysons donc la
nature et le fondement de ces subventions pour justifier la suite de notre étude. Selon
Matthieu Grosset, expert à l’Agence de valorisation des initiatives socio-économiques
(AVISE)8, l’activité d’une entreprise d’insertion peut être décomposée en une activité de
production de biens et services traditionnels à destination de clients que l’on pourrait qualifier
de classiques (des particuliers, des collectivités locales, des entreprises traditionnelles…) et
une mission de service public déléguée et rémunérée par l’Etat en fonction des résultats
obtenus. Les subventions d’exploitation que reçoivent les SIAE correspondent donc, non à de
la charité, mais au paiement de prestations effectivement réalisées et évaluées par l’Etat. Si
ces structures ne se préoccupaient pas de publics en grandes difficultés, elles n’auraient pas
besoin de mettre en place des entretiens aussi fréquents et personnalisés, des
accompagnements de proximité, des formations sur poste et en entreprises… L’emploi de
personnes qualifiées, sans problème, à la productivité normale, leur permettrait de mener à
bien leur activité sans aide publique spécifique. C’est parce qu’elles acceptent d’effectuer
cette mission d’accompagnement social qu’elles sont confrontées à des surcoûts liés
notamment à l’accompagnement supplémentaire, à la moindre productivité et à un turn-over
plus élevé. On ne peut donc remettre en cause la viabilité économique des modèles de l’IAE.
Il s’agit de considérer les subventions publiques comme la juste rémunération d’une
prestation de services d’insertion. Il est en revanche possible de mesurer le degré de
dépendance des SIAE aux aides publiques pour évaluer celles qui, malgré l’accueil de
personnes éloignées de l’emploi, parviennent à créer des modèles innovants, performants
8
Entretien téléphonique avec Matthieu Grosset, spécialiste de l’IAE à l’AVISE, réalisé le 15/04/09
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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socialement et économiquement. Lors de son audition au Sénat le 15 Avril 2008, Claude
Alphandéry9 a d’ailleurs montré que les subventions se justifient par la création de richesse
réalisée par les SIAE. En effet, des études régionales menées dans les régions Aquitaine et
Pays de Loire ont prouvé que l’IAE constituait un réel investissement social et humain, et non
un coût pour la collectivité. En retranchant des richesses produites et des coûts évités, les
subventions et les exonérations de charges sociales, les 344 SIAE du Pays de Loire ont
rapporté 42 millions d’euros à la région en 2002. En Aquitaine, cet impact local est évalué à
40 millions. On ne saurait donc considérer l’ensemble des SIAE comme des structures
assistées vivant aux crochets de l’Etat.
D’autre part, dans sa présentation du rapport du CNIAE « Lever les obstacles aux
promesses de l’IAE », le 15 juillet 2007, Claude Alphandéry explique que le projet social des
SIAE, accompagner et former des personnes en difficulté, les incite à multiplier les
innovations non seulement organisationnelles mais aussi managériales. En effet, selon lui, la
nature du recrutement, le besoin de prise en charge particulier des salariés les obligent à
mettre en place des méthodes de formation originales, de nouvelles formes de gouvernance,
des relations internes et externes à l’entreprise qui n’existent que rarement dans les structures
classiques. Les contraintes relatives au public recruté et à l’impératif ancrage dans
l’économique les incitent aussi à se positionner sur des créneaux d’activités innovants, des
niches d’activités délaissées dans les secteurs du bâtiment, de l’environnement ou de la
restauration ou encore d’autres secteurs à plus haute valeur ajoutée. Ce constat est partagé par
Matthieu Grosset10 qui distingue en effet les secteurs qui ont été porteurs (la collecte, le tri et
traitement de déchets, le BTP, la sous-traitance, la restauration…, secteurs où les besoins en
main-d’œuvre sont forts, ne demandent pas de pré-requis particulier et permettent d’employer
de nombreuses personnes sans formation pointue) des secteurs à plus forte valeur
ajoutée (éco-construction, mobilité durable, D3E11… ). Les métiers de l’IAE ne cessent de se
diversifier et il n’existe selon lui aucun métier dans lequel il ne soit pas possible de former
quelqu’un, même si cela signifie d’inverser le ratio encadrés/encadrants. En proposant de
former des personnes sur les métiers de la communication ou de l’événementiel, le Groupe
Alterna en est un exemple significatif. L’impératif de rentabilité étant un des fondements du
social business, il faut conserver un équilibre qui permet d’accompagner le salarié en insertion
de manière satisfaisante sans mettre en danger l’équilibre économique de l’entreprise. Le
modèle d’une entreprise traditionnelle qui recruterait quelques personnes en difficulté
9
Minutes du Sénat : www.senat.fr/rap/r07-445-2/r07-445-228.html
Entretien téléphonique avec Matthieu Grosset, expert à l’AVISE, réalisé le 15/04/09
11
D3E : Déchets des équipements électriques et électroniques
10
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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d’insertion sociale et professionnelle serait selon Matthieu Grosset une alternative qui
permettrait de diffuser un modèle et des valeurs sociales mises en pratiques sans mettre en
danger la pérennité de l’entreprise.
1.2.1.3. Une expérience ancrée localement avant tout développement
Le respect des principes fondateurs du social business énoncés ci-dessus, rentabilité
économique et impact social positif, et le succès du social business impliquent de trouver des
solutions concrètes pour surmonter les contraintes fortes imposées par ce modèle alternatif.
Parmi celles-ci, on peut souligner l’importance de l’ancrage au niveau local. En effet, pour
qu’une solution fonctionne, dans un contexte de pauvreté extrême, de méfiance par rapport à
l’activité, aux mondes de l’entreprise ou de la politique, il convient de nouer de liens de
proximité étroits avec la population cible. L’étude du développement de la Grameen Bank
nous le confirme. Cet organisme de micro-crédit a vu le jour au Bengladesh, pays d’origine de
Muhammad Yunus son fondateur. Celui-ci connaît donc la culture, les besoins du pays. Il a un
réseau et une légitimité qui lui ont permis de gagner la confiance des bangladais. On remarque
par ailleurs qu’il est toujours parti de l’échelle locale : les Grameen Banks sont adaptés aux
caractéristiques et aux attentes de chaque communauté.
L’insertion par l’activité économique rejoint cette logique d’ancrage dans le local. Les
entrepreneurs sociaux réagissent souvent à des problèmes locaux et développent une activité
pour contribuer à les résoudre. Le développement de l’association Ardense, autour de l’ancien
bassin industriel de Lens, en est une illustration. L’association Droit du Travail a été créée en
1988 pour résoudre les problèmes de chômage qui frappaient la région. Sa connaissance des
problèmes locaux, les liens tissés avec des personnes en situation d’exclusion et les parties
prenantes de la région, lui ont permis de développer des activités répondant non seulement
aux attentes de son public cible, mais aussi à celles des entreprises locales. Sans cette logique
de proximité et de dialogue, ce réseau de onze SIAE aujourd’hui n’aurait pu réussir.
1.2.1.4. Des activités responsables socialement mais aussi environnementalement
La dernière caractéristique du social business est son souci de préservation de
l’environnement. Par leur production, commercialisation ou gestion des ressources, les
structures relevant du social business ont un impact environnemental similaire à celui des
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 17 -
entreprises traditionnelles. Elles s’en différencient toutefois par leur respect de
l’environnement, d’autant que leur développement à l’échelle locale leur permet de contrôler
leur impact environnemental et d’intégrer les innovations environnementales et les bonnes
pratiques découvertes dans d’autres secteurs d’activité.
L’IAE rejoint cette préoccupation environnementale. L’observatoire 2007 des entreprises
d’insertion12 souligne que 75% des entreprises d’insertion sont concentrées dans six secteurs
d’activité : bâtiment travaux publics (17%), travail temporaire (17%), services aux entreprises
(13%), environnement espaces verts (12%), déchets (9%) et récupération (7%). Si les
nouvelles créations se font dans des secteurs relativement divers, il est intéressant de noter
que le BTP, l’environnement et les déchets sont les secteurs les plus prisés. Il est certain que
ce sont les secteurs qui se développent le plus dans un contexte de prise de conscience de
crise environnementale, et cela confirme l’intérêt du monde de l’IAE pour des activités qui
profitent non seulement aux hommes mais aussi à l’environnement.
L’IAE se révèle donc une illustration originale dans un contexte français du social
business. Elle en partage les valeurs en mettant l’homme au centre de son activité tout en
gardant des objectifs de rentabilité économique.
1.2.2. Quelles structures d’insertion rentrent dans le cadre du social business ?
Avant de poursuivre, il convient, pour délimiter le cadre de notre recherche, de préciser
quelles sont les structures qui composent l’IAE et quelles sont leurs caractéristiques. L’IAE
est en effet un secteur relativement vaste avec des structures aux statuts, projets sociaux et
financements différents. Toutes n’ont pas des objectifs économiques et ne rentrent donc pas
dans le cadre du social business. Cette recherche étudiera plus particulièrement les
associations chantiers d’insertion, les entreprises d’insertion, les entreprises de travail
temporaire d’insertion et les entreprises insérantes, structures qui sont étroitement liées et
souvent associées pour répondre de manière optimale à leur double objectif social et
économique.
12
C.N.E.I mag, n°42 Trimestriel et Automne 2008
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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1.2.2.1. Les associations et chantiers d’insertion (ACI)
Les ACI salarient et accompagnent des hommes et des femmes de tous âges, qui se
trouvent en situation précaire et confrontés à des difficultés d’ordre professionnel, social ou
personnel. Par la production de biens et services, ces ACI permettent à des adultes en
difficulté de retrouver un emploi et de (re)construire un projet socio professionnel.
Conventionnés par l’Etat, les ACI proposent à des personnes très éloignées de l’emploi une
première étape de réinsertion par le travail. Les biens et les services produits peuvent être
commercialisés lorsque cette commercialisation contribue aux activités d'insertion sociale et
professionnelle des personnes embauchées. Toutefois, les recettes qui en sont tirées ne
peuvent couvrir qu'une part inférieure à 30 % du budget global de la structure, voire 50% en
cas de dérogation accordée par le représentant de l’Etat dans le département et le conseil
départemental de l'insertion par l'activité économique si les activités développées ne sont pas
déjà assurées et satisfaites par les entreprises locales. Les salariés sont embauchés sous contrat
aidé du secteur non marchand. Les ACI bénéficient de différentes aides, dont une aide
spécifique à l'accompagnement.
Le nombre d’ACI n’est pas connu avec précision. La Dares13 estime à 3.300 le nombre
d'organismes qui portaient un atelier ou un chantier d'insertion en 2005 et à plus de 64 000
personnes le nombre de salariés y ayant travaillé.
13
Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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1.2.2.2. Les entreprises d’insertion (EI)
Nées dans les années 80, les EI ont vocation d’insérer par le travail des personnes en
grande difficulté14, de leur apporter le savoir-vivre, le savoir-faire et les compétences
nécessaires pour accéder, dans les meilleures conditions, au marché de l’emploi classique.
Comme en témoigne la durée du contrat à durée déterminée d’insertion, limitée à 24 mois,
l’EI n’est qu’un sas, un tremplin, vers le monde de l’emploi classique. Le parcours d’insertion
doit être à la fois cohérent, ascendant et temporaire, fondé et organisé sur la mise en situation
de travail. Cette démarche individualisée permet une requalification sociale, une
requalification professionnelle de base et une médiation vers l’emploi avec le développement
de moyens humains et compétences internes (encadrement technique formé au tutorat et à
l’approche des publics en difficulté, chargé d’accompagnement social et professionnel) et
externes (prescripteurs et partenaires).
L’originalité de l’EI est d’imbriquer indissociablement un projet économique et un projet
socioprofessionnel, quels que soient sa forme juridique et son domaine d’activité. Située dans
le secteur marchand, ses ressources financières proviennent essentiellement de la vente de
produits et/ou de services. Les EI, même sous statut associatif, sont assujetties à toutes les
obligations légales et fiscales des entreprises (Taxe professionnelle, Impôts sur les sociétés,
T.V.A., etc.) et appliquent les prix du marché. Les aides publiques perçues ne sont destinées
qu’à compenser le handicap que représente pour l’EI, la faible productivité des salariés en
insertion, leur mobilité obligée au terme de leur CDDI, ainsi que le surcoût généré par leur
encadrement et leur accompagnement. Le Conseil de la concurrence a d’ailleurs statué dès
janvier 1994 que « […] rien n’établit que, sur les marchés concernés, le jeu normal de la libre
concurrence soit faussé par l’octroi de subventions accordées aux entreprises d’insertion par
l’économique. ». Ce sentiment est renforcé par la circulaire DGEFP du 26 mars 1999 qui a
conditionné le soutien financier de l’Etat à la preuve de la viabilité économique de la
structure. La compensation allouée par l’Etat, après une procédure de conventionnement
renouvelée tous les trois ans au regard des résultats économiques et sociaux de la structure,
aide financière destinée « à compenser la faible productivité des personnes en insertion et le
surcoût d'encadrement, ainsi qu'à financer l'accompagnement social et professionnel. »,15 est
14
D’après l’article L.322-4-16-1 du Code du Travail, toute EI doit favoriser l’insertion des personnes sans
emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, et mettre en œuvre des modalités
spécifiques d’accueil et d’accompagnement
15
Circulaire DGEFP n°99-17
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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donc justifiée et contrôlée. Le montant forfaitaire perçu est de 9 681€ par an et par poste
d’insertion. Si le nombre d’équivalent temps plein (ETP) réalisé est inférieur au nombre
conventionné, alors cette aide est proratisée.16
Le handicap relatif au public inséré se révèle parfois un atout. Il conduit en effet les
créateurs et directeurs d’EI à faire preuve d’imagination, à défricher et occuper des territoires
économiques nouveaux. Si les EI sont très représentées dans les secteurs du BTP, de l’intérim
ou de la restauration, elles ont aussi (re)dynamisé certains secteurs comme la récupération, le
recyclage, le commerce d’occasion et l’entretien des espaces verts.17
Les EI se définissent enfin aussi par leur adhésion à la charte des entreprises d’insertion,
adoptée par le Comité national des entreprises d’insertion (CNEI) et les Unions régionales
d’entreprises d’insertion (Urei) en 1992. Cette charte les engage notamment à mettre en place
des outils d’accompagnement et d’évaluation sociaux et économiques.
1.2.2.3. Les entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI)
Instituées par la loi du 31 décembre 1991 sur la formation professionnelle et l’emploi, les
ETTI ont pour objet spécifique l’insertion de personnes en difficulté par l’exercice d’une ou
plusieurs activités économiques concurrentielles, dans le secteur marchand. Fonctionnant
comme une entreprise, avec ses contraintes, ses droits et devoirs, ses impératifs de production
et de qualité, elle organise la restructuration humaine, sociale et professionnelle de personnes
se trouvant en situation de marginalisation et d’exclusion. Elle se définit par le public
accueilli, qui est plus près de l’emploi que celui des ACI et des EI, son projet social, son
fonctionnement et son adhésion à une charte définie avec les Unions Régionales (UREI et
URSIE).
Associations ou sociétés commerciales, elles proposent des offres d’emploi à des
personnes en fin de parcours d’insertion, souvent dans la manutention, le bâtiment, l’entretien
et le nettoyage. Elles fonctionnent comme les agences d’intérim traditionnelles tout en
mettant en place des outils sociaux et professionnels adaptés à leur public. L’ETTI signe un
16
Le financement forfaire annuel est basé sur la notion d’Equivalent Temps Plein (ETP). Il est lié à la durée
collective du travail ramenée à 1 an. Une fois conventionnée, l’EI s’engage à embaucher des personnes en
grandes difficultés, dont le cumul des périodes de travail représentera 1 ETP sur 1 année.
17
CNEI Mag n°42 Trimestriel et Automne 2008
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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contrat de mise à disposition du salarié en insertion avec une entreprise cliente et assure
l’accompagnement et la formation du salarié. Cette mission d’accompagnement est rémunérée
par l’Etat de manière forfaitaire. Les ETTI reçoivent en effet 51 000 euros par an pour un
encadrant qui suit 12 salariés à temps plein. Il convient de remarquer que contrairement aux
EI, l’aide au poste n’est pas subventionnée. De plus, depuis 2005, elles ne sont plus exonérées
de cotisations patronales. Ses recettes proviennent donc de son chiffre d'affaires lié à sa
production et à la commercialisation de biens et/ou prestations de services.
1.2.2.4. Les entreprises insérantes
Les structures d’insertion par l’activité économique conventionnées par l’Etat ne sont pas
les seules structures de social business existant dans le champ de l’insertion. D’autres modèles
d’entreprises concilient des projets sociaux aux valeurs fortes et des modèles économiques
pérennes. Ces entreprises sont souvent proches du modèle des EI sans être conventionnées.
Elles ne reçoivent donc ni subvention d’exploitation, ni aides au poste ou à
l’accompagnement. Elles peuvent toutefois bénéficier d’aides ponctuelles locales et de
contrats aidés. La différence notable avec les EI concerne la relation de l’entreprise avec son
public. En effet, alors que l’EI ou l’ETTI ont des modèles relativement défavorables,
puisqu’elles recrutent des personnes en difficulté pour les former et les placer, une fois
formés, dans des entreprises traditionnelles, l’entreprise insérante conserve son personnel.
Certes, elle place au cœur de son projet social l’accompagnement de personnes en difficulté.
Elle investit pour les former et les aider à résoudre leurs problèmes. Mais au terme du contrat
aidé, elle offre aux salariés qui le souhaitent et avec lesquels la collaboration s’est bien passée
un contrat de droit commun, dans l’idéal un CDI. L’entreprise insérante est ainsi une
entreprise d’insertion temporaire, en fonction de son stade de développement. Même s’il
reconnaît que de telles initiatives sont encore rares, Patrick Sapy18, délégué national du
Réseau Entreprendre Autrement, y voit la preuve de la viabilité du social business et de la
possibilité de concilier de manière pérenne des objectifs sociaux et économiques.
18
Entretien téléphonique avec Patrick Sapy, Délégué national du Réseau Entreprendre Autrement, réalisé le
13/03/09
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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1.3. Le social business et l’IAE face à la critique
1.3.1. La critique sociale d’un modèle incomplet et complexe
1.3.1.1. L’objet du social business le rend plus complexe à développer efficacement
L’objectif du social business étant d’aider une population spécifique en difficulté,
l’entrepreneur social doit, pour réussir, définir de manière extrêmement précise et formalisée
quelle est sa cible, sur quels problèmes il souhaite agir et comment. Il doit par ailleurs adapter
son modèle aux spécificités locales pour maximiser son impact social. Apparaissent
immédiatement de nombreuses contraintes qui peuvent considérablement freiner le
développement de l’entreprise. En effet, évaluer l’impact social de l’activité implique de
réaliser un diagnostic précis de la situation personnelle de la population cible avant le recours
aux biens ou services proposés par le social business. Or ces informations sont souvent
difficiles à obtenir. Elles relèvent du privé et même dans l’IAE, où les personnes sont pourtant
suivies par de nombreux référents sociaux, elles sont difficiles et longues à obtenir.
L’entrepreneur peut ainsi se heurter à des difficultés spécifiques et être gêné pour développer
et répliquer son modèle s’il ne parvient pas à mettre en place des instruments de suivi et de
mesure adaptés et suffisamment précis pour prouver aux éventuels financeurs l’apport social
de l’activité.
Le cas des structures d’insertion par l’activité économique est emblématique de cette
difficulté à évaluer un impact social. En effet, lors du recrutement du salarié en insertion,
celui-ci est muni d’une fiche de liaison établie par un référent social. Cette fiche ne répertorie
pas toujours les problèmes du salarié de manière exhaustive19. Le diagnostic réalisé par
l’entreprise au début du parcours d’insertion est donc parfois inexact. D’autre part, même si
certaines SIAE tentent de garder contact avec leurs salariés après leur départ, le salarié étant
libre, il arrive dans près de 50% des cas qu’il ne donne pas de nouvelles. Comment mesurer
clairement l’impact social à long terme de l’entreprise alors ? D’autre part, mesurer un impact
social est complexe. La SIAE peut en effet déceler des problèmes de logement,
d’endettement, de maladie… Mais leur résolution ne dépend pas uniquement d’elle. Comment
alors évaluer de manière juste les points sur lesquelles l’entreprise a eu un réel impact ? Le
taux de sorties positives, ou le taux de sorties dynamiques qui sera à présent évalué pour
mesurer la performance des SIAE, suscite la polémique. En effet, le retour vers un emploi
durable n’est pas le seul axe d’action d’une SIAE et ce taux dépend de nombreux paramètres
19
D’après plusieurs entretiens, notamment avec Aïcha Boulenouar d’Id’ées Argenteuil
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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indépendants des moyens mis en œuvre par la structure : conjoncture, dynamisme du bassin
d’emploi, volonté du salarié de trouver un emploi, éventuelles maladies graves… Il convient
donc de définir des indicateurs de suivis pertinents et adaptés à l’action de chaque social
business.
1.3.1.2. Le social business, un modèle hypocrite qui permet de tirer profit des plus
pauvres ?
Dans son livre Fortune at the bottom of the pyramid, Prahalad défend l’idée que les
entreprises multinationales peuvent simultanément contribuer à réduire la pauvreté dans
certaines zones en permettant à des populations défavorisées d’avoir accès à de nombreux
produits et services et réaliser des profits significatifs en adaptant et vendant ces produits et
services à ces populations dont le potentiel commercial est généralement inexploité. Ce
concept d’activité économique rentable, pérenne et bénéfique pour les populations cibles a
toutefois été remis en question par des auteurs comme Karnani qui montrent que les
entreprises devraient d’abord s’attacher à augmenter les revenus des populations défavorisées
avant d’essayer de leur vendre des produits non indispensables. Dans son article « The mirage
of marketing to the bottom of the pyramid », Karnani démontre que les entreprises qui se
lancent dans le social business ne réduisent pas réellement leurs prix. Elles se contentent de
vendre de plus petits volumes et de proposer des crédits en profitant de la vulnérabilité de ces
populations qui, par leur manque d’éducation, d’information, toutes les privations
économiques, sociales et culturelles subies, sont plus tentées par des produits occidentaux. Le
social business doit donc être abordé avec prudence. Pour être conforme aux principes
énoncés plus haut, les entreprises doivent réduire le prix de produits et services sans réduire la
qualité et créer des emplois correctement rémunérés sur les territoires où elles s’implantent.
Le secteur de l’IAE qui se concentre sur l’accompagnement de sa population cible vers des
emplois durables et mieux rémunérés échappe par son objet social à cette critique.
1.3.1.3. Un risque de dérive vers l’économique au détriment du social ?
Même si Karnani démontre qu’il n’est pas possible de faire d’importants profits en se
concentrant sur le marché des pauvres (car les coûts de d’exploitation et de distribution sont
accrus par la dispersion géographique des populations cibles et car le pouvoir d’achat réduit
des pauvres accroît les coûts de transaction), il n’exclut pas la possibilité de développer des
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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activités à vocation sociale, économiquement pérennes, mais ne générant que très peu, voire
pas, de profit. Or, on peut imaginer que l’entrepreneur qui parvient à développer un social
business model économiquement fiable perde de vue les objectifs sociaux à l’origine du projet
et se concentre sur les profits économiques. Ce risque est indéniable. Il importe donc de
toujours conserver les valeurs fondatrices en mémoire et de mettre en place des structures de
contrôle de l’équilibre entre les dimensions économique et sociale. Dans les activités de mini
laiteries qui reviennent fréquemment lorsque l’on étudie le social business, les entrepreneurs
refusent souvent d’utiliser de la poudre de lait dans leur produit au lancement de leur projet.
Mais avec le temps, ils cèdent pour pouvoir produire du lait pendant l’hiver sans dépendre des
éleveurs. Ils se détournent ainsi de leur projet social initial. Pour éviter que les social
businesses se transforment progressivement en business, Muhammad Yunus considère que
toute véritable entreprise sociale doit réinvestir l’intégralité de ses profits financiers dans son
développement, l’accompagnement de ses salariés ou le développement d’autres projets
éthiques. Il est aussi impératif de mettre en place un certain nombre de gardes-fous pour éviter
que la logique économique ne l’emporte sur la logique sociale. Si on considère l’exemple de
l’entreprise lilloise Sinéo, il est intéressant de noter que, lorsqu’elle a choisi de développer un
réseau de franchisés, de nombreux acteurs et experts de l’IAE ont crié au scandale par crainte
de voir l’économique l’emporter sur le social20. Dans le secteur de l’IAE, cet équilibre est
contrôlé en permanence par l’Etat et les autres structures d’insertion, mais le manque
d’indicateurs sociaux complets et pertinents ne permet pas de lever ce risque.
20
Entretiens téléphoniques réalisés avec Matthieu Grosset de l’Avise le 24/04/09 et avec Olivier Desurmont de
Sinéo le 27/04/09
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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1.3.2. La critique économique de la viabilité du social business et de l’IAE
1.3.2.1. Des contraintes sociales qui grèvent les résultats économiques et sociaux
« L’insertion par l’activité économique apporte essentiellement des contraintes sur le plan
de l’organisation, du management et de la performance économique »21. En effet, comme le
mentionne Karnani dans « The mirage of marketing to the bottom of the pyramid », il est
extrêmement difficile de faire des profits conséquents en étant réellement social. Il en résulte
que ces modèles alternatifs disposent de peu de moyens financiers pour améliorer leur
organisation, leur management et se structurer pour être plus efficaces socialement et
économiquement. Le nombre de contraintes imposées par l’objet social des SIAE est
impressionnant : manque de productivité, taux d’absentéisme et turnover élevés, nécessité
d’employer des ressources humaines dédiées à l’accompagnement du salarié, temps consacré
à la formation etc. Or, pour être compétitive sur le marché concurrentiel, l’entreprise ne peut
se permettre d’imputer son effort d’insertion sur le prix du produit ou du service
commercialisé. Même si l’Etat rémunère partiellement la prestation d’insertion des SIAE
(l’aide au poste n’a pas été revalorisée depuis 2002), elle doit financer une partie de sa
mission sociale grâce au résultat dégagé. On voit dès lors que ces modèles ne peuvent se
développer de manière autonome rapidement par manque de capitaux propres ni accroître les
méthodes d’accompagnement des salariés sans risquer de mettre l’entreprise en danger.
L’équilibre entre social et économique limite donc de fait à la fois les opportunités d’aide
sociale et de profits économiques.
1.3.2.2. L’IAE, un modèle qui reste dépendant des pouvoirs publics
Comme nous l’avons mentionné en étudiant les caractéristiques du social business, il
importe que le modèle développé soit économiquement viable pour se détacher des financeurs
externes et permettre à l’entrepreneur de développer son activité comme il le souhaite. Ce
principe d’autonomie financière est remis en cause dans le cas de l’IAE. On ne peut en effet
ignorer les liens de ces structures avec l’Etat, qu’il s’agisse de financement ou de contraintes
de résultat. L.M.Salomon22 rappelle d’ailleurs les limites de l’approche économique
néoclassique du Tiers Secteur. Selon lui, les organisations sans but lucratif sont confrontées à
différentes formes de défaillances parmi lesquelles une « insuffisance philanthropique ».
21
Entretien téléphonique avec Kenny Bertonnazzi de Step SA, réalisé le 29/04/09
L.M. Salomon cité dans la thèse, Pratiques et théories de l’économie sociale et solidaire, (2004), A.M.
Alcolea Bureth
22
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Selon lui, ces structures sont pas capables de générer assez de ressources pour assurer seules
la production et la distribution des services et biens demandés. Dans sa thèse, Pratiques et
théories de l’économie sociale et solidaire, (2004), A.M. Alcolea Bureth explique d’ailleurs le
risque de voir se développer un certain clientélisme. Selon elle, l’IAE s’inscrit dans un
« triangle de la protection sociale », l’Etat, le Tiers secteur et les entreprises traditionnelles
s’influençant mutuellement. Elle souligne toutefois qu’il existe de nombreuses tensions liées
aux valeurs économiques entre une économie de marché formalisée, institutionnalisée et un
monde de particularismes, attaché aux valeurs sociales. Là où les entreprises traditionnelles
recherchent la maximisation du profit, les entreprises de l’économie sociale et solidaire
recherchent prioritairement des bénéfices collectifs en termes d’externalités positives sociales,
écologiques ou d’équité. Il est intéressant de constater la réaction des acteurs du secteur de
l’IAE face à ces critiques économiques et d’étudier comment certains ont su restructurer leur
organisation pour pallier ces défaillances.
1.3.2.3. Un modèle très local, donc difficilement duplicable ?
Selon les principes du social business, tout entrepreneur social doit essayer de maximiser
son impact social. Une fois son modèle expérimenté et validé localement, il s’agit donc de le
reproduire en capitalisant sur l’expérience et en mutualisant de nombreuses fonctions support.
Or, le social business est souvent mis en place à une échelle très locale. L’entrepreneur doit
donc composer avec deux logiques contradictoires : répliquer un modèle en préservant ses
caractéristiques fondamentales et toujours s’adapter aux spécificités locales. Or dans le cas de
l’insertion par l’activité économique, les hommes, les partenaires institutionnels et privés et le
dynamisme de la région d’implantation jouent un rôle déterminant dans la réussite des
structures. Il est donc parfois difficile de répliquer le modèle avec succès sur tout un territoire.
La majorité des SIAE demeurent donc de petites entreprises d’insertion locales. Elles n’ont
donc souvent pas les moyens de développer des politiques de communication et de
commercialisation bien structurées qui leur permettraient de mutualiser certaines fonctions, de
réaliser des économies d’échelle et de pouvoir ainsi répondre à des marchés importants. Elles
doivent supporter à elles seules la totalité de leurs coûts de structure, ce qui est souvent lourd
économiquement et les empêchent de faire du développement. Aujourd’hui, les modèles qui
parviennent à se dupliquer sur le territoire français sont encore rares. Sinéo en est une belle
illustration.
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1.4. Le choix d’une approche de l’IAE sous différentes formes
1.4.1. Pourquoi l’IAE ?
Notre compréhension du social business nous incite à penser que les critiques formulées à
son encontre seraient justifiées si on considérait la mission d’insertion comme un service
délégué par l’Etat. Or les SIAE sont loin de la philosophie de l’assistanat et de la dépendance.
Une nouvelle génération d’entrepreneurs sociaux voit le jour et le concept de social business
semble avant tout chercher à stimuler la réflexion et la créativité des acteurs du secteur en les
exhortant à changer de mode de pensée et de perspective.
Il est donc intéressant d’étudier comment se restructure progressivement le monde de
l’IAE. Quelles innovations structurelles, managériales et organisationnelles sont mises en
œuvre ? Quels nouveaux modèles émergent qui permettent de mettre en pratique de manière
pérenne les théories du social business ?
1.4.2. Les critères essentiels et la définition choisie
Ce mémoire envisagera le social business comme l’ensemble des initiatives s’inspirant des
principes énoncés par Muhammad Yunus, qui permettent à terme de maximiser l’impact
social d’une activité tout en étant rentable économiquement, donc facteur de création
d’emploi et de dynamisme sur un territoire.
Toutes les SIAE ne rentrant pas dans le champ du social business, nous nous intéresserons
avant tout aux modèles qui ont su se structurer pour allier rentabilité économique et
performances sociales, soit principalement des entreprises d’insertion, intégrées dans des
ensembles parfois plus vastes qui les associent à d’autres entreprises d’insertion, des chantiers
d’insertion, voire des entreprises traditionnelles.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 28 -
PARTIE 2.
METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
Cette seconde partie sera l’occasion d’approfondir notre question de recherche initiale,
«Dans quelle mesure est-il possible de concilier objectifs économiques et sociaux ? Quelles
sont les configurations les plus performantes socialement, économiquement ou qui
parviennent à conjuguer économique et social ? » pour déceler les enjeux qu’elle soulève.
2.1. Hypothèses de recherche
L’objectif de ce mémoire est de confirmer ou d’infirmer la promesse du social business de
contribuer à améliorer les conditions de vie des plus démunis de manière pérenne sans mettre
en danger l’activité économique de la structure. Les lectures et les entretiens réalisés avec des
acteurs et des experts de l’IAE ou des créateurs d’entreprises nous ont permis de dégager un
certain nombre d’hypothèses sur la viabilité de certains modèles développés dans l’IAE.
Il est ainsi intéressant de remarquer que même si les études de faisabilité menées
préalablement à la création de toute structure de l’IAE tiennent compte des deux aspects
économique et social, le projet social est la raison d’être de la majorité des SIAE. Pour toutes,
il est une composante fondamentale à laquelle les structures ne peuvent renoncer sans perdre
leur âme. La recherche d’un impact social positif précèderait donc celle de la rentabilité
économique. Abandonner l’objectif de performance sociale reviendrait à sortir du champ de
l’IAE et donc de nos recherches.
Par ailleurs, la performance sociale ne saurait être durable sans le soutien de l’économique.
Nous faisons donc l’hypothèse que les SIAE permettent de mettre en pratique les théories du
social business et concilient donc les dimensions « people » et « profit » de la « tripple bottom
line ».
Notons que la profitabilité de l’implication sociale des entreprises demeure très
controversée aujourd’hui. De nombreux économistes s’opposent sur ces questions de
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 29 -
compatibilité entre le profit économique et une gestion responsable des hommes et de
l’environnement. Ainsi, la théorie de C.K. Prahalad, selon laquelle les entreprises
multinationales peuvent réaliser des profits significatifs en vendant leurs produits et services à
des populations défavorisées tout en améliorant leurs conditions de vie, est remise en cause
par A. Karnani, notamment dans « The mirage of marketing to the bottom of the pyramid » et
« Doing well by doing goog. Case Study : ‘Fair and lovely whitening cream’ ». Dans le
second article, l’auteur montre que l’entreprise a exploité le manque de jugement des pauvres,
leur vulnérabilité, pour leur vendre un produit à l’efficacité incertaine. Elle profite de la
crédibilité et des aspirations des femmes indiennes. La crème blanchissante vendue par HLL,
une filiale d’Unilever, tire en effet profit de la vulnérabilité des femmes indiennes,
particulièrement sensibles à un produit présenté comme une porte vers l’émancipation et
l’amélioration des conditions sociales. Il démontre par ailleurs dans son article qu’il n’est pas
possible de réaliser de profits significatifs sur le marché des pauvres. Ces démonstrations
confirment l’intérêt d’approfondir l’étude de la concrétisation des principes du social business
dans le cas de l’IAE.
Forts de nos lectures et de nos entretiens, nous avons dégagé un certain nombre d’éléments
qui expliquent la réussite économique et sociale de certains modèles. Il semble en effet que
les choix stratégiques et organisationnels aient un impact sur les performances économiques
et sociales de SIAE. Nous avons donc synthétisé les facteurs de succès en deux catégories :
•
Les choix organisationnels :
-
Se professionnaliser et se comporter comme une entreprise classique,
-
S’organiser en réseau, fédération ou groupe pour mutualiser ainsi les coûts de
structure, gestion, administration, et maintenir la cohérence entre les entités par le
contrôle de l’équilibre entre économique et social.
•
Les choix stratégiques :
-
Tisser des liens étroits avec des partenaires publics ou privés locaux,
-
Choisir des activités innovantes à haute valeur ajoutée,
-
Innover continuellement par la création de nouvelles structures complémentaires.
Par ailleurs, nous formulons aussi l’hypothèse que les résultats observés sont corrélés à
d’autres éléments : âge de la structure, secteur d’activité, dynamisme de la région, ainsi qu’à
d’autres
paramètres
qu’il
s’agira
de
déterminer
plus
précisément.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 30 -
2.2. Définition des critères de performance sociaux et économiques
2.1.1. Applications des modèles du social business à l’IAE : quelle pertinence ?
Le concept de social business se décline selon des modèles tellement variés qu’il est
difficile d’en répertorier toutes les activités et les formes d’organisation existantes. La
classification la plus répandue est celle qui classe les différents types de social business en
fonction de leur organisation et donc de leur action pour réduire la pauvreté.
Le premier grand modèle de social business est celui qui consiste à intégrer les travailleurs
et producteurs de pays en développement dans les échanges mondiaux en leur permettant de
vendre produits et services aux populations des pays développés. Le commerce équitable par
exemple rentre dans cette logique à condition que tous les profits réalisés soient réinvestis
dans l’entreprise. Les plus démunis sont alors fournisseurs de matière première ou salariés. Ce
modèle leur offre un revenu et des conditions de travail décents ainsi que l’accès à un marché
où ils peuvent vendre leur production sans obligation de passer par des intermédiaires prenant
des commissions importantes. Ce premier modèle permet aux plus démunis d’avoir des
revenus réguliers, de créer de l’activité dans des zones reculées, d’améliorer les méthodes de
travail par l’aide de personnes qualifiées, de créer un lien social fort autour d’une activité et
de résoudre certains problèmes sociaux des salariés comme l’accès à l’école, à la santé… Les
profits économiques permettent parfois de développer d’autres activités, accroître le
dynamisme local et contribuer ainsi à réduire la pauvreté dans la région. Ce modèle est
illustrée par des SIAE comme Alter Mundi, filiale d’insertion par le commerce de mobilier
équitable du Groupe Alterna, ou les EI du réseau Ardense qui participe à la revitalisation de la
région de Lens.
Le second modèle est celui du « bottom of the pyramid » théorisé par C.K. Prahalad dans
son article « Fortune at the bottom of the pyramid ». L’idée est ici que toute personne pauvre
est aussi un client potentiel, avec des besoins et des envies, et qu’il faut mettre à sa disposition
des produits de qualité à prix très faibles. Le principe est d’accroître l’accessibilité au bienêtre pour les plus démunis tout en construisant un modèle économiquement rentable. Les
exemples de partenariats sont nombreux : entre la Grameen Bank et Danone ou Véolia, entre
Accion et ABN AMRO ou Microsoft et Pratham. Ce modèle semble toutefois éloigné du
cadre de notre recherche, même si certaines SIAE, comme Envie, ASF ou Emmaüs Défi23,
essaient d’avoir un impact à la fois amont et aval, en permettant aux plus pauvres d’avoir un
23
Ces SIAE emploient des personnes en insertion pour collecter du mobilier, de l’électroménager ou des objets
divers. Le matériel collecté est ensuite remis en état par ces personnes en difficulté et revendu à prix cassés pour
permettre à des personnes d’y avoir accès.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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revenu fixe et décent et en mettant sur le marché des produits de qualité à faibles prix, donc
accessibles aux personnes en difficulté.
Cette première typologie nous semble donc peu adaptée à notre recherche. Il n’y a pas un
modèle qui fasse l’unanimité au niveau empirique, mais une multitude de pratiques pour
appliquer les principes du social business. Les initiatives sont généralement individuelles. Ce
sont parfois des approches approximatives, des tâtonnements organisationnels avant de
parvenir à un modèle solide et partagé ensuite avec les acteurs du secteur. Le cas de Sinéo24
en est une illustration. Cette entreprise d’insertion s’est en effet constituée autour d’un
entrepreneur convaincu par la double nécessité de préserver les ressources naturelles,
notamment l’eau, et d’aider des personnes démunies. La SARL n’est devenue entreprise
d’insertion qu’au bout d’une année et continue de se structurer pour se développer tout en
restant innovante en matière de technologies et procédés écologiques et d’accompagnement
vers l’emploi. Une typologie plus fine semble donc plus adaptée à notre étude. On pourrait
ainsi classer les SIAE étudiées selon trois catégories :
-
C1 : Les SIAE traditionnelles, positionnées sur des métiers à faible valeur ajoutée,
ayant de forts besoins de main d’œuvre.
-
C2 : Les SIAE intermédiaires, positionnées sur des métiers à plus forte valeur ajoutée,
ayant toutefois un ratio d’encadrants sur salariés en insertion inférieur à 1.
-
C3 : Les SIAE innovantes, positionnées sur des métiers à haute valeur ajoutée,
inversant parfois le traditionnel ratio encadrant sur salariés en insertion.
Il convient d’étudier si cette typologie est pertinente pour réaliser une analyse comparative
des performances économiques et sociales des SIAE.
2.1.2. Définition de la création de valeur pour l’organisation
2.1.2.1. Comment mesurer la création de valeur sociale ?
Le social business est un modèle alternatif intéressant sur le plan de la création de valeur
car il permet théoriquement de concilier des résultats économiques positifs, ou du moins non
négatifs, et un impact social positif.
24
Entretien téléphonique avec Olivier Desurmont, fondateur de Sinéo, réalisé le 27/04/09
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 32 -
Dans le cadre de cette recherche, centrée sur les modèles innovants développés par les
entreprises d’insertion par l’activité économique, nous nous intéresserons à la création de
valeur du point de vue de l’entreprise et de ses salariés. En effet, même si de nombreuses
études montrent que l’insertion par l’activité économique a un impact économique et social
sur les territoires où elle est développée, il ne nous semble ici pas pertinent d’étudier la
création de valeur des parties prenantes autres que les salariés. Étudier la valeur ajoutée de
l’activité pour l’ensemble de la communauté, les riverains, les clients, etc. introduirait en effet
dans notre recherche une dimension environnementale dans de nombreux cas (la majorité des
SIAE étant spécialisées dans le BTP, l’environnement et les déchets25). L’analyse en serait
donc plus complexe. L’idée de cette recherche est en effet d’évaluer s’il est possible de
concilier performances économiques et sociales et comment.
Mesurer et comparer la création de valeur sociale des SIAE implique de se doter
d’indicateurs précis, communs à toutes les structures. Or le manque d’uniformité des modèles
rencontrés dans l’IAE, la complexité des parcours d’insertion, la confidentialité de données
qui relèvent du privé et sont difficiles à obtenir, empêchent d’évaluer de manière fiable et
précise l’impact social de l’entreprise. Pour contrôler l’action des SIAE, l’Etat a mis en place
un indicateur spécifique : le taux de sorties positives, devenu aujourd’hui le taux de sorties
dynamiques. Ce taux indique la proportion de salariés ayant retrouvé un emploi durable à la
fin du parcours d’insertion. Aujourd’hui la moyenne nationale tourne autour de 50% de
sorties positives et l’Etat a fixé un minimum de 60% de sorties dynamiques à atteindre d’ici
trois ans pour être jugée performante. L’avantage de cet indicateur est qu’il est suivi par
toutes les SIAE. Il nous permettra donc de comparer l’impact social des SIAE étudiées dans
ce mémoire.
Notons toutefois que les résultats devront être relativisés car cet indicateur présente
plusieurs défauts. En effet, il ne prend pas en compte les moyens déployés par la structure
pour aider ses salariés, ni l’évolution de ceux-ci entre le début et la fin du parcours d’insertion
sur divers problématiques extraprofessionnelles telles l’endettement, le logement, la santé
etc.. De plus, il dépend de paramètres sur lesquels l’entreprise n’a aucune influence : le
contexte économique, le dynamisme du bassin d’emploi, la motivation du salarié, d’éventuels
problèmes de santés graves. Comme le soulignait M. Desbrest de Recup Tri26, les taux de
sorties positives risquent de baisser en 2009 car les entreprises traditionnelles ont freiné, voire
gelé, leurs recrutements. Les SIAE ne peuvent en être tenues responsables.
25
26
CNEI Mag n°42 Trimestriel et Automne 2008
Entretien téléphonique avec Jean Pierre Desbrest de Récup Tri réalisé le 16/04/09
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Pour compléter cet indicateur, nous utiliserons donc des données qualitatives recueillies
lors de nos entretiens comme des moyens mis en œuvre par les entreprises pour accompagner
efficacement leurs salariés, les partenariats développés avec des réseaux ou des entreprises
traditionnelles. L’absence d’études nationales et de suivi précis des SIAE et de leur impact
social restreint malheureusement la portée de nos conclusions.
2.1.2.2. Comment mesurer la création de valeur économique ?
Evaluer correctement la profitabilité des initiatives sociales implique d’analyser et de
comparer les performances économiques des structures étudiées. Plusieurs indicateurs
semblent pertinents :
-
Le ratio (subventions/produits d’exploitation) qui traduit la dépendance financière aux
aides publiques.
-
Le ratio (résultat net comptable/chiffres d’affaires) qui permet d’évaluer la rentabilité
commerciale de la structure.
-
Le ratio (résultat net comptable/effectif) qui permet d’évaluer la création de richesse
par salarié.
Si ces ratios sont obtenus de manière similaire pour toutes les structures, chaque SIAE
ayant un bilan et un compte de résultat obéissant aux normes comptables françaises, il
convient de remarquer que des paramètres comme l’âge et le secteur d’activité pourraient
avoir une influence introduisant un biais dans la comparaison. Il conviendra donc de vérifier
la corrélation entre ces paramètres et l’âge ou le secteur d’activité de la SIAE.
Par ailleurs, évaluer la performance économique d’une SIAE implique d’identifier les
charges et les bénéfices potentiels à étudier dans le cadre de notre étude empirique.
S’agissant des bénéfices économiques de modèles sociaux, nous sommes obligés de
constater qu’ils sont extrêmement réduits dans le cadre de l’insertion par l’activité
économique. Certes, certains marchés comportent des clauses d’insertion sociales qui obligent
les entreprises classiques à effectuer un certain nombre d’heures avec des salariés en
insertion, comme les chantiers en rue qui réservent 5% des heures totales à des entreprises en
insertion ou les marchés publics qui comportent une clause favorisant les entreprises les plus
sociales. Néanmoins, comme le soulignait M. Bertonnazzi dans un entretien27, ces clauses du
27
Entretien téléphonique avec Kenny Bertonnazzi de STEP réalisé le 28/04/09
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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« mieux disant social » ne présentent pas de réel avantage. Les critères pour remporter un
appel d’offre sont en effet avant tout le prix et la qualité. Les seules structures d’insertion qui
peuvent avoir un réel avantage économique à faire de l’insertion sont les structures accueillant
des personnes handicapées que nous excluons volontairement de notre recherche. En effet,
passer par de telles structures permet aux entreprises traditionnelles d’échapper à la taxe
AGEFIPH28 imposée aux entreprises ne respectant pas le quota de 6% de salariés handicapés
dans leur personnel. À prix et qualité équivalents, l’entreprise traditionnelle a donc intérêt à
sous-traiter une partie de son activité à des structures d’insertion pour handicapés. Dans les
autres structures d’insertion, on ne constate pas de dispositif légal aussi avantageux. Le projet
social des SIAE ne génère donc pas de bénéfices, ou des bénéfices dérisoires qu’il est difficile
de chiffrer.
Les coûts relatifs à l’effort d’insertion sont en revanche importants. Même s’ils demeurent
difficiles à estimer avec précision, il est possible d’en faire une modélisation approximative
sur le modèle suivant.
Ressources
Charges liées à l’effort d’insertion
- Aides au poste
- Différentiel de productivité par rapport à
- Salaires d’éventuelles personnes mises à une entreprise normale (turnover et manque
disposition par des contrats « Passerelle » de qualification), variable selon les publics
avec des entreprises traditionnelles
employés et les structures.
- Salaire du chargé d’accompagnement socio
professionnel qui s’occupe du parcours et des
relations avec les partenaires et entreprises
locales
- Valorisation au prix du salaire (et non au
prix de vente) des x% de temps passé à
l’accompagnement, la formation du salarié :
x% de la masse salariale
- Actions liées à la préparation des outils
d’accompagnement : passage du permis de
compétences
informatique
européen,
formation…
28
AGEFIPH : Association de Gestion du Fonds pour l'Insertion professionnelle des Personnes Handicapées
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 35 -
Il est important de n’oublier ni le temps consacré au développement de bonnes relations
avec les partenaires publics et privés, ni celui consacré à la gestion de questions
administratives obligatoires pour une entreprise d’insertion. Cette contrainte est parfois
tellement importante qu’elle peut amener l’entrepreneur social à renoncer à certaines
subventions, comme le mentionne M. Bertonnazzi dans un entretien. Par ailleurs, les SIAE
sont souvent appuyées dans leur développement par des réseaux comme France Active ou
Réseau Entreprendre Autrement qui apportent leur expertise, leur temps et des moyens
financiers, qui sont difficilement chiffrables. S’ajoutent à ces coûts directement liés à l’effort
d’insertion d’autres coûts de développement et de structuration des SIAE réunies sur un
territoire en réseau pour mutualiser les coûts et permettre à ces structures d’accompagner leurs
salariés de manière plus efficace et de répondre à des appels d’offres plus importants. Si cette
mutualisation des coûts peut éventuellement se chiffrer économiquement, il est en revanche
nettement plus difficile d’évaluer économiquement l’impact de l’accompagnement social,
d’autant que le modèle de l’IAE implique nécessairement un turnover élevé. Il aurait donc été
intéressant d’utiliser un indicateur illustrant le taux de participation de la SIAE dans l’effort
d’insertion. Le manque de temps et la complexité des données à obtenir nous en ont
malheureusement empêché.
Par ailleurs, le social business implique un certain nombre de conséquences économiques
indirectes difficiles à chiffrer. En effet, dans un contexte où la responsabilité sociale et
l’éthique des entreprises sont de plus en plus évaluées, une entreprise sociale peut à terme
bénéficier d’un atout par rapport à d’autres entreprises traditionnelles. De plus, les
innovations que ces structures sont obligées de mettre en place pour se développer de manière
efficace sans perdre leurs valeurs leur permet de « se structurer plus rapidement qu’une PME
traditionnelle » selon Matthieu Grosset29. Leur management plus efficace et personnalisé est
un atout en matière de gestion de l’activité et de création de nouvelles opportunités.
29
Entretien téléphonique avec Matthieu Grosset de l’Avise réalisé le 24/04/09
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 36 -
2.3. Présentation d’une méthodologie adaptée
Il convient désormais d’expliquer le choix de notre méthode d’analyse empirique, ce qui
implique de justifier l’échantillon sélectionné et d’identifier des sources d’informations
pertinentes.
L’étude de la performance des différents modèles de l’IAE, sur les plans social et
économique, nous invite à effectuer une comparaison des données recueillies sur une
sélection de SIAE. À l’aide des informations chiffrées et des indicateurs choisis
précédemment, nous effectuerons donc plusieurs analyses pour évaluer dans un premier temps
quelles sont les structures les plus performantes socialement, économiquement ainsi que
celles qui parviennent à concilier de manière optimale ces deux objectifs a priori peu
compatibles. À partir des résultats obtenus grâce à cette analyse synthétique et des données
qualitatives recueillies, nous pourrons alors dégager les forces des modèles qui parviennent à
concilier les deux principes fondamentaux du social business : performance économique et
impact social positif.
La restructuration des SIAE étant relativement récente, peu d’études comparatives précises
existent aujourd’hui. Les modèles innovants les plus intéressants sont le fruit d’entrepreneurs
sociaux de la nouvelle génération, acquis à la philosophie du social business. Ce sont des
modèles relativement jeunes, en plein développement donc en cours de réalisation et de
structuration. La méthode de l’entretien semi-directif avec différentes personnes de SIAE
sélectionnées était donc le seul moyen de capter la variété des profils et les différentes
innovations déployées.
Comment faire une sélection de structures pertinente ?
Comme l’indiquait Matthieu Grosset30, la majorité des SIAE demeurent de petites
structures, des PME d’insertion qui manquent de moyens pour se développer, remporter des
contrats et acquérir une visibilité leur permettant d’améliorer leur impact social31. Certaines
parviennent toutefois à se développer et s’organiser en réseau de manière apparemment très
profitable. Le panel de SIAE sélectionnées doit donc regrouper aussi bien de petites structures
autonomes, sans appartenance à des groupes ou réseaux, que des structures appartenant à des
organisations plus complexes. Nous avons donc choisi de comparer des modèles traditionnels
30
31
Entretien téléphonique avec Matthieu Grosset de l’Avise réalisé le 24/04/09
idem
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 37 -
(classe C1 évoquée précédemment), des modèles intermédiaires indépendants ou liés à des
réseaux ou groupes (classe C2), et des modèles encore relativement rares situés dans les
secteurs à haute valeur ajoutée (classe C3), dotés d’une bonne visibilité et engagés dans des
logiques de développement et structuration intéressantes.
En outre, il était important que notre étude tienne compte des différents modèles
stratégiques et organisationnels existant aujourd’hui en France. Nous avons sélectionné les
SIAE parmi une quarantaine de structures indépendantes ou appartenant à des Groupes ou des
réseaux (Annexe 1). Les choix organisationnels et stratégiques induits par le rattachement ou
non à une organisation complexe nous semblaient en effet un élément de réussite à tester
important. Nous avons ainsi choisi d’étudier vingt-sept structures, juridiquement autonomes
(Annexe 2). Ce nombre nous paraît assez représentatif, compte tenu de la difficulté à réunir
des informations précises dans ce secteur.
Pour compléter les informations recueillies et les résultats obtenus, nous avons aussi
contacté des experts de l’insertion par l’activité économique. Outre la difficulté à trouver des
exemples pertinents et recueillir des informations précises concernant les résultats
économiques et sociaux et les moyens mis en œuvre pour les maximiser, il faut souligner
l’absence d’uniformité des modèles développés par les entreprises qui rend difficile
l’agrégation des informations obtenues. On entraperçoit donc les limites de l’analyse d’une
stratégie ambitieuse et complexe dans le cadre d’un mémoire de recherche.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 38 -
PARTIE 3.
ANALYSE DES RESULTATS DE L’ETUDE EMPIRIQUE
3.1. Des exemples de mise en œuvre de l’IAE qui confirment la viabilité
de la combinaison d’objectifs sociaux et économiques sur le long terme.
Nous avons choisi d’étudier quarante-trois structures appartenant à des organisations plus
ou moins complexes de l’IAE pour voir si ces structures parviennent à décliner de manière
opérationnelle les principes du social business et comment.
Sur les quarante-trois structures identifiées dans l’Annexe 1, seules vingt-sept ont fait
l’objet d’une évaluation approfondie des résultats économiques et sociaux. Ces derniers sont
présentés dans l’Annexe 2. En revanche, pour chacun des modèles étudiés (Groupe, Réseau,
Franchises, Indépendant…), les informations recueillies permettent d’évaluer les forces des
choix stratégiques et organisationnels. Il convient de remarquer toutefois que l’objectif de ce
travail est de déceler les innovations qui ont permis à certaines structures d’être plus
performantes que les autres. L’analyse est donc à la fois quantitative et qualitative.
3.1.1. Quel impact social ?
Le projet fondateur des SIAE est un projet social : accompagner des personnes en grande
difficulté vers des emplois durables et les aider à se réadapter aux règles de vie en société et
en entreprise. Le taux de retour vers des emplois durables, illustré par le taux de sorties
positives, permet de comparer la performance des structures étudiées. On observe que
globalement ce taux oscille entre 40 et 70%32 (Annexe 2). Trois entreprises ont des taux
supérieurs à 60% : Matatou, entreprise insérante spécialisée dans le transport d’enfants ayant
des troubles du comportement (cas 17), Sinéo, entreprise d’insertion spécialisée dans le
lavage de voiture sans eau (cas 13) et ASF, atelier et chantier d’insertion spécialisé dans la
32
Pour les SIAE du Groupe SOS (cas 1 à 12) et de la Table de Cana (cas 18 à 20), nous avons estimé ces taux à
51%, les personnes rencontrées nous ayant indiqué que les taux étaient supérieurs à 50%.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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remise en état de matériel informatique, d’équipement de gymnastique et de distribution de
chaussures Véja (cas 22). Cinq sont en dessous des 50% de sorties positives : Envie 2E,
spécialisée dans le traitement des D3E (cas 2), les entreprises du Groupe Ares Services (cas
14,15,16) et Récup Tri, atelier et chantier d’insertion spécialisées dans le déchet (cas 26).
Il est intéressant de constater que les trois structures les plus performantes socialement sont
extrêmement jeunes. Leurs créateurs appartiennent à la nouvelle génération de l’économie
sociale et solidaire. D’après les entretiens réalisés avec Claire Lescat (Matatou), Olivier
Desurmont (Sinéo) et Alexandre Guilly (ASF), ils ont développé des systèmes de suivi des
salariés précis et formalisés pour rendre plus efficace l’accompagnement des salariés
(entretiens fréquents, logiciel spécifique, mutualisation des bonnes pratiques et compétences
avec d’autres entreprises du secteur, etc.). Dans le cas de Matatou, il convient de noter que ce
taux de 100% correspond au statut particulier de la structure. En effet, Matatou se distingue
des autres structures car elle ne relève pas juridiquement du champ de l’IAE. Elle recrute
donc un public en difficulté, le forme, mais à l’issue de la période de formation, le salarié
intègre généralement l’entreprise et son contrat aidé est transformé en contrat à durée
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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indéterminée. Les entreprises d’insertion n’y sont pas autorisées. Au terme de son parcours
d’insertion de deux ans maximum, le salarié doit regagner une entreprise classique.
En ce qui concerne les cas les moins performants, on constate qu’il s’agit d’activité à
moindre valeur ajoutée : logistique, déchets, chantiers etc.. Il convient toutefois de relativiser
ces taux car, si Récup Tri avoue avoir du mal à nouer des partenariats avec des entreprises
traditionnelles, Ares Services a mis au point de nombreux outils de suivi performants qui sont
aujourd’hui partagés avec d’autres structures comme la Table de Cana, ASF ou Sinéo.
Le taux de sorties positives étant un indicateur qui dépend aussi de paramètres
indépendants des moyens mis en œuvre par l’entreprise, il s’agit de vérifier si les taux
observés dépendent de l’âge des structures ou de leur activité pour en tenir éventuellement
compte dans notre analyse comparative. L’étude de la corrélation entre l’âge de la SIAE et
son taux de sorties positives montre que ce paramètre n’influe pas sur la performance sociale
de l’entreprise.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 41 -
L’analyse comparative des taux de sorties positives des SIAE des trois classes C1, C2, C3
(Annexes 3, 4 et 5) montre de même que le secteur d’activité ne semble pas non plus avoir un
impact sur la performance sociale de l’entreprise. Outre la concentration des taux de sorties
positives autour de 50%, on remarque par exemple que des activités comme celles d’Envie
EMO, ASF, Emmaüs Défi ou Récup Tri, qui sont relativement similaires (récupération,
recyclage) ont des taux sensiblement différents. Une entreprise comme Sinéo est intensive en
main-d’œuvre, à faible valeur ajoutée, mais elle a un taux de sorties positives supérieur à
Step:\.
Il semble donc que l’âge de la structure ou son secteur d’activité n’aient que peu
d’influence sur le pourcentage de salariés retrouvant un emploi durable. Il conviendra donc de
comprendre l’origine de la réussite des modèles les plus performants identifiés
précédemment.
3.1.2. Quelles sont les structures économiquement plus performantes ?
Nous avons analysé la performance économique des SIAE sélectionnées (présentées dans
l’Annexe 2) à partir des trois ratios décrit dans la partie 2 :
-
résultat net comptable/chiffres d’affaires
-
résultat net comptable/effectif
-
subventions/produits d’exploitation
L’analyse comparative de notre échantillon nous révèle que
- les structures les plus performantes commercialement sont les cas 2, 17, 18, 19, 20, 22.
- les structures les plus productives sont les cas 2, 17, 18, 19, 20.
- les structures les plus indépendantes financièrement sont les cas 3 à 12, 17, 23.
- les structures les moins performantes économiquement sont les cas 1, 13, 14, 15, 16, 21, 22,
24, 27.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Il convient toutefois de relativiser ces résultats grâce aux informations recueillies lors de
nos entretiens. En ce qui concerne les SIAE identifiées comme moins performantes
économiquement, remarquons que les cas 22, 24, 26 correspondent à des ACI. Or les ACI
n’ont pas vocation à être rentables. Pour que la structure soit conventionnée ACI, son chiffre
d’affaires ne doit pas dépasser 30% de son budget.33. Il convient donc de les sortir du cadre de
cette analyse comparative de la performance économique.
D’autre part, si Bio Yvelines Services semble très performante économiquement, il
convient de préciser que sa situation est en réalité fragilisée, les terrains qu’elle occupe faisant
en effet l’objet de deux baux aux conditions précaires avec la SNCF et Réseau Ferré de
France. Toute modification du contrat entraînerait des charges plus importantes pour la
structure. De même, la gestion des volumes traités et de la nature des déchets verts ou bois est
extrêmement complexe pour éviter de devoir investir dans des infrastructures plus étendues et
rentrer dans le cadre de normes de sites plus contraignantes, qui là aussi auraient des
conséquences économiques moins favorables.
33
Il peut éventuellement atteindre 50% du budget si l’ACI obtient une dérogation spécifique. C’est le cas
d’Emmaüs Défi par exemple.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 43 -
Par ailleurs, le cas 27, E.I. Step:\, ne saurait être considérée comme non performante
économiquement. En effet, 2008 est sa première année de perte après plusieurs années de
résultats positifs. De même, le cas 13, Sinéo, ne peut être jugé non performant. Selon le
dirigeant de Sinéo, la perte d’un million d’euros constatée à la clôture 2008 était en effet
prévue. Elle s’explique par le développement fulgurant du réseau de franchises Sinéo qui a
nécessité le recrutement de personnel qualifié au siège. Nous pouvons donc en déduire
qu’apparemment :
les structures les plus performantes économiquement sont Envie 2E(cas 2), Matatou
(cas 17) , Cana Event (cas 20)
les structures les moins performantes économiquement sont Envie EMO (cas 1), Ares
Service Seine Saint Denis (cas 16) et Id’ées Argenteuil (cas 21)
Cette comparaison nous révèle que les structures aux activités à plus haute valeur ajoutée
que les métiers traditionnels de l’IAE, très intensifs en main d’œuvre et à très faible valeur
ajoutée, sont plus performantes économiquement. Les choix stratégiques liés aux activités
développées semblent donc avoir un impact sur la rentabilité économique. Il conviendra
d’étudier plus loin quels sont les facteurs qui expliquent cette performance.
3.1.3. Quelles sont les structures qui concilient performances économique et
sociale ?
Ayant identifié des structures performantes socialement, d’autres performantes
économiquement, revenons à l’objet de notre recherche. Est-il possible de concilier
performances économiques et sociales ? Peut-on parvenir à un équilibre entre deux types
d’objectifs a priori contradictoires ?
Pour répondre à cette question nous avons choisi d’étudier le lien entre la performance
économique des structures, évaluée par son ratio de dépendance aux subventions publiques34,
et sa performance sociale, évaluée par son taux de sorties positives. Le graphe ci-dessous
illustre les résultats obtenus.
34
Cet indicateur semblait pertinent pour évaluer la performance économique des SIAE. De plus, c’était le seul
indicateur que nous pouvions systématiquement utiliser pour les vingt-sept structures, certaines informations
chiffrées n’ayant pu être obtenues.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 44 -
L’analyse conjuguée des performances économiques et sociales des SIAE sélectionnées
montre qu’il est possible de concilier objectifs économiques et sociaux à condition de
rechercher un équilibre permanent entre les deux.
On observe en effet que les ACI dont l’objectif est avant tout social se retrouvent aux
extrémités du graphe. Matatou fait figure d’outsider, à la fois indépendante financièrement et
très performante socialement. Mais il convient encore une fois de rappeler que, si cette
structure rentre dans le champ du social business, elle ne fait pas partie de l’IAE. L’analyse
des E.I. sélectionnées révèle que les structures qui concilient le mieux objectifs économiques
et sociaux sont l’Usine, Alter Mundi, Alter Mundi Mode, Alter Mundi Café, Traiteur T,
Alterauto, Alternacom, Presscode, Cockt’Elles, Cana Event, Sinéo, Ares Services Paris, Envie
2E. Rappelons que la subvention publique est parfaitement légitime. Elle ne fait que
rémunérer la mission d’insertion déléguée par l’Etat aux SIAE. Un taux de subventions
inférieur à 10% est donc signe de bonne performance et le pourcentage ne saurait descendre
en dessous des 5%.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Remarquons que les structures qui concilient le mieux objectifs économiques et sociaux
appartiennent à des organisations complexes : le Groupe Alterna, la fédération La Table de
Cana, Ares Services ou encore le réseau de franchises Sinéo. Il convient donc désormais
d’analyser plus précisément quels sont les facteurs qui expliquent la réussite de certaines
SIAE.
3.1.4. Identification des conditions de succès des initiatives d’IAE
L’analyse comparative précédente nous a permis de montrer qu’il était possible de
concilier performances économique et sociale. Nous avons par ailleurs constaté que les
structures les plus performantes appartenaient à des ensembles plus complexes et de natures
différentes. Il est donc intéressant de présenter rapidement les types de modèles
organisationnels étudiés dans ce mémoire avant d’établir quels sont les choix stratégiques et
organisationnels décisifs dans la réussite des SIAE.
3.1.3.1. Typologie des modèles étudiés
Le modèle le plus simple est celui de l’entreprise d’insertion indépendante, implantée sur
un territoire, sans appartenance à un réseau ou groupe plus vaste. C’est le cas de Bio Yvelines
Services, Step:\ ou encore Matatou pour l’instant.
Le second modèle est organisé en fédération ou réseau. Le social business model du
fondateur a fait ses preuves sur un territoire et il est décliné au niveau national. Pour maintenir
la cohérence entre toutes les entités et préserver les valeurs sociales et l’esprit du fondateur,
une association ou fédération contrôle la gestion sociale et économique, diffuse les bonnes
pratiques et centralise les informations. Sinéo, La Table de Cana ou encore Envie illustrent ce
modèle.
Le troisième modèle est celui de groupes organisés localement sur un territoire, regroupant
des activités variées, souvent complémentaires, alliant parfois ACI, EI et entreprises
insérantes. Les groupes Alterna, Ares Services, les réseaux Ardense, Chênelet en sont des
exemples.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Ces trois modèles illustrent des choix d’organisation et de développement différents, mais
on peut toutefois identifier des stratégies communes qui semblent pertinentes pour maintenir
durablement un équilibre entre performances économique et sociale.
3.1.3.2. Les facteurs internes propres à l’entreprise
Des choix organisationnels pertinents
Les entreprises qui réussissent le mieux sont celles qui ont opté pour une organisation très
proche de celle des entreprises traditionnelles. La professionnalisation semble donc être un
facteur de réussite indéniable. Elle permet en effet de contrôler les objectifs fixés sur les plans
économiques et sociaux, ainsi que les moyens mis en œuvre pour les atteindre. Les règles de
travail sont clairement définies et la gestion des activités commerciales ou sociales souvent
encadrée par des chartes éthiques ou des règlements qui assurent le maintien des valeurs
sociales au sein de l’organisation. Professionnalisation rime aussi avec formalisation et
transparence. Les entretiens avec les salariés et les partenaires institutionnels sont en effet
synthétisés, ce qui permet d’évaluer les progrès accomplis ou de déceler d’éventuels
problèmes. Parmi les entreprises les plus performantes, il est intéressant de noter que
plusieurs d’entre elles se sont dotées du même logiciel de suivi des ressources humaines.
Sinéo, Ares, ASF ou la Table de Cana peuvent ainsi suivre l’évolution de leurs salariés en
insertion et être réactif à toute anomalie sur le réseau. Le contrôle de la gestion humaine a par
exemple permis à Sinéo de détecter qu’une filiale avait choisi de maximiser ses objectifs
économiques au détriment du social. Le franchisé a donc quitté le réseau et Sinéo a repris
cette franchise, évitant ainsi de dégrader durablement l’image de l’entreprise. Cette
formalisation permet aussi d’adopter une politique de transparence avec les partenaires
institutionnels publics ou privés. Elle contribue à créer un climat de confiance entre les SIAE
et les autres acteurs économiques, ce qui permet non seulement de développer l’activité
économique mais aussi d’accroître les débouchés pour les salariés en insertion. Enfin, force
est de constater que la communication n’est pas étrangère au succès d’entreprises comme
celles du groupe Alterna ou comme Sinéo. Une entreprise qui se professionnalise et se dote de
véritables outils de gestion et de communication accroît sa visibilité sur le marché. L’Usine,
Alter Mundi, ou Sinéo en ont largement bénéficié, même s’il est difficile de chiffrer
précisément l’impact de la communication.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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La mutualisation des compétences et des services semble aussi jouer un rôle important
dans le succès des modèles étudiés. En effet, qu’il s’agisse du Groupe Alterna, de la Table de
Cana ou de Sinéo, ces trois modèles ont développé de multiples entités, juridiquement
autonomes, parfois en dupliquant une même activité sur un territoire (Sinéo, la Table de Cana,
Alter Mundi…), parfois en créant une multitude d’activités complémentaires sur un territoire
(Groupe Alterna). Cette diversité de structures, partageant un projet et des valeurs communs,
a un impact économique et social indéniable. En effet, la mutualisation de fonctions supports
telles la comptabilité, le contrôle de gestion, la communication, le juridique etc., permet aux
différentes structures, souvent de tailles moyennes, de profiter des compétences d’experts
sans en supporter la totalité de la charge. Les coûts de structures en sont diminués et la gestion
améliorée puisqu’en cas de problème les membres du réseau peuvent consulter l’intranet du
réseau ou appeler les équipes du siège pour obtenir des conseils. Mutualiser permet aussi à
chaque structure de profiter de liens privilégiés avec certains partenaires privés. Au sein du
Groupe Alterna par exemple, les salariés en insertion peuvent bénéficier de liens avec des
entreprises traditionnelles développés par d’autres structures. Autre exemple : Id’ées
Argenteuil bénéficie des contrats cadres négociés par Adecco, ce qui facilite ses relations avec
ses clients et implique des gains de temps considérables. L’ETTI peut aussi avoir recours aux
équipes du siège en cas de difficulté ou de problèmes techniques. Une holding regroupant les
équipes dédiées au support des agences Id’ées Interim et de Adecco Insertion devrait
normalement voir le jour et permettre d’accroître encore les synergies entre les différentes
activités.
Une organisation très précise du réseau ou du groupe va de pair avec cette mutualisation
des compétences et des services. Il s’agit en effet de proposer à toutes les entités les mêmes
services aux mêmes conditions. En retour, il convient de s’assurer qu’elles respectent bien un
certain nombre de principes. Cette organisation très structurée est illustrée notamment par la
Fédération Envie, dont le budget résulte d’une cotisation de toutes les entreprises du réseau.
De même chez Sinéo, chaque franchise verse 4% de son chiffre d’affaires pour financer
l’animation du réseau et 2% pour financer la communication. Sinéo a en effet développé un
site Internet accessible à tous les franchisés, sur lesquels ils trouvent des grilles de tarifs, des
supports de communication etc. (Notons que ces sommes ne suffisent pour l’instant pas à
couvrir les frais de l’équipe du siège. )
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Enfin, la force de ces organisations est la solidarité entre les membres du réseau. Si on
parle de franchises, il est important de préciser que les franchisés de Sinéo ne sont par
exemple pas caution personnelle. Il existe un certain nombre de mécanismes de soutien entre
les membres du réseau qui assurent la pérennité économique des entreprises. Dans le cas de
Sinéo, un fond de solidarité a été instauré. Si un franchisé a des difficultés, la holding du siège
lui vient en aide financièrement. Elle peut prendre des parts dans le capital de la franchise, ce
qui lui permet de faire des apports en compte courant. Elle peut aussi accorder des prêts à taux
bonifiés en cas de difficultés momentanées. En cas de graves difficultés, Sinéo peut reprendre
la franchise ou trouver un autre porteur de projet. L’exemple du centre de Limoge l’illustre
très bien. Le développement plus lent que prévu et le retard de réception des subventions
menaçaient l’entreprise de dépôt de bilan. Sinéo lui a donc accordé une avance de 15 000€. Le
même principe s’applique au sein du groupe Alterna ou de la fédération Envie qui a aussi mis
en place une double cotisation : pour le financement de la Fédération et pour l’alimentation
d’un fond de solidarité réseau.
Des choix stratégiques intéressants
Si toutes les structures d’insertion sont amenées à nouer des liens plus ou moins étroits
avec les partenaires publics (Pôle Emploi, missions locales, PLIE…), il est intéressant de
constater que celles qui performent le mieux créent de véritables relations de confiance et
n’hésitent pas non seulement à prendre appui sur les partenaires publics mais aussi à créer de
véritables partenariats avec des acteurs privés. Là encore, le cas de Sinéo est emblématique.
Son fondateur a fait le choix de créer une société commerciale et de se rapprocher des
entrepreneurs classiques. L’entreprise a donc un conseil d’administration qui réunit non
seulement des membres de l’économie sociale et solidaire mais aussi des dirigeants
d’entreprises classiques comme Nord Auto Midas, le courtier en assurance Gras Savoye SA
ou encore le brasseur belge InB. Or, d’après Olivier Desurmont, ces liens avec le monde
capitaliste ont été un réel appui pour développer le réseau de Sinéo les premières années. Les
partenariats du Groupe Vitamine T avec des acteurs majeurs du monde de l’économie
classique comme Auchan, Pinault Printemps La Redoute sont déterminants pour la réussite
des différentes entreprises membres, notamment Janus, filiale ressources humaines d’intérim
d’insertion ou Envie 2E. De même ceux du Groupe Ares, d’ASF ou de Bio Yvelines Services
avec des acteurs comme la RATP et leurs nombreux clients sont cruciaux. Ces partenariats
ont en effet un double impact positif, social et économique. D’un point de vue économique
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tout d’abord, ils permettent d’accroître l’activité de la structure et donc ses ressources
financières. ASF par exemple ne pourrait fonctionner de manière pérenne si de nombreuses
entreprises partenaires ne lui envoyaient leurs déchets informatiques à recycler. Sans les
conditions avantageuses des baux accordés par la SNCF ou Réseau Ferré de France, Bio
Yvelines Services n’aurait sans doute pas les moyens de gérer son activité de traitement de
déchets verts. Les entreprises classiques peuvent aussi apporter du capital pour soutenir
l’activité et les investissements par le truchement de fondations. Mais ces partenariats
permettent surtout de faire connaître les SIAE innovantes et performantes, d’améliorer leur
image et le capital de confiance dont elles disposent sur le marché traditionnel. Olivier
Desurmont en est parfaitement conscient lorsqu’il explique que le succès du partenariat
réalisé avec Auchan pour replacer ses salariés à la sortie de leur parcours d’insertion lui ouvre
maintenant la porte d’autres entreprises classiques. Monsieur Richou35 de Bio Yvelines fait le
même constat : la transparence et la communication avec les entreprises et artisans locaux
débouchent souvent sur des emplois durables pour les salariés en fin de parcours. Sur le plan
social, ces liens sont donc aussi importants que sur le plan économique. En effet, l’entreprise
traditionnelle partenaire peut non seulement faire sous-traiter une partie de son activité par
l’entreprise d’insertion, mais elle peut aussi accueillir un certain nombre de salariés en
insertion à leur sortie. D’autre part, elle peut s’associer à la gestion de l’entreprise via des
contrats Passerelles qui mettent un salarié à disposition de l’entreprise d’insertion aux frais de
l’entreprise classique partenaire. C’est notamment le cas chez Step:\ où Total délègue un de
ses salariés à temps plein. Enfin, elle peut contribuer à la formation et à la préparation au
retour vers l’emploi des salariés en insertion. Les exemples de tels partenariats de coaching
sont nombreux. Le groupe Alterna, Step:\, Ares pour ne citer que ceux-ci ont développé des
ateliers de préparation de CV, de rencontres de membres d’entreprises classiques, de
simulations d’entretiens en partenariat avec des entreprises privées classiques au profit de
leurs salariés. Sur ces sujets, Sinéo est exemplaire : l’entreprise a même été jusqu’à s’associer
à des associations locales pour que ses salariés puissent passer le permis B à moindres frais.
Dès le début de son parcours d’insertion, le salarié prépare sa sortie, avec des organismes de
formation et des entreprises traditionnelles qui peuvent éventuellement lui payer des
formations qualifiantes. Ainsi Kéolis, leader du transport urbain, paie des formations au
permis chauffeur de bus pour les salariés qui le souhaitent. Sinéo prépare donc le salarié à
s’insérer au mieux, à intégrer les valeurs de l’entreprise et son mode de fonctionnement.
Indéniablement, ces partenariats servent donc la réintégration des travailleurs sociaux.
35
Entretien avec Monsieur Richou de Bio Yvelines Services réalisé le 29/05/09
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Parallèlement aux partenaires publics ou privés, il convient de mentionner l’importance de
réseaux comme Réseau Entreprendre Autrement ou France Active dans le développement des
SIAE ou des groupements de structures solidaires. Ils permettent en effet de structurer le
monde de l’économie sociale et solidaire, de créer des activités innovantes et dynamiques
sans renier des valeurs sociales essentielles. Les réseaux sont composés d’experts du secteur
de l’IAE qui peuvent soutenir financièrement et par leurs conseils les activités des SIAE.
Qu’il s’agisse de Sinéo ou de Matatou, l’aide du réseau Entreprendre Autrement a été décisive
pour élaborer des modèles de développement viables et pour choisir des porteurs de projets
fiables et compétents. Pour des entrepreneurs sociaux débordés, cette aide s’avère donc
précieuse. En outre, l’échange d’expériences ou la mutualisation des bonnes pratiques ne
peuvent qu’être favorisés par l’appartenance à de tels réseaux ou à des clubs et groupes variés.
On remarque d’ailleurs que Sinéo a une démarche proactive sur ce plan. Non content de
développer son activité rapidement sur tout le territoire, il va bientôt rejoindre le Club des
franchisés. Ce club réunit des entreprises d’insertion et des entreprises traditionnelles comme
Nord Auto ou Camaieu. Il s’agit d’aider des porteurs de projets à trouver des fonds propres
pour se financer. De même dans le Sud de la France, Step:\ s’est associée à d’autres
entrepreneurs sociaux et solidaires pour créer une holding, collecter des fonds et financer de
nouveaux projets d’insertion. Enfin, il est intéressant de noter que les structures les plus
performantes entretiennent des liens très forts entre elles. Le logiciel de suivi des ressources
humaines développé par Ares Services et désormais utilisé par la Table de Cana, ASF et
bientôt Sinéo, en est une belle illustration. Dans un secteur qui cherche à concilier
performance économique et sociale, de telles synergies et échanges de bonnes pratiques sont
un atout décisif par rapport à de petites entreprises d’insertion qui restent isolées.
Les partenariats ne sont pas les seuls facteurs de succès des structures étudiées. Le choix de
l’activité et l’innovation permanente semblent en effet aussi contribuer à la solidité et à la
performance des certains modèles. L’analyse des structures étudiées lors de notre recherche
révèle que la performance économique est liée à des activités à plus haute valeur ajoutée que
les traditionnels métiers du déchet, de la collecte et de la logistique. Il est intéressant de
constater que Step:\ ou certaines entreprises du groupe Alterna, comme Alternacom ou
Presscom, ont choisi des métiers à haute valeur ajoutée, où les encadrants sont plus nombreux
que les salariés en insertion. Ces positionnements originaux soulignent la possibilité de
développer des postes en insertion dans tous les types de métiers. Comme le mentionnait
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 51 -
Matthieu Grosset de l’Avise36, aucun métier n’est interdit aux structures d’insertion. Il s’agit
juste de trouver les bons moyens d’accompagner les salariés vers l’emploi par des méthodes
plus complètes. Un certain nombre de métiers sont en train d’apparaître avec la prise de
conscience écologique (éco-construction, énergies renouvelables…) sur lesquels les structures
d’insertion peuvent proposer des formations intéressantes avec des perspectives d’emploi à la
sortie attrayantes.
Outre l’activité même de la structure, le dynamisme dans la création d’un réseau
d’entreprises autour d’un même métier ou de métiers complémentaires semble extrêmement
positif en terme d’impacts économique et social. Nous avons déjà montré que ce type de
développement permettait de mutualiser les ressources et les opportunités. Notons que ces
organisations complexes permettent aussi d’offrir une offre plus complète à d’éventuels
clients, sans pour autant créer une structure d’insertion trop développée dans laquelle le
salarié se sentirait perdu. L’exemple de la Table de Cana de Gennevilliers avec ses trois
entreprises d’insertion, LTBS, Cockt’Elles et Cana Event, illustre les atouts du
développement d’entreprises complémentaires. Les relations avec la clientèle sont simples
puisque les clients n’ont de relations qu’avec un seul interlocuteur, la Table de Cana. Mais les
activités de traiteur, restauration et logistique sont en fait réparties après acception du devis
par le client entre les trois entités. Ces trois activités permettent à la Table de Cana de
fonctionner de manière autonome, sans par exemple avoir recours à des entreprises de
livraison, et de créer des opportunités d’insertion pour les salariés. Par ailleurs, cette scission
entre les activités permet de maintenir des équipes de taille réduites, cinq à six personnes, ce
qui renforce la proximité de l’accompagnement et accroît, selon Jean Marie Clément37, les
chances de retour vers des emplois durables des salariés en insertion. Le groupe Alterna s’est
aussi développé en créant des activités complémentaires qui permettent pour un événement de
proposer au client d’utiliser les diverses entités du groupe. Pour une cérémonie, l’Usine et
Traiteur Té peuvent s’occuper de la restauration, Alter Mundi peut fournir le mobilier,
Alternacom et Presscode peuvent gérer la communication et Alterauto s’occuper de conduire
les personnes d’un lieu à l’autre… Stratégiquement, une telle complémentarité s’avère
intéressante pour le client. De tels modèles relativement complexes peuvent aussi permettre
de réduire l’incertitude relative à la fiabilité des salariés recrutés en insertion. Il s’agit alors de
regrouper au sein d’un même groupe, ou d’un réseau, des SIAE de natures différentes, ACI,
36
37
Entretien téléphonique réalisé avec Matthieu Grosset de l’Avise le 24/04/09
Entretien réalisé avec Jean Marie Clément de la Table de Cana le 26/03/09
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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EI, ETTI ou entreprises insérantes. En effet, comme nous l’avons évoqué précédemment, les
entreprises d’insertion sont soumises à une exigence de performance économique. Toute
erreur au niveau du recrutement se répercute toujours sur les résultats économiques. Une
démission, un absentéisme trop important, un travail de mauvaise qualité, nuisent à l’image de
l’entreprise, augmentent ses coûts et détériorent son chiffre d’affaires. Jean Pierre Desbrest38
soulignait donc l’intérêt des logiques d’ensemblier qui permettent de faire passer le salarié
d’un ACI à une EI avant de l’orienter vers l’emploi. Cette logique est illustrée par le réseau
Ardense, où par exemple les besoins de transporteurs de l’ACI Récup Tri ont abouti à la
création d’une EI de transport routier, Main Forte, qui offre aux salariés qui se destinent à la
profession de chauffeurs l’expérience professionnelle indispensable pour intégrer des
entreprises de transport traditionnelles. Le salarié bénéficie donc d’un parcours qualifiant sur
une longue durée. Et l’EI Main Forte a l’avantage de minimiser les risques d’échecs humains
puisqu’elle peut se renseigner en amont sur le comportement, les aptitudes et motivations des
salariés qu’elle recrute auprès de Récup Tri. Le risque économique en est ainsi diminué.
Les choix organisationnels et stratégiques évoqués ci-dessous ont donc des répercussions
positives sur le plan humain et sur les résultats économiques des structures. Même s’il n’a pas
été possible au sein de ce mémoire de recherche de les quantifier précisément, il semblait
intéressant de les mettre en avant comme facteurs de performance pour les SIAE.
3.2. Les limites de cette analyse
3.2.1. Les limites empiriques de notre analyse
L’insertion par l’activité économique est un secteur en pleine évolution. La jeune
génération d’entrepreneurs sociaux est en train de mettre en place des indicateurs de suivi
économiques et humains précis, mais il est encore trop tôt pour avoir accès à des données
précises, uniformisées sur le plan national. D’autre part, la confidentialité de certaines
38
Entretien téléphonique avec Jean Pierre Debrest de Récup Tri réalisé le 16/04/09
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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données, notamment sur l’évolution humaine des salariés ou sur les résultats économiques,
nous a obligés à faire des approximations à partir des entretiens réalisés. Notre étude n’est
donc pas aussi précise que si nous avions pu avoir accès à toutes les informations requises.
Par ailleurs, si nous avons identifié des facteurs de performance parmi les modèles étudiés,
il n’a pas été possible de mesurer de manière quantitative leur impact sur les résultats
économiques et sociaux des structures. Ce travail demanderait une étude plus approfondie
avec une comparaison de l’évolution des performances des entreprises au fur et à mesure de la
mise en place des moyens évoqués, ce qui s’avère très complexe en raison des différents
paramètres qui influent sur les résultats d’une entreprise.
3.2.2. La « Triple bottom line », une conception discutable du développement
durable
Le modèle de la « triple bottom line » se fonde sur l’idée qu’il est possible de concilier
durablement les préoccupations économiques, environnementales et sociales. Cette approche
du développement durable comme intersection entre des cercles de taille équivalente figurant
les trois dimensions, « People », « Profit » et « Planet », est globalement admise. C’est
pourquoi nous l’avons choisi comme fondement de notre réflexion, en nous concentrant sur
les aspects « People» et « Profit ». On peut cependant s’interroger sur la pertinence de cette
conception du développement durable.
En effet, le modèle actuel considère que ces trois éléments, et en particulier les deux que
nous avons étudiés dans ce mémoire, sont distincts, bien que présentés sur un même plan. Or
il semblerait dans le cas de notre recherche que le social prime sur l’économique. Les
structures de l’IAE, à l’exception de Sinéo, se sont d’abord créées pour aider des personnes en
situation de précarité à se réinsérer dans la société et à retrouver un emploi durable. La
dimension économique ne vient qu’après, parce qu’elle est la condition indispensable à un
accompagnement pérenne et de qualité des salariés en insertion. Le social business tel qu’il
est vécu dans l’IAE présente donc un biais par rapport à la traditionnelle définition du
développement durable et de ces trois piliers à l’importance normalement équivalente.
Giddings, Hopwood et O’Brien (2002) mettent d’ailleurs en garde contre les risques inhérents
à une telle segmentation des trois dimensions. En effet celle-ci minimise leurs
interconnections, suppose que des compromis peuvent être faits et conduit à donner la priorité
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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à certains éléments plutôt qu’à d’autres. Pour remédier à cette inexactitude, les trois auteurs
proposent une nouvelle vision du développement durable : les trois cercles de la « triple
bottom line » ne sont plus seulement en intersection mais deviennent concentriques ;
l’économie est le plus petit cercle, inclus au cœur des deux autres, non pas parce que celle-ci
est jugée prépondérante sur les autres dimensions, mais parce qu’elle repose étroitement sur la
société qui elle-même dépend de l’environnement. Ce modèle nous semble plus en accord
avec l’approche mise en avant par l’insertion par l’activité économique qui inclut la
performance économique dans les préoccupations sociales, et suggère une conception
notablement différente de notre manière de concevoir le monde.
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Conclusion
Ce mémoire avait pour ambition d’étudier si le modèle social business pouvait s’appliquer
dans le secteur de l’insertion par l’activité économique, de déterminer s’il était possible de
concilier des objectifs de performance économique et de performance sociale et à quelles
conditions le cas échéant.
Il nous a confirmé qu’un modèle alternatif, empreint de valeurs humaines, de solidarité,
pouvait se révéler économiquement viable à certaines conditions. Economique et social ne
sont pas incompatibles si les dirigeants et les actionnaires partagent ces valeurs éthiques et
sociales et acceptent de réinvestir les résultats dégagés dans le développement, la
structuration et la professionnalisation de l’entreprise. Notre étude empirique nous a par
ailleurs montré que certains choix stratégiques et organisationnels profitent à la structure et lui
permettent d’améliorer simultanément ses résultats économiques et sociaux :
-
Se professionnaliser,
-
S’organiser en réseau, fédération ou groupe pour mutualiser ainsi les coûts de
structure, gestion, administration, et maintenir la cohérence entre les entités par le
contrôle de l’équilibre entre économique et social.
-
Tisser des liens étroits avec des partenaires publics ou privés locaux,
-
Choisir des activités innovantes à haute valeur ajoutée,
-
Innover continuellement par la création de nouvelles structures complémentaires.
Il n’existe donc pas un modèle pertinent dans l’insertion par l’activité économique, mais une
multitude de modèles et d’organisations bien pensés.
Cette étude nous a ainsi montré, qu’en s’inspirant des modèles de gestion, d’organisation et
de développement classiques et en les adaptant aux valeurs de l’économie sociale et solidaire,
il est possible de proposer de nouveaux business models, attractifs pour les jeunes générations
d’entrepreneurs. La crise, les inégalités croissantes au sein de notre société et les prémisses
d’un changement de mentalités laissent supposer que de tels modèles, responsables
socialement et viables économiquement, seront de plus en plus utilisés dans les prochaines
décennies. Les grandes entreprises classiques devront nécessairement prendre conscience de
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 56 -
leurs responsabilités et s’associer avec des structures solidaires ou s’inspirer de leur pratiques
pour modifier leur gestion des ressources humaines. En tant que future cadre, ce mémoire m’a
donc permis de bien comprendre le fonctionnement de l’économie sociale et solidaire et la
nécessité de créer des ponts entre les entreprises classiques et les entreprises sociales pour
affronter les défis sociaux que nous réservent l’avenir.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 57 -
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Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Sites Internet:
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http://www.cnei.org/document/CNEIMag42web.pdf
http://www.avise.org
http://www.grenelle-insertion.fr
http://www.univ-valenciennes.fr/reseau21/enquestions/1alphan/alphancomplet.htm
http://www.villeemploi.asso.fr/actualites/pdf/Actes_Journee_Nationale_Clauses_Sociales_5_Fevrier_2007_fi
nal.pdf (Actes de la Journée nationale du 5 février 2007 : Clauses sociales et promotion de
l’emploi dans les marchés publics)
http://www.evaluatheque.free.fr/FICHIERS/iae.html
http://www.urei-idf.org/pages/docs/Historique%20general.htm
http://www.urei-idf.org/pages/lesEI/ei.htm
http://www.urei-idf.org/pages/lesEI/CADRELEGISLATIF.htm
http://voie95.net/IMG/pdf/Version_finale_Jacques_Dughera.pdf
http://chenelet.org
http://ares-association.fr
http://www.tabledecana.com
http://www.ateliersansfrontieres.org
http://www.groupealterna.com
http://www.envie.org
http://www.step-sa.fr/
http://www.sineo.fr
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 59 -
Entretiens
Réseau Entreprendre Autrement : Patrick Sapy
Avise : Matthieu Grosset
Groupe Alterna :
-
David Giffard Président du groupe Alterna
-
Julien Trevisan
Arès : Thibault Guilly
Adecco/ Adecco Interim/ Id’ées Interim :
-
Adecco : Jean François Connan
-
Id’ées Argenteuil : Aïcha Boulenouar
Réseau Ardense : Jean Pierre Desbrest
Réseau Envie : Laetitia Clément
Sinéo : Olivier Desurmont
Step:\ : Kenny Bertonnazzi
Matatou : Claire Lescat
La table de Cana : Jean Marie Clément
Ateliers sans frontières : Alexandre Guilly
Emmaüs Défi : Charles Edouard Vincent
Bio Yvelines Services : M. Richou
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- 60 -
Annexes
A/ Synthèse des données empiriques économiques et sociales
Annexe A.1 : Présentation des quinze modèles étudiés
Annexe A.2 : Présentation détaillée des vingt-sept SIAE sélectionnées
Annexe A.3 : Présentation des SIAE aux métiers à faible valeur ajoutée
Annexe A.4 : Présentation des SIAE intermédiaires
Annexe A.5 : Présentation des SIAE aux métiers à forte valeur ajoutée
B/ Etudes de cas
Annexe B.1 : Sinéo, un modèle de franchises innovant
Annexe B.2 : Envie, une évolution métier et un développement territorial avisés
Annexe B.3 : Matatou, une entreprise insérante, un modèle à diffuser
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 61 -
A/ SYNTHESE DES DONNEES EMPIRIQUES
Annexe A.1 : Présentation des modèles étudiés
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Annexe A.2 : Présentation détaillée des vingt-sept SIAE sélectionnées
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Annexe A.3 : Présentation des SIAE aux métiers à faible valeur ajoutée
Données économiques
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Données sociales et stratégiques
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Annexe A.4 : Présentation des SIAE intermédiaires
Données économiques
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Données sociales et stratégiques
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Annexe A.5 : Présentation des SIAE aux métiers à forte valeur ajoutée
Données économiques
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Données sociales et stratégiques
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B/ ETUDES DE CAS
Annexe B.1 : Sinéo, un modèle de franchises innovant conciliant les trois dimensions du
développement durable : environnement, social et économique39
Historique
Sinéo est née de la volonté d’un jeune entrepreneur, Olivier Desurmont, de développer sa
propre entreprise avec des valeurs environnementales et sociales fortes, après une expérience
chez Suez. En 2003, en raison de la canicule, des arrêtés préfectoraux interdisent de laver les
voitures à l’eau. Il étudie donc les alternatives proposées aux utilisateurs de voitures alliant
environnement, automobile et social. Il constate l’existence d’une niche à exploiter. En 2004,
à 28 ans, il retourne à ses racines dans le Nord et crée à Lille Sinéo, entreprise de lavage de
voiture sans eau.
Un projet empreint de valeurs fortes, modèle en matière de développement durable
-
Des valeurs environnementales :
L’objectif est de faire de Sinéo un acteur de l’innovation et du développement durable avec
une recherche permanente de nouveaux produits et procédés de lavage.
•
Economies d’eau
La technique de lavage mise au point permet d’économiser 150 à 200L d’eau par lavage de
voiture. L’extrapolation des 6 000 voitures lavées à Lille au mois de mai 2009 permet
d’évaluer un impact potentiel annuel sur le plan national qui ne peut être que bénéfique à
l’environnement.
•
Création de produits biodégradables non dangereux
Sinéo a créé des laboratoires de recherche dédiés à la mise au point de nouveaux produits de
lavages respectueux de l’environnement. L’entreprise est propriétaire des brevets de ses
produits qui sont constitués d’huiles essentielles, à 100% biodégradables et non toxiques
(alors que les produits traditionnels sont très toxiques).
39
Cas réalisé à partir de l’entretien accordé par Olivier Desurmont le 27/04/07
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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-
Des valeurs sociales :
Sans avoir connaissance du secteur d’activité dédié à l’IAE, Olivier Desurmont a voulu faire
une entreprise qui respecte les hommes et aide les personnes en difficulté à se réinsérer
socialement.
Dès la création de Sinéo, il embauche des personnes en grandes difficultés (RMIstes, sans
logements…) pour les aider en leur donnant un métier et un salaire. Il n’a alors pas encore le
statut d’entreprise d’insertion. Après s’être rapproché du Pôle Emploi et de plusieurs
organismes locaux, après s’être porté caution personnelle pour des personnes sans abris, il a
été convoqué par les responsables des plans locaux d’insertion. Au bout d’un an, fin 2005, la
société a donc reçu l’agrément EI qui lui a ouvert l’accès aux aides financières indispensables
pour développer des moyens d’accompagnement humain pour l’entreprise et maximiser son
impact social.
Gestion des ressources humaines
-
Public et recrutement :
Aujourd’hui l’entreprise compte 250 salariés. Le centre de Lille, qui est le plus ancien et le
seul à avoir plus de deux ans d’ancienneté, compte 70 salariés au total. Le public recruté est
varié (hommes, femmes, jeunes, personnes âgées…). Environ 70% des salariés sont des
personnes en insertion. Les 30% restants sont des formateurs, des encadrants, des personnes
du siège.
Le recrutement se fait en partenariat avec Pôle Emploi, d’autres entreprises, les missions
locales et d’autres prescripteurs. Il n’y a pas de pré-requis spécifique, exceptés la motivation
et, lors de l’ouverture d’un site, la détention d’un permis de conduire B car l’emploi comporte
souvent des déplacements chez les clients. Si le ratio de personnes ne sachant pas conduire
devient trop important, l’équilibre économique du centre peut être fragilisé.
En revanche, il est intéressant de noter que pour pallier cette contrainte rencontrée par certains
salariés, des formations permis de conduire ont été mises en place avec des associations
locales pour que tous les salariés en insertion puissent apprendre à conduire.
Outre son rôle essentiel pour réapprendre un certain nombre de règles de savoir être et de
savoir vivre (respect des horaires, travail en communauté…), Sinéo prépare activement la
sortie de ses salariés. En effet, contrairement à d’autres entreprises d’insertion, Sinéo
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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n’apprend pas de métier en tant que tel. Et comme, selon les mots d’Olivier Desurmont « on
ne reste pas laveur de voiture toute sa vie, ce n’est pas une vocation. », le salarié ne se
spécialise pas dans une activité. La définition d’un projet professionnel clair est donc très
importante. Le salarié y travaille dès son entrée chez Sinéo, avec des organismes de
formation, avec des entreprises traditionnelles qui peuvent éventuellement lui payer des
formations qualifiantes. Ainsi Kéolis, leader du transport urbain, paie des formations au
permis chauffeur de bus pour les salariés qui le souhaitent. Sinéo prépare donc le salarié à
s’insérer au mieux, à intégrer les valeurs de l’entreprise et son mode de fonctionnement.
Parmi les partenariats avec des entreprises traditionnelles, on peut citer Kéolis (chauffeurs
urbains), Nord Auto (mécaniciens vendeurs), Auchan. Les premiers succès de ces partenariats
invitent à poursuivre dans cette voie et rassurent les entreprises traditionnelles.
Une stratégie d’ouverture : la recherche de partenariats divers
Comme la majorité des EI, l’objectif de Sinéo n’est pas de résoudre les problèmes sociaux de
ses salariés mais de déceler ces problèmes et d’orienter les salariés vers des personnes aptes à
les résoudre. Sinéo a ainsi développé de nombreux partenariats :
-
avec des organismes de logements sociaux,
-
avec les plans locaux d’insertion ou avec des banques comme la Caisse d’Epargne
pour développer le micro-crédit en faveur de leurs salariés et résoudre leurs problèmes
d’endettement,
-
avec des cellules de médecins de Lille pour aider les personnes battues, violées etc.,
-
avec des associations locales pour permettre à ses salariés d’obtenir le permis B,
-
avec des entreprises traditionnelles pour former les salariés et leur offrir des emplois
durables en fin de parcours d’insertion (Kéolis, Auchan, Nord Auto…),
-
avec des réseaux et des clubs réunissant experts et chefs d’entreprises traditionnels
pour mutualiser les bonnes pratiques. Sinéo est lié au Réseau Entreprendre Autrement
et va bientôt rejoindre le Club des franchisés pour bénéficier de leur expérience et
financer d’autres franchises. Ce club réunit des entreprises d’insertion et des
entreprises traditionnelles comme Nord Auto ou Camaieu. Il s’agit d’aider des
porteurs de projets à trouver des fonds propres pour se financer.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 76 -
Une stratégie d’organisation et de développement audacieuse
Le succès fulgurant de Sinéo a rapidement posé la question de l’essaimage du concept tout en
respectant les valeurs environnementales, économiques et sociales. Sinéo s’est donc associé
avec le réseau Entreprendre Autrement pour étudier des modèles de duplication pertinents
avant de finalement opter pour le développement en franchises.
-
La franchise solidaire et éthique, un pari osé mais réussi pour Sinéo :
Malgré la méfiance qui entoure le concept de franchise, Sinéo a choisi d’utiliser ce modèle
très cadré juridiquement pour développer son activité sur tout le territoire français. L’EI a
travaillé en collaboration avec France Active et le Réseau Entreprendre Autrement pour
redéfinir un contrat de franchise qui soit conforme aux principes et aux valeurs de l’économie
sociale et solidaire et de Sinéo. Ils ont ainsi abouti à un contrat de franchise édulcoré, dans
l’esprit de l’économie sociale et solidaire, mais relativement strict pour éviter l’abandon des
valeurs fondamentales pour Sinéo. Ainsi, les franchisés ne sont par exemple pas caution
personnelle, contrairement à une franchise Mc Donald’s. Il s’agit d’un deal gagnant gagnant,
de confiance et de respect mutuel. Si un franchisé ne respecte pas les valeurs de Sinéo, il perd
son droit de porter la marque Sinéo, comme ce fut le cas à Toulouse.
-
Comment ne pas dénaturer l’ADN social et environnemental de Sinéo ?
L’évaluation des profils de porteurs de projets est faite en partenariat avec France Active et
Entreprendre Autrement. Le département du travail local valide ensuite. Les candidats
partagent donc en général les valeurs essentielles de Sinéo. Par ailleurs, des équipes Siège
sont chargées de contrôler la bonne mise en œuvre des principes voulus par Sinéo.
Pour convaincre les membres de l’économie sociale et solidaire (ESS), être cohérent avec ses
valeurs, Olivier Desurmont a par ailleurs mis en place des pactes d’insertion. Les actionnaires
ne touchent pas de dividendes. Tous les profits sont réinvestis dans l’entreprise pour
développer et améliorer l’accompagnement des salariés.
-
Une réussite en matière de gestion, de mutualisation et de cohérence :
Tous les mois, les franchises versent une redevance au siège de Sinéo :
•
4% du CA de la franchise pour financer l’animation du réseau : Au siège 20-25
personnes travaillent sur les activités support : contrôle de gestion, juridique,
informatique, développement de relations grand comptes, développement de
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 77 -
partenariats d’insertion nationaux, audit… Les franchisés peuvent appeler pour avoir
des conseils.
•
2% du CA de la franchise pour financer la communication. Sinéo a en effet développé
un site Internet accessible à tous les franchisés, sur lesquels ils trouvent des grilles de
tarifs, des supports de communication etc.
Notons que cette redevance ne suffit pas à rémunérer les services des équipes du siège. En
effet, compte tenu du développement rapide de la structure, Sinéo a embauché plus de
personnes que ne le lui permettait la redevance mensuelle perçue des franchises.
Sinéo veut par ailleurs uniformiser les pratiques de formalisation du réseau en adoptant le
logiciel de suivi des pratiques et avancées sociales déjà utilisé par la Table de Cana et Ares.
Cet outil web, disponible pour tous les franchisés, standard, permettra aux équipes du siège
d’avoir des données consolidées mensuelles plus facilement que par compilation de tableaux
Excel aux formats souvent différents. Dans une situation de développement rapide, il est en
effet plus sain d’uniformiser et de contrôler le réseau pour maintenir les équilibres fondateurs
de Sinéo entre social, économique et environnemental40.
-
Une solidarité forte au sein du réseau de franchisés
Si un franchisé a des difficultés, le Siège lui vient en aide financièrement. La holding siège
prend alors des parts dans le capital de la franchise, ce qui lui permet de faire des apports en
compte courant. La holding peut aussi accorder des prêts à taux bonifiés en cas de difficultés
momentanées. Si un centre a vraiment de graves difficultés, Sinéo peut le reprendre ou
trouver un autre porteur de projet. Le centre de Limoge par exemple avait eu des problèmes
de trésorerie. Le développement plus lent que prévu et le retard de réception des subventions
menaçaient l’entreprise de dépôt de bilan. Sinéo lui a donc accordé une avance de 15 000€.
Les résultats
-
Les résultats sociaux :
Il est aujourd’hui difficile d’avoir du recul sur les résultats sociaux et économiques de Sinéo
car l’entreprise est très jeune. Si on considère la région Nord-Pas-de-Calais qui est la seule à
avoir été ouverte il y a plus de deux ans, le taux de sorties positives était de 70% en 2007. Il a
40
Note : le contrôle du réseau est extrêmement important. En effet, une franchise qui ne joue pas le jeu comme à
Toulouse peut faire énormément de torts à l’ensemble des franchisés.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 78 -
baissé à 58% en 2008. On peut donc penser qu’en moyenne, le taux de sorties positives
devrait se situer autour de 60%.
Sinéo essaie de suivre l’évolution de ses salariés après leur sortie, mais ce n’est pas toujours
possible. Globalement l’entreprise garde contact avec un salarié sur deux.
-
Les résultats économiques :
Avec la création de 250 postes, l’ouverture de 30 centres en franchise en deux ans et un
chiffre d’affaires de 6 millions d’euros, Sinéo est un modèle de réussite dans le monde de
l’insertion. Si pour l’année 2009 l’entreprise fait 1 million de pertes, il est nécessaire de
préciser que celles-ci étaient prévues et sont liées au développement fulgurant et à la
structuration de Sinéo. Les subventions publiques s’élèvent à 1 million d’euros toutes
subventions confondues, donc en prenant en compte des subventions liées à la recherche et
développement que toucherait aussi une entreprise classique.
Sinéo bénéficie d’une image désormais très positive, tant dans le monde de l’économie
classique que de l’économie sociale et solidaire. Ses choix (conseil d’administration avec des
personnes de l’économie sociale et solidaire mais aussi avec des dirigeants d’entreprises
classiques comme Nord Auto Midas, le courtier en assurance Gras Savoye SA, le brasseur
belge InBev…, partenariats, développement en franchises…) semblent donc être pertinents et
trouvent un fort écho chez les jeunes entrepreneurs. L’entreprise reçoit en effet de nombreuses
demandes de porteurs de projets souhaitant développer cette activité, en France comme à
l’étranger.
Une philosophie plus ambitieuse que la majorité des SIAE
Par ailleurs, contrairement à de nombreuses EI, Olivier Desurmont ne considère pas son
entreprise comme une EI qui a une activité support pour permettre d’insérer des personnes en
difficulté. Le modèle de Sinéo est véritablement fondés sur trois piliers indissociables :
environnement, économique, social. C’est la conciliation de ces trois éléments qui crée un
cercle vertueux. Le respect de l’environnement permet de valoriser le salarié. La rentabilité
économique permet d’accompagner efficacement les salariés, d’être plus productif, de se
développer et donc de créer davantage d’emplois. Il s’agit donc d’exploiter au maximum cette
trilogie vertueuse, « faire du business avec des valeurs humaines et en s’amusant par les
innovations vertes ».
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Un modèle original, ambitieux, qui offre aux jeunes entrepreneurs une alternative
aux business models classiques et illustre la viabilité des modèles conciliant
performance environnementale, sociale et économique.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Annexe B.2 : Envie, une évolution métier et un développement territorial avisés
Historique
L’organisation est créée en 1984 autour de l’activité de l’électroménager garanti (EMG) qui
se développe rapidement avec l’objectif d’accroître la couverture du territoire français sans
diversifier l’activité (même si les entreprises s’adaptent aux exigences locales).
Avec la directive sur le retraitement des D3E41, Envie opte en 2005 pour une stratégie de
diversification et crée les premières structures Envie 2E. Des centres importants pourvus
d’antennes secondaires avec le même conseil d’administration que le pôle principal, se
développent pour s’adapter aux besoins locaux. La croissance très rapide est quelque peu
désordonnée. En 2009, la Fédération décide donc de consolider le réseau pour assurer la
poursuite de l’activité et dresser un bilan de ces vingt-cinq années d’expérience.
Un projet qui allie social et environnemental : l’idée est en effet de réduire nos volumes de
déchets en rénovant, recyclant et revendant des produits à faible prix, de bonne qualité,
garantie un an, tout en contribuant à réinsérer des personnes en difficultés.
Présentation des activités des deux business models d’Envie
1/ Les ERG42 : associations à but non lucratif, E.I.
-
Non fiscalisées, non soumises à TVA
-
En dehors du marché de la concurrence
-
Choix du statut d’E.I. donc ratio de subventions limité à 30%
-
Contraintes réglementaires fortes relatives à la publicité, aux prix de vente dans les
magasins pour éviter toute concurrence déloyale. (Pas un prix ne doit dépasser 60% du
prix de marché standard). Les ERG n’ont donc que peu de liberté quant aux prix de
vente fixés. Elles risquent des redressements fiscaux immédiats en cas d’entorse aux
règles établies.
-
Faible maîtrise de l’approvisionnement car cela dépend des partenaires et de leur
activité. Or les approvisionnements sont difficiles et les appareils arrivent souvent
endommagés. D’autre part, les approvisionnements sont répartis de manière inégale.
41
42
D3E : déchets des équipements électroniques et électriques
ERG : Electroménager rénové garanti
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 81 -
La région Rhône reçoit trop de matériels alors que les centres de Limoges ou Rennes
en manquent. Il faut donc envoyer les appareils par camions et facturer ces transferts,
ce qui diminue encore la marge des centres ayant des difficultés d’approvisionnement.
-
Possibilité de développement en se diversifiant vers des activités de livraisons pour
des industriels comme Darty, ou du SAV mais les ERG ne peuvent ni ne veulent
franchir la barrière des 60 000 € de chiffre d’affaires car elles seraient alors soumises à
la TVA. Cela serait d’autant plus pénalisant qu’il n’y a pas de TVA à déduire car les
entreprises cèdent le matériel.
-
Un modèle de plus en plus difficile à pérenniser économiquement car le SMIC
augmente, mais les aides au poste n’augmentent pas.
2/ Les D2E43, sociétés commerciales E.I. :
-
Des sociétés commerciales soumises à la TVA et aux autres impositions usuelles.
-
Un réseau qui a explosé depuis la Directive européenne sur les D3E.
-
Un modèle en concurrence directe avec Véolia, Sita etc.
-
Des contrats de trois ans, remportés sur appel d’offres.44
-
Un contrôle très strict des éco-organismes à qui les collectivités et l’Etat demandent
des comptes. Aucune entreprise Envie 2E n’a le droit à l’erreur. (Un défaut d’une
entreprise Envie pénalise tout le réseau et a des répercussions très fortes sur l’image
du réseau.)
Des entreprises qui se spécialisent progressivement pour gagner de nouveaux marchés :
Bordeaux est spécialiste du démantèlement, Rennes est champion de la logistique…
Gestion des ressources humaines
Les personnes sont embauchées de manière échelonnée pour qu’il y ait un roulement régulier
et que les personnes avec plus d’ancienneté puisse parrainer et guider les nouveaux arrivants.
-
Un parcours d’insertion personnalisé en 4 phases
Recrutement : Contacts multiples et aléatoires selon les territoires, assistants sociaux,
pôle emploi, PLIE…
43
44
2E = emploi et environnement
Deux étapes : 1/ on gagne une activité (ex. la collecte ms pas le traitement)
2/ on gagne un marché (GEM HF, GEM F, PAM)
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Immersion (1er contrat) : Test de la motivation, de la capacité à échanger, recherche
des problèmes d’addiction éventuellement non décelés au recrutement (alcool, cannabis…).
Résolution de problèmes sociaux lourds (logement, santé…)
Construction du parcours, formation (2nd contrat)
Quand le premier contrat se passe bien, accentuation du volet formation professionnelle.
Objectif : favoriser l’émergence de compétences
Environ 9 mois
Préparation de la sortie (3ème contrat)
Travail avec les partenaires institutionnels (pôle emploi etc.), réécriture des CV, préparation
aux entretiens, recherche de partenaires industriels et de débouchés pour les salariés,
implication des administrateurs du CA (retraités, cadres…) qui font bénéficier les salariés de
leur expérience, de leur réseau, de leur accompagnement.
Environ 12 mois.
-
Des évaluations régulières formalisées :
Les chefs d’équipe fixent des objectifs journaliers à leurs salariés et font le bilan en fin de
semaine, reviennent sur les manquements, les fautes, les absences. Cela permet de déterminer
des éléments de progression professionnels et sociaux (gestion du budget, gestion des
comportements à risque, logement…), de mieux organiser le travail pour faciliter le dialogue
(formel et informel) et de mettre au point des indicateurs RH classiques (absentéisme, qualité
du travail, recours au service après vente sur certains lots, communication entre les
personnes…)
-
Différentes formations :
Envie propose deux types de formation : la formation sur poste, qui fonctionne très bien car
elle est concrète, plus adaptée à des personnes qui généralement ne parlent pas la langue, et la
formation en salle. Selon Yann Hervé, responsable des ressources humaines de la Fédération,
87% des salariés Envie sont employables à la sortie. Mais il faudrait que les compétences
et les qualifications des salariés soient reconnues et certifiées par un organisme extérieur.
Les offres de formation sont nombreuses, financées par les OPCA, Uniformation, AGEFOS,
FORCO etc. , ou la Fédération qui met en place une offre de formation nationale avec des
outils de formation à distance intégrés dans une démarche pédagogique et une équipe de
formation en collaboration avec l’AFPA (l’animateur réseau et le coordinateur pédagogique).
Envie permet par exemple de passer les deux premiers modules de formation de l’AFPA pour
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 83 -
obtenir le TMAE (attestation professionnelle). Un guide du vendeur pour construire un
argumentaire de vente percutant est désormais accessible et la Fédération réfléchit
aujourd’hui à la mise en place d’un centre de formation langagière.
Les résultats
-
Les résultats sociaux :
L’aide publique n’est qu’une la rémunération d’une prestation de service. Il est normal que la
prestation de réinsertion sociale soit rémunérée. Or aujourd’hui leur résultat économique
servent à payer la prestation sociale. Ainsi, à Bordeaux, on dénombre cinquante postes en
insertion pour trente conventionnés et aidés. Il est donc possible de ne pas dépendre
absolument des subventions.
En 2007, on compte 53% de sorties positives au niveau national, en augmentation par
rapport à 2005 et 2006 (respectivement 45% et 46% de sorties positives). Ces bons résultats
s’expliquent par le management d’Envie qui ne se contente pas de mettre les personnes au
travail mais tente réellement de les qualifier. Il convient toutefois de rappeler que :
-
Ce taux est fortement lié aux bassins d’emploi et aux démarches de partenariat avec
des entreprises au niveau local.
-
Il est faussé par les personnes qui s’en vont au bout du premier contrat, voire avant, en
raison de graves problèmes sociaux et d’addiction, ou de personnes qui voulaient juste
retrouver le droit à des aides en travaillant pendant un an…
-
Ce taux dépend de l’activité exercée. Ainsi, entre 90 et 100% des chauffeurs formés
par Envie parviennent à retrouver un emploi sans difficulté. Les personnes occupant
des emplois à basse qualification comme le démantèlement (le public employé est
souvent plus éloigné de l’emploi, avec des problématiques sociales plus lourdes)
trouvent moins de débouchés.
-
Il faut aussi tenir compte de la crise : on peut former des personnes mais si les usines
ferment et que les zones environnantes sont sinistrées, les personnes ne trouvent pas
d’emploi.
-
Les résultats économiques :
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Un positionnement sur un marché spécifique souvent associé à l’économie sociale et
solidaire : En 2008, 25% de la logistique relative et 18% du traitement aux D3E sont gérés par
des acteurs de l’économie sociale et solidaire.
Grâce à des accords nationaux et un fort lobbying, Envie a réussi à collecter des produits de
bonne qualité et de gros volumes. En vingt-cinq ans, Envie s’est développée sur tout le
territoire national avec :
•
23 entreprises d’électroménager rénové garanti. Le matériel est remis en état et
revendu à bas prix dans des magasins Envie spécialisés.
•
25 entreprises Envie 2E (SAS ou SARL) créées depuis trois ans pour retraiter les
déchets électroniques et électroménagers. 300 postes ont ainsi été créés.
Des limites
Les entreprises Envie ont des difficultés à s’implanter dans le Sud.
L’activité impose des contraintes assez fortes. Elle nécessite pour être rentable
économiquement que la commune soit relativement importante et dépend des éco-organismes.
Par ailleurs, les compétences sont disséminées partout et il n’est parfois pas aisé de les
regrouper et de diffuser les bonnes pratiques.
D’autre part, la Fédération est confrontée à un problème de gouvernance. Elle n’a pour
l’instant aucun moyen d’imposer des contrôles ou de s’immiscer dans la gestion ou le mode
de gouvernance des E.I., ce qui laisse un risque de dégradation de l’équilibre entre social et
économique. Or, les Conseils d’Administration sont parfois constitués d’administrateurs
incompétents, irresponsables, revendicatifs et sans le sentiment d’être des entrepreneurs ou
des managers à part entière. La méconnaissance des dossiers et l’absence de respect de la
Charte Envie peut parfois poser des problèmes non seulement politiques mais aussi
économiques, l’absence de vision opérationnelle et le manque de professionnalisme entraînant
des dysfonctionnements opérationnels.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
- 85 -
Les principales forces du réseau Envie
Une organisation qui garantit permanence des valeurs sociales et qualité des services
-
La création d’une Fédération, garante de la cohérence du réseau Envie :
Envie regroupe une cinquantaine d’entités autonomes, sans lien juridique entre elles. Chaque
entité a un conseil d’administration et une constitution juridique propre. Les structures se sont
d’abord développées, multipliées. Les décisions de les regrouper au sein d’une fédération,
d’instaurer un règlement, une charte, de mutualiser certaines fonctions, n’ont été prises
qu’après, pour s’assurer que les entreprises portant la marque Envie respecteraient leurs
engagements sociaux et environnementaux. Les structures sont donc autonomes mais liées
entre elles par :
-
Un contrat licence de marque,
-
Un règlement intérieur,
-
Des cotisations qui alimentent le fond de solidarité de la Fédération Envie,
-
La Fédération a une part dans le capital de toutes les sociétés (au moins une voix).
-
Une modèle de solidarité, source d’aides en cas de difficultés économiques :
Toutes les entreprises Envie versent à la Fédération :
-
une cotisation courante pour le fond de ressources destiné au financement des activités
supports et à l’animation de la Fédération,
-
une cotisation à un fond de solidarité pour les éventuelles difficultés passagères.
Un modèle qui évolue et innove en permanence
La naissance des structures Envie 2E en témoigne. Pour l’instant Envie est spécialisée dans
l’électroménager à 95% mais la Fédération étudie d’ores et déjà les pistes de diversification
existantes pour réduire sa dépendance par rapport aux D3E. Elle n’exclut pas de s’orienter
vers des activités business to business en récupérant le parc informatique d’industriels, le
mobilier, les écrans plats etc. Cette innovation et cette recherche de nouvelles niches
d’activité expliquent les succès économique et social d’Envie, puisque toute création
d’activité est synonyme de création de postes en réinsertion et d’accompagnement
socioprofessionnel.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Une logique d’ouverture et de partenariat qui sert les objectifs sociaux et économiques
-
Des entreprises Envie intégrées à des modèles plus larges
Les entreprises Envie ont su s’ouvrir à d’autres acteurs du secteur et s’intégrer à des modèles
plus complexes qui leur apportent visibilité, conseils, postes pour des salariés en fin de
parcours d’insertion… Parmi les modèles rejoints par certaines entreprises Envie on peut
citer :
•
Les ensembliers, notamment en Franche-Comté et à Clermont-Ferrand avec d’autres
entreprises, A.C.I. et E.I., qui permettent de créer des parcours d’insertion personnalisés et
professionnalisants tout en limitant les risques économiques.
•
Les partenariats avec des industriels comme dans le Nord de la France où Envie appartient
au groupe Vitamine T, ce qui lui permet de tisser des alliances avec des industriels du
Nord de la France, voire de la Belgique.
-
Des liens forts avec les industriels de l’électroménager
Envie est né de l’initiative de certains industriels. De nombreux industriels du secteur siègent
d’ailleurs à son conseil d’administration : Darty, Brandt, Whirlpool… Ils peuvent donc faire
du lobbying en faveur d’Envie.
Ces liens avec les industriels permettent aussi d’avoir une plus grande force de frappe en
matière d’approvisionnement pour récupérer les appareils neufs mais abîmés des grands
distributeurs. Plusieurs projets de partenariats avec des industriels sont d’ailleurs testés à
l’heure actuelle. EPUR, entreprise purement économique ne parvenant pas à gérer
correctement ses ressources humaines en raison d’un trop fort taux de turn over, a ainsi signé
un contrat de sous-traitance avec Envie. Quinze salariés en insertion vont gérer l’activité sur
le marché gagné par EPUR. De telles opportunités de création d’emploi sont précieuses mais
il s’agit de veiller à ne pas se faire happer par une logique industrielle purement économique
et renoncer partiellement à son projet social. Un partenariat du même type a vu le jour à
Gennevilliers avec De Richebourg.
-
Un développement qui ouvre de nouveaux marchés
Pour pallier la contrainte de taille et pouvoir être en mesure de répondre à des appels d’offres
intéressants des éco-organismes, Envie a dû se développer rapidement et mutualiser ses
ressources et les bonnes pratiques du réseau. Le regroupement au sein d’une Fédération offre
la possibilité d’avoir une force de négociation nationale et donc plus de chance de gagner des
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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marchés. Par ailleurs, sa taille et son impact social en font un interlocuteur privilégié des
pouvoirs publics.
-
Fédération Envie : centre de ressources et d’experts et force de propositions
Des groupes de travail avec des experts réfléchissent au développement de nouveaux projets
ou à la résolution des conflits existants. La Fédération est chargée des études de faisabilité des
projets proposés par les membres du réseau. Une équipe réfléchit et coordonne le
développement du réseau, ce qui est rare dans l’IAE où les entreprises sont généralement des
TME et PME qui se développent de façon anarchique. Les connaissances, les bonnes pratiques
et certaines fonctions supports sont mutualisées : RH, communication. Les informations sont
centralisées et des outils adaptés pour les PME locales sont mis à disposition (conseils, mise en
conformité avec les évolutions du droit du travail, pôle communication, SOS Réseau via le
téléphone ou l’intranet etc.) Le réseau s’est par ailleurs doté d’un animateur réseau. De même,
les systèmes de formations sont mutualisés : partenariat avec l’AFPA et CFA pour la
formation technique avec l’objectif de former non seulement les salariés en insertion mais
aussi les permanents. Le Projet Passerelle Emploi est actuellement en test avec Véolia. Il
s’agit d’évaluer les besoins de Véolia en salariés et les salariés disponibles chez Envie.
La Fédération est aussi chargée du dialogue avec les fondations d’entreprises, les départements
achats solidaires ou développement durable pour éventuellement reprendre des parcs
informatiques ou mobiliers, ou faire recruter ses salariés en fin de parcours d’insertion. Elle est
chargée d’organiser des réunions pour faire découvrir Envie aux entreprises classiques.
Le réseau Envie se professionnalise donc progressivement. Sa démarche proactive
mais prudente (les projets sont toujours testés au niveau local avant d’être lancés au
niveau national) explique son succès et sa notoriété actuelle.
-
Solidarité entre les différentes entités du Groupe
Un fond de solidarité géré par 6 personnes peut accorder des dons ou des prêts en fonction des
problèmes des différentes entités. Par ailleurs, les entités peuvent se soutenir mutuellement en
cas de difficultés. Certaines deviennent alors des annexes, ou pôles secondaires, de
l’entreprise soutien. L’idée est d’éviter la fermeture d’une antenne. Ainsi, Envie Lille a aidé
Envie Amiens, un temps en redressement judiciaire. Le centre d’Amiens est par la suite
devenu une entité secondaire de celui de Lille.
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Annexe B.3 : Matatou, une entreprise insérante, un modèle à diffuser45
Historique
Matatou a été créée en 2006 pour répondre à la problématique du transport des enfants
usagers des établissements sociaux et médico-sociaux de la Gironde, sans se substituer aux
services déjà existants (taxi, service interne ou transport en commun).
Initialement, l’entreprise devait être une entreprise d’insertion.
Pour différentes raisons politiques et économiques :
-
lobbying des transporteurs privés,
-
résultats prévisionnels trop intéressants,
-
forte perspective de développement,
-
demande de conventionnement en fin d’année alors que les budgets publics sont
épuisés…
l’entreprise Matatou n’a pas reçu l’agrément E.I. et le projet d’entreprise a donc dû être
modifié pour être adapté aux nouvelles conditions économiques et financières. Le projet a été
remodelé tout en conservant la même philosophie et les mêmes valeurs d’entreprise. La
société a d’ailleurs inscrit dans ses statuts la dimension d’insertion professionnelle et sociale
de personnes en difficulté.
Mais le manque de financement l’a obligée à réduire le nombre d’accompagnateurs pour ses
équipes.
En quoi est-ce une entreprise insérante ?
Matatou recrute ses salariés parmi un public éloigné de l’emploi. Elle a mis en place un suivi
personnalisé de ses salariés et sert de relais entre les salariés et les organismes publics dès le
recrutement et pour gérer toutes les questions sociales (Agefip, Pôle Emploi, PLIE…)
Claire Lescat est gérante associée unique. Il n’y a aucun autre associé. Elle ne bénéficie pas
de subventions publiques en tant qu’E.I., ni de financements privés.
Son succès s’explique par son projet initial de création d’une E.I. et toutes les démarches de
communication, partenariat, entreprises avant la création. Matatou a en effet reçu des aides du
45
Cas écrit à partir des informations fournies lors d’un entretien par Claire Lescat, fondatrice de Matatou
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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Réseau entreprendre autrement ou de France Solidarité Active qu’elle n’aurait pas eues en
tant que pure entreprise classique. Si elle avait voulu monter une EURL directement, elle
n’aurait pas bénéficié des mêmes aides et contacts dans ces réseaux.
La gestion des ressources humaines, un accompagnement attentif
-
Recrutement d’un public éloigné de l’emploi :
Elle emploie principalement des demandeurs d’emplois longue durée et des personnes
reconnues travailleurs handicapés, des personnes d’une cinquantaine d’années, hommes et
femmes (même s’il y a aujourd’hui une majorité d’hommes), anciens ambulanciers,
chauffeurs, moniteurs, policiers qui ont eu un accident du travail ou ont été déclassés et au
chômage pendant longtemps. Aucun n’a jamais été chauffeur accompagnateur puisque c’est
un nouveau métier.
Aujourd’hui l’entreprise compte 18 salariés dont 16 chauffeurs : la gérante non salariée, 1
responsable transport, 1 chef d’exploitation et 16 chauffeurs, qui ne sont pas tous employés à
plein temps. Des réflexions sont en cours pour que les jeunes adultes handicapés transportés
puissent éventuellement devenir chauffeurs.
-
Prérequis à l’embauche :
Prérequis relatifs à la conduite, permis B depuis plusieurs années (2 ans minimum),
autonomie, aptitude à se repérer rapidement dans des lieux divers…
Prérequis relatifs à l’accompagnement des enfants : sensibilité à l’enfance
-
Le contrat
La personne est généralement embauchée sous un contrat aidé qui lui permet de bénéficier de
soutiens extérieurs pendant 18 mois. Un soutien financier minime est accordé à l’entreprise
ainsi que des avantages pour le salarié tels que la CMU ou la carte bus gratuite…
Les contrats sont faits sur mesure, en fonction des problèmes, handicaps, contraintes de la
personne. Le nombre d’heures est adapté à chaque situation.
-
L’accompagnement socio-professionnel
Des formations relatives à l’accompagnement des enfants et à la sécurité sont assurées en
interne par la directrice et des partenaires spécialisés. Faute de moyens, l’accompagnement est
moins formel et formalisé que dans les E.I.. Il est néanmoins important. Après le recrutement,
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un accompagnement interne est mis en place directement avec Claire Lescat qui reçoit
régulièrement les salariés pour les aider à régler leurs problèmes.
On distingue deux approches :
-
L’accompagnement social, pour accroître l’autonomie de la personne, grâce aux
entretiens, à l’écoute de Claire Lescat et aux organismes spécialisés.
•
L’accompagnement professionnel avec :
la formation au statut de « chauffeur accompagnateur » qui est un nouveau métier. Une
formation a été mise en place en 2008 avec les établissements sociaux médicaux pour
former au mieux les chauffeurs et faire reconnaître le statut spécifique des chauffeurs
accompagnateurs dans les conventions médico-sociales. Les salariés de Matatou
bénéficient donc de cette formation longue (1 jour par mois pendant 6 mois) en externe et
d’une formation au cas par cas en interne, souvent en partenariat avec les équipes des
établissements sociaux médicaux.
•
Les évaluations tous les 4 mois avec le responsable transport pour analyser tous les
comportements qui concernent la qualité du travail selon un certain nombre de critères
définis par Matatou. Selon les problèmes décelés, des actions sont entreprises : formation
à l’éco-conduite, sensibilisation à la prévention routière, relation avec des psychologues
pour aider les chauffeurs à trouver leur place par rapport aux familles etc. Pour optimiser
cet accompagnement, des entretiens d’évaluation ont lieu tous les 4 mois.
-
La fin de « parcours »
Contrairement aux E.I., le salarié reste chez Matatou. Les contrats aidés sont transformés en
CDI. On aboutit donc bien à de l’emploi pérenne.
Une activité très spécifique sur un marché concurrentiel : une innovation métier
Matatou est spécialisée dans le transport d’accompagnement d’enfants avec troubles du
comportement et de la personnalité, enfants de 5 mois à 21 ans agités, nerveux, supportant
difficilement les changements et l’instabilité.
-
Une réponse technique :
Le transport d’enfants souffrant de troubles du comportement et de la personnalité est une
activité spécifique. La durée des transports, les itinéraires, les accompagnateurs doivent être
réguliers. Des liens avec les référents sociaux doivent être tissés. L’activité diffère réellement
Ruse N. - « Les projets d’insertion peuvent-ils concilier objectifs de profits économique et social ? » - Juin 2009
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de celle de simples taxis qui prennent des personnes et les déposent aux endroits indiqués et
peuvent rompre le contrat en cas de problème avec le jeune, ce qui accroît encore ses troubles
psychologiques.
-
Une réponse économique :
Il s’agit de rationaliser les besoins de tels transports sur le territoire pour mutualiser l’offre sur
tout le département.
-
Une réponse sociale par le projet de l’entreprise :
Il existe de nombreux transporteurs. La force de Matatou est d’être très spécialisée et d’avoir
une forte valeur ajoutée par rapport aux établissements et aux Conseils Généraux.
L’entreprise n’accepte pas de transporter n’importe qui n’importe comment, ne fait pas du
transport de dernière minute. La réussite s’explique par la qualité de la prestation et de la
relation humaine entre les chauffeurs accompagnateurs et les enfants ou adultes transportés et
leur entourage.
Aujourd’hui le Conseil Général ne veut passer que par eux.
Une situation de monopole
Un développement rapide, vers la duplication du modèle ?
Croissance rapide depuis 2006 dans la région Aquitaine. Aujourd’hui, Claire Lescat
s’interroge sur les possibilités de duplication de son modèle pour augmenter sa couverture
territoriale rapidement. Avec l’aide du Réseau Entreprendre, elle envisage différents scénarios
de croissance.
1/ Croissance interne par la création d’établissements secondaires dans d’autres
départements
2/ Croissance par la création de franchises
Option a priori retenue aujourd’hui car elle permettrait de dupliquer le modèle sur le territoire
plus rapidement tout en impliquant moins de responsabilité pour la gérante. Il s’agit
désormais d’analyser et de transcrire les caractéristiques de ce modèle performant, de
formaliser les pratiques juridiques, sociales, les relations clients, le suivi et la formation des
salariés, les outils informatiques, la gestion de la flotte de véhicules (mutualisation des
besoins pour négocier des contrats cadres de location longue durée plus avantageux)… pour
créer une charte des franchisés.
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Compte tenu des attentes très spécifiques du marché, des établissements et des conseils
généraux, il ne faut pas laisser trop de marge de manœuvre aux franchisés. Un échec aurait en
effet un impact sur toutes les franchises et il s’agit d’un public particulièrement délicat.
Remarque : positionnement complexe car Matatou est une entreprise privée au service du
public. Pour que cela fonctionne, il faut :
-
être transparent,
-
impliquer les décideurs et financeurs publics dès le lancement du projet
-
organiser des comités de suivi pour informer et se tenir au courant de leurs attentes
Grande légitimité de Matatou
Claire Lescat s’occupera de la prise de contact entre les établissements, conseils généraux et
la nouvelle franchise.
Quels résultats économiques ?
-
Analyse du résultat :
Un résultat positif dès la première année.
CA 2007 : 374 K€
CA 2008 : 500 K€
Un CA en augmentation constante (+ 33%) en raison du développement et du succès
de Matatou
-
Evolution de la masse salariale
2007 : 183 K€+ 42,6 K€ = 225,6 K€
2008 : 233 K€ + 74 K€ = 307 K€
Augmentation de 36 %
(Le salaire de la gérante n’est pas compris dedans)
-
Evolution des subventions d’exploitation
2007 : 31,373 K€
2008 : 17,338 K€
La diminution des subventions est d’autant plus importante que la masse salariale augmente.
Cela s’explique par le fait que les contrats aidés ne le sont que 18 mois. Après Matatou
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emploie ses salariés en CDI. Les aides s’arrêtent. Les subventions devraient donc continuer de
chuter dans les prochaines années relativement à la masse salariale.
Réussite de Matatou qui s’explique beaucoup par la motivation de ses employés, le
climat de confiance et d’écoute.
« Entreprise insérante, ce n’est pas un statut, c’est une forme de culture et de
management d’entreprise qui profite à tout le monde ! » selon les mots de Claire
Lescat
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