4335870 - Une ecole d`economie a Paris ? Chic

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4335870 - Une ecole d`economie a Paris ? Chic
28/10/05
P. 16
Idées
L’ANALYSE DE
JEAN-MARC VITTORI
Une école d’économie à Paris ?
Chic, mais…
Tous droits réservés − Les Echos − 2005
P
aris a déjà son école de
kinésithérapie, une des
mines, une de boulangerie,
cinq d’architecture et plus de
300 primaires. Et une école
d’économie ? Que nenni,
alors que les Anglais nous
narguent depuis plus d’un
siècle avec leur « London
School of Economics ». Mais
cette lacune sera comblée à la
rentrée 2007. Le mois dernier, Dominique de Villepin
a annoncé la création de
l’école d’économie de Paris.
Le Premier ministre lui a
donné une prime de naissance de 10 millions d’euros.
Et un pilote : Thomas Piketty, un économiste jeune
(trente-quatre ans) et déjà
réputé, même si son plaidoyer en faveur d’une fiscalité plus progressive ne lui
vaut pas que des amis. On ne
peut quese réjouir d’unetelle
initiative. A-t-elle toutes les chances de tains professeurs, notamment venus
réussir ?
d’Europe, nese sentent plus aussi bien sur
L’enseignement de l’économie les campus américains. C’est un bon mon’échappe pas aux lois… de l’économie : ment pour les faire venir en France − ou
laconcurrencedevient mondiale. L’enjeu revenir, tant les économistes français sont
n’est plus d’attirer les meilleurs du pays, nombreux à être partis enseigner outrecomme les grandes écoles lefont depuis le Atlantique. Mais s’il y a d’excellentes
XIXe siècle, mais les professeurs et les raisons de créer une école d’économie à
étudiants les plus brillants de la terre Paris, le succès n’est pas certain. Il suffit
entière. Pour y parvenir, il faut une répu- deposer deuxquestions simples pour s’en
tation d’excellence, qui requiert d’être apercevoir : quoi ? comment ?
L’école d’économie de Paris, c’est
connu. Or la France a dans l’université le
même défaut que dans le vin : la produc- quoi ? Un campus et une fondation. Le
tion est de qualité inégale et beaucoup campus existe déjà : c’est l’ancienne
trop morcelée. Ce qui la pénalise dans le Ecole normale supérieure féminine, boulevard Jourdan. Des cherpalmarès le plus consulté
cheurs réputés, venus de difpar les étudiants en éconoférentes maisons (Ecole
mie, établi par l’université
Ceux qui
normale supérieure, Pontsde Melbourne à partir des
ont décidé
et-Chaussées, Inra, Ehess,
publications parues dans
sa création n’ont
Cepremap), y travaillent en
63 revues scientifiques au
cours de la dernière décen- apparemment pas partenariat depuis un bon
nie (www.econphd.net). regardé la grande bout de temps − le mouveCe palmarès est désas- réussite française ment a commencé il y a une
douzaine d’années. Ils y ont
treux pour la capitale franen la matière,
monté des programmes de
çaise. Sa première univerl’université
master (bac + 5) et de doctosité, Paris-I, arrive au
de Toulouse-I.
rat (bac + 8). L’école conti93e rang, suivie de l’Ecole
nuera sur cette lancée en
des ponts et chaussées
(ENPC, 97e), Polytechnique (141e) et recevant uniquement des étudiants ayant
Dauphine (171e). Les onze premières du déjà passé au minimum deux ou trois ans
classement sont américaines (Harvard, sur les bancs de la faculté.
La fondation, bientôt créée, donnera
Chicago, MIT…). Mais la finaude London School of Economics arrive au un label unique qui produira une forte
12e rang. Encore plus vexant : la provin- ascension dans les classements monciale université de Toulouse-I arrive… au diaux. Avec les premiers fonds déblo18e rang, 75 places devant la première qués, il deviendra possible de remplacer
parisienne ! Devant l’affront, il était plus une partie des bâtiments préfabriqués qui
datent de… 1945. Le système gagnera en
que temps de réagir.
Au-delà de la nécessité, il y a une souplesse. Des chaires temporaires acoccasion à saisir. L’Amérique n’est plus cueilleront des professeurs fraîchement
aussi accueillante. Depuis l’élection de recrutés, en attendant les deux ou trois
George Bush Jr. en 2000 et depuis le années nécessaires pour que se dégage un
11 septembre 2001, quelque chose s’est poste stable dans l’université. Mais
fendillé dans le bétonuniversitaire améri- l’école n’ira pas au-delà. Comme l’excain. Les étudiants étrangers sont moins plique Danièle Hervieu-Léger, présinombreux à migrer aux Etats-Unis. Cer- dente de l’Ehess, « une fondation n’a pas
vocation à disposer d’un corps
enseignant qui lui soit propre »
et « ne saurait avoir de capacité
diplômante ». Autrement dit,
les institutions rassemblées
sous l’étiquette « EEP » resteront libres de gérer leurs professeurs et leurs diplômes.
D’où deux dangers permanents : l’explosion de l’école ou
le démantèlement des institutions impliquées. Bon courage
à ceux qui voudront forger une
identité commune !
Deuxième question : comment est née l’école ? C’est le
fait du prince. Une décision
« top-down » et non « bottomup », comme dirait un consultant en management. Pas d’annonce préalable. Pas de
consultation ouverte. Pas d’appel d’offres, outil pourtant
prisédes économistes.Certains
des intéressés ont été prévenus
le matin de l’annonce. D’autres
ont mené un intense travail de lobbying
qui a porté ses fruits. « Je ne crois pas que
cela soit de nature à diriger les efforts des
chercheurs dans la bonne direction », affirme dans son blog Bernard Salanié, un
économiste français qui travaille à l’université Columbia de New York. Bref,
l’EEP, née dans l’opacité, devra s’en
affranchir.
Plus grave : ceux qui ont décidé la
création de l’EEP n’ont apparemment
pas titré les leçons de la grande réussite
française en la matière. Il eût pourtant été
instructif de regarder comment Toulouse-I s’est hissée au second rang européen. D’abord, c’était une initiative de la
base. Elle est partie de Jean-Jacques
Laffont, un professeur qui a décidé dans
les années 1980 de se battre au pays après
avoir enseigné à Paris et dans cette
Mecque mondiale de l’économie qu’est
Harvard. Ensuite, elle s’est construite
dans uneseuleuniversité, coagulant peuà
peu les institutions voisines. Enfin, Laffont a bâti avec d’autres un Institut d’économie industrielle pour associer des entreprises à la recherche. Les fonds
récoltés ont permis de s’émanciper de la
misère de l’université et d’attirer ainsi
d’autres chercheurs. Un colloque organisé à Toulouse il y a quatre mois en
mémoire de Laffont, décédé en 2004, a
été le plus prestigieux rassemblement
d’économistes en France depuis des
lustres.
Heureusement, il y a plusieurs chemins
qui mènent à la réussite. Toulouse en a
tracé un de fort belle manière. Espérons
que Paris défrichera le sien malgré ses
handicaps de départ, en nouant des liens
avec des entreprises. Et que l’on puisse un
jour exprimer son enthousiasme en prononçant à l’anglaise le nom de l’école de
Paris : « Hi Hi Pi… Hourra ! »
JEAN-MARC VITTORI est éditorialiste
aux « Echos ».
jmvittorielesechos.fr