Protéine c réactive, homocystéine et risque cardiovasculaire

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Protéine c réactive, homocystéine et risque cardiovasculaire
54es Journées de biologie clinique Necker
thématique
– Institut Pasteur
à taper
Protéine c réactive, homocystéine
et risque cardiovasculaire
Hélène Lelonga, Sandrine Kretza, Jacques Blachera,*
1. Comment peut-on affiner
l’évaluation du risque
cardio-vasculaire ?
La récente étude Interheart a apporté des informations
scientifiques importantes en ce qui concerne les facteurs
favorisants la survenue d’un infarctus du myocarde, notamment l’importance, en matière de prédiction, des facteurs
socio-économiques et psycho-comportementaux [1]. Dans
cette étude, la prise en considération des facteurs de risque
cardiovasculaire classiques et moins classiques explique
plus de 90 % de la variance de survenue des infarctus du
myocarde. Cette information est capitale puisque, jusqu’à
présent, on estimait que les facteurs de risque cardiovasculaire
conventionnels (diabète, hypertension artérielle, tabagisme
et hypercholestérolémie) expliquaient environ la moitié de
la variance de la survenue des infarctus du myocarde. Ces
résultats sont à vérifier, l’étude Interheart étant une étude
cas-témoins rétrospective.
En pratique clinique quotidienne, des patients ayant tous
les facteurs de risque pour un événement morbide restent
cependant sains. D’autres présentent des événements illégitimes, à savoir des événements survenant chez des patients
n’ayant pas les facteurs de risque traditionnels. D’autres facteurs de risque cardiovasculaire, notamment coronariens, tel
l’hyperhomocystéinémie ou l’augmentation de la CRP, sont
fortement associés à la survenue d’événements cardiaques
morbides et ne sont pas pris en compte par les échelles de
risque traditionnelles (Framingham, SCORE) [2, 3].
2. Inflammation
et risque cardiovasculaire :
bases fondamentales
La maladie athéromateuse est en fait une maladie lentement évolutive qui débute souvent au cours de la deuxième
ou la troisième décennie, asymptomatique tant qu’il n’y a
a Centre de diagnostic et de thérapeutique
Groupe hospitalier Hôtel Dieu-Cochin (AP-HP)
1, place du Parvis Notre-Dame
75181 Paris cedex 04
Université Paris Descartes – Sorbonne Paris-Cité
* Correspondance
[email protected]
© 2012 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.
pas de sténose artérielle ou d’événement thrombotique.
Cependant, la composition et la vulnérabilité des plaques
semblent de plus importants facteurs prédictifs d’événements que le degré de sténose (contrairement à ce que
l’on pensait jusqu’à il y a une vingtaine d’années). En effet,
les plaques molles, riches en lipides, présentent un grand
risque de rupture, alors que les plaques dures calcifiées,
riches en collagène, sont plus stables et ont un plus faible
risque de rupture. Ainsi, les événements coronariens mortels sont plus fréquemment en rapport avec une rupture
d’une plaque peu sténosante mais fragile, plutôt qu’avec
une sténose serrée [4].
Il suffit de la rupture d’une seule plaque athéroscléreuse
pour déclencher tout le processus thrombotique en cascade,
allant potentiellement jusqu’à l’événement clinique voire
jusqu’au décès [4]. C’est bien sûr cette rupture de plaque
qu’il faut essayer de prévenir et élucider les relations complexes existant entre la durée d’exposition des facteurs de
risque et la survenue de cette rupture de plaque.
L’endothélium intact a des propriétés anti-agrégantes,
anticoagulantes et protège donc des événements cardiovasculaires. La lésion endothéliale est l’étape initiale des
lésions athéromateuses : des cellules mononuclées pénètrent
dans la paroi artérielle à travers l’endothélium lésé et des
particules de LDL sont oxydées au sein de la paroi artérielle.
Les LDL oxydés sont phagocytés et ces macrophages
deviennent des cellules spumeuses. Ces cellules correspondent à la partie molle de la plaque athéromateuse, les
stries lipidiques. Cette étape est suivie d’une infiltration
par des monocytes et des macrophages. L’épaisseur et
la consistance de la plaque athéromateuse évoluent. Elle
devient poreuse et présente alors un risque de rupture,
avec mise en contact de l’intérieur de la plaque avec les
éléments figurés du sang. Une activation plaquettaire va
résulter de cette mise en contact, suivie d’une agrégation
plaquettaire. Le thrombus formé peut être intégré au sein
de la plaque (augmentant ainsi significativement son épaisseur et augmentant donc le risque de sténose), ou resté en
intra-artériel sous forme de thrombose artérielle complète
ou se compliquant éventuellement d’embolie à distance [4].
Une description plus récente des mécanismes inflammatoires
des processus athéro-thrombotiques peut être résumée de
la façon suivante : après l’adhésion des monocytes à la paroi
artérielle, adhésion favorisée par des molécules d’adhésion
(ICAM, VCAM), ces monocytes migrent dans l’espace sousendothélial et incorporent dans leur sein des LDL oxydés
en vue de devenir des cellules spumeuses. Parallèlement,
des cellules musculaires lisses migrent dans l’intima, prolifèrent pour former une chape fibreuse. Les cytokines, les
métaloprotéinases et les facteurs tissulaires secrétés par les
macrophages favorisent la rupture de plaque et la formation de thrombus. Ces différentes cascades font intervenir
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Dossier scientifique
des cellules et autres marqueurs de l’inflammation et, sur
ces bases, il a été testé différents marqueurs biochimiques
de l’inflammation dans leur propension à prédire le risque
cardiovasculaire. Les molécules les plus couramment testées ont été la C-Réactive protéine (CRP), l’interleukine 6,
l’interleukine 1, le tumor necrosis factor (TNF).
Ce type de description laisse aux facteurs inflammatoires
une place considérable, centrale à toutes les étapes-clés,
et laisse donc présager un fort potentiel à la fois dans les
stratégies de prédiction mais aussi de réduction du risque
cardiovasculaire.
3. Inflammation
et risque cardiovasculaire :
l’engouement du départ
Les premières études cliniques étaient des études transversales montrant une corrélation entre le niveau de CRP et
l’existence ou l’étendue de la maladie athérothrombotique
(score calcique coronaire, athérosclérose carotidienne…) [5].
D’autres auteurs rapportant des résultats négatifs [6] ont
émis l’hypothèse que le niveau de la CRP puisse être en
rapport non pas avec l’étendue de l’athérosclérose mais
plus spécifiquement comme marqueur de l’activité inflammatoire au sein de la plaque.
Puis, les études longitudinales ont montré que la CRP, en
plus d’être associée à l’existence, voire à l’étendue de
l’athérosclérose chez des sujets, pouvait aussi prédire la
survenue des maladies cardiovasculaires [7]. Plusieurs
recommandations européennes ou nord-américaines ont
d’ailleurs insisté, sur le rôle de la CRP dans la prise en
charge clinique des patients [8, 9].
Parallèlement aux études s’intéressant aux relations existant
entre la CRP et le risque cardiovasculaire, de nombreuses
études ont montré l’existence de relation entre la CRP et
différents facteurs ou marqueurs du risque cardiovasculaire,
notamment la pression pulsée, la résistance à l’insuline, le
syndrome d’apnée du sommeil ou encore le tabagisme.
Finalement, dès le début des années 2000, il devenait difficile
de présenter les résultats d’une étude cardiovasculaire ne
tenant pas compte de la CRP. Après cet engouement de
départ, d’autres études ont pondéré le rôle de ce marqueur
inflammatoire en pathologie cardiovasculaire.
4. Inflammation
et risque cardiovasculaire :
le retour à la raison
L’apport de la mesure des paramètres biologiques inflammatoires à l’évaluation du risque cardiovasculaire individuel comporte, à notre sens, trois types de limitations qu’il
importe de bien connaître :
– il paraît illusoire de penser qu’une seule mesure biologique
peut prédire une part importante de la survenue des événements cliniques en rapport avec une maladie multifactorielle, dépendante du contenu (propension à la thrombose),
du contenant (propension à l’athérome), ou encore du lien
existant entre les deux (endothélium) ;
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– la valeur prédictive de la CRP ou de tout autre paramètre
inflammatoire ne devient intéressante que si elle s’ajoute à
la prédiction effectuée par des mesures classiques (pression artérielle, bilan lipidique…), la partie additionnelle de
la prédiction faisant tout l’intérêt de cette mesure (la part
de la variance du paramètre inflammatoire attribuable au
tabac ou à la pression pulsée n’a pas d’intérêt en termes
d’optimisation de la prédiction du risque cardiovasculaire
individuel) ;
– enfin, se pose la question du (ou des) meilleur(s) paramètre(s)
biologique(s) inflammatoire(s) en termes de prédiction du
risque cardiovasculaire.
Plusieurs arguments laissent penser que l’inflammation
joue un rôle important au niveau du risque vasculaire [pour
revue : 10].
• Dans différentes situations à fort risque cardiovasculaire,
on remarque des taux de CRP plus élevés. De plus, une CRP
plus élevée est liée à un risque plus important de re-sténose
après une dilatation artérielle instrumentale (angioplastie).
• Par ailleurs, l’association du taux de cholestérol et de la
CRP semble être prédictive de façon extrêmement puissante
sur les événements cardiovasculaires.
• Il semblerait qu’un traitement par aspirine prévient d’autant
mieux les événements cardiovasculaires que la CRP était
initialement plus élevée.
• Il a également été montré qu’un traitement par statine en
prévention secondaire, malgré l’absence d’hypercholestérolémie, permet de diminuer le nombre d’événements, et
ce probablement partiellement grâce à la baisse du taux
de CRP observée sous ce traitement.
• Les traitements par glitazone semblent également avoir
une incidence sur la CRP.
Néanmoins, dans leur méta-analyse, Danesh et coll. ont
suggéré que la CRP n’était pas, en analyse univariée, plus
étroitement associée à la survenue des événements que
les facteurs de risque conventionnels au niveau coronarien, à savoir les dyslipidémies ou le tabagisme. La valeur
prédictive additionnelle dans un modèle multiparamétrique
était faible lorsqu’on prenait en considération les facteurs
de risque cardiovasculaire majeurs [11].
Cependant, on ne peut pas considérer la CRP comme le
meilleur ou l’unique critère de substitution. Il est probablement important d’évaluer la balance entre les facteurs
pro-inflammatoires et les facteurs anti-inflammatoires : le
taux de CRP seul n’est pas suffisant, mais il faut considérer
l’ensemble des facteurs jouant sur l’inflammation : l’association d’une élévation de la CRP et de la baisse de l’IL10
(protéine anti-inflammatoire très puissante) correspond au
phénotype de risque cardiovasculaire le plus élevé [12].
5. CRP et risque cardiovasculaire,
relation causale ?
Il est tout à fait indéniable en 2012 que des taux plasmatiques élevés de CRP sont associés de façon étroite au
risque cardiovasculaire, notamment au risque coronarien.
Il existe actuellement, des interrogations sur le caractère
causal de cette relation. La génétique peut aider à déterminer
le caractère causal d’une association par la technique de
randomisation mendélienne. Le concept de randomisation
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mendélienne nécessite qu’il existe des variants génétiques
modulant le taux plasmatique du marqueur, ici de la CRP.
L’étape suivante consiste à analyser les relations existant
entre ce variant génétique et le niveau de risque cardiovasculaire. Si la relation devait être causale, le variant génétique
devrait être associé à une augmentation du risque, autant
que le voudrait l’augmentation de la CRP.
Un groupe international de chercheurs a publié récemment
dans le British Medical Journal une méta-analyse sur données individuelles utilisant ce concept de randomisation
mendélienne pour avancer quant au caractère causal de la
relation CRP/risque cardiovasculaire augmenté [13]. Ils ont
étudié 4 polymorphismes isolés avec des fréquences alléliques allant de 6 à 94 %. Chacun de ces polymorphismes
était associé à une augmentation de quelques mg/l du
taux de CRP dans le plasma. En revanche, aucun de ces
polymorphismes n’était associé à une augmentation statiquement significative du niveau de risque coronarien, l’un
des polymorphismes étant même significativement associé
à une réduction de 7 % du risque coronarien. Les auteurs
concluent à une augmentation du risque coronarien d’environ 30 à 50 % pour chaque augmentation d’une déviation
standard du taux plasmatique de CRP, mais en l’absence
de risque accru associé au polymorphisme modulant les
taux plasmatiques de CRP.
Leur conclusion est donc que la CRP n’est probablement
pas associée au risque cardiovasculaire de façon causale
mais ne serait qu’un marqueur de risque (on sait bien que
le niveau de CRP augmente en association avec les autres
facteurs de risque cardiovasculaire, notamment les dyslipidémies, le diabète, l’hypertension artérielle ou encore la
consommation de tabac).
6. Homocystéine
et risque cardiovasculaire :
40 ans de recherche
L’homocystéine est un acide aminé soufré, produit lors du
catabolisme de la méthionine, acide aminé essentiel. Quand
la méthionine est en excès, l’homocystéine est dirigée
vers la voie de la transsulfuration où elle est métabolisée
en cystathionine puis en cystéine avant son élimination.
L’enzyme cystathionine-béta-synthase (CBS) est essentielle dans la voie de la transsulfuration, la vitamine B6
agissant en tant que cofacteur. En cas de balance négative en méthionine, l’homocystéine est métabolisée vers la
voie de la reméthylation qui utilise les enzymes méthionine
synthase et méthylène tétrahydrofalate réductase (MTHFR)
avec, à nouveau, plusieurs vitamines B agissant en tant
que cofacteurs, notamment la cobalamine (vitamine B12),
le 5-méthyl-tétrahydrofalate (la forme principale de l’acide
folique), agissant en qualité de donneur du groupe méthyl,
la riboflavine (vitamine B2), ainsi que la vitamine B6. Une
voie additionnelle de reméthylation prend acte surtout dans
le foie et la réaction est catalysée par l’enzyme bétaïnehomocystéine méthyl-transférase (figure 1).
Figure 1 – Métabolisme de l’homocystéine.
Figure 1 – Métabolisme de l’homocystéine.
TRANSSULFURATION
REMETHYLATION
Proteins
TETRAHYDROFOLATE
Serine
METHIONINE
1
ATP
B6
Glycine
S-ADENOSYLMETHIONINE
Dimethylglycine
B12
5 - 10 METHYLENE - THF
4
Accepteur de méthyl
5
Betaine
Choline
Accepteur méthylé
S-ADENOSYLHOMOCYSTEINE
3
5 - METHYL - THF
1 : Methionine-adenosyl transferase
HOMOCYSTEINE
Serine
2 : Cystathionine-beta synthase
3: 5-10-methylene-THF reductase
4 : 5-methyl-THF-homocysteine methyl-transferase
5 : Betaine-homocysteine methyl-transferase
METABOLISME DE L’HOMOCYSTEINE
Adenosine
B6
2
CYSTATHIONINE
B6
CYSTEINE
CYSTINE
protéines
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Dossier scientifique
De rares déficits enzymatiques d’origine génétique ou des
mutations (la mutation à l’état homozygote de la CBS, de
la MTHFR ou de la méthionine synthase), ainsi que des
anomalies du métabolisme de la cobalamine, peuvent
causer des hyperhomocystéinémies sévères avec des
taux plasmatiques d’homocystéine totale supérieurs à
100 µmol/l, à savoir 10 fois la valeur normale. Ces taux
extrêmement élevés font que l’on retrouve de l’homocystéine dans les urines ; ces pathologies sont appelées
homocystinurie même si l’homocystinurie classique, la
plus fréquente, est liée au déficit homozygote en CBS.
En dehors de l’homocystinurie d’origine génétique, des
hyperhomocystéinémies modérées peuvent survenir en
cas de déficit nutritionnel en vitamines du groupe B, en
cas d’augmentation de la consommation de méthionine
(protéines animales), dans le vieillissement, en cas d’intoxication au tabac, après la ménopause, en cas d’insuffisance rénale, dans différentes pathologies chroniques
et lors de l’utilisation de certaines drogues comme des
anticonvulsivants ou du méthotrexate, ou encore de la
cyclosporine.
De nombreuses études fondamentales laissent supposer
que l’homocystéine en excès pourrait être générateur de
thrombose à travers de nombreux mécanismes, notamment la stimulation de l’activité plaquettaire, l’augmentation de la génération de thrombine, l’altération de la
fibrinolyse, ou encore la dysfonction endothéliale [14].
7. Homocystéine
et risque cardiovasculaire :
potentiel thérapeutique
L’un des intérêts majeurs de cette théorie prothrombogène
de l’hyperhomocystéinémie est que les taux plasmatiques
de cet acide aminé soufré sont accessibles à un traitement simple, peu coûteux, sans effet adverse rapporté.
En effet, l’analyse du métabolisme de l’homocystéine
laisse entrevoir que toutes les réactions la catabolisant
utilisent comme co-enzyme ou comme co-substrat des
vitamines du groupe B. Il suffit donc de supplémenter
les différents milieux en vitamine du groupe B pour obligatoirement et efficacement réduire les taux d’homocystéine circulante. De nombreux essais d’intervention ont
montré que, même lorsque les taux plasmatiques des
différentes vitamines du groupe B étaient dans les limites
de la normale, une supplémentation réduisait systématiquement les taux circulants. L’ampleur de cette réduction
a été approchée par une méta-analyse qui montre une
réduction moyenne de l’homocystéine plasmatique de
25 % par une supplémentation en acide folique et un
supplément d’effet de 7 % lorsqu’on rajoute de la vitamine B12 à l’acide folique [15]. Il semblerait que l’ajout
de vitamine B6 dans la supplémentation polyvitaminique
n’ait pas beaucoup d’effets sur les taux plasmatiques à
jeun mais soit efficace sur les taux plasmatiques postcharges (post-prandiaux).
On peut donc observer en moyenne dans la population une réduction des taux plasmatiques d’homocystéine du quart ou du tiers en cas de supplémentation
vitaminique.
10
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8. Homocystinurie
et risque cardiovasculaire :
le modèle de pathogenèse
Depuis la description de l’homocystinurie chez deux enfants
en 1962, l’homocystéine a été associée aux maladies vasculaires [16, 17]. Les stratégies en vue de réduire l’homocystéine plasmatique de sujets homocystinuriques ont
montré leur efficacité en terme de réduction du risque
athérothrombotique [18, 19].
9. Hyperhomocysteinemie
modérée et risque
cardiovasculaire : de
l’observation à l’intervention
L’homocystéine est un marqueur de risque cardiovasculaire authentifié depuis de nombreuses années. En effet,
l’hyperhomocystéinémie modérée est associée à une
élévation du risque cardiovasculaire. Il a été prouvé que
l’hyperhomocystéinémie est associée à un risque accru
de thrombose veineuse, d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral, d’artériopathie périphérique et de
démence. Indiscutablement le dosage de l’homocystéine
plasmatique, comme la CRP, la glycémie ou encore le
cholestérol, aide à l’évaluation du risque cardiovasculaire.
Sa causalité directe est cependant controversée : en effet,
si la supplémentation vitaminique a largement prouvé son
efficacité en termes de réduction des concentrations plasmatiques d’homocystéine, les études cliniques peinent à
mettre en évidence un effet positif de cette supplémentation en termes de réduction du risque cardiovasculaire.
Plusieurs études publiées ces dernières années avaient
renforcé l’hypothèse d’une absence d’efficacité de la
supplémentation vitaminique en prévention cardiovasculaire [20-22].
La dernière étude publiée est une étude française, SUFOLOM 3, ayant évalué l’effet d’une association de vitamines
du groupe B sur les événements coronariens et cérébrovasculaires dans une population de 2 500 sujets en
prévention secondaire. Les résultats de cette étude sont
eux aussi négatifs : les patients ayant été randomisés
vitamines du groupe B n’ont pas eu de réduction de leur
risque d’événements vasculaires [23].
Finalement, en dehors du cas particulier de l’homocystinurie, il n’y a pas de recommandation actuelle visant à
mettre en place une supplémentation vitaminique B, et
ceci quels que soient le niveau de base d’homocystéinémie et le contexte clinique.
10. Conclusion
En plus des facteurs de risque conventionnels, le dosage
de la CRP et de l’homocystéine semblaient prometteurs
il y a quelques années.
La place des marqueurs de l’inflammation, et en particulier
de la CRP, a probablement été surévaluée ces dernières
54es Journées de biologie clinique Necker – Institut Pasteur
années, à la fois dans les stratégies d’évaluation mais
aussi de réduction du risque cardiovasculaire. Il apparaît
que la CRP est un marqueur mais pas plus puissant que
les facteurs de risque conventionnel, et sans lien causal
avec la maladie.
Néanmoins, deux voies de recherche semblent prometteuses : l’évaluation de la balance entre les facteurs proinflammatoires et les facteurs anti-inflammatoires, et les
interactions existant entre le niveau de ces facteurs inflammatoires et les thérapeutiques par statines. En cas de
confirmation, ce type de données pourrait modifier nos
stratégies de réduction du risque cardiovasculaire.
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La découverte de l’homocystéine en tant que facteur
prothrombogène ouvrait des perspectives thérapeutiques
importantes, peu coûteuses et dénuées de danger. Malheureusement, les essais thérapeutiques publiés à ce jour
ne valident pas cette théorie.
Finalement, clinicien, biologiste ou encore biostatisticien, ont encore beaucoup à découvrir concernant
l’évaluation du risque cardiovasculaire et les perspectives
thérapeutiques.
Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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