Les étrangers victimes de la traite des êtres humains - Jean

Transcription

Les étrangers victimes de la traite des êtres humains - Jean
Les étrangers victimes de la traite des êtres humains
Examen des nouvelles dispositions légales introduites par la loi du 15 septembre 2006 et l’arrêté royal du 21 mai 2007
La traite des êtres humains est un phénomène mondial souvent lié à la criminalité organisée.
Selon l’Organisation internationale du travail, pas moins de 2 450 000 personnes sont, chaque
année, victimes de la traite dans le monde. Ceci explique l’importance que prend aujourd’hui la
lutte contre cette criminalité odieuse qui vise les personnes les plus vulnérables et sa prise en
considération dans des instruments internationaux.
Les récentes modifications législatives1 introduites dans la loi du 15 décembre 1980 relative à
l’accès au territoire, au séjour, à l’établissement et à l’éloignement des étrangers remplacent le
cadre juridique de l’accueil des victimes de la traite des êtres humains mis en place
antérieurement par voie de circulaires.
La Belgique bénéficie d’une relativement longue expérience dans l’accueil des victimes de la
traite dès lors que celui-ci est réglementairement organisé depuis le 1er juillet 1994.2 Cette
expérience a cependant du être adaptée pour se conformer à l’évolution et surtout au
développement des règles de droit international en matière d’immigration et de celles plus
spécifiques du droit pénal européen (I). En qualité d’État membre, la Belgique a transposé une
série d’instruments de droit dérivé européen en limitant les bénéficiaires du système d’accueil
des victimes de la traite (II). De même, la procédure permettant la délivrance d’un titre de séjour
a subi également un léger « lifting » dont les subtilités sont loin d’être sans conséquence (III).
Enfin, comme toute œuvre humaine, des imperfections affectent cette « réformette » dont il n’est
pas certain, à ce stade de son application, qu’elle présente une meilleure prise en compte de
l’intérêt des victimes (IV).
I.
Mise en perspective internationale
Tant la traite des êtres humains3 que le trafic illicite de migrants4 ont été appréhendés par le droit
international en tant que manifestations particulièrement graves de la criminalité transnationale.
Que ce soit dans le cadre de l’ONU (a), de l’Union européenne (b) ou du Conseil de l’Europe
1
Loi du 15 septembre 2006 modifiant la loi du 15 décembre 1980 relative à l’accès au territoire, au séjour, à
l’établissement et à l’éloignement des étrangers, M.B., 6 octobre 2006. Pour un commentaire article par article de
cette nouvelle loi, voy. S. SAROLEA, M. KAISER, I. DOYEN et J-P JACQUES, La réforme du droit des
étrangers, les lois du 15 septembre 2006, Col. Lois actuelles, Kluwer, 2007, 364 pages.
2
Circulaire du 1er juillet 1994 concernant la délivrance de titres de séjour et des autorisations d'occupation (permis
de travail) à des étrangers (ères), victimes de la traite des êtres humains, M.B., 7 juillet 1994.
3
La traite se caractérise notamment par la finalité poursuivie par les auteurs qui ont généralement pour objectif
l’exploitation sexuelle, économique ou autre d’une personne.
4
Le trafic consiste, en substance, à profiter de la volonté de certaines personnes d’immigrer illégalement dans un
pays donné pour leur faire payer des sommes considérables afin de les acheminer dans le pays en question.
(c), chacune de ces organisations internationales a développé des instruments internationaux
spécifiques visant à lutter contre l’un et/ou l’autre de ces phénomènes.
A.
Au niveau international : l’ONU
Dans le cadre de l’Organisation des Nations-Unies, deux protocoles additionnels à la Convention
contre la criminalité transnationale organisée5 ont été adoptés.6
Le premier de ces protocoles vise à « prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en
particulier des femmes et des enfants ».7 Il apparaît comme le premier instrument universel
portant sur tous les aspects de la traite des personnes. En effet, il poursuit trois objectifs à savoir,
prévenir et combattre la traite des personnes en accordant une attention particulière aux femmes
et aux enfants, protéger et aider les victimes de la traite, ainsi que promouvoir la coopération
entre les États Parties. Son intérêt réside principalement dans la définition qu’il donne de la traite
des personnes.8
Le second est le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer. Ce Protocole
vise à poursuivre et sanctionner les groupes criminels organisés qui orchestrent le trafic illicite
de migrants ainsi qu’à promouvoir la coopération entre les États tout en protégeant les droits des
migrants objets d’un tel trafic.9 La définition donnée du trafic se réfère expressément à
l’avantage financier ou autre avantage matériel que l’auteur en tire afin d’éviter de criminaliser
les activités des personnes apportant une aide aux migrants pour des motifs humanitaires en
raisons de liens familiaux étroits.
B.
Au niveau européen : l’Union européenne
Depuis le Traité de Maastricht,10 l’Union européenne s’est vue conférer de nouvelles
compétences tant en matière pénale qu’en matière d’immigration. Dans le cadre du troisième
5
Convention de Palerme signée le 15 décembre 2000, entrée en vigueur le 29 septembre 2003 et ratifiée par la
Belgique par la loi du 24 juin 2004, M.B., 13 octobre 2004.
6
Pour un commentaire plus approfondi de ces deux instruments, voy. M-A BEERNAERT et P. LECOCQ, « La loi
du 10 août 2005 modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la lutte contre la traite et le trafic des êtres
humains et contre les pratiques des marchands de sommeil », Rev. dr. pén., 2006, pp. 337-343.
7
Protocole additionnel à la Convention des Nations-Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à
réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, entré en vigueur le 23 octobre
2003 et approuvée en droit belge par la loi du 24 juin 2004, M.B., 13 octobre 2004.
8
Voy. à cet égard, l’article 3 qui requiert la réunion de trois éléments constitutifs, à savoir, un acte (le recrutement,
le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes), l’usage de certains moyens (la menace de recours
ou le recours à la force ou à d’autres formes de contraintes, l’enlèvement, la fraude, la tromperie, l’abus
d’autorité…) et une finalité d’exploitation (l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes
d’exploitation sexuelle, le travail, les services forcés, l’esclavage…).
9
Ce Protocole est entré en vigueur le 28 janvier 2004 et a été approuvé en droit belge par la loi du 24 juin 2004,
M.B., 13 octobre 2004. Pour une analyse de ce Protocole, voy. cette revue, J.S. JAMART, « Le Protocole des
Nations-Unies contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des NationsUnies contre la criminalité transnationale organisée », 2000, n° 111, pp. 633-647.
10
Entré en vigueur le 1er novembre 1993.
2
pilier de l’Union Européenne11, les États membres ont travaillé à un rapprochement progressif de
leurs législations nationales en matière pénale. « L’idée de base est que pour éviter des disparités
trop importantes entre législations nationales et l’apparition de « pays refuges », il conviendrait,
en certaines matières, de veiller à ce que des comportements identiques soient sanctionnés de
manière comparable dans les différents États membres. Cela devrait également faciliter la
coopération judiciaire au sein de l’Union, et garantir une plus grande égalité entre les citoyens
ainsi que davantage de sécurité juridique ».12
Ce processus a connu davantage de développements encore depuis l’entrée en vigueur, le 1er mai
1999, du Traité d’Amsterdam, puisque le rapprochement des règles de droit pénal des États
membres est, désormais, présenté comme une mission explicite de l’Union européenne.13
Le Conseil de l’Union européenne a ainsi adopté une décision-cadre relative à la traite des êtres
humains en date du 19 juillet 2002.14 Ce nouvel instrument de droit dérivé européen trouve sa
base juridique dans l’article 34.2, b) du Traité de l’Union européenne. Liant les États membres
quant au résultat à atteindre, la décision-cadre reconnaît à chaque autorité nationale le choix des
moyens et de la forme de sa mise en œuvre tout en évitant de reconnaître un effet direct à ses
dispositions. Ainsi, cette décision-cadre obligeait tous les États membres à adopter, avant le 1er
août 2004, les mesures nécessaires pour sanctionner pénalement la traite des êtres humains à des
fins d’exploitation sexuelle ou d’exploitation de leur travail.15
Le 28 novembre 2002, le Conseil de l’Union européenne a adopté deux instruments différents
visant à lutter plus efficacement au sein des États membres contre le trafic des personnes. Il
s’agit d’une part, de la directive visant à définir l’aide à l’entrée, au transit et au séjour
irréguliers16 et, d’autre part, de la décision-cadre visant à renforcer le cadre pénal pour la
répression de l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers.17
La directive définit les comportements que les États membres sont tenus, pour le 5 décembre
2004, d’incriminer dans leur droit interne alors que la décision-cadre détermine les sanctions à
prévoir en la matière pour la même date.
La directive distingue clairement l’infraction d’aide à l’entrée et au transit irréguliers de
l’infraction d’aide au séjour irrégulier. De cette distinction imposée par le droit européen découle
l’adoption, en droit belge, de la loi du 10 août 2005 modifiant diverses dispositions en vue de
renforcer la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains et contre les pratiques des
marchands de sommeil.18 Cette loi, qui transpose formellement la directive et la décision-cadre
du 28 novembre 2002, étend l’incrimination de traite des êtres humains. En effet, celle-ci ne
couvre plus seulement la traite transnationale assortie du déplacement de la victime de son pays
d’origine à un pays de destination. Elle couvre également la traite nationale commise sur le
territoire belge sans franchissement de frontière.
11
Le troisième pilier est visé au Titre VI du Traité de Maastricht et concerne la coopération policière et judiciaire en
matière pénale.
12
M-A BEERNAERT et P. LECOCQ, « La loi du 10 août 2005 modifiant diverses dispositions en vue de renforcer
la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains et contre les pratiques des marchands de sommeil », Rev. dr.
pén., 2006, p. 343.
13
Art. 29, dernier tiret, du Traité sur l’Union européenne, ci-après TUE.
14
J.O.C.E., L-203 du 1er août 2002, p. 14
15
Voy. art. 10.1 de la Décision-cadre.
16
J.O.C.E., L-328 du 5 décembre 2002, pp. 17-18.
17
J.O.C.E., L-328 du 5 décembre 2002, pp. 1-3.
18
Publication au Moniteur Belge du 2 septembre 2005 et entrée en vigueur depuis le 12 septembre 2005.
3
N’étant plus dès lors limitée aux étrangers, l’infraction de traite antérieurement prévue à l’article
77bis de la loi organique des étrangers du 15 décembre 1980 a été déplacée vers un nouvel
article 433quinquies du Code pénal, sous le Titre VIII « Des crimes et délits contre les
personnes ». L’article 77bis pouvait alors ne plus viser que, spécifiquement, l’infraction de trafic
de migrants.19
Enfin, le Conseil de l’Union européenne adoptera une directive le 29 avril 2004 relative au titre
de séjour délivré aux ressortissants d’États tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains
ou ont fait l’objet d’une aide à l’immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités
compétentes.20 Cette directive devait être transposée pour le 6 août 2006. La Belgique adoptera
formellement sa loi de transposition le 15 septembre 2006 dans le cadre du vote de la loi de
réforme de la procédure d’asile. En effet, cette loi est l’aboutissement d’une réforme plus vaste,
en droit belge, du droit d’asile et d’immigration. Le législateur a, dans une même loi, transposé
trois directives européennes touchant à l’immigration. Une directive dite « qualification »
applicable aux demandeurs d’asile et à la procédure de reconnaissance du statut de réfugié, une
directive relative au droit du regroupement familial et enfin une relative au statut à accorder aux
victimes de la traite des êtres humains.21
C’est cette dernière directive et sa transposition en droit belge qui feront l’objet des
développements ultérieurs.
Bien que l’intitulé de la directive semble particulièrement précis,22 force est de constater que
l’objectif affirmé de lutte contre l’immigration clandestine, par la délivrance d’un titre de séjour
si la victime coopère, n’est absolument pas atteint par la directive. En effet, la directive ne
contient aucune mesure de lutte contre la traite ou contre les organisations criminelles
transnationales. La directive se contente de permettre l’octroi d’un titre de séjour à l’égard des
« personnes qui sont victimes ».
La directive procède par déduction pour prétendre atteindre indirectement le but qu’elle s’est
assignée. Ainsi, le Conseil européen considère qu’il luttera efficacement contre la traite des êtres
humains dès lors que les États membres pourront délivrer un titre de séjour à l’étranger victime.
Il affirme même ouvertement que pour la victime, « l’obtention d’un titre de séjour constitue une
19
Pour un commentaire et une analyse plus approfondie des modifications apportées par la loi du 10 août 2005, voy.
M-A BEERNAERT et P. LECOCQ, op. cit., Cl. HUBERT, « Les innovations de la loi du 10 août 2005 modifiant
diverses dispositions en vue de renforcer la lutte contre la traite et le trafic des êtres humains et contre les pratiques
des marchands de sommeil », J.D.J., 2006, n° 251, pp. 6-22 et le rapport annuel du Centre pour l’égalité des chances
et la lutte contre le racisme, « La politique belge en matière de traite des êtres humains : ombres et lumières »,
novembre 2005, spéc. pp. 5-38.
20
Directive européenne 2004/81/CE du Conseil du 29 avril 2004 relative au titre de séjour délivré aux ressortissants
d’États tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l’objet d’une aide à l’immigration clandestine
et qui coopèrent avec les autorités compétentes, J.O.C.E., L-261 du 6 août 2004, pp. 19-23.
21
Il s’agit respectivement de la directive 2004/83/CE du Conseil de l'Union européenne du 29 avril 2004 concernant
les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants de pays tiers ou les apatrides
pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection
internationale, et relatives au contenu de ces statuts, de la directive 2003/86/CE du Conseil de l'Union européenne
du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, et de la directive 2004/81/CE du Conseil de
l'Union européenne du 29 avril 2004 relative au titre de séjour délivré aux ressortissants de pays tiers qui sont
victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l'objet d'une aide à l'immigration clandestine et qui coopèrent avec
les autorités compétentes.
22
Directive relative au titre de séjour délivré aux ressortissants de pays tiers qui sont victimes de la traite des êtres
humains ou ont fait l'objet d'une aide à l'immigration clandestine et qui coopèrent avec les autorités compétentes.
4
incitation suffisante pour déposer plainte ». Malheureusement, le législateur belge responsable
de la transposition ne s’est pas départi de cette affirmation puisque l’exposé des motifs de la loi
précise que « Pour les personnes qui sont victimes de la traite des êtres humains, la possibilité
d’obtenir un titre de séjour constitue une incitation suffisante pour qu’une plainte ou une
déclaration soit introduite contre leurs exploitants. Certaines conditions doivent être cependant
remplies pour prévenir les abus ».23
A cet égard, n’est-il pas quelque peu naïf de croire que, via la plainte déposée par une personne
victime, les autorités lutteront efficacement contre la traite des êtres humains ? Il s’agit là d’un
raccourci erroné qui risque indéniablement de faire de la victime, un instrument de lutte contre la
traite des êtres humains.
Ce risque d’instrumentalisation est d’autant plus grand que l’octroi d’un titre de séjour est
conditionné à la coopération de la victime avec les autorités et ce, quelle que soit la qualité à
laquelle la personne prétend ou est reconnue victime de la traite. La protection accordée par les
autorités dépendra donc non seulement de la qualité de victime alléguée mais également de la
coopération de la victime avec les autorités chargées de la lutte contre la traite des êtres humains.
C.
Au niveau européen : le Conseil de l’Europe
Le Conseil de l’Europe s’est également doté d’un instrument spécifique ayant pour objectif
l’harmonisation des législations pénales nationales et l’amélioration de la protection des
victimes.
La Convention n° 197 sur la lutte contre la traite des êtres humains adoptée le 16 mai 2005 est
entrée en vigueur le 1er février 2008.24 Tout comme son équivalent onusien, cet instrument vise à
combattre la traite, protéger les droits de la personne victime de la traite ainsi qu’à promouvoir la
coopération internationale dans le domaine de la lutte contre la traite des êtres humains.
La principale innovation de cette convention réside dans le mécanisme de suivi qui sera assuré
par un groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtes humains dénommé le GRETA.25 La
procédure d’évaluation porte sur les Parties à la Convention et est divisée en cycles dont la durée
est déterminée par le GRETA. Au début de chaque cycle, le GRETA sélectionne les dispositions
particulières sur lesquelles va porter la procédure d’évaluation.26
23
Exposé des motifs, Projet de loi modifiant la loi du 15 décembre 1980 relative à l’accès au territoire, au séjour, à
l’établissement et à l’éloignement des étrangers, Doc. Parl., Chambre 2005-2006, DOC 51-2478/001, p. 26.
24
La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains signée à Varsovie le 16 mai
2005 a été signée par la Belgique le 17 novembre 2005 mais n’a pas encore été ratifiée. Elle est entrée en vigueur le
1er février 2008 conformément à son article 42, §3 dès lors que Chypre a été le 10ème pays membre du Conseil de
l’Europe à l’avoir ratifiée en date du 24 octobre 2007 (seuls l’Albanie, l’Autriche, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, le
Danemark, la Géorgie, la Moldavie, la Roumanie et la Slovaquie ont ratifié cette Convention).
25
Voy. art. 36 de la Convention : le GRETA est composé de 10 membres au minimum et de 15 membres au
maximum. La composition du GRETA tient compte d’une participation équilibrée entres les femmes et les hommes et
d’une participation géographiquement équilibrée, ainsi que d’une expertise multidisciplinaire. Ses membres sont élus
par le Comité des Parties pour un mandat de 4 ans, renouvelable une fois, parmi les ressortissants des États Parties à la
présente Convention.
26
Art. 38, §2 : « Le GRETA détermine les moyens les plus appropriés pour procéder à cette évaluation. Le GRETA
peut, en particulier, adopter un questionnaire pour chacun des cycles qui peut servir de base à l’évaluation de la
5
A l’instar du mécanisme mis en place par la Convention européenne n° 126 pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants,27 le GRETA peut organiser,
en coopération avec les autorités nationales et la « personne de contact » désignée par ces
dernières, si nécessaire avec l’assistance d’experts nationaux indépendants, des visites dans les
pays concernés. Le GRETA établit un projet de rapport28 contenant ses analyses concernant la
mise en œuvre des dispositions sur lesquelles portent la procédure d’évaluation, ainsi que ses
suggestions et propositions relatives à la manière dont la Partie concernée peut traiter les
problèmes identifiés. Sur cette base, le GRETA adopte son rapport et ses conclusions concernant
les mesures prises par la Partie concernée pour mettre en œuvre les dispositions de la
Convention. Ce rapport et ces conclusions sont envoyés à la Partie concernée et au Comité des
Parties. Le rapport et les conclusions du GRETA sont rendus publics dès leur adoption avec les
commentaires éventuels de la Partie concernée.
La publicité réservée au rapport et aux conclusions du GRETA sont de nature à assurer
l’efficacité et le caractère dissuasif du mécanisme de contrôle.
La traite des êtres humains a également été récemment abordée par la Cour européenne des
droits de l’homme chargée de contrôler les États parties dans la reconnaissance des droits et des
libertés fondamentales que la Convention européenne des droits de l’homme contient. Dans une
affaire mettant en cause la France,29 Mlle SILIADIN fit valoir devant la Cour européenne des
droits de l’homme que la seule condamnation civile obtenue par les juridictions françaises à
l’issue d’une procédure pénale dans laquelle elle était victime d’esclavage domestique, n’était
pas suffisante au regard de l’article 4 de la Convention qui prohibe l’esclavage, la servitude et le
travail forcé ou obligatoire. A son estime, les États Parties ont l’obligation positive de mettre en
place une législation de nature à prévenir et réprimer effectivement les auteurs de pratiques
contraires à l’article 4, et une simple procédure civile permettant d’obtenir réparation des
dommages subis ne saurait suffire pour assurer une protection adéquate contre ce type
d’agissements.
Tel sera aussi l’avis de la Cour. Se plaçant sur le terrain de la théorie des obligations positives
dont elle a dégagé les principes sur base des articles 2, 3 ou 8, la Cour affirme que l’article 4 fait
partie de ces dispositions de la Convention au sujet desquelles le fait qu’un État s’abstienne de
porter atteinte aux droits garantis ne suffit pas pour conclure qu’il s’est conformé à ses
engagements : les Gouvernements ont, en outre, l’obligation positive d’adopter des dispositions
en matière pénale qui sanctionnent les pratiques visées par l’article 4, et de les appliquer
effectivement.30
Cet arrêt constitue un rappel à l’ordre à destination de l’ensemble des États parties à la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui se voient ainsi dans
l’obligation positive de criminaliser tout comportement contraire à l’article 4 sous peine de subir
le contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme.
mise en œuvre par les Parties à la présente Convention. Ce questionnaire est adressé à toutes les Parties. Les
Parties répondent à ce questionnaire ainsi qu’à toute autre demande d’information du GRETA ».
27
Art. 2 de la Convention européenne n° 126 pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants signée à Strasbourg le 26 novembre 1987.
28
Le projet de rapport est transmis pour commentaire à la Partie faisant l’objet de l’évaluation. Ses commentaires
sont pris en compte par le GRETA lorsqu’il établit son rapport.
29
Cour eur. dr. h, arrêt Siliadin c. France du 26 juillet 2005.
30
§ 89 de l’arrêt. Pour un commentaire de l’arrêt Siliadin c. France, voy. P-F DOCQUIR, « L’esclavage domestique
devant la Cour européenne des droits de l’homme », in Journal du juriste, 2005,n° 4, pp. 5-6 et M-A BEERNAERT
et P. LECOCQ, op. cit., pp. 347-350.
6
D.
Au niveau belge
Le cadre juridique de la traite des êtres humains était, jusqu’il y a peu, en Belgique, organisé
dans des lois et circulaires éparses.
Ainsi, c’est la loi du 13 avril 1995 « contenant des dispositions en vue de la répression de la
traite des êtres humains et de la pornographie enfantine »31 qui a inauguré le régime légal de la
répression pénale de l’infraction de traite des êtres humains en Belgique. Cette loi insérait un
article 77bis dans la loi organique relative aux étrangers du 15 décembre 1980. Cet article visait
à réprimer la traite des étrangers en réprimant quiconque abuse de la situation vulnérable d’un
étranger en situation précaire sans distinguer la traite du trafic des êtres humains. Bien
évidemment, cette loi a donné lieu à des problèmes d’interprétation sur le terrain dès lors que
certains considéraient qu’un étranger amené en Belgique par un réseau et y séjournant
clandestinement était une victime de la traite et d’autres pas. Certains excluaient de l’infraction
le trafic de personnes sans qu’un élément d’exploitation ait pu être constaté, d’autres excluaient
la pure exploitation économique dans le cadre de l’immigration clandestine.32
L'ancien article 77bis de la loi du 15 décembre 1980 comportait un élément matériel, à savoir
contribuer à permettre l'entrée, le transit ou le séjour d'un étranger, l'élément moral de
l’infraction étant l'usage de manœuvres frauduleuses, de violence, de menaces ou d’une forme
quelconque de contrainte ou l’abus de la situation vulnérable dans laquelle se trouve l’étranger
en raison notamment de sa situation administrative illégale ou précaire. En outre, bien que le
texte ne le mentionnait pas explicitement, le consentement éventuel de l’étranger était
indifférent.
L’accueil réservé aux victimes de la traite était organisé antérieurement par une circulaire du 1er
juillet 1994.33 Cette circulaire a été complétée par des directives ministérielles du 13 janvier
1997 adressées à l'Office des Étrangers, aux Parquets, aux services de police, aux services de
l'inspection des lois sociales et de l'inspection sociale relatives à l'assistance aux victimes de la
traite des êtres humains.34 Ces directives ont été modifiées par la circulaire ministérielle du 17
avril 200335 qui explicitent les modalités d'application pratique de la circulaire de 1994.
Ces directives prévoyaient la délivrance d’un ordre de quitter le territoire (45 jours) aux
personnes qui ont quitté le milieu qui les a fait entrer dans la traite des êtres humains et qui
s'adressent à un service d'accueil spécialisé. Ces personnes n'avaient pas le droit d'être mises au
travail pendant la durée de l’ordre de quitter le territoire dont la prorogation devait être soumise à
l'Office des Étrangers. Ensuite, une déclaration d'arrivée (trois mois) était délivrée, si les
personnes victimes avaient introduit, dans le délai de 45 jours, une plainte ou une déclaration
contre leur exploiteur auprès d'un service de police ou du Parquet.
Si une plainte ou une déclaration était introduite immédiatement après la sortie du milieu auprès
des services compétents, une déclaration d'arrivée était également délivrée à condition que
31
M.B., 25 avril 1995.
Voy. à cet égard le rapport annuel 2005 du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, op. cit.,
qui cite l’évaluation de la directive COL 12/99 concernant la politique de recherches et de poursuites en matière de
traite des êtres humains et de pornographie enfantine, p. 21.
33
Circulaire du 1er juillet 1994 concernant la délivrance de titres de séjour et des autorisations d'occupation (permis
de travail) à des étrangers (ères), victimes de la traite des êtres humains, M.B., 7 juillet 1994.
34
M.B., 21 février 1997.
35
M.B., 27 mai 2003.
32
7
l'accompagnement, par une organisation reconnue chargée de l’accueil des victimes, soit accepté
et voulu.
Seules les personnes ayant reçu une déclaration d'arrivée pouvaient être mises au travail
provisoirement. L'Office des Étrangers prenait alors contact par écrit avec le Procureur du Roi
afin d'être informé de la suite réservée à la plainte ou à la déclaration introduite. Si le Procureur
du Roi informait que la plainte ou la déclaration n'avait pas été classée sans suite, une
autorisation de séjour de plus de 3 mois (CIRE: séjour temporaire) était délivrée sur accord
également de l'Office des Étrangers. En général, une autorisation de séjour était octroyée pour
une durée de 6 mois. Aussi en cas de prolongation l'autorisation était, en général, renouvelée
pour une période de 6 mois. La personne concernée pouvait ensuite introduire une demande
d'autorisation de séjour pour une durée indéterminée quand la personne contre laquelle il ou elle
avait introduit une plainte avait été assignée devant le tribunal (correctionnel).
L'autorisation de séjour pour une durée indéterminée pouvait être octroyée quand la plainte ou la
déclaration de la personne concernée était considérée comme significative pour la procédure. Les
personnes ayant été autorisées à un séjour de plus de 3 mois36 pouvaient alors être mises au
travail, avec un permis de travail B, par l'employeur qui avait obtenu, pour elles, une autorisation
d'occupation de la Région compétente.
Aujourd’hui, depuis la loi du 10 août 200537, les incriminations de traite et de trafic des êtres
humains sont rigoureusement séparées. Les premières n’étant plus spécifiquement réservées aux
victimes étrangères, elles ont été insérées dans le code pénal aux articles 433quinquies à
433nonies. Les secondes demeurent dans la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le
séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers et sont visées aux articles 77bis à 77sexies
de cette loi.
L’incrimination « marchands de sommeil »38 est envisagée de manière autonome et non plus
comme une forme particulière de traite des êtres humains. Un nouveau chapitre a, dès lors, été
introduit dans le code pénal, constitué des articles 433 decies à 433 quinquiesdecies, élargissant
ainsi la protection à tous, belges ou étrangers. Deux nouvelles dispositions visant à réprimer
l’exploitation de la mendicité, les articles 433ter et 433quater du Code pénal, ont également été
introduites par la loi du 10 août 2005.
Quant à l’accueil des victimes, la loi du 15 septembre 2006 insère de nouvelles dispositions dans
la loi du 15 décembre 1980. Ainsi, un nouveau chapitre IV39 dans le titre II de cette loi contient
les articles 61/2 à 61/5. Ces dispositions légales ont été complétées par les articles 110bis et
110ter de l’arrêté royal d’exécution.40 Ce nouveau chapitre IV s’intègre dans le Titre II qui
concerne les dispositions dérogatoires et complémentaires relatives à certaines catégories
d’étrangers. Ce chapitre concerne donc les personnes qui sont reconnues comme victimes de la
traite des êtres humains sur base de différentes dispositions légales qu’il convient d’identifier.
36
Et donc titulaires d’un Certificat d’Inscription au Registre des Étrangers (CIRE) muni de la mention : "séjour
temporaire".
37
Loi du 10 août 2005 modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la lutte contre la traite et le trafic des êtres
humains et contre les pratiques des marchands de sommeil, M.B., 2 septembre 2005.
38
Ancien article 77bis, §1erbis de la loi du 15 décembre 1980.
39
Introduit par les articles 64 à 68 de la loi du 15 septembre 2006, M.B., 06/10/2006.
40
Arrêté royal du 27 avril 2007 modifiant l’Arrêté royal du 8 octobre 1981 sur l'accès au territoire, le séjour,
l'établissement et l'éloignement des étrangers, M.B., 21 mai 2007.
8
II.
Les bénéficiaires du nouveau statut
Avant d’envisager les personnes pouvant se revendiquer bénéficiaires des nouvelles dispositions
légales introduites par la loi du 15 septembre 2006, il convient d’abord de rappeler que
l’ambition du législateur était de transposer la directive 2004/81.41 Cependant, le législateur
belge a décidé de ne pas englober, dans les personnes visées, une catégorie particulière
d’étrangers. Ainsi, bien que la directive 2004/81 autorisait les États membres à étendre son
champ d’application aux « ressortissants de pays tiers qui ont fait l’objet d’une aide à
l’immigration clandestine »42, la Belgique n’a pas utilisé cette possibilité. Partant, les personnes
ressortissantes d’États tiers à l’Union qui bénéficient d’une aide à l’immigration clandestine sans
être exploitées ou sans donner en contrepartie un avantage patrimonial ne tombent pas dans le
champ d’application des nouvelles dispositions.
Certes, la directive 2004/81 laissait une option à chaque État membre de sorte qu’on ne peut
considérer cet « oubli » comme une mauvaise transposition. Pour préserver la logique du
système et en vue de combattre efficacement certaines filières familiales d’immigration
clandestine, il eut été préférable d’insérer ces étrangers dans la catégorie des victimes de la traite.
En effet, peu importe l’avantage patrimonial donné en contrepartie de l’entrée sur le territoire car
c’est une fois établie dans le pays de destination que l’exploitation bénéficie à la filière.
D’aucuns préfèreront cette exclusion du concept de victime pour éviter les risques d’abus
répressif de la part des autorités tant la limite entre l’aide à l’immigration clandestine fondée sur
des motifs humanitaires et la filière d’immigration illicite est parfois ténue.
Le législateur a, de façon limitative et donc exhaustive, décidé d’identifier les catégories de
personnes qui, en tant que victimes de la traite, vont pouvoir se voir accorder un titre de séjour.
Ainsi, pour prétendre au bénéfice d’un titre de séjour en qualité de victime de la traite des êtres
humains, il faudra démontrer appartenir à l’une des catégories de victimes énumérées par le
nouvel article 61/2 de la loi du 15 décembre 1980.
La conséquence naturelle est que toutes les victimes de la traite des êtres humains ne
bénéficieront pas d’un titre de séjour sur base du chapitre IV de la loi du 15 décembre 1980. A
cet égard, il peut être reproché au législateur de ne pas avoir fait œuvre de clarté dans sa
rédaction légistique. Ainsi, le texte vise « les personnes considérées comme victimes de la traite
des êtres humains au sens de l’article 433quinquies du Code pénal ou qui sont victimes, dans les
circonstances visées à l’article 77quater, 1°, en ce qui concerne uniquement les mineurs non
accompagnés, à 5°, de l’infraction de trafic des êtres humains au sens l’article 77bis, et qui
coopèrent avec les autorités »…
L’on vise les étrangers qui sont victimes de la traite des êtres humains au sens de l’article :
- 433quinquies du Code pénal (a) ou
- 77bis de la loi du 15 décembre 1980 dans les circonstances de l’article 77quater , 1°
en ce qui concerne uniquement les mineurs non accompagnés, à 5° de l’infraction de
traite des êtres humains (b).
41
Directive européenne 2004/81/CE du Conseil du 29 avril 2004 relative au titre de séjour délivré aux ressortissants
d’États tiers qui sont victimes de la traite des êtres humains ou ont fait l’objet d’une aide à l’immigration clandestine
et qui coopèrent avec les autorités compétentes, J.O.C.E., L-261 du 6 août 2004, pp. 19-23.
42
Voy. Considérant n°9 et art. 3, §2 de la Directive 2004/81.
9
A. Les étrangers victimes de l’infraction visée à l’article 433quinquies du Code pénal
Il s’agit des étrangers victimes de la traite des êtres humains.43 L’article 433quinquies du Code
pénal a été introduit par la loi du 10 août 2005 et définit cette infraction comme étant « le fait de
recruter, de transporter, de transférer, d’héberger, d’accueillir une personne, de passer ou de
transférer le contrôle exercé sur elle afin :1° de permettre la commission contre cette personne
des infractions prévues aux articles 379, 380, §1er et §4 et 383bis, §1er ; 2° de permettre la
commission contre cette personne de l’infraction prévue à l’article 433ter ; 3° de mettre au
travail ou de permettre la mise au travail de cette personne dans des conditions contraires à la
dignité humaine ; 4° de prélever sur cette personne ou de permettre le prélèvement sur celle-ci
d’organes ou de tissus en violation de la loi du 13 juin 1986 sur le prélèvement et la
transplantation d’organes ; 5° ou de faire commettre à cette personne un crime ou un délit
contre son gré ; ».
Comme déjà évoqué, cette infraction s’applique dorénavant à toutes les victimes, qu’elles soient
belges ou étrangères. 44
Juridiquement, les seuls éléments constitutifs de l’infraction sont l’existence d’un acte (recruter,
héberger, transporter…) et d’une finalité d’exploitation bien déterminée, les modi operandi (la
menace, la contrainte, la violence, …) figurent, dorénavant, en circonstances aggravantes de
l’infraction.45
Les finalités d’exploitation visées sont l’exploitation sexuelle (a), l’exploitation de la mendicité
(b), l’exploitation par le travail (c), le prélèvement d’organes46 et la contrainte à commettre des
infractions.
(a)
En ce qui concerne les formes d’exploitation sexuelle, on y vise la corruption de la
jeunesse,47 l’exploitation de la débauche,48 l’exploitation de la prostitution49 et la pornographie
enfantine.50 L’articulation entre l’infraction d’exploitation de la débauche ou de la prostitution et
l’infraction de traite est décrite dans l’exposé des motifs.51 A ce titre, de deux choses l’une. Soit
le proxénète exerce seul son activité criminelle et il sera poursuivi sur base du seul article 380 du
Code pénal,52 soit il arrive en bout de chaine, la victime ayant été recrutée puis transportée
jusque chez lui pour se prostituer. Dans ce cas, il sera considéré comme auteur ou coauteur de
l’infraction de traite. La peine d’emprisonnement prévue par la loi étant la même pour les deux
infractions, l’intérêt de poursuivre l’auteur présumé sur base de la traite réside essentiellement au
niveau du titre de séjour dont pourra éventuellement bénéficier la victime qui coopère avec les
autorités.53
43
A distinguer des étrangers victimes de trafic des êtres humains, infra point II. B.
Voy. supra : I. B.
45
Rapport annuel du Centre pour l’Égalité des Chances et la Lutte contre le Racisme, « La politique belge en
matière de traite des êtres humains : ombres et lumières », novembre 2005, p.14.
46
L’inclusion de cette finalité dans l’infraction de traite trouve son origine dans le Premier Protocole additionnel à la
Convention de Palerme, voy. supra : point I. A.
47
Art. 379 du Code pénal
48
Art. 380, §1er du Code pénal
49
Art. 380, §4 du Code pénal
50
Art. 383bis du Code pénal
51
Exposé des motifs de la loi du 10 août 2005, Doc. Parl., Chambre 2004-2005, 51-1560/1, p.18 et 19.
52
Exploitation de la prostitution
53
Voy. à cet égard Cl. HUBERTS, op. cit., spéc. p.8 et 9.
44
10
(b)
En ce qui concerne l’exploitation de la mendicité, cette nouvelle infraction introduite à
l’article 433ter pourra également être envisagée sous l’angle de la traite des êtres humains selon
les circonstances de l’espèce et notamment en tenant compte du nombre de victimes. Avec la
finalité de commettre des infractions contre son gré, l’exploitation de la mendicité a été
introduite en vue de répondre à de nouvelles formes de traite émergeant dans la jurisprudence.54
(c)
Quant à l’exploitation par le travail, celui-ci doit avoir lieu « dans des conditions
contraires à la dignité humaine ». Selon l’exposé des motifs, « différents éléments peuvent être
pris en considération pour établir les conditions de travail contraires à la dignité humaine. Du
point de vue de la rémunération, un salaire manifestement sans rapport avec un très grand
nombre d’heures de travail prestées, éventuellement sans jour de repos, ou la fourniture de
services non rétribués peuvent être qualifiés de conditions contraires à la dignité humaine. (…)
Des conditions de travail contraires à la dignité humaine peuvent également être établies par
l’occupation d’un ou plusieurs travailleurs dans un environnement de travail manifestement nonconforme aux normes prescrites par la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs
lors de l’exécution de leur travail ».55
B. Les étrangers victimes de l’infraction visée à l’article 77bis de la loi du 15 décembre
1980
L’article 61/2 de la loi du 15 décembre 1980 tel que modifié par la loi du 16 septembre 2006 fait
référence aux victimes mentionnées à l’article 77bis en renvoyant aux circonstances visées à
l’article77quater. Quelle articulation doit-on opérer entre ces deux dispositions ?
Étendue aux Belges et clairement distinguée du trafic des migrants, l’infraction de traite met
désormais l’accent sur une série de formes d’exploitation (sexuelle, économique et criminelle) et
non plus sur la notion d’abus de la vulnérabilité.56 Vu cette modification, certaines victimes de la
traite des être humains au sens de l’ancienne définition57 tombent désormais sous la qualification
de victimes de trafic des êtres humains au sens de l’article 77bis, dans les circonstances visées au
nouvel article 77quater.
L’article 77quater permet, en effet, de sanctionner les criminels qui transportent les migrants
clandestins dans des conditions dangereuses pour leur vie ou qui mettent en danger la vie des
migrants de façon délibérée.58
54
Voy. Exposé des motifs du projet de loi modifiant diverses dispositions en vue de renforcer la lutte contre la traite
et le trafic des êtres humains et contre les pratiques des marchands de sommeil, Doc. Parl., Chambre 2004-2005, 5115560/1, p. 20.
55
Si la rémunération servie est inférieure au revenu minimum mensuel moyen tel que visé à une convention
collective conclue au sein du Conseil National du Travail, cela constituera pour le juge du fond une indication
incontestable d’exploitation économique : Exposé des motifs du projet de loi susmentionné, Doc. Parl., Chambre
2004-2005, 51-15560/1, p. 19.
56
Voy. supra : III. A : Les étrangers victimes de l’infraction visée à l’article 433quinquies du Code pénal.
57
Article 1er de la loi du 13 avril 1995 contenant des dispositions en vue de la répression de la traite des êtres
humains et de la pornographie enfantine, M.B. du 24 avril 1995.
58
Cette disposition est conforme à l’article 1er, alinéa 3, de la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du
28 novembre 2002 visant à renforcer le cadre pénal pour la répression de l’aide à l’entrée, au transit et au séjour
irréguliers, qui a été adoptée à la suite des évènements dramatiques de Douvres de juin 2000, dans lesquels 58
chinois acheminés par une filière clandestine avaient trouvé la mort par asphyxie dans le camion qui les transportait.
11
Sachant que les risques pour la vie ou la santé des personnes transportées et les moyens de
transport des victimes de la traite ou du trafic des êtres humains sont souvent identiques, il a été
décidé de prévoir l’application du statut de protection aux victimes de trafic des êtres humains au
sens de l’article 77bis lorsqu’elles se trouvent dans les circonstances aggravantes visées à
l’article 77quater, 1° en ce qui concerne les mineurs étrangers non accompagnés, à 5°.59
Il en résulte que la victime pourra demander le bénéfice de ce statut de protection, lorsque
l’auteur de l’infraction aura :
– soit abusé de son état de minorité lorsqu’elle est mineure étrangère non accompagnée
(art. 77quater, 1°);
– soit abusé de son état de vulnérabilité particulière, comme par exemple la précarité
sociale (art. 77quater, 2°). C’est le juge de fond qui apprécie la vulnérabilité particulière
de la victime eu égard aux circonstances de l’espèce;
– soit fait usage de façon directe ou indirecte, de manœuvres frauduleuses, de violence, de
menaces ou d’une forme quelconque de contrainte (art. 77quater, 3°);
– soit mis sa vie en danger (art. 77quater, 4°)
– soit causé sa maladie paraissant incurable, son incapacité permanente physique ou
psychique, sa perte complète d'un organe ou de l'usage d'un organe, ou une mutilation
grave (art. 77quater, 5°).
Ces circonstances, particulièrement odieuses, ont justifié, selon le législateur, que la victime
puisse réclamer une protection en obtenant un titre de séjour. Encore faut-il que l’auteur se soit
rendu coupable de l’infraction visée à l’article 77bis de la loi du 15 décembre 1980. Cette
disposition vise l’infraction de trafic de migrants comme étant « le fait de contribuer, de quelque
manière que ce soit, soit directement, soit par un intermédiaire, à permettre l'entrée, le transit ou
le séjour d'une personne non ressortissante d'un État membre de l'Union européenne sur ou par
le territoire d'un tel État ou d'un État partie à une convention internationale relative au
franchissement des frontières extérieures et liant la Belgique, en violation de la législation de cet
État, en vue d'obtenir, directement ou indirectement, un avantage patrimonial. »
Il ressort de cette définition60 que pour que l’infraction soit déclarée établie, les éléments
suivants devront être cumulativement réunis à savoir :
-
la victime devra être ressortissante d’un État tiers à l’Union européenne ; 61
l’entrée, le séjour ou le transit de la victime devra être irrégulier ; 62
les faits doivent avoir été commis sur le territoire de l’Union européenne ;
le but de lucre (un avantage patrimonial) est un élément essentiel de l’infraction ; 63
59
Exposé des motifs, Projet de loi modifiant la loi du 15 décembre 1980 relative à l’accès au territoire, au séjour, à
l’établissement et à l’éloignement des étrangers, Doc. Parl., Chambre 2005-2006, DOC 51-2478/001, pp. 27-28
60
Pour de plus amples développements, voy. Cl. HUBERTS, op. cit., spéc. pp.13 et 14.
61
L’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’Union européenne au 1er janvier 2007 exclura du bénéfice de ces
dispositions les ressortissants bulgares et roumains qui seraient victimes de trafic des êtres humains mais pas de
l’infraction de traite des êtres humains bien que l’exposé des motifs ne soit pas clair à cet égard en ne distinguant
pas les deux infractions.
62
L’exposé des motifs prévoit cependant que le statut de protection est applicable aux étrangers qu’ils soient entrés
légalement ou illégalement sur le territoire des États membres.
63
Par but de lucre, l’on entend la volonté de s’enrichir au détriment de la victime ou de sa famille. Il ne s’agit donc
pas de réprimer l’aide à l’entrée irrégulière apportée contre une compensation financière qui correspond, par
exemple, au coût de l’essence consommée sur le trajet vers le pays de destination. Dans ce cas, on se trouvera en
présence de l’infraction d’aide à l’entrée sur le territoire visée à l’article 77 de la loi du 15 décembre 1980 (aide à
12
Indépendamment de l’application de la loi qui en sera faite par les juridictions pénales, il est
permis d’affirmer qu’il s’agit là d’un régime d’établissement de l’infraction plus contraignant
que le régime applicable antérieurement. En effet, là où seul l’abus de la vulnérabilité permettait
d’établir l’infraction de trafic dans l’ancien article 77bis de la loi du 15 décembre 1980, la
nouvelle mouture exige plus d’éléments constitutifs. A ce titre, il peut être considéré que la loi
du 10 août 2005 est une loi pénale moins sévère dont l’entrée en vigueur pourrait rétroagir au
bénéfice du prévenu d’une telle infraction.
La condamnation pour des faits de trafic des êtres humains commis avant l’entrée en vigueur de
la loi du 10 août 2005 supposera l’application combinée de la loi d’incrimination nouvelle et
ancienne. Les législations ancienne et nouvelle doivent donc être combinées afin de légalement
justifier une décision de condamnation.64 Dans un récent arrêt, la Cour de cassation a ainsi dit
pour droit que « lorsque le fait imputé au prévenu est qualifié selon la législation nouvelle alors
qu’il a été commis sous le régime de la loi ancienne, le juge ne peut déclarer l’infraction établie
que s’il constate que ce fait était aussi punissable au moment où il a été commis et indique les
dispositions de l’ancienne loi définissant les éléments constitutifs de l’infraction et comminant la
peine ».65
C. Les mineurs d’âge
L’extension du bénéfice de la qualité de victime de la traite des êtres humains aux mineurs d’âge
était une faculté prévue à l’article 3, §3 de la directive 2004/81. Le législateur a entendu faire
usage de cette faculté de sorte que le statut de protection s’applique tant aux étrangers majeurs
que mineurs qui sont victimes de l’une des infractions prévues (traite ou trafic des êtres
humains).
La notion de « mineur » doit être interprétée comme étant toute personne âgée de moins de dixhuit ans. Les termes « non accompagné » signifie que l’étranger n’est pas accompagné par une
personne exerçant l’autorité parentale ou le droit de garde en vertu de la loi applicable
conformément à l’article 35 de la loi du 16 juillet 2004 portant le Code de droit international
privé.
Pour les mineurs étrangers non accompagnés une procédure adaptée s’applique.66 A leur égard,
les autorités compétentes doivent prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant.67 Pour
ce faire, une procédure particulière est prévue qui doit tenir compte de l’âge et de la maturité de
l’immigration illégale) qui ne permet pas l’octroi du statut de protection en qualité de victime de la traite au sens du
chapitre IV de cette même loi.
64
F. KUTY, « Le droit transitoire en matière pénale : la distinction entre les dispositions d’incrimination et de
pénalité », note Mons, 5 octobre 2005, à paraître in Rev. dr. pén.
65
Cass., 23 mai 2007, R.G. P. 07.405
66
L’on vise l’étranger, âgé de moins de dix-huit ans et entré dans le Royaume sans être accompagné d’un étranger
majeur responsable de lui par la loi et n’ayant pas été effectivement pris en charge par une telle personne, ou ayant
été laissé seul après être entré dans le Royaume.
67
Conformément à l’article 10, a), de la directive 2004/ 81/CE. On notera qu’il ne s’agit là que d’une application
particulière de l’article 3, § 1er, de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (approuvée par
la loi du 25 novembre 1991 – M. B., 17.01.1992), selon lequel « Dans toutes les décisions qui concernent les
enfants, qu’elles soient le fait (…), des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de
l’enfant doit être une considération primordiale».
13
l’enfant.68 L’exposé des motifs souligne à cet égard que les autorités mettront tout en œuvre pour
retrouver le plus rapidement possible la famille du mineur et qu’un tuteur sera désigné pour
assurer sa représentation juridique.69
D. Remarques communes à chaque catégorie de victimes
L’article 61/2 de la loi du 15 décembre 1980 s’appliquera quelle que soit la manière dont
l’étranger victime est entré sur le territoire belge. L’arrivée légale ou illégale importe peu, il
pourra bénéficier du statut de victime indépendamment du mode de franchissement de la
frontière.
La même disposition impose cependant à toute victime de coopérer avec les autorités. En
l’absence de coopération, il peut être mis fin à la protection qui découle du statut de victime. Si
la victime ne coopère pas dès le début de la procédure, le statut de victime ne lui sera pas
accordé. Si elle ne coopère pas au cours de la procédure, le statut dont aura bénéficié la victime
pourra être retiré et ce, à tout moment.70
III. La procédure en obtention d’un titre de séjour en qualité de
victime
La nouvelle procédure permettant l’octroi d’un titre de séjour aux victimes de la traite des êtres
humains n’est pas très innovante par rapport au régime juridique qui était organisé,
antérieurement, par voie de circulaires ministérielles. La raison se trouve dans le fait que
l’actuelle procédure résulte de la transposition de la directive 2004/81 et que la Belgique
jouissait déjà d’une certaine expertise en la matière accordant des titres de séjour aux victimes
depuis 1994.
Le législateur a distingué trois phases dans la délivrance du titre de séjour à l’égard d’une
personne considérée comme victime de la traite des êtres humains. Au cours de la première
phase, aucun titre de séjour ne sera délivré, seule une interdiction d’éloignement sera reconnue et
concrétisée par la remise d’un ordre de quitter le territoire (A). Après cette première période de
45 jours, la victime pourra éventuellement et moyennant le respect de certaines conditions, se
voir octroyer, dans une deuxième phase, un titre de séjour pour une durée de 3 mois (B). Enfin,
durant une troisième phase, la victime recevra un titre de séjour d’une durée de 6 mois (C). A
l’issue de la procédure d’enquête ou de la procédure pénale diligentée contre les auteurs de
l’infraction, la victime pourra bénéficier d’un titre de séjour d’une durée illimitée (D).
68
Voy. infra : point III. A. Il a ainsi été décidé que la période de réflexion laissé à une victime mineure non
accompagnée ne comprendrait qu’une seule phase et qu’elle sera mise en possession du document de séjour prévu à
l’article 61/3, § 1er. Les autorités compétentes prendront également les dispositions nécessaires, conformément à
l’article 10, c), de la directive, pour établir son identité, sa nationalité, et le fait qu’elle n’est pas accompagnée.
69
Conformément à l’article 8, § 1er, du Titre XIII, Chapitre 6, « Tutelle des mineurs étrangers non accompagnés»,
de la loi-programme du 24 décembre 2002.
70
Voy. art. 61/4, §2 de la loi du 15 décembre 1980.
14
A.
La première phase71
Cette première phase est principalement conçue afin de permettre à la victime de bénéficier du
temps nécessaire pour quitter le milieu des auteurs de l’infraction, être accompagnée par un
centre d’accueil spécialisé et pour retrouver un état serein. Durant un délai de 45 jours, la victime
peut ainsi prendre une décision sur le fait qu’elle va faire des déclarations ou non concernant les
personnes ou les réseaux qui l’auraient exploitée ou peut se préparer à son retour dans son pays
d’origine. Malheureusement, au cours de cette première phase, aucun titre de séjour n’est délivré.
Seul un ordre de quitter le territoire d’une durée de 45 jours est remis à la personne concernée.72
Au cours de cette première phase, la victime devra être suivie par un centre d’accueil spécialisé.
L’intervention du centre d’accueil se justifie, selon le législateur, par le fait que la victime doit
recevoir de l’aide pour se rétablir et se soustraire de l’influence de ses exploitants. Il faut veiller
à ce qu’elle ne prenne pas de nouveau contact avec ses exploitants. Elle doit avoir la possibilité
de réfléchir dans un environnement sécurisé, sur le fait qu’elle souhaite coopérer avec les
autorités compétentes, tenant compte des risques qu’une telle coopération crée et si sa condition
le nécessite, elle doit recevoir un encadrement social, linguistique, médical et psychologique.73
Au regard de l’objectif affirmé74, il est étonnant de constater que le législateur n’a pas prévu la
délivrance d’un titre de séjour dès le début de la procédure. En effet, les autorités compétentes, à
savoir l’Office des Étrangers, ne peut délivrer qu’un ordre de quitter le territoire d’une durée de
45 jours afin de laisser à la victime ce premier délai de réflexion.75 N’est-il pas quelque peu
contradictoire de souhaiter la coopération d’une personne qui se prétend victime alors qu’on ne
lui accorde pas un titre de séjour ? Comment d’ailleurs s’assurer cette coopération si on ne peut
garantir en échange qu’un « ordre de quitter le territoire » dans 45 jours ? Cette contradiction est
d’autant plus embarrassante que l’objectif affirmé est de lutter contre l’immigration clandestine.
Comment lutter efficacement contre cette immigration si l’on ne s’assure pas que les principaux
témoins et acteurs reçoivent la garantie, dès le début de la procédure, de se voir délivrer un titre
de séjour, fût-ce temporaire ?
Deux exceptions à l’application de cette première phase ont été envisagées à savoir la situation
du mineur non accompagné76 qui reçoit directement le titre de séjour prévu durant la deuxième
phase et celle où l’étranger a immédiatement77 introduit une plainte ou fait des déclarations
71
Art. 61/2, §2 de la loi du 15 décembre 1980.
Art. 110bis, §2 de l’Arrêté royal du 27 avril 2007 modifiant l’Arrêté royal du 8 octobre 1981 sur l'accès au
territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, M.B., 21 mai 2007.
73
Exposé des motifs, Doc. Parl., Chambre 2005-2006, DOC 51-2478/001, p.30
74
Voy. supra : point I. B. note 23
75
L’exposé des motifs précise que « Cette possibilité est octroyée à la victime afin de lui permettre de se rétablir et
de se soustraire à l’influence des auteurs de l’infraction, de sorte qu’elle puisse décider en connaissance de cause de
coopérer ou non avec les autorités compétentes. Cette période de réflexion lui est octroyée uniquement dans ce
but ».
76
Voy. art. 61/2, §2, alinéa 2. Les autorités compétentes entameront les démarches requises afin de rechercher la
famille du mineur étranger non accompagné et ce, conformément à l’article 8 de la Convention des Nations Unies
des Droits de l’enfant du 20 novembre 1989 : voy. Exposé des motifs, pp. 117-118.
77
Art. 61/2, §2, alinéa 3 où le législateur est cependant muet sur le délai imparti qui permet de considérer que la
victime a « immédiatement » introduit une plainte ou fait des déclarations.
72
15
concernant les auteurs ou les réseaux dont il aurait été victime.78 Dans ces deux cas, la personne
est inscrite au registre des étrangers et elle est mise en possession d’un document de séjour d’une
durée de validité de trois mois maximum. Elle passe ainsi directement dans la deuxième phase de
la procédure.
Cette première phase de réflexion peut toujours être réduite ou interrompue par le Ministre ou
son délégué.79 Il en sera ainsi lorsque l’étranger a activement, volontairement et de sa propre
initiative renoué un lien avec les auteurs présumés de l’infraction80 et lorsque l’étranger est
considéré comme pouvant compromettre l’ordre public ou la sécurité nationale.
B.
La deuxième phase
Si l’étranger a introduit une plainte ou fait des déclarations au cours du premier délai de 45 jours
qui lui a été octroyé dans la première phase, il se verra délivrer un titre de séjour provisoire.81 Ce
document provisoire de séjour aura une durée maximale de 3 mois renouvelable une seule fois.
Au cours de cette deuxième phase et avant l’expiration du titre de séjour provisoire, l’Office des
Étrangers sollicitera, du Procureur du Roi ou de l’Auditeur du travail, un avis qui s’articulera
autour de 3 questions82 :
- l’enquête judiciaire est-elle toujours en cours ?
- l’étranger victime manifeste-t-il toujours une volonté claire de coopération avec les
autorités compétentes ? et,
- la victime a-t-elle rompu tout lien avec les auteurs présumés qu’elle a dénoncés ? 83
Seule une réponse positive à ces trois questions permet à la victime d’accéder à la troisième
phase de la procédure.84 L’exposé des motifs précise que « On peut partir du principe que la
présence sur le territoire de l’étranger considéré comme victime est utile tant que l’enquête
judiciaire est en cours » et que « La volonté de collaborer de la part de la victime découle du fait
qu’elle a introduit une plainte contre les personnes qui l’ont exploitée ou a fait des déclarations
dans le cadre d’une enquête et du fait qu’elle ne se montre pas défavorable à donner suite aux
demandes de renseignements faites par les services judiciaires ».85 L’appréciation du fait que
l’étranger ne se montre pas défavorable à donner suite aux demandes de renseignements faites
par les services judiciaires reste du seul domaine de compétence du Procureur du Roi ou de
l’Auditeur du travail. Sachant qu’aucun recours spécifique n’a été prévu, il conviendra
d’apprécier avec toute la souplesse requise cette exigence de coopération.
78
Voy. art. 61/2 §2, alinéa 3 : dans cette hypothèse, c’est le centre spécialisé d’accueil qui doit demander le titre de
séjour au ministre ou à son délégué.
79
Art. 61/2, §3.
80
L’on peut s’interroger sur l’hypothèse dans laquelle les auteurs présumés de l’infraction apparaissent, in fine, non
comme des auteurs mais bien comme des victimes également.
81
Art. 61/3, §1er.
82
L’exposé des motifs précise que si le ministre ou son délégué ne reçoit pas de réponse du Parquet ou de
l’Auditorat du travail, il pourra s’adresser au Procureur général près la Cour d’Appel du ressort de l’arrondissement
judiciaire compétent.
83
Art. 61/3, §2.
84
Art. 61/4, §1er.
85
Exposé des motifs, p. 31.
16
La durée de cette deuxième phase est de trois mois maximum mais peut être prolongée une seule
fois pour la même durée à condition que l’enquête le justifie. Ainsi, si l’enquête judiciaire est
toujours en cours et doit faire l’objet de déclarations complémentaires de la part de la victime, ce
délai de 3 mois pourra être prolongé pour une durée identique. De même si le ministre ou son
délégué l’estime opportun en tenant compte des éléments du dossier.86 Il s’agit là d’une
hypothèse moins probable eu égard au secret de l’instruction attaché à l’instruction judiciaire
dont pourrait faire l’objet un dossier.
Dans les mêmes conditions que celles évoquées durant la première phase, il peut être, à tout
moment, mis fin au délai de trois mois.87
Le législateur a, en outre, imposé à l’étranger qu’il tente de rapporter la preuve de son identité
par la présentation de son passeport88 ou de sa carte d’identité nationale.89 Il conviendra
d’apprécier cette disposition avec une certaine souplesse eu égard au fait que dans de
nombreuses situations de traite, les victimes se sont vues retirer leur passeport ou que le
document d’identité est retenu en otage contre l’exploitation envisagée…90
C.
La troisième phase
L’étranger victime n’accède à la troisième phase de la procédure qu’à la condition d’avoir fait
l’objet d’un avis positif du Procureur du Roi ou de l’Auditeur du travail, rendu avant l’expiration
de la période initiale de 3 mois.91 Le législateur a étendu les conditions d’accès à cette troisième
phase et les a rendues cumulatives92. Ainsi, l’entrée dans la troisième phase ne se fera que si,
cumulativement :
-
L’enquête ou la procédure judiciaire n’a pas été clôturée
L’étranger manifeste toujours une volonté claire de coopération
L’étranger a rompu tout lien avec les exploitants
L’étranger n’est pas considéré comme pouvant compromettre l’ordre public ou la
sécurité nationale
L’accès à cette troisième phase se concrétise par la délivrance d’un titre de séjour d’une durée de
six mois et une inscription au registre des étrangers.
Les conditions de délivrance, bien que plus sévères car cumulatives, sont également les
conditions imposées au renouvellement et à la prolongation du titre de séjour. Le non-respect de
86
Art. 61/3, §2, alinéa 2.
Il en sera notamment ainsi lorsque l’étranger a activement, volontairement et de sa propre initiative renoué un lien
avec les auteurs présumés de l’infraction et lorsque l’étranger est considéré comme pouvant compromettre l’ordre
public ou la sécurité nationale, art. 61/3, §3.
88
Ou d’un titre de voyage en tenant lieu.
89
Art. 61/3, §4.
90
Et ce même si l’exposé des motifs précise que l’étranger doit, le plus rapidement possible, et au plus tard, lors de
l’examen de la demande d’autorisation de séjour pour une durée illimitée, présenter son passeport ou sa carte
d’identité nationale.
91
Voy. art. 61/3, §2 : pour rappel, cet avis porte sur sa volonté claire de coopération avec les autorités et sa rupture
de tout lien avec les auteurs présumés de l’infraction dont il se prétend victime.
92
Art. 61/4, §1er.
87
17
l’une de ces conditions est lourdement sanctionné puisqu’il permet au ministre ou à son délégué
de retirer, à tout moment, le titre de séjour à l’étranger.93 Il en ira de même si, en concertation
avec les autorités judiciaires, le ministre ou son délégué estime que la coopération de l’étranger
est frauduleuse ou que sa plainte est frauduleuse ou non fondée.
Le renouvellement et la prolongation du titre de séjour dépendent donc entièrement de l’Office
des Étrangers et de l’appréciation qu’il aura des conditions fixées par le législateur sans que la
victime ne soit, à un quelconque moment, associée à la décision ou ne puisse faire valoir son
point de vue.
D.
L’octroi d’un titre de séjour à durée illimitée.
Alors que le système antérieur mis en place par voie de circulaires laissait peu de marge au
ministre compétent pour délivrer un titre de séjour à durée illimitée, le choix du législateur a été
différent et plus sévère à l’égard des victimes dès lors qu’il ne reconnait au ministre qu’une
simple faculté de délivrer un titre de séjour à durée illimitée à l’égard de l’étranger reconnu
victime de la traite des êtres humains.94
Cette reconnaissance peut se faire soit lorsque la plainte de l’étranger victime a abouti à une
condamnation des auteurs dénoncés par lui soit lorsque la prévention de traite ou de trafic des
êtres humains dans les circonstances aggravantes prévues à l’article 77quater est retenue par le
Parquet ou l’Auditorat dans ses réquisitions.
Les dispositions légales permettant d’identifier la qualité de victime décrites ci-dessus ont donc
toute leur importance dès le début de la procédure pénale mais également à l’issue de celle-ci
puisqu’elles permettront ou non à la victime d’obtenir un titre de séjour à durée illimitée.
IV. Les imperfections
A.
La preuve de l’identité
Aux termes de l’article 61/3, §4, il est requis de l’étranger qu’il tente de prouver son identité en
présentant son passeport ou un titre de voyage en tenant lieu ou sa carte d’identité nationale.
Cette disposition suscite plusieurs interrogations relatives, d’une part, à la possibilité effective de
rapporter la preuve de son identité et, d’autre part, à la légalité de cette exigence.
Tout d’abord, c’est la question du comment qui est soulevée. Ainsi, souvent, dans les situations
de trafics illicites de migrants, l’une des caractéristiques principales du trafic est qu’il y a
rétention des documents des migrants voire réalisation de faux documents pour les migrants. Il
93
Art. 61/4, §2.
Art. 61/5 dispose que « Le Ministre ou son délégué peut autoriser au séjour pour une durée illimitée l’étranger
victime (…) ».
94
18
semble qu’il puisse être particulièrement difficile de prouver son identité lorsque le passeport ou
le document d’identité se trouve toujours dans les mains de l’exploitant alors qu’il est requis de
la victime qu’elle ait rompu tout lien avec les auteurs présumés.
Ensuite, force est de constater que cette exigence de preuve n’est pas requise par la directive ellemême mais se trouve uniquement mentionnée dans l’Arrêté royal d’exécution du 21 mai 2007.95
Cette disposition de l’Arrêté royal n’ajoute-t-elle pas une condition qui ne se trouve pas, ni
formellement, ni en substance, dans la loi elle-même ?
La même exigence de preuve soulève une autre interrogation. L’exigence d’une telle preuve
d’identité par la victime est-elle une condition d’accès à la phase 2 de la procédure96 ou bien
s’agit-il d’une condition imposée à la délivrance d’un titre de séjour à durée illimitée ? Dans la
première branche de l’alternative, l’Arrêté royal semble être en conformité avec sa loi
d’habilitation97. Dans la seconde, un moyen d’illégalité pourrait être soulevé si un refus de
délivrance de titre de séjour à durée illimitée était opposé à l’étranger qui ne peut rapporter à
suffisance de preuve son identité.98 En effet, l’Arrêté royal ajouterait une condition qui n’existe
pas dans la loi.
B.
L’absence de recours et d’aide juridique gratuite automatique
La nouvelle procédure en délivrance d’un titre de séjour en faveur des victimes de la traite des
être humains n’envisage nulle par la possibilité d’introduire un recours. La procédure est
effectivement purement administrative dès lors que toutes les décisions sont prises par l’Office
des Étrangers. Aucun contrôle ni recours spécifique n’est mentionné contre les décisions de
retrait ou de refus.99
Le nouveau système n’a pas prévu l’aide juridique gratuite automatique or, cette possibilité était
expressément envisagée par la directive 2004/81.100 La loi du 23 novembre 1998 sur l’aide
juridique de deuxième ligne aurait pu être facilement modifiée en ce sens afin de garantir, dès le
début de la procédure, la possibilité pour une victime potentielle, d’être accompagnée par un
avocat. Cet accompagnement automatique serait également de nature à mieux défendre les droits
des victimes dans des procédures pénales parfois complexes et techniques. Enfin, en cas de
95
Art. 110bis, §3, alinéa 2 de l’Arrêté royal : « L’étranger visé à l’alinéa précédent doit présenter son document
d’identité, le plus rapidement possible et au plus tard lors de l’examen de sa demande d’autorisation pour une durée
illimitée afin d’établir son identité. A défaut, l’étranger doit prouver les démarches qu’il a entreprises en vue de
prouver son identité. »
96
visée à l’alinéa 1er de 110bis, §3
97
L’exigence d’un document d’identité est, effectivement, visé à l’article 61/3, §4 (phase 2) de la loi du 15
décembre 1980.
98
En effet, l’article 61/5 (délivrance d’un CIRE illimité) ne prévoit pas une telle exigence alors que l’article 110bis,
§5 de l’Arrêté royal soumet l’octroi d’un CIRE à durée illimitée à la condition que l’étranger ait satisfait aux
conditions de l’article 61/5 ET qu’il ait présenté son document d’identité à moins qu’il ne démontre valablement
l’impossibilité de se procurer ce document en Belgique. L’arrêté ne précise d’ailleurs pas ce qu’il y a lieu d’entendre
par démontrer « valablement » l’impossibilité de se procurer ce document d’identité « en Belgique »…
99
Bien sûr, toute décision prise en la matière étant une décision prise sur base de la loi du 15 décembre 1980, le
Conseil du contentieux des étrangers dispose à cet égard d’une compétence générale d’annulation.
100
Art.7, §4 de la Directive.
19
conflit avec le centre chargé de l’accueil des victimes, l’intérêt que représente la présence d’un
avocat aux côtés d’une victime peut s’avérer être considérable.101
C.
L’absence de protection accordée à l’égard de l’étranger victime d’un
marchand de sommeil
Le nouveau système d’octroi d’un titre de séjour aux victimes de la traite présente une carence
majeure dont le système précédent n’était pas entachée. En énumérant limitativement les
catégories de victimes, le nouvel article 61/2 de la loi du 15 décembre 1980 exclut de son champ
d’application la personne victime de l’infraction de marchands de sommeil visée aux articles
433decies à 433quinquiesdecies du Code pénal. N’étant pas reprise dans l’énumération des
dispositions pénales dont une personne peut se prétendre victime, cette disposition ne permet pas
à une victime d’une telle criminalité de bénéficier d’un titre de séjour en qualité de victime de la
traite des êtres humains.
Nous l’avons déjà mentionné, toutes les victimes de la traite des êtres humains ne tombent pas
dans le champ d’application des dispositions analysées et permettant l’octroi d’un titre de séjour
en qualité de victime sur base des nouvelles dispositions introduites par la loi du 15 septembre
2006.
D.
Les notions floues
L’utilisation de notions floues ou de concept à géométrie variable dans un texte législatif est
toujours source d’insécurité.
Ainsi, l’accès à la phase 2 est garanti directement à l’étranger qui a déposé plainte ou fait des
déclarations « immédiatement »102 sans que l’on sache à partir de quand il est admis que
l’étranger a fait des déclarations immédiates.
Si le statut de victime de la traite est réservé exclusivement à l’étranger qui coopère avec les
autorités, ne faut-il pas considérer que déposer une plainte ou faire des déclarations aux autorités
de police est déjà de la coopération ?
Enfin, une des conditions d’accès à la phase 3 est que l’étranger manifeste une volonté claire de
coopérer.103 Que faut-il attendre d’un étranger et quel comportement doit-il encore adopter avec
les autorités après les deux premières phases pour qu’il soit considéré qu’il manifeste une
volonté « claire » ?
101
A ce jour, trois centres « reconnus par les autorités compétentes » et spécialisés dans l’accueil des victimes de la
traite existent sur le territoire belge à savoir soit le Centre PAG-ASA, à Bruxelles, le Centre PAYOKE à Anvers et
le Centre SURYA à Liège. Il s’agit des centres d’accueil spécialisés repris au point 3 des directives du 13 janvier
1997 à l’Office des étrangers, aux Parquets, aux services de police, aux services de l’inspection des lois sociales et
de l’inspection sociale relatives à l’assistance aux victimes de la traite des êtres humains.
102
art. 61/2, §2, alinéa 3.
103
art. 61/4.
20
E.
Le conditionnement du droit de séjour à la procédure pénale
Le droit de séjour de l’étranger victime est entièrement lié à la procédure pénale. Or, la directive
prévoit104 la possibilité d’autoriser à séjourner pour d’autres motifs, les ressortissants de pays
tiers qui ne remplissent pas ou plus les conditions de la directive ainsi que les membres de leur
famille. Tel sera le cas, par exemple, si la plainte que l’étranger a déposée n’aboutit pas.
De même, quelle sera la réponse apportée à une demande de titre de séjour introduite sur base
des nouvelles dispositions en qualité de victime de la traite et qu’il apparaît ultérieurement que
l’intéressé(e) n’a pas donné assez d’informations ?
Les aléas qui frappent toute procédure pénale risquent également d’affecter gravement la
situation de la victime. Tel sera le cas lorsque les responsables ont pris la fuite ou ne sont pas
extradables, en cas de décès de l’auteur présumé de l’infraction…
Or, chacune de ces situations est totalement indépendante de la volonté de la victime qui bien
souvent, aura pris des risques importants en dénonçant le milieu qui l’exploitait.
Le Considérant n° 18 de la directive mérite à cet égard une attention toute particulière dès lors
qu’il requiert des États membres qu’ils tiennent compte « du fait que les ressortissants ont obtenu
le titre de séjour délivré sur base de la présente directive ».105 Cette disposition devrait permettre
à une victime qui n’a pas pu obtenir un titre de séjour en qualité de victime de la traite qu’un
changement de statut soit permis si la procédure pénale n’aboutit pas pour des raisons
indépendantes de sa volonté.
V.
Remarques conclusives
Tout projet législatif doit tendre à un équilibre, certes, parfois précaire, entre les intérêts
contradictoires en présence. En l’espèce, l’intérêt des victimes d’être protégées par la délivrance
d’un titre de séjour n’est pas en équilibre avec les intérêts des autorités publiques chargées de le
leur délivrer. Les plateaux de la balance semblent chargés de manière déséquilibrée. En effet, si
l’octroi d’un titre de séjour constitue une incitation suffisante pour déposer plainte de la part
d’une victime, force est de constater qu’elle se trouvera bien seule une fois la procédure en
délivrance entamée.
Ainsi, pour recevoir le précieux sésame, l’étranger victime sera triplement tributaire. Il sera
tributaire, d’abord, des autorités judiciaires chargées d’apprécier son degré de coopération. Il
sera tributaire, ensuite, du Centre spécialisé qui l’accueille et qui est chargé de son
accompagnement durant la procédure. Il sera tributaire, enfin, de la procédure pénale et de ses
aléas.
104
Voy. Considérant n° 15 de la directive 2004/81.
Considérant n° 18 : « Si des ressortissants d’un pays tiers concernés déposent une demande pour un titre de
séjour d’une autre catégorie … Lors de l’examen d’une telle demande, les États membres devraient tenir compte du
fait que les ressortissants ont obtenu le titre de séjour délivré sur base de la présente directive »
105
21
Cette dépendance de la victime – qui ressemble à maints égards à de l’allégeance- pose
fondamentalement, à nouveau, la question du rôle des victimes dans le processus pénal plus
particulièrement du rôle des victimes comme outil de lutte contre la criminalité transnationale
organisée. Cette crainte de l’instrumentalisation des victimes, déjà formulée, semble bien réelle
et plus encore aujourd’hui qu’hier.
Jean-Pierre JACQUES
Avocat au Barreau de Liège
Assistant à la Faculté de droit de l’UCL
Chargé de cours en droit international à l’Institut Supérieur d’Enseignement Libre Liégeois
22

Documents pareils