une approche ethnographique de wall street

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une approche ethnographique de wall street
UNE APPROCHE ETHNOGRAPHIQUE DE WALL STREET
Jean-Édouard Colliard
La Découverte | Regards croisés sur l'économie
2008/1 - n° 3
pages 129 à 130
ISSN 1958-5039
Article disponible en ligne à l'adresse:
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Colliard Jean-Édouard , « Une approche ethnographique de Wall Street » ,
Regards croisés sur l'économie, 2008/1 n° 3, p. 129-130. DOI : 10.3917/rce.003.0129
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Une approche ethnographique de Wall Street 129
Une approche ethnographique
de Wall Street
Jean-Édouard Colliard (rce)
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Regards croisés sur l’économie n° 3 – 2008 © La Découverte
D
ans un ouvrage célèbre de sociologie économique paru en 1996,
Making makets : opportunism and restraint on Wall Street, Mitchell
Y. Abolafia publiait le résultat d’une enquête de plusieurs années sur le
milieu des traders dans les années 1980. L’auteur cherche à montrer que
même Wall Street, incarnation aux yeux de tous du modèle walrassien de
la libre concurrence, repose sur un contrôle social permanent sans lequel
l’institution disparaîtrait.
À des niveaux divers, cette institution est en effet perpétuellement menacée par l’opportunisme des différents agents. À une époque où les transactions sont encore conclues entre deux traders sur de simples gestes dans
une « arène » bondée et bruyante, quoi de plus tentant pour celui qui a
effectué une mauvaise opération que de nier avoir effectué un signe d’achat
ou de vente ? Et quoi de plus tentant pour un trader que d’acheter pour son
propre compte certains produits financiers, avant d’en acheter pour un
client, puis de revendre aussitôt les siens en profitant de cette hausse de
prix éphémère (front-running) ?
Si tout le monde agissait de la sorte, la spéculation serait sans fin (tout
pari sur l’évolution du marché devrait se doubler d’un pari sur l’attitude
du trader auquel on a recours), la transparence nulle... Bien évidemment,
personne ne voudrait plus échanger sur la place de Wall Street. Or, selon
l’auteur, il est tellement difficile de contrôler par des règles un milieu si
changeant, complexe et difficilement observable, que la survie de l’institution ne s’explique que par l’autorégulation des agents eux-mêmes. Celle-ci
peut prendre des formes simples – ne plus échanger avec un trader qui prétend s’être « trompé » – ou très sophistiquées – élaboration d’une « culture
du client » ou d’une « culture de la qualité », qui permet de justifier le rôle
social du trader, et le contraint à ne pas tromper ses clients.
Ainsi, le marché financier est socialement construit, et socialement
contrôlé. Les crises dont il est victime ne sont donc pas seulement économiques, mais sociales et politiques, voire morales. Dans certaines circonstances apparaissent des innovateurs qui enfreignent certaines règles. Parfois
Pour aller plus loin, le lecteur est avant tout invité à se reporter à la version détaillée de cette note critique disponible sur notre site : http://www.
rce-revue.com. Il peut également consulter l’article d’Olivier Godechot
publié dans ce numéro (p. 144) ainsi que la fiche de lecture consacrée à
son dernier ouvrage, également disponible sur notre site.
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ils sont rapidement contrôlés et disparaissent. Mais leur infraction peut
aussi être justifiée ex post par leur réussite, et devenir la nouvelle norme.
C’est ainsi que l’apparition du marché des junk bonds – des obligations* de mauvaise qualité, auparavant considérées par les traders comme
« sales » et peu intéressantes – serait largement due à l’action d’un unique
trader, Michael Milken, qui a été le premier à soutenir des opérations s’appuyant sur l’émission de junk bonds pour permettre des OPA* hostiles. Ce
procédé, présenté par Milken lui-même comme un défi aux règles établies
par l’establishment, a été à la source de l’enrichissement extrêmement
rapide de quelques traders et, si Milken a finalement fait de la prison pour
délit d’initié, sa fortune représente tout de même 2,1 milliards de dollars,
tandis que les junk bonds sont devenus un outil standard, et que le rachat
de grandes entreprises stagnantes est « accepté » dans certaines limites.
De l’inhérence du contrôle social au fonctionnement de Wall Street, l’auteur
déduit l’existence de « cycles de Polanyi » – du nom de Karl Polanyi qui a
défini ces cycles à l’échelle de l’ensemble de l’économie – sur les marchés
financiers : les comportements déviants entraînent de la part des non-déviants menacés par ces stratégies agressives un contrôle renforcé et une
stabilisation des comportements opportunistes ; la surveillance se relâche
alors, jusqu’à ce que de nouveaux comportements déviants deviennent
possibles et profitables, ce qui relance le marché dans un nouveau cycle.
Bien sûr, l’étude de Mitchell Abolafia prend pour objet des professions qui
étaient, de l’avis de l’auteur même, en voie de disparition ou de profonde
transformation à l’époque de la publication, du fait du recours croissant
aux systèmes informatiques en remplacement des traders. Pourtant, cette
étude est restée un classique car le problème de l’opportunisme n’a pas
plus disparu que l’intérêt de la sociologie économique pour des marchés
financiers plus difficiles à observer, mais toujours socialement construits.
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130 Comprendre la finance contemporaine

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