La réussite annoncée d`une cité européenne

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La réussite annoncée d`une cité européenne
lille La réussite annoncée d’une cité européenne
Supplément
du VENDREDI 21 au jeudi 27 DÉCEMBRE 2012 – No 30
www.latribune.fr
France métropolitaine - 3 €
Pierre
Moscovici
« Le french
bashing est
une mode,
un sport… »
PAGE 30
Pour le ministre
de l’Économie et des
Finances, il est absurde
d’ignorer nos atouts.
spécial anti-crise
Cette fin d’année n’est pas folichonne. 2013
ne s’annonce pas plus radieuse. Et pourtant,
quantité d’entreprises, notamment les
petites, surfent sur la crise : elles innovent,
exportent, recrutent… Démonstration en
dix exemples sélectionnés par La Tribune.
Pages 4 à 7
enquête
Financement
territoires
Jouets chinois :
ces pme qui
Le fisc à l’attaque
après le toc,
poussent sous l’aile pour défendre
place au top PAGES 14-15 d’un grand
le cinéma
PAGE 17
PAGES 18-19
© Jean-Claude Coutausse / Divergence
L 15174 - 30 - F: 3,00 €
« La Tribune s’engage avec ecofolio pour le recyclage des papiers. Avec votre geste de tri, votre journal a plusieurs vies. »
cette
france
qui
marche
Coulisses
3
VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012 LA TRIBUNE
© BERTRAND LANGLOIS / AFP
Harlem Désir verrait bien un petit remaniement ministériel début 2013.
Si François Hollande décidait de nommer Christiane Taubira au Conseil constitutionnel
(dont trois membres sont à remplacer fin mars), le prétexte serait tout trouvé
pour réduire un peu le gouvernement, en donnant une promotion à certains ministres.
Le Premier ministre ne veut pas
que des Nantais défilent à Paris.
Bonne année !
© BERTRAND GUAY / AFP
La rédaction de La Tribune vous souhaite de joyeuses
fêtes et vous donne rendez-vous le 11 janvier.
La crainte de
Jean-Marc Ayrault
Le 14 juillet 2014, les
armées de pays alliées
en 1914 défileront à Paris
pour le centenaire
de la Première Guerre
mondiale. Pour la
clôture des festivités,
il a été proposé au
gouvernement une
immense parade de la
troupe Royale de Luxe,
dans le même esprit que
le défilé organisé par
Jean-Paul Goude en 1989,
mais avec les incroyables
et superbes machines
de la célèbre compagnie
de théâtre de rue. JeanMarc Ayrault a dit non.
La troupe est nantaise, il
ne veut pas qu’on l’accuse
de favoritisme. Une
réaction compréhensible
au vu de sa cote de
popularité. Dommage.
Le projet était superbe.
La chaîne de la FNSEA
Sommaire
Xavier Beulin, le président de
la FNSEA, veut, lui aussi, sa
chaîne de télévision. Il fait
actuellement un tour de piste
auprès des principaux syndicats
et entreprises du secteur pour
réunir les fonds. Terre-net, la
Web TV agricole, devrait donc
s’arrêter à la fin de l’année
prochaine pour laisser la place
à cette nouvelle chaîne qui
pourrait éventuellement
rejoindre le câble et le satellite.
2012, annus horribilis pour
les libraires et les éditeurs
S
i le Père Noël
existe, il va devoir
se montrer rapidement. En tout cas, les éditeurs et les libraires français l’attendent avec une
impatience non dissimulée. Car ces professions,
qui ont connu une mauvaise année 2012 – voire
très mauvaise pour les
libraires, notamment les
grandes enseignes –,
regardent avec consternation les chiffres de vente
(non encore rendus Grandes surfaces culturelles et librairies traditionnelles
p u b l i c s ) d e d é b u t sont touchées par la baisse de leurs ventes. [MIGUEL MEDINA / AFP]
décembre.
Malgré l’approche des
ont été mises en vente
tandis qu’une autre plus
fêtes, le recul a été terrible
importante et assez
sur la première semaine
ancienne serait au bord
de décembre comparée à
la même semaine de 2011.
du dépôt de bilan.
Selon l’institut GFK (qui
Et chacun espère un rescomptabilise toutes les
saisissement dans la dersorties caisse, donc ce qui
nière ligne droite avant les
a été réellement vendu), tous les éditeurs fêtes de Noël. Les quelques best-sellers actuels
chutent, de Hachette, qui perd 5 %, à Michel sont un peu inattendus : La Vérité sur l’affaire
Lafont et Solar, qui plongent de 26 et 24 %. Plus Harry Quebert (éditions de Fallois), de Joël
grave, au vu des chiffres de la dernière semaine Dicker­, et surtout le Tout seul (Flammarion), de
de novembre, aucun secteur de l’édition n’est Raymond Domenech, dont plus de 50 000
épargné : la bande dessinée baisse de 8 %, les exemplaires ont déjà été vendus, laissant augubeaux-arts et la littérature générale de 9 %, la rer largement plus de 100 000 ventes d’ici à la
jeunesse de 11 %, les loisirs de 14 %, le scolaire fin de l’année… Pour un livre sur lequel la plude 11 % ou le tourisme de 13 %. Et tous les lieux part des éditeurs n’auraient pas parié un kopeck,
de vente sont touchés, des librairies tradition- c’est pas mal ! Seul Cinquante nuances de Grey
nelles (– 9 %) aux grandes surfaces (– 12 %) en (Vintage Books), de E.L. James, a bénéficié de
passant par un – 10 % pour les grandes surfaces son énorme campagne marketing. Avec l’aide
culturelles, Fnac, Virgin, etc. L’explication ? Il du Seigneur, L’Enfance de Jésus (Flammarion),
n’y en a pas, pour l’instant. Les éditeurs sont de Benoît XVI, pourrait peut-être dépasser
déboussolés, certaines petites maisons d’édition Raymond­Domenech la veille de Noël ! q
coulisses
32012, annus horribilis
pour les libraires et les éditeurs.
L’événement
4Cette France qui gagne… quand même !
le buzz
L’œil de Philippe Mabille
10
Triskaïdékaphobie : même pas peur !
11Réforme bancaire : circulez,
il n’y a (presque) rien à voir.
> Comment Gérard Depardieu
a pu payer 85 % d’impôt en 2012.
12Le charbon, c’est l’avenir !
> Les trois défis du nouveau patron
de Dassault Aviation.
13Effet Free Mobile : le scénario noir
imaginé par SFR.
Chacun espère un
ressaisissement
dans la dernière
ligne droite
avant les fêtes.
L’enquête
14Jouets chinois : après le toc, le top.
entreprises & innovation
16La Bretagne surfe sur les bateaux « verts ».
entreprises & financement
17Elles poussent sous l’aile d’un grand.
territoires / france
18Le fisc s’en va-t-en guerre pour le cinéma français.
20Pourquoi Lyon livre sans états d’âme
sa bibliothèque à Google.
territoires / international
22De la hauteur au pays des polders.
23 Harrison, la ville qui voulait devenir dortoir.
> O
n en parle à Bruxelles Le carnet de
Florence Autret Idée cadeau : des œuvres
d’art pour égayer l’Europe.
Le hacker de
Patrick Mennucci
« Bonjour, comment vas-tu ?
As-tu du temps à consacrer
à une situation particulière me
concernant discrètement et par
e-mail ? J’ai besoin de ton aide
sérieusement. Je suis en
déplacement depuis hier pour des
raisons personnelles et là, je suis
face a des difficultés tels que je ne
saurais que faire sans ton aide. S’il
te plait, c’est vraiment délicat
contacte moi par e-mail en toute
discrétion. Dans l’attente urgente
de te lire. Patrick Mennucci. »
Le député (PS) des Bouchesdu-Rhône s’est fait hacker (un
hacker pas très fort en français)
et certains de ses contacts
ont reçu ce mail. Pour l’instant,
c’est une première en politique…
Le raté du
maire de Paris
Bertrand Delanoë n’est
pas content du tout : Paris
Métropole, structure qu’il
a créée en 2009, a
explosé en plein vol
à peine ses travaux de
synthèse finis, au premier
vote soumis à ses quinze
membres. Jean-Marc
Ayrault et Marylise
Lebranchu, ministre de la
Réforme de l’État,
voulaient que le maire de
Paris se mette d’accord
avec la région Île-deFrance sur le contenu et
le périmètre de la future
métropole. Mais Bertrand
Delanoë a préféré monter
le dossier avec Paris
Métropole que préside
Patrick Braouezec depuis
un an. L’ancien député
de Seine-Saint-Denis
lui avait garanti qu’il
aurait l’accord des 203
collectivités membres
de Paris Métropole. Raté.
vos finances
24Pour investir en toute simplicité, traquez les trackers.
25 Petits maîtres… mais bons filons.
> Le classement Sicav obligations euro
long terme : la sécurité récompensée.
> L
e chiffre 2,95 % Ma tante s’intéresse
à la santé des plus précaires.
les analyses
26Rigueur : la défense toujours en première ligne.
27 Les marchés financiers, la drogue Monti
et la peur du manque.
> Europe : c’est encore loin, l’Union bancaire ?
les idées / les chroniques
28Soutenir les collectivités pour relancer l’emploi.
29L’inflation ne serait plus l’ennemi public no 1.
> L
égiférer sur la rémunération des dirigeants ?
l’interview
30Pierre Moscovici, ministre de l’Économie :
« Le frensh bashing est une mode, un sport… »
4
l’événement
«
827 000
La France
bénéficie d’une
économie riche,
très diversifiée
et résiliente. »
naissances en 2011. La France se
classe parmi les pays de l’OCDE qui ont le taux
de natalité le plus élevé, un élément de
dynamisme pour l’économie d’un pays. Le taux
de fécondité dépasse, pour la quatrième année
consécutive, le seuil de deux enfants par femme.
© Don Emmert / AFP
Standard & Poors, début 2012
LA TRIBUNE VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012
57,7 dollars
c’est la productivité horaire (PIB rapporté au
nombre d’heures travaillées) des Français en
2011, selon l’OCDE. Mieux que celle des Allemands (55,3 dollars), et bien plus que la
moyenne des pays de l’OCDE (44 dollars).
Elle reste toutefois en deçà de celle des Américains, à 60,3 dollars.
cette france qui ga
Un rayon de soleil dans le photovoltaïque
L
e marché solaire français est au plus bas ? Pas de quoi
doucher les ambitions de Ludovic Deblois, qui compte
faire passer le chiffre d’affaires de Sunpartner, qu’il
a cofondé en 2009, de 1 à 100 millions d’euros en trois ans.
Il n’est pas le seul à y croire : Sunpartner a levé 7 millions
d’euros depuis sa création et doit boucler un nouveau tour de
table de 2 millions d’ici janvier. La jeune entreprise compte
parmi ses 30 salariés des cadres seniors expérimentés, pour
certains venus de Gemalto ou de Schneider Electric.
« Notre modèle n’est pas la fabrication industrielle, précise
Ludovic Deblois, mais l’innovation et la cession de licences. »
L’entreprise a déposé pas moins de 30 brevets en trois ans. Le
million d’euros engrangé en 2012 provient de l’adaptation de
solutions Sunpartners aux besoins de ses partenaires. « Sur
les applications, la robustesse et la qualité de service comptent
autant que le prix », explique Ludovic Deblois.
Sunpartner se positionne sur deux marchés mariant le
solaire et l’optique : le film photovoltaïque transparent pour
améliorer l’autonomie d’appareils électroniques et le solaire
à basse concentration pour de petites centrales, beaucoup
moins chères que les centrales classiques et faciles à fabriquer
dans des pays émergents.
Dès 2013, une usine pilote de films photovoltaïques produira
de quoi équiper les écrans de 8 millions de téléphones portables. Un grand fabricant présentera son premier modèle au
salon WTC de Barcelone en février. Les applications sont
multiples : affichage urbain, tablettes (un projet de recherche
est en cours avec Archos et Gemalto) panneaux de signalisa-
Ludovic Deblois, cofondateur de Sunpartner, montrant un
composant photovoltaïque pour téléphone portable. [dr]
>>
gie 30 salariés
Sunpartner éner
tion, montres, liseuses électroniques… Un partenariat avec
l’Inria porte sur l’équipement de serres.
Les centrales solaires basse concentration intéressent également les industriels, tels que Schneider Electric et Veolia,
partenaires d’un pilote installé à Marrakech. « On vient nous
trouver pour notre capacité d’innovation », constate Ludovic
Deblois. q
Dominique Pialot
une nouvelle vie grâce à la Bourse
très actif en interne mais aussi vis-à-vis
de l’extérieur, puisqu’elle apporte notoriété et image de sérieux.
En levant 3,1 millions d’euros, Patrick
Schein a pu étendre son réseau de boutiques et se développer dans le négoce
et la collecte. Et comme l’achat d’or n’a
jamais été aussi soutenu depuis
quelques mois, à la faveur
de la hausse fulgurante de
de CA
ns
llio
mi
111
ses cours, on comprend
or
d’
llecte et négoce
mieux pourquoi il a tenu à
Gold by Gold co
forcer le destin. L’appétit des investisseurs, même en période de basses eaux,
dépend donc toujours du secteur de
n le voit depuis le début de la by Gold, qui s’est introduit sur le mar- l’entreprise et de la qualité de son
crise financière : les petites et ché Alternext en avril dernier. La société équipe managériale.
toutes petites entreprises ont est spécialisée dans l’achat et le recyAinsi, en 2012, l’essentiel des introducdu mal à convaincre leur banquier de les clage d’or et d’argent, les produits affinés tions en Bourse a concerné des « bioaccompagner dans leurs projets d’inves- étant notamment revendus à l’industrie techs ». Ces entreprises sont, certes, sur
tissement. Et la Bourse, qui pourrait bijoutière. Avec un chiffre d’affaires 2011 un secteur dit « défensif », car touchant à
prendre le relais, ne joue pas véritable- de 111 millions d’euros et un résultat net la santé, mais elles ne délivrent aucun proment son rôle, les analystes et investis- de 1 million, le groupe pèse aujourd’hui fit à court terme, leur activité se concenseurs boudant le créneau des PME- 14 millions en Bourse. Pas facile, certes, trant sur la recherche de molécules… proETI, pas très rentable pour eux.
pour une petite entreprise de faire l’ob- metteuses. Intéressant à rappeler à l’heure
Certains entrepreneurs n’en hésitent jet d’échanges nourris, surtout en cette où les investisseurs veulent, soit-disant,
pas moins à tenter leur chance. C’est le période compliquée pour les actions. Il ne prendre aucun risque avec les
cas de Patrick Schein, patron de Gold n’empêche, la cotation reste un moteur actions.q Pascale Besses-Boumard
Le négoce et le recyclage d’or et d’argent, un bon filon
exploité par Gold by gold, la biennommée ! [FILES / KEYSTONE / KEYSTONE/AFP]
>>
O
Le constat
Montée du chômage,
hausse des défaillances
d’entreprises, conjoncture
économique européenne
dégradée : les difficultés
que rencontrent nombre
d’entreprises sont réelles
et profondes. De quoi
plomber le moral…
C
Fabien Piliu
es exemples, nous les avons
choisis dans des secteurs traditionnels, voire réputés en
déclin. Il fallait oser… Alors que
la plupart des indicateurs
macroéconomiques sont dans le rouge, que
la récession menace, La Tribune vous propose de partir à la découverte d’une autre
France, celle qui gagne, qui embauche
encore, qui innove et qui exporte. Un seul
parti pris : considérant que les entreprises
composant le CAC 40 n’ont pas réellement
besoin de nous pour vanter leurs succès en
France et aux quatre coins du globe, seules
des PME ou ETI sont mis en avant ici.
Évidemment, il ne s’agit en aucun cas
d’ignorer les difficultés et les inquiétudes
actuelles des 2,8 millions de PME françaises et de leurs 7 millions de salariés. Le
niveau toujours élevé des défaillances d’entreprises est un bien douloureux rappel à
la réalité. Tout comme la montée continue
du nombre de demandeurs d’emplois. L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), auquel on ne peut
reprocher aucun « déclinisme », n’anticipet-il pas un taux de chômage inédit de 11 %
de la population active à la fin de 2013 ?
De fait, les difficultés qui pèsent sur les
PME sont nombreuses. La dégradation de
la conjoncture européenne, le niveau jugé
trop élevé du coût du travail, le poids de la
fiscalité, de la paperasserie, le resserrement
de l’accès au crédit : autant de freins au
développement régulièrement cités par les
dirigeants d’entreprises dans les enquêtes
de conjoncture.
Toutefois, réduire l’économie française à
ces terribles maux ne serait pas honnête,
l’événement
VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012 LA TRIBUNE
initiative Les entreprises
COMMERCE EXTÉRIEUR
Solde net :
+ 6,8 milliards d’euros.
textile,
habillement
Solde net 2011 :
- 12,1 milliards d’euros.
© LIONEL BONAVENTURE / AFP
agroalimentaire
© LIONEL BONAVENTURE / AFP
françaises qui produisent localement
ont leur salon « Made in France ».
La première édition, inaugurée par
Arnaud Montebourg, s’est tenue en
novembre et a rencontré le succès.
Selon les organisateurs, « acheter
français n’est pas toujours plus
coûteux si l’on considère le vrai prix
à payer et pas seulement celui qui
est affiché sur l’étiquette ».
«
5
La base France
est compétitive,
l’industrie française
a un grand avenir. »
arnaud montebourg, ministre
du redressement productif
gne… quand même !
Les faits
… mais il y a aussi beaucoup
de nos PME qui se battent,
embauchent, et tiennent
la dragée haute à leurs
concurrents indiens,
chinois ou allemands. La
Tribune a voulu leur donner
un coup de chapeau, à
travers quelques exemples.
n’en déplaise aux Cassandre qui prédisent
le déclin imminent de notre économie et de
notre industrie.
Un talent de champion… un peu
rouillé mais capable de se relancer
« On pourrait comparer l’économie française à un athlète de haut niveau qui a arrêté
de s’entraîner depuis longtemps. La reprise
est délicate car les mécaniques sont rouillées. Pourtant, il y a tellement de talent en
France que tous les obstacles à la croissance
peuvent être dépassés si l’envie est là », martèle Stéphane Nitenberg, le directeur général d’Aston, un fabriquant de décodeurs
numériques qui a décidé en 2010 de localiser une partie de sa production en
France ! « On nous a pris pour des fous », se
rappelle-t-il. Trois ans plus tard, il estime
que ce choix s’est traduit par une augmentation de 15 % du chiffre d’affaires de son
entreprise.
L’exemple d’Aston n’est pas exceptionnel.
Sans chercher bien loin, La Tribune a facilement déniché des entreprises qui
recrutent, souvent à tour de bras, des entreprises de quelques dizaines de salariés qui
lèvent des fonds conséquents en Bourse ou
qui affichent des performances haut de
gamme depuis qu’elles se sont implantées
dans des banlieues réputées difficiles.
Dans l’industrie, on peut encore raconter
de belles histoires. C’est le cas dans les
greens techs, dans le textile ou dans la
construction navale, trois secteurs que l’on
dit pourtant réservés aux entreprises asiatiques. Malgré leur petite taille, leurs ressources financières limitées, il y en a même
qui partent à la conquête du marché allemand, notre principal concurrent à l’export,
ou qui partent défier le géant chinois.
Alors… Joyeuses Fêtes !
La Chine ? Même pas peur !
avons été choisis pour rénover les pourtours de la place », se réjouit Barnabé
Wayser.
Quid du centre de la place hautement
symbolique pour le gouvernement central et l’opposition ? L’entreprise est en
passe de décrocher le contrat, après
avoir déjà « nettoyé » le Parc olympique
de Pékin, le terminal du Port de
Tianjin, le grand théâtre d’Erdos…
Évidemment, cette expérience ne fut
pas toujours une partie de plaisir. La
PME a dû, par exemple, s’approprier les
« codes » du commerce. « Tout se
négocie pendant les repas. Ce n’est
iés
bâtiment 40 salar
e
ri
pas comme en France où se mettre
st
du
In
d
ar
Gu
à table permet d’abord de prendre
i, si, c’est possible.
depuis trop longtemps. Il faut aller cher- du bon temps. Ensuite, il a fallu que nous
On peut diriger une PME de cher la croissance là où elle est », explique fassions des efforts de souplesse. Tant que
40 salariés et partir à la conquête Barnabé Wayser, son directeur général. la marchandise n’est pas livrée, les termes
de la Chine. Après une première expéÉpaulée par un volontaire internatio- d’un contrat peuvent être constamment
rience mitigée avec un distributeur local nal en entreprise (VIE), Guard Indus- modifiés », explique le dirigeant.
en 2006, Guard industrie, une PME spé- trie remporte un premier appel d’offres
Aujourd’hui, la filiale chinoise emploie
cialisée dans la protection de surface et lancé pour la rénovation du musée une quinzaine de personnes. Son activité
de bâtiment et l’imperméabilisation, a national chinois de Pékin, situé place représente 20 % des ventes à l’export et
créé Guard Bao Te Jia Limited en Tian’anmen. Une place qui devient le 10 % du chiffre d’affaires global de Guard
2008, une joint-venture avec une entre- pré carré de la PME de Montreuil (93). Industrie, évalué à 9 millions d’euros en
prise chinoise. « L’Europe est en panne « Grâce à cette première référence, nous 2012.q
Fabien Piliu
La PME Guard Industrie a su imposer son savoir-faire
et ses produits jusqu’au cœur de Pékin, place Tian’anmen.
S
[DR]
>>
À l’assaut de la forteresse allemande
L
par-ci, l’Allemagne par-là. Pas un jour ne
’ Allemagne
passe sans que la presse, les économistes et le gouver-
« En mettant un
pied en Allemagne,
nous avons changé
de dimension »,
déclare Nicolas
d’Hueppe, DG de
Cellfish Media. [DR]
nement ne vantent les mérites du modèle économique
allemand. Et pourtant… Contrairement à une idée reçue selon
laquelle nos chers voisins rechigneraient à se fournir autrement qu’avec du made in Germany, les entreprises françaises
ont de belles opportunités de développement outre-Rhin.
C’est le cas de Cellfish Media, une PME francilienne spécialisée dans l’édition et la distribution de contenus et services
Web et mobiles qui voit son chiffre d’affaires progresser à
vitesse grand V en terre allemande. Aujourd’hui, sur les
100 millions de dollars de chiffre d’affaires affichés par cette
PME de 160 personnes, 10 % sont d’ores et déjà réalisés en
Allemagne. Elle détiendrait actuellement de 15 % à
s 160 salariés
20 % de parts de marchés
es web et mobile
ic
rv
se
et
us
en
en Allemagne, dans la proCellfish cont
duction de contenus pour
les opérateurs mobiles
ment le mérite de raccourcir les distances et de permettre à
Pourquoi avoir tenté cette aventure ? « Dans notre secteur, l’entreprise d’atténuer un sentiment patriotique qui ne peut
l’Allemagne est une évidence. Si l’on prend en compte l’Autriche pas être ignoré lorsqu’un investisseur étranger reprend une
et la Suisse alémanique, c’est un marché de 100 millions de entreprise locale.
personnes qui est à nos portes. En mettant un pied en Alle« En agissant ainsi, nous avons gagné beaucoup de temps. En
magne, nous avons changé de dimension. La taille critique de Allemagne, il est bien plus facile de faire du business lorsque
notre nouveau marché nous a permis d’amortir nos coûts l’on est… allemand. C’est d’autant plus vrai que nos interlocufixes », explique Nicolas d’Hueppe, le directeur général de teurs ne parlent pas tous anglais », constate Nicolas d’Hueppe.
Cellfish Media. Ces ambitions de développement se sont Encore une idée reçue… q
Fabien Piliu
concrétisées en 2006 avec le rachat de Legion, une PME de
40 personnes basées à Düsseldorf. Une méthode qui a notam-
>>
6
l’événement
LA TRIBUNE VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012
cette france qui gagne… quand même !
Sergent Major
est l’une
des marques
soutenues
par Siparex,
premier acteur
indépendant
du private
equity
français. [dr]
Délocaliser c’était bien, relocaliser c’est mieux !
>>
L
e monde est un village, paraît-il ! On pourrait donc s’y
promener à sa guise. Pas si facile, évidemment. Pourtant, en quelques années, une partie de l’outil de production de Billion Mayor Industrie, une PME de la
région lyonnaise spécialisée dans le textile, la transformation
de fils continus précisément, a fait un aller-retour entre la
France et l’Asie. « En 2003, nous avons délocalisé une partie
de notre production en Malaisie pour suivre nos clients et nos
fournisseurs. Si nous n’avions pas fait ce choix, qui nous permettait de réduire nettement nos coûts de production, l’entreprise pouvait se mettre en difficulté », explique Jean-Paul
Sibellas, le président de cette PME de 85 personnes créée en
1893 au cœur du quartier de la soierie à Lyon, inventrice en
1947 du fameux nylon mousse dit « cheveux d’ange » qui a
révolutionné le secteur.
Cette délocalisation, tient à préciser le dirigeant, n’a
entraîné aucune destruction d’emplois en France. En outre,
celle-ci n’a pas pesé sur notre balance commerciale, l’intégralité de la production de Billion Mayor Asia étant destinée
aux marchés asiatiques et sud-américains. Neuf ans plus
tard, bien plus que l’augmentation constante des coûts de
transport, la multiplication par six du coût de la maind’œuvre locale, le bond de 50 % de la monnaie locale – le
Ringgit – par rapport au dollar et à l’euro remettent radicalement ce choix en cause. Et puis, il est toujours délicat de
gérer des problèmes à 10 000 kilomètres de distance.
« Les chaînes de production reprennent le chemin de la France,
permettant ainsi la création de 25 emplois nouveaux sur nos
quatre sites industriels », précise Nicolas Peyraverney, le PDG
du groupe Sofila auquel appartient Billion. « Il faut
bien admettre que le savoir-faire français reste
rsonnes
dustrie soie 85 pe
incomparable », admet Jean-Paul Sibellas qui, en
In
r
yo
Ma
n
io
ll
Bi
dépit du coût de cette relocalisation, de la dégradation de la conjoncture dans un secteur ultra-concurrentiel,
table sur un chiffre d’affaires stable en 2013, avoisinant les
15 millions d’euros, dont 70 % à l’export. q
Fabien Piliu
Chez Billion Mayor Industrie, on relocalise
la production, car « le savoir-faire français
reste incomparable » dans le textile et la soie,
déclare le président de la PME. [DR]
Q
Si, si on peut encore
lever de l’argent
L
e capital-investissement français voit ses ressources s’assécher. Au premier semestre, il a levé
moins de deux milliards d’euros. Il lui aurait fallu
en récolter cinq au second semestre pour que le millésime 2012 égale celui de 2011. Mission impossible, les
banques et les assureurs, ses traditionnels pourvoyeurs
de fonds, se montrant moins prodigues en raison de
nouvelles contraintes réglementaires.
Siparex détonne, dans ce contexte. En juin, la société
de capital-investissement lyonnaise, présente au capital de PME comme Sergent Major ou Le Noble Age,
annonçait le closing final d’un fonds de 130 millions
d’euros, destiné à financer le développement ou le
Leader mondial des bateux de plaisance,
Beneteau a su diversifier sa gamme et
rachat de PME. Rebelote en septembre : un nouveau
l’élargir jusqu’aux… mobile homes. [beneteau]
fonds, dédié cette fois au financement d’entreprises de
taille intermédiaire (ETI), boucle un premier closing
de 90 millions d’euros.
« Aujourd’hui, nous en sommes à 115 millions d’euros
pour ce fonds, avec un objectif de 150 millions d’ici à l’été
2013 », indique Bertrand Rambaud, président de Siparex. Et de préciser : « L’activité capital développementtransmission de Siparex, au travers des véhicules Siparex
MidCap II et Siparex MidMarket III, aura levé près de
250 millions d’euros sur 2011 et 2012 ». Siparex figure
ainsi parmi la dizaine de sociétés de capital-investissement qui aura levé des fonds en 2012, sur les 270 que
compte l’Association française des investisseurs pour
la croissance (Afic).
La recette de Siparex ? « Nous avons beaucoup de
mutuelles et de “family offices” [gérants de grandes fores
tunes, ndlr] parmi nos investisseurs. Notre positionnence 5 800 personn
Beneteau plaisa
ment, axé sur l’investissement dans les PME et les ETI
régionales, leur plaît », explique Bertrand Rambaud.
Tout comme leur conviennent sans doute les perforà la « surréaction » – l’achat d’un bateau mobile homes, dont les ventes sont plus mances de Siparex. Certes, en 2012, les cessions de
est évidemment le premier reporté stables, représente-t-elle aujourd’hui participations – sources de plus-values pour les invesquand l’horizon conjoncturel s’assom- 27 % du chiffre d’affaires. Et surtout, tisseurs – ne seront pas au niveau de la très bonne
brit –, le chiffre d’affaires a reculé à Beneteau joue à fond le développement année 2011 (160 millions d’euros), crise oblige. Mais
nouveau sur l’exercice 2011-2012 (clos de la branche bateaux à moteurs (un elles devraient tout de même égaler les 110,9 millions
à la fin d’août), de 9,8 %.
tiers du chiffre d’affaires), dont l’acti- d’euros de 2010. Le fruit d’une gestion prudente, sans
Mais, en dépit de ce contexte difficile, vité grands yachts (de 18 à 30 mètres). recours excessif à l’endettement. Une gestion qui a pu
le groupe a équilibré ses comptes. Il Ce segment ne connaît pas la crise. être qualifiée de peu « sexy » durant les années d’euphodoit cette performance à la politique de Voilà pourquoi Beneteau a ouvert une rie du capital-investissement. Mais qui permet
diversification, qui permet d’amortir la unité de production au Brésil, tandis aujourd’hui à Siparex d’être le premier acteur indépenchute des ventes de bateaux, dans les qu’une autre a été acquise en Italie. q dant du private equity français, avec plus d’un milliard
d’euros d’actifs sous gestion. q
Christine Lejoux
creux conjoncturels. Ainsi, la branche Ivan Best
Traverser la tempête sans sacrifier ses troupes
uelle est la réaction habituelle
d’un chef d’entreprise dont le
chiffre d’affaires baisse de
37,5 % ? Il réduit les coûts autant que
faire se peut, et se voit contraint de licencier. Confrontés à la récession de 2009,
et à une baisse de leur activité de cette
ampleur, les chantiers Beneteau sont
pourtant parvenus à éviter un plan social
massif. Face à une crise d’une ampleur
inconnue, le groupe, leader mondial des
voiliers de plaisance, a réussi à limiter à
1 % du personnel (60 salariés) le nombre
de licenciements.
Bruno Cathelinais, qui a succédé à
Annette Roux à la barre du chantier, a
joué sur tous les tableaux : chômage
partiel – 625 emplois sauvés sur
6 000 – et plan de départs volontaires
(600 salariés). Alors que la chute des
commandes de bateaux « équivalait » à
la perte de 2 200 postes à temps plein,
seuls 60 personnes ont donc été
contraintes de quitter le groupe.
Il est vrai que les salariés ont renoncé
à leur treizième mois et à une partie de
leurs congés payés. Ils n’ont pas
regretté ce choix, car dès l’année suivante l’activité est repartie de l’avant.
Les dirigeants de Beneteau ont tout de
même joué alors la prudence, en décidant de diversifier leur activité. Bien
leur en a pris. Corrélé à l’activité économique en Europe, avec une tendance
>>
investissement
Siparex capitalus gestion
1 milliard d’actifs so
>>
l’événement
7
VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012 LA TRIBUNE
heureux comme un sous-traitant de l’automobile
L
automobile française va
’ industrie
mal ? C’est vrai pour les construc-
teurs Renault et PSA. Mais le plasturgiste français Plastic Omnium, lui, va
très bien, merci pour lui. L’équipementier
auto familial affichait ainsi insolemment
une activité en hausse de 9,5 % au troisième
trimestre, et même de 15 % à 3,5 milliards
d’euros sur neuf mois. Logique : la société
suit la courbe ascendante de la… production
automobile mondiale, pas celle de Renault
et PSA. Ses ventes en France ont d’ailleurs
reculé de 7 %. Mais, voilà, l’Hexagone
représente 14 % à peine de ses volumes
aujourd’hui. Le chiffre d’affaires progresse
en revanche de 5 % en Europe (hors Hexagone), de presque 17 % en Amérique du
nord, de 22,5 % en Asie, ces deux dernières
zones absorbant quasiment la moitié des
ventes de Plastic Omnium.
Si l’on prend la répartition de la clientèle
par constructeurs, Renault et PSA n’absorbent plus à eux deux que 23 % du chiffre
d’affaires automobile de Plastic Omnium,
contre 24 % pour les constructeurs américains, 30 % pour les Allemands. Une belle
« intercontinentalisation » fondée sur un
solide savoir-faire en matière de composants
Réservoir de carburant
avec une petite cuve
supplémentaire pour
un additif permettant
de limiter les rejets
d’oxyde d’azote.
[plastic omnium]
>>
rsonnes
asturgie 21 000 pe
Plastic Omnium pl
j’innove et j’embauche
À
L’heure où le secteur automobile
s’enfonce un peu plus dans la crise,
une PME attire l’attention. La
Société albigeoise de fabrication
et réparation automobile (Safra)
« reprend le chemin de la croissance », aux
dires de son président Vincent Lemaire. La
PME compte actuellement 165 salariés,
mais elle annonce une campagne de recrutement qui devrait permettre d’atteindre la
barre des 200 salariés.
La recette miracle ? « La diversification et
l’innovation sont les voies stratégiques pour
avancer sur un bon rythme de croissance et
faire face à une baisse d’activité », analyse
Vincent Lemaire qui vise un chiffre d’affaires de 18 millions d’euros en 2013.
Créé en 1955, Safra a su s’adapter aux
évolutions du marché du « transport de
personnes ». L’entreprise a désormais trois
secteurs d’activités : la carrosserie automobile, la carrosserie industrielle et ferroviaire, et l’agencement d’intérieur.
Parmi les principaux contrats remportés,
Safra est en charge de la rénovation du
réseau de métros toulousains. Mais la
diversification ne suffit pas, encore faut-il
poursuivre dans l’innovation. C’est tout
l’enjeu du projet Businova, « un autobus
du futur, avec un système de propulsion
multi-hybride », dont l’entreprise attend
encore toutes les homologations pour en
démarrer la commercialisation au second
semestre 2013.
« Il s’agit d’un véhicule de transport urbain
à haut niveau de performance technique,
économique et écologique, insiste Vincent
Lemaire. Il réduit les émissions polluantes
et la consommation de carburant. Avec Businova, nous revenons aux sources de l’entreprise avec la construction d’une centaine de
véhicules par an, à destination des réseaux
de transport public français et européen ! »
Reste à trouver les bras pour assurer ce
développement. Vincent Lemaire peine à
susciter les candidatures dans des métiers
manuels tels que mécanicien, carrossier ou
soudeur…q
Hugues-Olivier Dumez
Businova, « l’autobus du futur » de Safra, est équipé d’un châssis
bi-modulaire et d’un système de propulsion multi-hybride. [DR]
>>
plastiques. En Amérique du nord, le groupe
renforce ses positions avec le démarrage de
l’usine de systèmes à carburant (réservoirs)
de Huron (Michigan). Il enrichit par ailleurs
son carnet de commandes avec les parechocs pour les prestigieux 4x4 BMW X3 et
X4 « made in USA », qui viennent s’ajouter
à ceux des X5 et X6 déjà livrés à l’usine
BMW de Spartanburg (Caroline du Sud). Au
Mexique, la société lance la production de
pare-chocs et de réservoirs à essence pour
le groupe Volkswagen.
En Asie, cinq nouvelles usines sont en
construction. Du coup, grâce à une sage
répartition de son portefeuille clients, le
groupe affirme que ses ventes feront
« mieux en 2012 que la production automobile mondiale, attendue en hausse de plus
de 5 % ». Pas mal.
Au premier semestre, son résultat opérationnel a même crû de 12,5 % à 169 millions, avec une belle marge de 7,4 % dans
son activité auto (90 % du chiffre d’affaires).
De quoi faire pâlir de jalousie Renault ou
PSA. Ça ressemble à une sacrée revanche
des anciens sous-traitants français sur
leurs clients tricolores historiques.q
t 165 salariés
Safra transpor
>>
Alain-Gabriel Verdevoye
e 3 500 personnes
Paprec recyclag
Née à La Courneuve dans le fameux « 9-3 »,
l’entreprise de recyclage de déchets industriels
Paprec vise 5 000 salariés en 2015. [paprec]
grandir et prospérer en banlieue
U
ne croissance moyenne de 29 % par
an depuis 1995, un nombre de salariés qui a plus que doublé ces quatre
dernières années, une marge nette fluctuant entre 2 et 3,5 %. Quand il égrène son
bilan, Jean-Luc Petithuguenin, fondateur
et PDG du spécialiste du recyclage
Paprec, créé généralement la sensation.
Le Fonds stratégique d’investissement
(FSI), qui vient d’entrer à son capital, n’en
finit pas de s’en féliciter. L’Express lui a
décerné cet automne le très convoité prix
de l’Entrepreneur de l’année 2012.
Un engouement rare pour un groupe né à
La Courneuve (93), où la moitié de son
siège social est encore installée, à
500 mètres de la Cité des 4 000.
Cette star des PME françaises est une fille
des banlieues. Non seulement ses usines de
tri et de recyclage de déchets sont logées à
Sarcelles (95), au Blanc-Mesnil (93) ou à
Gennevilliers (92), mais jusqu’en 2010,
Jean-Luc Petithuguenin recevait ses clients
industriels et élus locaux, ses banquiers et
ses associés à La Courneuve. « Quand nous
avons préparé notre entrée en Bourse, nous
avons pris des locaux dans Paris. Il aurait été
trop compliqué de faire venir des analystes
et des journalistes à La Courneuve », sourit
le PDG du numéro trois français du recyclage. Mais aujourd’hui encore, la direction
des ressources humaines, l’informatique et
la quasi-totalité du contrôle de gestion de
ce groupe de 3 500 salariés (300 personnes)
sont basés à La Courneuve.
Cette carte d’identité n’empêche pas son
PDG de continuer à voir loin. Il vise d’ici
2015 un chiffre d’affaires d’un milliard
d’euros (750 millions aujourd’hui) avec
5 000 salariés, sur le secteur des déchets
industriels, pourtant très corrélé à la
conjoncture économique. « Nous compensons la baisse des volumes par de nouveaux
clients. Le gisement non exploité est considérable : 50 % des déchets industriels en
France finissent dans une décharge »,
affirme Jean-Luc Petithuguenin. q
Marie-Caroline Lopez
10 Le buzz
LA TRIBUNE VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012
l’œil de philippe mabille
directeur adjoint de la rédaction
P
our survivre à 2013, il ne faudra pas être
superstitieux. Année terrible, « pire que
2009 », prédisent les Cassandre et autres
annonciateurs d’apocalypse, 2013 ne sera
pourtant pas forcément ce que la sombre fin
de 2012 laisse présager. Évidemment, il aura d’abord fallu
que ce ne soit pas, ce vendredi 21 décembre 2012, la fin
du monde du calendrier maya. Sinon, aucun lecteur ne
lira cet excellent numéro de La Tribune Hebdo, le dernier
de l’année avant la trêve de Noël, ce qui serait dommage,
puisque nous titrons sur « cette France qui marche », un
beau présage.
Ensuite, il faudra dépasser la phobie du 13, triskaïdékaphobie en
grec, qui est le marqueur symbolique de cette fin d’année. Inventée probablement au Moyen Âge,
la mauvaise réputation du chiffre
13 est reliée à la Cène, le dernier
repas du Christ, où Judas représente le treizième apôtre, ou bien
à Satan, le treizième ange, voire à
Loki, le treizième dieu des anciens
Vikings. On en trouve trace aussi
chez les Perses anciens, qui ont prédit que le Chaos se produira dans le XIIIe millénaire après le règne des douze
constellations, et qui conduit aujourd’hui encore les Iraniens des temps modernes à purifier leur âme le treizième
jour de chaque année (Sizdah- Be-dar).
Dans le monde entier, cette superstition interdit d’être
treize à table, de porter le numéro 13 dans les compétitions
sportives, ou bien de dormir dans la chambre 13, que
la plupart des hôtels suppriment prudemment, tout
comme il n’y a pas de rangée no 13 dans les avions. La pho-
«
bie du 13 a aussi donné naissance au 12 bis, qui peut utilement nous inspirer pour essayer de comprendre à quoi va
bien pouvoir ressembler 2013.
Pour l’Europe comme pour la France, 2013
a de fortes chances d’être pour l’économie une année
2012 bis, une nouvelle année de stagnation où la demande
sera contrainte par une austérité budgétaire sans précédent depuis l’après-guerre, où le pouvoir d’achat sera rogné
par la hausse des impôts et la baisse des dépenses
publiques. L’ancien président de la BCE Jean-Claude
Trichet­parle même de « stabilité compétitive »
pour décrire la période actuelle, où nous
devons réformer nos modèles économiques et
sociaux dans les pires conditions possibles.
Croissance zéro, taux zéro… L’Europe est
encalminée dans le pot-au-noir dont la traversée est, c’est connu, le cauchemar de tous les
marins et navigateurs.
« N’ayez pas peur », disait Jean-Paul II. Même
si la prudence s’impose dans la traversée de
2013, conduisant nombre de chefs d’entreprise
à y entrer en réduisant la voilure, il faut rappeler que le 13 est aussi, dans certaines
cultures, un chiffre de chance, rappelle The Economist dans
son édition spéciale 2013.
Aux douze travaux (pénibles, il est vrai) d’Hercule en a
succédé un treizième, plein de félicités, où le héros mature,
vainqueur du terrible lion de Cithéron, fut récompensé
pendant cinquante nuits des faveurs des cinquante filles
du roi Thespius ! Il y a aussi la « rose aux treize pétales »
de la Kabbale juive… Et puis, qui n’a jamais été tenté de
jouer à l’Euromillion un vendredi 13 (il y en aura deux en
2013, aux mois de septembre et décembre).
Dans
certaines
cultures, le 13
est aussi un chiffre
de chance ! »
© DR
Triskaïdékaphobie : même pas peur !
Les économistes, comme la plupart des gouvernements,
escomptent d’ailleurs une lente sortie de crise à partir de
la fin 2013. C’est l’horizon attendu par François Hollande
pour inverser la courbe du chômage en France. Angela
Merkel aussi compte sur 2013 pour se faire réélire, en septembre, à la chancellerie allemande. Si tel est le cas, elle
serait le deuxième dirigeant occidental, avec Barack
Obama, à survivre à la crise.
Une chose est sûre, en 2013 comme en 2012, Merkel sera
la femme de l’année. Dans le Financial Times, elle vient
d’égrener la feuille de route pour la plupart des pays de
la zone euro, avec une déclaration qui marquera les
esprits : « L’Europe pèse 7 % de la population mondiale,
produit 25 % du PIB mondial, mais doit financer 50 % des
dépenses sociales mondiales. Dès lors, il semble évident
que les Européens devront travailler très dur pour maintenir leur prospérité et leur mode de vie ».
Allez, une dernière raison d’espérer : la Grèce
vient de racheter avec succès et les bons conseils de la
banque Lazard 34 milliards d’euros de sa dette au secteur
privé, à un tiers de sa valeur. Le plus joli coup de l’année,
qui ne suffira hélas ! sans doute pas pour sauver Athènes,
mais qui montre que le pire n’est jamais certain. Il a d’ailleurs été « salué » par Standard & Poor’s : l’agence de notation financière a remonté de six crans la note de la Grèce,
de « défaut sélectif » (SD) à « B– », et qualifié de « stable »
la perspective à long terme…
Pour la zone euro, tout n’est pas réglé pour autant : un nouveau nuage se dresse avec les élections italiennes et un
mauvais génie nommé Silvio Berlusconi est sorti de sa
bouteille. Son incroyable come-back sera le principal risque
à l’horizon du premier trimestre.
En attendant, joyeuses fêtes…q
le meilleur de la semaine sur latribune.fr
Sur le podium
repéré par la rédac’
LE PLUS PARTAGÉ Les stagiaires de Facebook
gagnent en moyenne 4 274 euros par mois Mal
« La polémique sur les causes du réchauffement repart de plus belle »
Selon un blogueur américain, le prochain rapport du GIEC relativiserait
l’impact de l’action humaine et soulignerait celui du rayonnement solaire.
LE PLUS LU Pourquoi Depardieu a pu payer
85 % d’impôt en 2012 L’acteur a-t-il pu être contraint
de verser au fisc l’équivalent de 85 % de ses revenus ? C’est ce
qu’il affirme. Si cette affirmation est invérifiable, une surtaxation de ce niveau est possible, dans le cas d’un contribuable
disposant d’un patrimoine taxable à l’ISF très important, en
regard d’un revenu relativement modéré. Publié le 17 décembre
LE PLUS COMMENTÉ Retraites complémentaires : des solutions douloureuses se profilent Face à la dégradation des comptes des régimes de re-
traites complémentaires Arrco et Agirc, les pensions
pourraient être revalorisées d’un montant inférieur de un
point à celui de l’inflation. Ce qui entraînera une perte de pouvoir d’achat pour les retraités. Publié le 14 décembre
la vie de la communauté
Les meilleures contributions sur latribune.fr et les réseaux sociaux
Le tweet
« Gamme réduite et voitures
chères, autonomie faible,
peu de bornes de rechargement et
pas écolo du tout ! »
>> @s_digitale, à propos de l’article « Les
voitures électriques ne font pas recette,
ni en France ni en Allemagne »
Le commentaire
« La seule initiative
importante est de stopper les
hausses folles des taxes foncières et
d’habitation et de les stabiliser à leur
niveau actuel. Aux collectivités locales
de stopper leur folie dépensière
et de faire des économies. »
LE Diaporama
Requêtes sur Google
en France : le podium 2012
1 / Free Mobile
>> Betafoin à propos de l’article « Ayrault
se lance dans une réforme à haut risque
de la fiscalité locale »
2 / Euro 2012
L’opinion
>> « Et pourtant, le monde croît ! »
par Thomas Costerg et Sarah Hewin,
de la Standard Chartered Bank.
« Quand il s’agit d’esquisser les
perspectives pour 2013, il serait facile
de tomber dans le pessimisme. Mais le
monde restera dynamique, grâce à la
classe moyenne des pays émergents. »
3 / Secret Story
© photos DR
payés les stagiaires ? Pas chez Facebook, en tout cas. En moyenne,
les stagiaires de la firme de Mark Zuckerberg gagnent 5 622 dollars, soit 4 274 euros, par mois. Selon Mashable, Facebook mènerait cette politique de salaires très attractive afin d’attirer les
meilleurs talents dans son giron. Publié le 17 décembre
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classement sur latribune.fr
Le buzz
11
VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012 LA TRIBUNE
Les banques, qui ont activement fait valoir leurs arguments ces derniers
mois, sont rassurées. Leur modèle n’est pas profondément remis en cause.
Réforme bancaire : circulez,
il n’y a (presque) rien à voir
François Hollande lors
de son meeting du Bourget.
« Mon véritable adversaire  
n’a pas de nom, pas de visage
[…], c’est le monde de la
finance », avait-il lancé.
L’acteur a choisi l’exil fiscal en Belgique.
C’est vrai qu’il a pris cher…
Comment Gérard
Depardieu a pu payer
85 % d’impôt en 2012
Gérard Depardieu a-t-il
pu être contraint de ver-
[PATRICK KOVARIK/AFP]
ser au fisc l’équivalent de 85 %
de ses revenus ? L’acteur-businessman, qui veut prendre la
nationalité belge et renvoyer
son passeport français, l’affirme. Une telle proportion
peut surprendre. Mais,
même si cette affirmation est invérifiable, une
surtaxation de ce niveau
est possible dans le cas
d’un contribuable disposant
d’un patrimoine taxable à l’ISF
très important, en regard d’un
revenu relativement modéré.
Est-ce vraiment le cas de
Gérard Depardieu ?
En tout cas, consacrer 85 % de
ses revenus à payer ISF, impôt
sur le revenu, et CSG est possible en 2012, avant même l’instauration de l’impôt à 75 %
voulu par François Hollande,
qui entrera en vigueur en 2013.
Le gouvernement Ayrault a en
effet institué pour 2012 un « rattrapage » de l’ISF, afin que celuici retrouve dès cette année son
niveau d’avant la réforme voulue
par Nicolas Sarkozy. Une
Le rapporteur général du Budget à l’Assemblée, Christian
Eckert, le précise dans son rapport sur le projet de loi de
finances 2013 : « L’ISF dû au
titre de 2012 n’est pas plafonné.
La contribution exceptionnelle
sur la fortune ne l’est pas non
>>
Entre le texte de la
réforme bancaire, présenté
cette semaine au conseil des
ministres et les propositions du
candidat Hollande, il y a un
monde. « Je séparerai les activités
des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi de leurs
>>
vités pour compte propre à haut
risque. Seules sont visées, les activités jugées non utiles au financement de l’économie. Autrement
dit, toutes les opérations impliquant des risques de contrepartie
non garantis notamment avec des
hedge funds ou des sociétés de
capital investissement.
Dans
ce
schéma, l’essentiel des
activités de trading reste dans la
banque universelle.
Dans une banque comme BNP
Paribas, le compte propre « pur »,
représentait seulement 0,5 % du
produit net bancaire (PNB) en
2011, selon les estimations de
Christophe Nijdam, analyste chez
AlphaValue.
la coquille vide
opérations spéculatives », s’était
engagé le candidat. Tout le monde
se souvient de la tirade sur la
finance « adversaire sans visage »,
lors de son meeting de campagne
au Bourget. « Mon véritable adversaire n’a pas de nom, pas de visage,
pas de parti, il ne présentera jamais
sa candidature, et pourtant il gouverne […], c’est le monde de la
finance », avait alors déclaré François Hollande.
« L’adversaire » aura été ménagé.
Plutôt que de couper les banques
en deux ou de cantonner strictement les activités de marché à
risque, comme le préconisait le
rapport Liikanen, la réforme bancaire défendue par le gouvernement propose que les établissements financiers isolent dans une
filiale une liste très limitée d’acti-
Un projet de loi
« vidé de sa substance »
Quelques activités seront également interdites, comme le trading
à haute fréquence et les opérations sur les dérivés liés aux
matières agricoles.
Même là, la restriction est toute
relative : le trading à haute fréquence effectué à des fins de tenue
de marché et les transactions dont
la rapidité serait supérieure à une
demi-seconde resteraient autorisées. Les banques sont donc rassurées. La réforme ne remet aucunement en cause leur modèle.
Certains banquiers l’ont même
surnommée la réforme « Volvic »,
« car elle combine des éléments de
la réglementation Volcker (américaine) et des éléments du rapport
Vickers (britannique) et aussi pour
souligner sa douceur naturelle »,
s’amuse l’un d’eux.
De leur côté, les opposants à la
réforme bancaire font entendre
leur voix. Dans un entretien au
« Monde », Thierry Philipponnat,
secrétaire général de l’association
internationale Finance Watch,
estime que le projet de loi a « vidé
la réforme bancaire de sa substance ». « C’est le soutien implicite
de l’État qui a permis aux activités
de marché de prospérer à des
niveaux déraisonnables. Sur les
8 000 milliards d’euros de bilan
cumulé des banques françaises,
seulement 22 % sont prêtés à l’économie réelle, aux entreprises et aux
ménages. Que sont les 78 % restant ? Des activités de marché, des
prêts à d’autres institutions financières ou des investissements pour
compte propre ! », rappelle l’exbanquier. q
Sophie Rolland
l’idée fisc
plus, pas plus que l’ensemble des
deux. » Voilà pourquoi Gérard
Depardieu pourrait, effectivement, consacrer 85 % de ses
revenus à payer ses impôts,
compte tenu de cette contribution exceptionnelle. Et pourquoi
certains contribuables aux revenus très faibles – les fameux
agriculteurs de l’île de Ré –
pourraient payer des impôts
dépassant leurs revenus.
Plafonnement
à 75 % en 2013
Mais, en 2013, l’ensemble des
impôts directs (IR, ISF, CSG)
seront plafonnés à 75 % des
revenus, comme le veut le projet
de loi de finances 2013,
bientôt adopté. Ce sera
plus qu’avec le bouclier
fiscal à 50 % instauré
par Nicolas Sarkozy, et
supprimé par lui en
2011, après une série de
polémiques. Et encore
plus pour les grandes
fortunes qui disposent
de contrats d’assurancevie et de bénéfices logés
dans des sociétés dites
holdings patrimoniales,
dont elles détiennent au moins
33 % des parts… Car, au moment
de calculer le plafonnement des
impôts en proportion des revenus, ces sommes placées ici et
là seront assimilées à des revenus. Le mécanisme sera donc
plus strict qu’il ne l’était auparavant. q
Ivan Best
Sur 2012, certains
contribuables aux
revenus très faibles
– les agriculteurs
de l’île de Ré ! –
pourraient payer des
impôts dépassant
leurs revenus.
réforme votée en 2011, qui avait
fortement réduit l’impôt sur la
fortune. Son taux maximal avait
été ramené de 1,8 % à 0,5 %.
Votée en juillet, la contribution
exceptionnelle sur le patrimoine, permettant d’augmenter
dès 2012 les recettes d’ISF,
n’était pas assortie d’un plafond.
12 LE BUZZ
LA TRIBUNE VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012
Aspiré par l’immense appétit de la Chine, le charbon devrait, d’ici cinq à dix ans, détrôner le pétrole comme première source
d’énergie mondiale, a annoncé l’Agence internationale de l’énergie.
Le charbon, c’est l’avenir !
Le charbon pourrait, en
2017, détrôner le pétrole pour devenir la première source d’énergie de
la planète. C’est ce qu’affirme
l’Agence internationale de l’énergie
(AIE), c’est-à-dire l’organisation
énergétique des pays développés,
dans un rapport publié mardi. Le
charbon représente déjà près de
28 % de l’énergie consommée dans
le monde et est la première source
d’électricité. « Grâce à des ressources abondantes et à une
demande insatiable d’électricité en
provenance des marchés émergents,
le charbon a représenté près de la
moitié de l’augmentation de la
demande mondiale
d’énergie lors de la
première décennie
du xxie siècle », souligne l’AIE. En 2017,
la consommation de charbon
devrait représenter 4,32 milliards
de tonnes équivalent pétrole, tout
près des 4,4 milliards de pétrole que
devrait alors consommer la planète.
« La part du charbon dans le
­bouquet énergétique mondial continue de progresser chaque année, et
si aucun changement n’est fait aux
politiques actuelles, le charbon
­rattrapera le pétrole d’ici une
décennie », avertit la patronne de
l’organisation basée à Paris, Maria
van der Hoeven. « Le résultat, c’est
>>
La centrale à charbon de Chengdu,
dans la province du Sichuan. La
Chine a représenté l’an dernier
46,2 % de la consommation
mondiale. Le cap des 50 % devrait
être franchi dès 2014. [Imaginechina]
le BON FILON
que sans restriction à la consommation de charbon avec des politiques
climatiques, la demande et le CO2
continueront à augmenter »,
s’alarme-t-elle.
« La Chine,
c’est le charbon »
En 2017, le monde brûlera environ 1,2 milliard de tonnes de charbon supplémentaires par an, par
rapport à aujourd’hui, l’équivalent
de l’actuelle consommation de la
Russie et des États-Unis réunis.
« Le charbon, c’est la Chine. La
Chine, c’est le charbon », résume
l’AIE. À lui seul, le géant asiatique
a représenté l’an dernier 46,2 % de
la consommation mondiale. Le cap
des 50 % devrait être franchi dès
2014. Et la tendance est générale,
à l’exception des États-Unis. L’Inde
devrait ainsi ravir la place de deuxième consommateur mondial aux
Américains d’ici 2017. L’AIE note à
ce propos qu’en l’absence d’un prix
élevé du CO2, « seule une vive
concurrence d’un gaz bon marché
peut effectivement réduire la
demande de charbon » en brandis-
sant en exemple les conséquences
aux États-Unis de la production du
gaz de schiste. « L’expérience américaine suggère qu’un marché du
gaz plus efficace, avec des prix
flexibles et des ressources non
conventionnelles domestiques produites de manière durable, peut
réduire la part du charbon, des
émissions de CO2 et la facture des
consommateurs, sans nuire à la
sécurité énergétique », plaide Maria
van der Hoeven. « L’Europe, la
Chine et d’autres régions devraient
en prendre note », insiste-t-elle.
Reste que le déclin du charbon aux
États-Unis a entraîné un bond des
exportations américaines, notamment vers l’Europe, note l’AIE.
Conséquence : les prix du charbon
en Europe ont chuté de 130 dollars
la tonne en mars 2011 à 85 dollars
en mai 2012. Ainsi, lors du premier
semestre 2011, l’Allemagne, le
Royaume-Uni et l’Espagne ont
tous les trois produit moins d’électricité à partir de gaz (moins générateur de gaz à effet de serre), tout
en produisant plus à partir du
­charbon, souligne l’AIE.
Ce mouvement est cependant près
du « pic », affirme l’AIE qui table en
2017 sur un retour de la consommation de charbon en Europe à un
niveau « juste un peu » supérieur à
celui de 2011, en raison de la part
croissante des renouvelables et de
la mise hors service des anciennes
centrales électriques à charbon.q
M.-C. L. (avec AFP)
Lu sur le site
« L’Allemagne est l’un des plus gros
consommateurs de charbon en
Europe ! En fait de charbon, il s’agit
de lignite, particulièrement polluant et
abondant dans les Lusaces (ex-RDA).
Les centrales nucléaires arrétées
seront remplacées par une trentaine
de centrales au charbon-lignite. Dans
les Lusaces, on rase des villages
entiers pour ouvrir des mines de
lignite à ciel ouvert ! » ( par nEtRICk
Éric Trappier a été nommé mardi PDG de Dassault Aviation. Il devra relever, dès le 9 janvier 2013, trois challenges de taille :
le premier contrat export du Rafale, le lancement du Falcon SMS et la gestion de la relation entre Dassault Aviation et Thales.
Les trois défis du nouveau patron de Dassault Aviation
c’est donc Éric Trappier
qui succédera, à compter du 9 janvier 2013, à l’historique et emblématique PDG de Dassault Aviation,
Charles Edelstenne. L’actuel directeur général en charge de l’international a gagné son duel face au
directeur général chargé des
affaires économiques et sociales,
Loïk Segalen, qui est toutefois
nommé directeur général délégué.
Pour autant, le nouveau patron de
Dassault Aviation devra composer
avec Charles Edelstenne, l’homme
de confiance de Serge Dassault,
contraint de se retirer à cause de
son âge. Il fêtera ses 75 ans, le
9 janvier 2013. Qu’on se le dise,
Charles Edelstenne – en pleine
forme – ne renoncera pas du jour
au lendemain à s’occuper des
affaires de Dassault Aviation. Il y
veillera depuis son bureau du rondpoint des Champs-Élysées, lieu
historique de la maison Dassault où
est logée la holding Groupe indus-
triel Marcel Dassault (GIMD). Forcément, Éric Trappier va certainement souffrir de la comparaison
par rapport à la très forte personnalité de Charles Edelstenne. Mais
il a pour lui une très bonne
connaissance des clients de Dassault Aviation, notamment de ceux
qui, au Moyen-Orient et en Asie,
pourraient s’offrir le Rafale…
Rafale : conclure
Car le défi prioritaire pour le nouveau PDG est la signature du premier contrat à l’export pour le
Rafale. Ce qui donnerait un grand
bol d’oxygène à toute la filière
industrielle de l’aéronautique militaire française – notamment aux
bureaux d’études du Team Rafale
(Dassault Aviation, Thales et
Safran) et du missilier MBDA – qui
commence sérieusement à tirer sur
la corde. À ce jour, tous les indicateurs sont au vert pour la signature
au premier semestre 2013 d’un
contrat en Inde, qui est en négociations exclusives avec l’avionneur
depuis le début de l’année en vue
d’acquérir 126 Rafale. L’avion
­tricolore intéresse aussi plusieurs
autres pays comme les Émirats
arabes unis (60 Rafale), le Qatar
(24), le Koweït (28), le Brésil (36)
et la Malaisie (18). Un contrat en
Inde pourrait débloquer toute une
série de négociations serrées,
notamment au Brésil.
FALCON SMS : concrétiser
Deuxième défi, le lancement du
Falcon SMS (Super Mid Size), le
programme d’entrée de gamme des
avions d’affaires Falcon, qui pourrait être présenté aux clients au
printemps 2013, soit au salon de
l’aviation d’affaires ABACE à Shanghai (16-18 avril), soit à celui de
Genève EBACE (21-23 mai). Le
printemps dernier, le programme
est entré dans la phase la plus
­élevée de son développement. La
>>
conception détaillée de l’avion, qui
sera motorisé par
Safran, est figée. Le
premier vol est prévu en 2014. Audelà du SMS, le nouveau patron
devra accompagner la reprise du
marché d’aviation d’affaires, qui
­frémit notamment grâce aux milliardaires chinois déjà « addicts »
au 7X. Au premier semestre, Dassault Aviation avait enregistré des
prises de commandes pour
25 Falcon (contre 22 au premier
semestre 2011). Pour autant, cette
timide reprise des ventes ne permet pas de maintenir le carnet de
commandes à ses niveaux actuels,
estime-t-on en interne.
Dassault-Thales :
retrouver la confiance
le plan de vol
Enfin, Éric Trappier devra gérer
la relation entre Dassault Aviation
et Thales et, au-delà, avec DCNS.
Il devra instaurer une relation de
confiance avec le nouveau PDG de
Thales, Jean-Bernard Lévy (expatron de Vivendi), et avec les salariés du groupe aujourd’hui dans
une relation de défiance complète
avec Luc Vigneron, le PDG écarté.
Il en va de l’investissement de Dassault Aviation car la situation de
Thales se dégrade. L’action de ce
dernier est passée de plus de
40 euros il y a cinq ans à 27 euros,
soit une capitalisation qui s’est
effondrée, passant de 8 à 5 milliards d’euros. Le résultat net s’était
élevé à plus de 800 millions d’euros
en 2007 (contre 500 millions en
2011 après deux années de pertes).
Enfin, le chiffre d’affaires stagne
depuis quatre ans, aux alentours de
13 milliards d’euros, malgré chaque
année, une, ou deux, très grosse
commande…q Michel cabirol
LE BUZZ
13
VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012 LA TRIBUNE
La filiale de Vivendi dresse un constat alarmiste de sa situation concurrentielle après le « cataclysme provoqué par l’arrivée de
Free », dans le document remis aux partenaires sociaux pour justifier son plan de départs volontaires.
Effet Free Mobile : le scénario noir imaginé par SFR
Noir, c’est noir. Le constat
dressé par SFR dans le « Livre II »
communiqué aux partenaires
sociaux dans le cadre du plan de
départs volontaires qui touche
1 123 emplois (sans compter les
267 créations de postes qui restent
>>
faires 2011-2015 reste fortement
dégradé » indique la filiale de
Vivendi, qui s’attend selon nos
informations à une chute de 64 %
de son bénéfice net en quatre ans,
à un peu moins de 500 millions
d’euros en 2015, et de 42 % du cashflow net à
740 mill i o n s
(hors
coûts de
restructuration et achat de fréquences). Avec ou sans plan d’adaptation, le chiffre d’affaires devrait
se contracter de 15 % en quatre ans,
à 10,3 milliards d’euros, dont près
de 35 % dans les services mobiles
grand public.
SFR a bâti ce plan d’affaires sur
l’hypothèse d’un équilibre à moyen
terme entre les « offres complètes »
et les « offres simples », comprendre celles avec abonnement,
engagement et subvention par
la gueule de bois
envisagées) se révèle des plus alarmistes. Certes, c’est la règle dans ce
type de document. Mais les prévisions annoncées sont particulièrement pessimistes, alors que le
groupe a légèrement relevé ses
objectifs pour l’année 2012 le mois
dernier, tablant sur une baisse de
12 % de son Ebitda (résultat brut
d’exploitation), contre -12 % à -15 %
redoutés initialement. Même après
le plan d’adaptation que l’opérateur
va mettre en place, « le plan d’af-
opposition au « SIM-only », les
offres low-cost sans téléphone et
sans engagement. Mais SFR n’exclut pas que ces nouvelles offres
représentent « 60 % à 70 % du
marché. » Il évoque « le cataclysme
provoqué par l’arrivée de Free et ses
conséquences très lourdes pour
SFR » et se livre à un long exercice
d’autodénigrement, affirmant que
« les avantages compétitifs que possédait SFR jusqu’à maintenant »
sont désormais « banalisés » : par
exemple, la « richesse d’offre de
produits et services », devenue
« moins pertinente », ou encore la
capacité d’innovation « dans la
mesure où elle peut être répliquée
très rapidement », et enfin « la
­maîtrise des réseaux » qui a perdu
de son importance du fait des
« nouvelles facilités réglementaires
­d’accès à des réseaux tiers » (en
référence au contrat d’itinérance
conclu entre Free et Orange).
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Or, en parallèle, le numéro deux
français des télécoms se considère
« dépositionné [sic] en termes de
compétitivité » sur de « nouveaux
critères de préférence ou d’attractivité ». Il s’agit de la perception du
rapport qualité/prix, de la maîtrise des canaux de distribution
« digitaux » des acteurs venus du
fixe mais aussi de « l’efficacité
organisationnelle et opérationnelle », présentée comme un
« avantage natif de Free ».
SFR ne coupera pas dans
ses investissements
Le plan d’adaptation de la direction ne réglera pas tous ces problèmes mais permettra d’améliorer
sensiblement les équilibres d’exploitation de SFR : le bénéfice
d’exploitation ne s’effondrerait plus
de 65 % entre 2011 et 2015 mais de
47 % à 1,2 milliard d’euros. Idem
pour le résultat net, qui ne serait
pas divisé par six mais par un peu
plus de 2,5, seulement. Ces
chiffres sont-ils compatibles avec
la valorisation de 20 milliards
d’euros pour SFR avancée par le
président du directoire de
Vivendi, Jean-François Dubos ?
Ou bien SFR noircit-il le trait ?
Seul point de nature à rassurer
les salariés, SFR n’a pas prévu de
couper drastiquement dans ses
investissements : il les maintient
autour de 1,4 milliard d’euros par
an. Les salariés doivent en
revanche se faire une raison sur le
maintien éventuel dans le giron de
la maison mère. SFR explique sans
détours qu’« il n’existe aucune réalité économique ou financière, ni
même en termes de gouvernance ou
encore de moyen ou de mutualisation au niveau de ce pôle » d’actifs
télécoms, qui regroupe SFR, Maroc
Télécom et le brésilien GVT. q
Delphine Cuny
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14 L’enquête
LA TRIBUNE VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012
conversion Alors que leurs jouets de pacotille ont envahi le monde, les
Jouets chinois : apr
le contexte Les jouets
« Made in China » ont fait la
fortune de la ville de Chenghai.
Mais la hausse du yuan et des
salaires, les normes de sécurité
et la baisse des exportations ont
mis fin au boom du secteur.
L’enjeu Ce domaine en pleine
restructuration voit son salut
dans le développement de ses
propres produits et de son
expertise. Et il vise un marché
local en pleine expansion.
Virginie Mangin,
envoyée spéciale à Chenghai
E
n Chine, jouet rime
avec Chenghai, une
ville située dans le sud
du pays, dans la province de Guangdong.
Ce jour-là, dans le hall d’entrée de
Concord Toys, l’une des entreprises phares du secteur, une
grossiste scrute les cartons de
jouets qui s’entassent.
Chaque matin, les usines implantées aux alentours livrent leur dernière production : poupées, déguisements, voitures… « On ne garde
que le meilleur. Le reste, on jette »,
tranche Pauline Chen, vice-directrice générale de Concord Toys.
« On ne peut pas se permettre de
vendre de la mauvaise qualité »,
argumente-t-elle en faisant visiter
son entreprise : quatre étages de
jouets soigneusement rangés par
catégories : filles, garçons, premier
âge… Certains sont étiquetés sous
marque chinoise, d’autres sont
customisés par Concord Toys
selon les désirs du client : couleur,
taille, emballage…
L’entreprise s’occupe de toute la
chaîne de production : du design
jusqu’au chargement sur le cargo.
« On conçoit le jouet. On le teste,
l’améliore, puis on le propose à nos
clients étrangers », explique Pauline Chen. L’international n’est
pas un vain mot pour elle, puisque
le chiffre d’affaires annuel de son
entreprise se répartit entre l’Europe (20 millions de dollars), les
États-Unis (25 millions de
­d ollars) et l’Amérique latine
(40 millions de dollars).
Dans la capitale mondiale du
jouet, il existe des milliers d’entreprises comme Concord Toys. Les
distributeurs y débarquent du
monde entier pour faire leur marché, non seulement de cadeaux de
Noël, mais aussi de jouets que l’on
retrouve tout au long de l’année
dans les stations services, ou au
bord de la plage en été.
Les usines et les ateliers, qui
s’alignent sur des kilomètres, dessinent, fabriquent, assemblent,
empaquettent puis exportent
leurs produits. « C’est unique au
monde. On peut dessiner et produire un jouet en moins de
48 heures selon les attentes du
client. Tout est sur place »,
explique Pauline Chen.
80 % des jouets achetés
dans le monde
La puissance de Chenghai repose
sur cette concentration des compétences. Pratiquement toute la
population travaille dans le jouet.
« C’est une véritable mafia », souffle
un industriel sous couvert d’anonymat. « On est tous cousins. Nous
sommes une grande famille », sourit, évasive, Pauline Chen, qui a
débuté dans le secteur après sa
sortie de l’université. Il est vrai que
déchiffrer l’organigramme de
­l’entreprise s’avère mission impossible. Qui détient quoi au capital ?
Qui fait quoi dans l’entreprise ?
Mystère. Tout juste apprend-on
que Pauline Chen est également
propriétaire de cinq usines de
jouets dans la ville, et que la famille
de son assistante possède Enlighten, marque fabriquée et distribuée
par Concord Toys.
«
En 2008, touchées par la crise financière, des milliers d’usines de jouets ferment leurs portes et licencient
des millions de travailleurs. Résultat, une énorme restructuration. [LU HANXIN / XINHUA]
Le boom du jouet en Chine
remonte à une trentaine d’années.
L’activité était à l’époque contrôlée par les grossistes hongkongais
qui jouaient les intermédiaires
avec les distributeurs occidentaux, et avaient implanté leurs
usines dans la province voisine du
Guangdong.
En 1980, cette province devient
le laboratoire grandeur nature de
la politique d’ouverture économique de la République populaire.
Elle obtient le statut de zone
é conomique spéciale pour
­
­p lusieurs villes, dont celle de
Chenghai. Progressivement cette
chaîne industrielle gagne la
région. Après Chenghai, les villes
de Dongguan et de Ningbo, près
de Shangai, se mettent aussi aux
jouets. La région va produire
désormais 80 % des jouets achetés
dans le monde.
Je ne fais
visiter que
le showroom.
J’ai peur de la
concurrence. »
Pauline Chen,
vice-directrice générale
de Concord Toys, à chenghai
Le statut obtenu par la province
de Guangdong, unique à l’époque,
donne accès aux capitaux étrangers ainsi qu’aux politiques gouvernementales de soutien aux
exportations. Grâce à lui, les
géants internationaux du jouet
tels Mattel ou Hasbro vont faire
le voyage à Chenghai. Attirés par
une main-d’œuvre peu qualifiée,
bon marché et abondante, ils vont
désormais recourir massivement
à cette sous-traitance. Ils ont le
choix : soit faire fabriquer leurs
produits, à partir du design
­é laboré par leurs équipes aux
États-Unis ou en Europe, soit
acheter du ready made qu’ils font
packager selon leurs désirs. Mais
le système d’exploitation qui a fait
la fortune d’une province passée
en trente ans d’un arrière-pays
peu développé à l’une des provinces les plus prospères de Chine
connaît des ratés à partir de 2008.
Le recours à une main-d’œuvre
flexible à faible coût, dont les
droits sociaux ne sont pas respectés (emploi de mineurs, heures
supplémentaires non payées…)
avec la complicité du gouvernement local, se répercute sur la
production. Les jouets expédiés
aux États-Unis, en Europe ou en
Amérique latine sont souvent de
qualité médiocre…
L’enquête
15
VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012 LA TRIBUNE
industriels chinois sont contraints de miser sur la montée en gamme
ès le toc, le top
Repères
80,2 milliards de dollars (
Selon The US Toy Industry
Association, les ventes de jouets
chinois ont atteint 21,78 milliards
de dollars en 2010 sur le territoire
américain et 80,2 milliards dans
le monde, en 2009.
15,5 milliards d’euros (
C’est le total des ventes de jouets
chinois en Europe, en 2010,
selon le Centre de recherche
et d’information des organisations
de consommateurs.
Le Royaume-Uni et la France
sont les premiers clients.
obligé les employeurs à augmen- se restructurer. Le modèle de
ter les salaires d’environ 20 % ou Dongguan, ces usines énormes qui
encore les difficultés de l’écono- se contentent de produire, a vécu »,
mie locale plombée par la crise.
constate l’industriel européen.
Les facilités financières qui perSe restructurer, c’est ce qu’a
mettaient de jouer sur la trésorerie choisi de faire Concord Toys, pour
ont également disparu. Les qui les nouvelles normes de sécubanques chinoises ont été rité sont une aubaine. « On ne voit
contraintes de fermer le robinet du pas cela comme une contrainte. Au
crédit. Impossible désormais d’ob- contraire, cela nous permet de protenir un prêt pour pallier les mois poser des jouets de qualité, d’apdifficiles après les fêtes de Noël. Et prendre et de se professionnalil’instauration de nouvelles normes ser », jubile Pauline Chen.
de sécurité exigées par les autorités
Son chiffre d’affaires dépend
américaines, européennes et japo- encore largement de la fabricanaises, a aussi contribué à augmen- tion, mais désormais tous les
ter les coûts de production, de 10 à efforts sont portés sur le trading
12 %. Ainsi, Bureau Veritas, qui et le service au client. Son procontrôle la qualité des jouets et les chain défi consiste d’ailleurs à
conditions de travail dans
faire connaître et à proles usines, facture envimouvoir à l’étranger des
ron 600 dollars pour la
marques chinoises
comme Enlighten, que
certification d’un produit
l’entreprise produit.
et 550 dollars la visite c’est le temps
qu’il faut,
Cette marque, déposée
d’une journée d’une à Chenghai,
usine.
en Chine, est une copie
pour concevoir
Si, normalement, seule et produire
conforme des célèbres
la certification du pro- un nouveau
briques Lego. La société
duit avant production est jouet…
a été accusée de vol de
obligatoire, de nombreux
propriété, mais le fait n’a
distributeurs imposent aussi des pas encore pu être réellement étaaudits d’usines et des contrôles bli. L’entreprise, qui existe depuis
durant la phase de production vingt-six ans, a commencé comme
ainsi que sur la marchandise finale. tant d’autres à faire de la copie
« On est tenu de s’assurer de la puis peu à peu a développé ses
qualité de nos produits pour garder propres produits. « C’est vraiment
nos clients », assure ainsi le patron de la très bonne qualité », se vante
d’une société. Les entreprises sont Pauline Chen en faisant visiter
donc plus attentives à la sécurité une vaste pièce où l’on voit ses
et au respect du code du travail dernières créations en brique :
révisé en 2008 en faveur des pirates, militaires ou monde sous­travailleurs. Mais de nombreuses marin. Elle a investi dans une
entreprises n’ont pas les moyens chaîne de manufacture sophistide s’adapter. Même si la crise n’a quée qu’elle ne montre pas aux
pas l’ampleur de celle de 2008, visiteurs. « C’est notre valeur ajouune partie du secteur sera cette tée. Je ne fais visiter que le
année dans l’incapacité de réper- showroom. J’ai peur de la concurcuter la hausse des coûts sur le rence », explique-t-elle.
prix de vente, et mettront la clé
La marque séduit la Russie et
sous la porte.
l’Europe, où les ventes ont presque
doublé en trois ans. Mais, le vrai
plus de normes incitent
salut pour les fabricants de jouets
chinois est désormais le marché
à monter en gamme
« Il y a beaucoup de pression sur domestique, en particulier la noules prix. Le jouet est un produit velle classe moyenne prête à
d’appel pour les grands distribu- dépenser pour ses enfants. D’ores
teurs en France, ils vendent avec et déjà, Concord Toys écoule près
très peu de marge ou sans bénéfice. de 40 % de sa production en
C’est impossible d’augmenter les Chine. Le géant du jouet amériprix. Passé un certain seuil, le cain Toys‘R’Us prévoit d’y doubler
consommateur n’achète plus », le nombre de ses magasins dans
explique l’industriel européen. les prochaines années. « Ce qui se
Sans élasticité des prix, les jouets passe dans l’industrie du jouet est
version 2012 sont allégés en en partie dû à la conjoncture intermatière première et le design plus nationale. Mais c’est aussi une
simple. Pauline Chen explique ­restructuration en profondeur de
qu’elle utilise deux fois moins de l’ensemble du secteur local »,
carton pour le packaging et a conclut l’industriel européen, qui
automatisé une partie de sa pro- lui aussi compte maintenant sur
duction. « Désormais, la solution les clients chinois pour développer
est de vendre son entreprise ou de son entreprise. q
48 h
«
Les normes de sécurité sont plus strictes depuis la découverte, en 2007, de produits
chimiques dans des jeux Mattel et Fisher Price fabriqués en Chine. [LU HANXIN / XINHUA]
Les premiers scandales éclatent
en 2007. Des produits chimiques
sont découverts dans des jouets
Mattel et Fisher Price, entraînant
le retrait coûteux de plusieurs
millions de jeux des étagères des
magasins aux États-Unis et en
Europe, et poussant les législateurs à imposer des normes plus
strictes en matière de sécurité.
En 2008, la crise économique
qui frappe les États-Unis et par
ricochet le reste du monde touche
directement les industriels
chinois du secteur, étroitement
dépendants de leurs exportations.
Des milliers d’usines et d’ateliers
ferment leurs portes et licencient
des millions de travailleurs.
L’industrie du jouet chinois ne
s’en est jamais vraiment remise. Si
les exportations ont enrayé leur
chute, elles n’ont jamais retrouvé
leur niveau d’avant 2008. D’autant
Le jouet est
un produit
d’appel pour les
distributeurs… d’où
la forte pression
sur les prix. »
un entrepreneur européen
que l’un de ses marchés phares,
l’Europe, reste toujours englué dans
sa crise de la dette souveraine.
« La compétition est difficile. On a
beaucoup de pression », se plaint
Pauline Chen. Ses marges bénéficiaires sont d’à peine 4 à 5 % sur la
fabrication et de 10 % sur son activité d’intermédiaire. Difficile dans
ces conditions de générer un profit.
Un autre entrepreneur, européen,
dont le site est implanté à Dong-
guan, confirme. « C’est un secteur
devenu très difficile. Aujourd’hui, il
serait impossible d’entrer sur ce
marché », explique-t-il. Débarqué
en Chine il y a plus de dix ans, il
produit sous licence des jouets
Fisher Price et Hello Kitty. S’il
concède avoir bénéficié pendant
longtemps d’un climat industriel
favorable, ce temps est révolu.
« Cette année, le marché grec est
inexistant. Et celui de l’Espagne est
très décevant. J’ai dû chercher
d’autres débouchés, comme les
­Émirats arabes unis, mais ils ne
compensent pas la perte du chiffre
d’affaires européen », déplore-t-il.
Par ailleurs, d’autres éléments
sont venus compliquer les affaires.
Parmi eux, on compte l’appréciation de la monnaie chinoise qui a
renchéri le prix des jouets de 20 %
à 30 % par rapport à 2008, le
manque de main-d’œuvre qui a
16 entreprises & innovation
LA TRIBUNE VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012
Mutualisant ses compétences
en matière de construction
de la semaine navale et de recherche sur les
biomatériaux, la Bretagne innove dans le registre
de l’écoconception. Des projets sont en cours avec,
à la barre, des marins chevronnés comme Roland
Jourdain ou Catherine Chabaud.
le zoom
La Bretagne
surfe sur
les bateaux
« verts »
L
«
Pascale Paoli-Lebailly, à Saint-Malo
e bateau du
passé était en lin
et en chanvre ;
c’est peut-être le
bateau de l’avenir ! » Pour le navigateur breton
Roland Jourdain, la question du
nautisme durable renvoie un peu
à l’histoire maritime. Afin de
réduire, de manière viable et rentable, l’impact environnemental
de ses activités, l’industrie nautique retrouve les techniques du
passé en les optimisant avec le
savoir-faire d’aujourd’hui. Les
alternatives au carbone et à la
fibre de verre remettent au goût
du jour l’utilisation des fibres
naturelles (lin, chanvre, liège…) et
les résines biosourcées (amidon,
sève, orties, algues).
Dans ce secteur encore émergent de l’écoconception, la Bretagne démontre une certaine vitalité et compte jouer un rôle clé en
matière de recherche, d’innovation puis de production en série.
Outre le sens du défi de certaines
PME, soutenues par Bretagne
Développement Innovation, l’apparition d’un nautisme durable
passe par la collaboration de l’ensemble de la filière et du territoire. L’échange des savoir-faire et
des compétences sont ainsi au
cœur de la stratégie menée par
Roland Jourdain via sa société
Kaïros (Concarneau), carrefour
de plusieurs projets éco-conçus.
Fondée en 2007, cette écurie de
course a très vite intégré la question de l’environnement à son
développement. Via un partenariat avec l’institut de recherche
Ifremer à Brest, Kaïros a initié
une démarche de R&D pour la
conception et la mise en œuvre de
prototypes. Des tests de solidité,
de vieillissement, de recyclage en
fin de vie ont permis de créer une
base de données comparative.
« Le carbone nous mène droit dans
La planche de surf Glazboard est née
de la recherche sur les biomatériaux. [DR]
Le navigateur Roland Jourdain, fondateur de Kaïros, en conversation
avec les surfeurs Ewen Le Goff et Aurel Jacob. [ronangladu.com]
le mur, il faut réfléchir à des solutions alternatives, assure Roland
Jourdain. Mais l’écoconception
n’est pas une révolution pour
demain matin. On y va progressivement, sans faire de greenwashing
[utilisation purement marketing
d’arguments environnementaux,
ndlr]. 40 % des produits sont
encore issus de la pétrochimie. »
Kaïros s’est d’abord fait la main
dans le monde de la glisse avec la
planche de surf Glazboard, puis le
stand-up paddle (SUP) Brown
Sugar, développé avec l’entreprise
S3 Boards (à Larmor-Baden, dans
le Morbihan).
Un premier trimaran
de 7 mètres, « éco-conçu »
Spécialiste de ce sport pratiqué
debout sur une planche propulsée
à la rame, la société fondée par
Christian Karcher lancera en
mars 2013 la production et la
commercialisation de son paddle.
Alors que 90 % des SUP sont produits en Asie et dérivés du pétrole,
le Brown Sugar sera fabriqué localement en lin, liège, cellulose et
polystyrène, liés par une résine
d’origine végétale. Soutenu par le
conseil général du Morbihan et la
technopole LTI Eurolarge, l’ingénieur et triple vainqueur de la
Coupe de l’America vendra ses
planches (2 000 € environ) dans
les surf shops et sur Internet.
Côté plaisance, Kaïros collabore,
avec le chantier Tricat, au projet
Gwalaz (« herbe marine » en breton), premier trimaran de
7,11 mètres éco-conçu. Cette
adaptation du modèle grand
public Tricat 23.5 va donner lieu
à un prototype à 95 % en biocomposite : sa construction débutera
en janvier 2013 pour une mise à
l’eau au printemps. Cofinancé par
la Région Bretagne à hauteur de
50 000 euros, Gwalaz, dont le
coût est environ 20 % plus cher
que celui du modèle grand public,
sera ensuite testé en conditions
Repères
France
( Le leader mondial dans le
domaine des voiliers (29 %
des parts de marché en juin 2012) ;
5e dans l’industrie de la construction
de bateaux de plaisance.
Une esquisse du « Voilier du futur », qui fédère 22 projets innovants.
[françois lucas, Architecture navale Nantes]
réelles par les surfeurs Ronan
Gladu, Ewen Le Goff et Aurel
Jacob. Au printemps, ils sillonneront pendant deux mois les côtes
de Bretagne. Baptisée Lost in the
Swell (« perdu dans la houle »),
leur aventure en mer et sur le Web
à la recherche de vagues vierges
devra éprouver le comportement
du Gwalaz.
«
Le carbone
nous mène
droit dans le mur.
Il faut réfléchir
à des solutions
alternatives. »
Roland Jourdain, navigateur,
fondateur de Kaïros
« De la fabrication aux usages
des bateaux, le défi de l’écoconception concerne toute la filière nautique bretonne, précise le cherc h e u r C h r i s t o p h e B a l e y,
spécialiste du biocomposite à
l’université de Bretagne Sud
(UBS). C’est même stratégique
pour le développement des PME et
TPE innovantes, car tôt ou tard la
législation l’imposera. Il y a un
potentiel économique. La fin de vie
des bateaux en plastique, ou la
gestion environnementale des
ports de plaisance sont des questions clés. »
Partenaire de chantiers et d’entreprises, l’UBS sait, grâce au projet NavEcoMat, comment remplacer le composite fibre de
verre-résine polyester par un
matériau biosourcé et compostable. Cette recherche sert au
démonstrateur de 13 mètres des
écomatériaux et écotechnologies
« Voilier du futur ». Soutenu par
le Pôle Mer Bretagne et le pôle de
compétitivité EMC2, ce projet est
porté par la navigatrice Catherine
Chabaud et le consultant Julian
Stone. « Voilier du futur » fédère
22 projets innovants, en majorité
bretons, autour de solutions
diverses : biomatériaux, revêtements biodégradables, voiles de
traction, énergies renouvelables
embarquées, traitement des
eaux… Ce projet sur cinq ans, au
Bretagne
L’industrie nautique
( 520,8 M€ de CA et 4 931 salariés
(12 % du CA et de l’effectif national).
( 1 100 entreprises ; un tissu
économique régional atomisé composé
à 80 % de TPE et PME placées sur des
marchés de pointe et de niche :
navires de petites et moyennes séries,
course au large et prototypes de
compétition, écoconception.
( Présence sur les bassins de
Lorient, Vannes et Concarneau.
( Un système d’aides : le plan
Bretagne Actions Nautisme à
destination des TPE (189 725 €
en 2012).
La Plaisance
( 900 000 pratiquants.
( 588 installations.
( La plus grande capacité d’accueil
de bateaux de plaisance en France
métropolitaine.
( La plus grande flotte active.
( 55 ports : 40 M€ CA et
365 emplois.
budget global de 11 millions
d’euros, espère être retenu dans le
cadre du programme national
Navire du Futur, dont les résultats
de l’appel à candidatures seront
connus en 2013.
Des bateaux plus économes, plus
propres, plus intelligents : toute la
recherche menée par la filière
nautique en vue d’une production
en série trouve aussi des applications dans d’autres domaines
industriels, comme l’emballage,
l’automobile, l’aéronautique, le
design… q
entreprises & Financement
17
VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012 LA TRIBUNE
En investissant dans des start-up, les fonds qui appartiennent aux grandes entreprises détectent
et se familiarisent non seulement avec les technologies innovantes, mais aussi avec leurs nouveaux modèles
de la semaine économiques. Outre le financement, les jeunes pousses profitent aussi de l’expertise de ces grands groupes.
le zoom
Elles poussent sous l’aile d’un grand
En France, l’intérêt
est surtout industriel
Dans ce domaine, la France n’est
pas en reste. « Depuis 2005, une
nouvelle vague d’opérateurs
recherche des synergies plus
durables avec les start-up »,
explique Marc Westermann, directeur de participations chez SFR
Développement, filiale à 100 % de
SFR qui, depuis 2006, a investi
40 millions dans 22 start-up.
Parmi les leaders dans l’Hexagone,
citons aussi Total Energy Ventures,
créé en 2008. Seb, de son côté, a
doté en 2011 Seb Alliance d’un
capital initial de 30 millions
d’euros. Pour sa part, Suez Environnement a lancé en 2010 Blue
Orange (50 millions d’euros sur
dix ans) pour cibler des start-up
qui innovent dans l’eau et les
déchets. Veolia Environnement
s’illustre également sur le terrain
des Cleantech depuis 2010, avec
Veolia Innovation Accelerator.
Si, outre-Atlantique, certains
CVC agissent comme de purs
fonds de capital-risque, en France,
l’intérêt des fonds captifs est plus
stratégique, plus industriel. « À la
différence des VC classiques, qui
adoptent une démarche de pur
retour sur investissement, les CVC
rassurent les jeunes sociétés d’innovation, indique Éric Naudin,
consultant senior chez Erdyn, un
grand cabinet de conseil en innovation. Les start-up accèdent à de
LE Plastique végétal
LA roue intelligente
2,5 millions d’euros
1,7 million d’euros
LA benne électronique
C’est la somme que le fonds Aster
Capital a versée à la société néerlandaise
Avantium, qui développe des plastiques
à base végétale.
réelles synergies technologiques ou
commerciales avec le groupe
industriel. Notamment pour aborder leur développement international. » De quoi susciter une très
forte attractivité. Pour preuve,
400 à 500 candidates s’adressent
chaque année à Blue Orange, SFR
Développement ou Veolia Innovation Accelerator. Un deal flow
qui dépasse les 1 300 start-up par
an chez Aster Capital.
Reste que gérer cet afflux de candidatures est à la fois un puissant
outil de veille technologique et
concurrentielle pour les fonds captifs, mais aussi un énorme travail !
D’autant que, « au final, nous ne
réalisons que 1 % à 3 % des dossiers
vités connexes aux métiers postaux.
Ou d’Ecomobilités Ventures
(SNCF, Orange, Total) qui détient
un fonds de 25 millions d’euros.
Parmi les start-up ainsi financées, citons la société norvégienne
Move About (2 millions d’euros
investis), leader en Scandinavie de
l’autopartage pour les entreprises
avec un chiffre d’affaires de l’ordre
d’un million d’euros. Ainsi que la
société française ez-Wheel
(1,7 million d’euros investi) qui a
conçu une roue pour chariots élévateurs ou brouettes de chantier
embarquant à la fois le moteur
électrique et la batterie.
« Nous apportons trois choses :
l’expertise croisée de plusieurs
grands groupes industriels, des marchés
potentiels et enfin, outre
le financement, de l’accompagnement managérial, précise Fabienne
Herlaut, directrice
générale d’Ecomobilité
Ventures. Quelles que
soient la compétence et l’excellence
d’un patron de start-up, il a besoin
d’être accompagné pour prendre les
bonnes décisions au bon moment. »
Dans cet esprit, le fonds aide Move
About à pénétrer le marché français et ez-Wheel à développer sa
stratégie à l’international.
Pour sa part, Aster Capital
(Schneider Electric, Alstom, Sol-
L’américain Intel
Capital a investi
plus de 10 milliards
de dollars dans
1 250 start-up.
par an », constate Adrien Henry,
directeur général de Blue Orange.
D’où l’intérêt de mutualiser les
efforts. Ainsi, certains opérateurs se
sont montés en MVC (Multi Corporate Capital) ou capital-risque
multi-entreprise. À l’instar d’Exchange Capital (qui regroupe La
Poste, Alten, Neopost, AGF, Cofinoga, GMF, CDC, etc.) dans les acti-
C’est le montant du financement de la
société française ez-Wheel, conceptrice
d’une roue pour chariots élévateurs,
par le fonds Ecomobilités Ventures.
400 experts
constituent le réseau interne de Blue
Orange. Ce dernier teste, entre autres, les
prototypes de bennes électriques de
compactage des déchets de PVI Semat.
vay), après Aster I (70 millions
d’euros), a créé Aster II à hauteur
de 105 millions pour couvrir la
chaîne de valeur complète des
start-up de l’énergie, des matériaux
avancés et de l’environnement.
« Notre équipe compte 14 personnes
réparties sur San Francisco, Paris,
Tel Aviv, Shanghai et Tokyo afin
d’avoir une vision large des sociétés
les plus pertinentes », décrit JeanMarc Bally, un des quatre Partners
d’Aster Capital.
Capter les signaux
des marchés émergents
Parmi les pépites d’Aster Capital,
l’allemande Solarfuel (4 millions
d’euros investis) fait coup double :
elle valorise le gaz carbonique
pour fabriquer du méthane
« vert », le HyGas, en lui ajoutant
de l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité solaire ou éolienne. Ensuite,
elle rend prévisible cette production électrique irrégulière en la
stockant sous forme gazeuse dans
les réseaux de méthane. Ce qui
suscite, chez un constructeur
automobile comme Audi, l’envie
de lancer de nouvelles gammes de
véhicules au gaz naturel. Autre
pépite, la néerlandaise Avantium
(2,5 millions investis) développe
des plastiques à base végétale qui
vont être utilisés pour les bouteilles d’eau minérale.
« Souvent, les grands groupes ne
remarquent les nouveaux marchés
que lorsqu’ils s’imposent à eux »,
reprend Jean-Marc Bally. Disposer
d’un fonds captif permet alors aux
grands groupes de percevoir les
signaux faibles des marchés émergents et de se familiariser avec leurs
modèles économiques innovants.
Reste que le taux de réalisation de
la détection à l’investissement est si
ténu que certains groupes intègrent
le CVC ou le MVC à une stratégie
plus large d’Open innovation.
En témoignent SFR Développement ou Blue Orange. Ce dernier
propose aux entrepreneurs des
tests technologiques mettant à
contribution son réseau interne de
400 experts ainsi que ses unités
opérationnelles. « Nous testons
actuellement une trentaine de technologies proches de la commercialisation qui intéressent nos
métiers », confie Adrien Henry. Au
menu : des prototypes de bennes
électriques de compactage pour la
collecte des déchets ménagers avec
la société PVI Semat. Ainsi qu’un
système de la société qui fait bondir de 20 à 35 % le taux de matières
sèches issu des boues de stations
d’épuration des eaux usées. « À
peine 12 mois ont suffi pour que
Suez Environnement commercialise
le procédé dans le monde entier ! »
se réjouit Adrien Henry. Moralité :
ce qui rapporte ne coûte rien. q
© PVI Semat
© avantium
oins connu que le
capital-risque
(Venture Capital,
ou VC), le capitalrisque d’entreprise
(Corporate Venture Capital, ou
CVC) connaît un formidable
regain d’intérêt. Parmi les ténors,
citons l’américain Intel Capital, le
fonds captif d’Intel qui, depuis
1991, a injecté plus de 10 milliards
de dollars dans 1 250 start-up de
53 pays. Toujours outre-Atlantique, Google vient de s’arroger la
première place mondiale du CVC
en consentant à Google Ventures
une enveloppe annuelle de
300 millions de dollars ! Objectif :
réaliser des investissements individuels de 250 000 dollars en
amorçage dans une cinquantaine
de jeunes pousses innovantes, et
jusqu’à 10 millions de dollars dans
une dizaine de start-up plus mûres.
Stars parmi les stars, une ou deux
sociétés par an pourront lever chacune de 20 à 50 millions dollars !
© DR
M
Erick Haehnsen
18 territoires / france
LA TRIBUNE VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012
Le fisc s’en va-t-en guerre
pour le cinéma français
Crédit d’impôt Pour la première fois, le cinéma, via le pacte de compétitivité
et deux amendements sur la fiscalité de la production, est traité comme une
véritable industrie. Une révolution culturelle qui devrait, en 2013, bénéficier
largement à l’Île-de-France, région la plus productive et créative du pays.
A
Jean-Pierre Gonguet
ndré Jacquemetton a été scénariste pour Alerte à
Malibu. Puis, il
s’est racheté. Avec
sa femme, Maria, il a scénarisé et,
pour certains épisodes, produit
Mad Men. Avec cette série, ils
trustent toutes les récompenses
depuis cinq saisons.
André Jacquemetton, Américain
né à Lyon, travaille depuis deux
ans à un énorme projet pour Capa,
Versailles. Treize fois 52 minutes
racontant la Fronde, la construction du château, la cour, les intrigues… Les Borgia en mieux, plus
de 2 millions d’euros investis par
épisode, des stars qui parlent
anglais plein le générique, Canal +
et HBO pour produire et diffuser,
et, si la première saison marche,
une deuxième, une troisième, etc.
Une série « culturellement française avec la science du storytelling
américain », a écrit Vanity Fair.
Bref, un blockbuster télévisuel
mondial potentiel. Sauf que cette
série « culturally french » a bien
besoin du coup de pouce fiscal que
vient de lui donner l’Assemblée
nationale. Car, s’il est en définitive
adopté à l’issue de l’examen parlementaire de la loi de finances, la
série est sûre d’être tournée.
Les amendements 295 et 296 de
la loi de finances émanent de
Patrick Bloche (président de la
commission des Affaires culturelles
de l’Assemblée), de Pierre-Alain
Muet, député socialiste du Rhône
et grand spécialiste des finances
publiques, et de Guillaume Bachelay (député socialiste de la SeineMaritime et membre de la commission des finances). Les 295 et
296 sont le fruit des amours légitimes d’Astérix et Obélix au service
de Sa Majesté et du Pacte de
c ompétitivité de Jean-Marc
­
Ayrault. Leur parrain est Jérôme
Cahuzac : ils grèvent certes de
70 millions i­ nattendus le budget de
l’État, mais le ministre leur a
apporté, le 7 novembre au matin,
le soutien du gouvernement « avec
enthousiasme ».
Rarissime ! Astérix a été le
déclencheur : lorsque les parlementaires découvrent dans la
presse (La Tribune Hebdo du
12 octobre 2012) que Astérix et
Obélix au service de Sa Majesté est
le premier film français dont
aucune image n’a été tournée dans
l’Hexagone à cause d’une fiscalité
inadaptée, ils s’émeuvent. Le
cinéma national est en train de
fiche le camp. La profession est
pourtant discrète et ne fait que peu
de lobbying (sauf Luc Besson qui
est allé voir Arnaud Montebourg) :
elle est en effet persuadée que plus
elle va s’agiter, plus elle va attirer
sur elle le regard et les foudres de
la Commission européenne, extrêmement chatouilleuse sur la question des aides d’État (lire encadré).
Une industrie très
réactive
En revanche, à Matignon, Denis
Berthomier, le conseiller culture,
comprend immédiatement le parti
à en tirer. Formé à la Cour des
comptes, il a été administrateur du
Château de Versailles, où Sofia
Coppola a réalisé Marie-Antoinette, et où il sait que la série
­Versailles doit se tourner. Il sait
surtout que l’industrie du cinéma,
quasi totalement concentrée en
Île-de-France, est d’une réactivité
immédiate : très structurée, une
industrie de main-d’œuvre qui
démarre au quart de tour dès
qu’un des projets – elle en développe constamment – trouve son
financement.
C’est une étude de la Commission
du film d’Île de France-Audiens
sur l’emploi des intermittents qui
montre le mieux, entre autre, que
dès qu’une mesure de soutien ou
d’aide fiscale intervient, l’emploi
part en flèche quasi immédiatement. C’est statistiquement particulièrement visible lors des
mesures prises par la Région Îlede-France en 2004, ou lors de
l’instauration du premier crédit
d’impôt pour les productions
étrangères en 2006. En clair : une
mesure d’aide fiscale, adoptée
avant la fin 2012, jouera sur les
chiffres de l’emploi dès le début
l’île-de-France est la région la plus en
pointe en matière de cinéma. Elle compte :
25 % des salles françaises, 50 % des éditeursdistributeurs vidéo, 68 % des sociétés de
post-production et de distribution, 82 % des
2013. Coup de chance : lorsque
Astérix sort en salles et que la polémique démarre, Matignon travaille
au Pacte de compétitivité et
cherche des mesures à effet rapide.
Bingo ! Le crédit d’impôt à la
­production cinématographique est
immédiatement intégré au Pacte
de compétitivité.
D’abord rapatrier la
production française…
C’est la décision n° 17 du Pacte,
présenté le 6 novembre, totalement consacrée au cinéma. À peine
trois semaines après la sortie
sociétés de production, plus de 80 % des
salariés de la production, post-production,
distribution et édition dans 6 660 entreprises, 110 000 intermittents, la plupart
des grandes écoles et des studios français.
­d’Astérix, c’est d’une rare réactivité. Elle figure au sein d’un groupe
de décisions peu commentées pour
l’instant constituant « une offensive
collective avec les territoires pour la
promotion de la “Marque France” ».
Pierre-Alain Muet, professeur
d’économie à Polytechnique
­pendant vingt-cinq ans, serait
même peut-être allé un peu plus
loin : « Sur les 2 milliards de chiffre
d’affaires générés par les tournages
localisés en Europe, nous n’en
­captons que 3 %, c’est-à-dire 60 millions… L’objectif est de calibrer ces
crédits d’impôt de telle sorte que,
sur un marché concurrentiel que se
disputent sept ou huit pays, on
rapatrie au moins pour partie les
tournages que nous finançons
[comme le dernier Astérix, ndlr].
Je suis désolé de le dire : nous
sommes sur ce qu’on appelle une
concurrence oligopolistique entre
quelques pays, et des paramètres
bien choisis peuvent changer complètement la donne. Quant au coût,
l’évaluation ne peut être faite qu’ex
post. Un dispositif incitatif, s’il
marche, a un coût ; s’il ne marche
pas, c’est-à-dire si les dispositifs que
nous adoptons ne changent rien à la
territoires / france
19
VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012 LA TRIBUNE
Certains films ne peuvent être
tournés qu’en France – ici, MarieAntoinette, en 2006. Et le crédit
d’impôt international, relevé, peut
faciliter le financement de leur
production. [The Kobal Collection ]
FOCUS
« Un marché européen ? C’est
le donner aux Américains ! »
Shocking !… certains parlementaires se
sont mobilisés après avoir appris dans
l’article de La Tribune du 12 octobre
qu’aucune image de Astérix et Obélix
au service de Sa Majesté n’avait été
tournée en France. [Collection Christophel]
les belles perspectives de 2013
L’Île-de-France espère passer devant le
Grand Londres d’ici à la fin de 2013. Dans
cette perspective, la région bénéficiera
d’un plafond rehaussé des crédits d’impôt
situation actuelle, il ne coûtera rien.
Mais si nous votons des dispositifs
incitatifs, c’est bien pour qu’ils aient
un effet ! »
… Ensuite livrer
la guerre aux Anglais !
Mais cette décision n° 17 est surtout une véritable révolution
culturelle, car Matignon a compris (et intégré dans les textes)
que le cinéma était aussi une
industrie et qu’il devait être traité
comme telle.
Car en matière de cinéma, s’il y
a un pays industriellement hors
cinéma et audiovisuel pour les productions
françaises, qui passe de 1 à 4 M€, ainsi que
du crédit d’impôt international, qui passe
de 4 à 10 M€. La création de la BPI devrait
aussi aider les PME du secteur.
concours, il en est deux autres qui
se livrent et vont se livrer une
guerre de plus en plus féroce : le
Royaume-Uni et la France. L’inclusion du cinéma dans le Pacte
de compétitivité montre qu’un
gouvernement français a enfin
accepté de prendre en compte la
réalité de cette guerre, et décidé
de la jouer à armes fiscales égales.
Pour la première fois, le cinéma
est intégré dans une politique
générale et sorti du seul cadre de
la politique culturelle. Les Anglais
ne s’y sont d’ailleurs pas trompés.
À peine le débat sur l’augmenta-
tion du crédit d’impôt était-il terminé à l’Assemblée, que le Chancelier de l’Échiquier George
Osborne présentait au Parlement
un texte qu’il concoctait depuis le
printemps, l’extension du crédit
d’impôt (sans aucun plafond,
contrairement à la France) à
toutes les productions audiovisuelles et aux films d’animation !
Les Anglais ont toujours considéré le cinéma comme une industrie : une dizaine ou une douzaine
de blockbusters américains sont
réalisés chez eux chaque année,
et si certains sont à peu près
Joaquín Almunia, commissaire européen à la
Concurrence, ne supportait pas les pratiques de certains
États sur le cinéma. Et depuis quelques mois, il était
parti sur le sentier de la guerre pour imposer que les
aides au cinéma ne soient plus dépensées sur le territoire qui les a accordées qu’à hauteur de leur montant.
Son idée était que le cinéma devait rentrer dans le droit
commun – oubliée l’exception culturelle – et donc que
chacun pouvait faire son shopping de subventions et
d’aides fiscales où il le souhaitait. Il semble que la
Commission ait mené un combat plus idéologique que
réaliste, et qu’en quelques semaines elle ait compris qu’il
lui faudrait bientôt abandonner sa directive.
« Unifier le marché, c’est le donner aux Américains »,
explique Olivier-René Veillon, directeur général d’UniFrance films. « Les Américains sont les seuls à avoir une
vision globale du marché européen. Les majors sont parfaitement structurées et implantées dans tous les pays
européens, elles ont une stratégie homogène sur tout le
continent et des filiales avec le petit doigt sur la couture
du pantalon. Elles sont les seules à pouvoir faire leur
shopping partout où elles veulent et les seules à pouvoir
bénéficier à plein de l’unification de ce marché de la production. En matière de cinéma, qui dit marché intérieur,
dit marché américain ! »
D’ailleurs, les majors américaines n’étaient pas mécontentes de l’initiative bruxelloise, l’exception culturelle,
– renforcée par la convention sur la diversité culturelle
de l’Unesco, en 2005 – les ayant toujours empêchées de
vendre leurs films comme elles le souhaitaient. Le résultat est que face à une déclaration commune franco-allemande contre l’idée même de cette réforme, et une lettre
de 12 États membres, à la fin de novembre, sur les libertés de chaque État en matière de politique de création,
la cause a, semble-t-il, été entendue.q
imprenables (James Bond, évi- négocier l’arrivée des grandes
demment, au moins pour la par- ­productions anglo-saxonnes en
tie studio), quelques très grosses Île-de-France. « Jusqu’à présent,
productions sont aujourd’hui précise-t-il, nous générions les
gagnables par l’Île-de-France. En talents, les compétences, le rayonparticulier dans les franchises nement culturel et, eux, l’activité
qui, pour des raisons de commer- industrielle. Maintenant on va
cialisation, ont souvent besoin aussi aller les chercher sur l’actid’être tournées dans des pays vité, et eux vont avoir plus de mal
­différents  : de Jason Bourne aux à venir nous chercher sur le reste. »
Schtroumpfs, l’Île-de-France en
Il ne peut le jurer, mais il suit
a déjà reçu quelques-unes, et depuis des mois et des années des
d’autres franchises sont en négo- projets qui vont peut-être voir le
ciation actuellement. Nul ne sait jour rapidement grâce à l’augmenlesquelles – car les studios amé- tation du crédit d’impôt : une nouricains mettent dans les négocia- velle adaptation des Bostoniennes,
tions des clauses de confidentia- tiré du chef-d’œuvre d’Henry
lité si draconiennes
James, ou une superproqu’elles feraient passer
duction américaine sur
les industriels de l’armeSarah Bernhardt avec
ment pour des bavards millions
une star… « Sarah Berncongénitaux –, mais les d’euros, au lieu hardt est l’archétype de la
conditions fiscales vont de 4, ce sera
divine scandaleuse aux
États-Unis, observe
être déterminantes dans le plafond du
la guerre avec l’Angle- crédit d’impôt
­Olivier-René Veillon. Il y
international
a beaucoup de projets qui
terre.
pour les films
« Toute décision prise en produits en
sont développés depuis
France entraîne une France, à partir quelque temps aux Étatsc o n t r e - d é c i s i o n e n de 2013.
Unis et qui ont besoin,
G ra n d e - B r e t a g n e   » ,
comme ces deux-là, d’être
explique Olivier-René Veillon. Le tournés en France. On va peut-être
directeur général d’UniFrance pouvoir leur donner un coup de
films, l’organisme chargé de la pouce. »
promotion du cinéma français
Un coup de pouce à 10 millions
dans le monde, passe sa vie à d’euros, quand même ! q
10
20 territoires / france
LA TRIBUNE VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012
En 2009, la capitale rhodanienne était la première ville de France à confier à Google la numérisation
nouveau et de son fonds libre de droits. Aujourd’hui, elle entre dans le trio de tête des bibliothèques numériques
intéressant
en Europe, et mettra à disposition du monde entier 450 000 ouvrages, d’ici à 2015.
Pourquoi Lyon livre sans états
d’âme sa bibliothèque à Google
Diane Dupré la Tour, à Lyon
Acteurs de l’économie
Une salle de lecture
encore très « papier »
de la bibliothèque Jean
Macé, à Lyon. [muriel chaulet]
C
’
est un abattage
rythmé, mais soigneux. Depuis
2009, ce sont
20 000 ouvrages
de la bibliothèque municipale de
Lyon qui sont scannés chaque
semaine par Google. Enluminures, coupures de presse du
xixe siècle, fonds iconographique…
Dans un centre banalisé de la banlieue lyonnaise (dont l’adresse est
gardée secrète pour éviter les
foudres des militants antimondialisation), les équipes du géant
américain numérisent à tour de
bras les ouvrages libres de droit,
soit la quasi-totalité du fonds de
la bibliothèque jusqu’en 1920.
Coût total : environ 60 millions
d’euros. Mais une opération
neutre pour le budget de la municipalité, puisque Google assure
gratuitement la prestation par le
biais d’un partenariat publicprivé, en échange d’un accroissement de son propre catalogue.
« C’est le fonds ancien qui intéressait Google. La société recherche les
pièces uniques, comme par exemple
les Prophéties de Nostradamus »,
commente Georges Képénékian,
adjoint au maire de Lyon en charge
de la culture, du patrimoine, des
grands événements et des droits du
citoyen. Pour chaque ouvrage
numérisé, une copie est donc
remise à la bibliothèque municipale. À charge pour elle d’organiser
son propre catalogue virtuel – les
clauses du contrat ne lui permettant pas d’exporter massivement les
fichiers auprès d’un tiers.
Répondre aux demandes
ciblées des lecteurs
C’est ainsi que vient d’être lancée
Numelyo, la nouvelle porte d’entrée numérique de la bibliothèque
de Lyon, qui fait prendre à la ville
une longueur d’avance dans le
petit monde des bibliothèques
publiques. Traitée comme la une
d’un site d’information, la page
d’accueil du site propose d’organiser et de trier sa propre bibliothèque virtuelle, et de plonger
dans un manuscrit mérovingien à
partir de son salon. Lyon devient
ainsi la première bibliothèque
européenne numérique en termes
de volume – après Vienne et
Web et les rayonnages d’imprimés.
C’est le sens du Guichet des
savoirs, qui s’engage à répondre en
moins de 72 heures à toute
demande formulée auprès des
bibliothécaires, quelle que soit la
nature de la
recherche.
« Cela répond à
une volonté polic’est le délai
tique de partage
maximal
des savoirs et des
de réponse
connaissances »,
du Guichet
des savoirs à
analyse l’adjoint
toute demande au maire. En
formulée aux
2013, les opérabibliothécaires
tions de prêts et
lyonnais.
de retours
devraient être
automatisées, afin de mieux centrer
le métier de bibliothécaire sur l’accueil du public et l’accompagnement.
En juin 2013, se tiendra à Lyon le
59e congrès de l’Association des
bibliothèques de France, sur le
thème « La Fabrique du citoyen ».
Lyon compte en profiter pour proposer son propre modèle aux autres
bibliothèques publiques. « Comment inciter les citoyens à configurer
eux-mêmes leur bibliothèque et à
participer à la valorisation du patrimoine ? C’est l’une des pistes explorées par notre modèle », déclare
Gilles Eboli, directeur de la bibliothèque municipale. L’année suivante, ce sera le 80e congrès mondial de la Fédération internationale
des associations de bibliothécaires
et d’institutions (IFLA), qui sera
accueilli dans la capitale des Gaules.
Bruno Racine, président de la
Bibliothèque nationale de France,
qui copréside au côté de Georges
Képénékian le comité national en
charge de la préparation de ce
congrès, insiste sur les enjeux qui
entourent le rôle des bibliothèques
dans le développement du numérique : « Il y a 13 millions de livres à
la BNF. Or, depuis 2000, nous
avons enregistré 13 milliards de
fichiers numériques. Nous assistons
donc à une accélération de la production éditoriale. Comment
conserver et transmettre ce
contenu ? Comment se repérer dans
cet univers ? En choisissant de travailler avec Google, la bibliothèque
municipale de Lyon a fait un choix
économique et culturel pertinent.
La BNF est, elle, beaucoup plus tributaire du climat des relations de
Google avec l’État »… q
72 h
Repères
19,5 millions d’euros (
C’est le budget annuel de la
ville de Lyon pour la lecture
publique.
3,7 millions ( Le nombre
de prêts de livres, chaque
année, à Lyon.
103 000 inscrits ( En
2011, soit 18 % des
Lyonnais, et 2,5 millions de
visiteurs.
2009 ( Signature d’un
partenariat public-privé
entre la Bibliothèque
municipale de Lyon et
Google.
2012 ( Lancement de la
bibliothèque numérique
Numelyo, 100 % gratuite,
accessible à tous.
Les prophéties de
Nostradamus pour l’an
1555, une des pépites
parmi les ouvrages
anciens numérisés
par Google à Lyon.
[muriel chaulet]
FOCUS
Donner du sens au grand « vrac » du Net
Depuis trois ans, tous les livres scannés par
le géant californien sont accessibles sur
Google Books, mais « en vrac » : sans classement ni hiérarchisation, hormis les indispensables mots-clés. Les collections lyonnaises sont donc perdues au milieu des
20 millions d’ouvrages numériques proposés
par la firme de Mountain View. Avec tous les
risques d’erreurs de saisies induites par le
Munich, qui ont toutes deux le
statut de bibliothèque nationale.
Mais Numelyo n’est qu’une brique
du projet de l’établissement, qui
consiste à faire entrer de plainpied Lyon dans l’ère des bibliothèques hybrides. Celles-ci sont
devenues des lieux de vie à l’accès
gratuit pour tous, dotées de salle
de conférences, de scènes pour
système de reconnaissance des caractères,
même si la marge d’erreur n’est officiellement que de 3 %.
« Notre travail à nous, bibliothécaires, est
d’accompagner les recherches, de les élargir
en proposant des parcours thématiques, des
expositions virtuelles, en contextualisant les
résultats », explique Gilles Eboli, directeur
de la bibliothèque municipale de Lyon. q
accueillir le spectacle vivant, d’espaces de formation, de lieux d’exposition…
Si le nombre d’inscrits se montre
stable ces dernières années, la part
de visiteurs libres a, elle, augmenté, atteignant 2,5 millions de
visiteurs en 2011. « Beaucoup
viennent sans être inscrits, parfois
simplement pour jouer avec un ordi-
nateur », observe Georges Képénékian. La société évolue, les bibliothèques aussi : désormais les
usages se sont inversés. Il ne s’agit
plus de mettre à disposition d’un
lecteur une masse de connaissances, mais de répondre à une
demande ciblée et d’opérer pour
lui un tri dans le vaste océan des
informations disponibles sur le
22 territoires / International
LA TRIBUNE VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012
Outre les appartements et les bureaux,
les trois tours seront dotées d’équipements
commerciaux et de loisirs. 5 000 personnes
devraient y transiter chaque jour. [DR]
le grand
chantier
Un nom tout simple, « De Rotterdam », a été donné à un projet grandiose qui sera livré à la mi-2013 : une ville
verticale sur les rives de la Meuse, à Rotterdam, avec trois tours de verre transparentes, qui vont s’élever
à 150 mètres, sur 41 étages, avec 160 000 mètres carrés de bureaux. Et 240 appartements, déjà tous vendus !
De la hauteur au pays des polders
D
«
Sabine Cessou, à amsterdam
e Rotterdam »
sera le plus
haut et le plus
grand building
d’Europe,
lorsque le chantier, commencé en
2009, sera achevé à la mi-2013.
Avec ce coup de maître, Rem Koolhaas, l’architecte le plus renommé
des Pays-Bas, concepteur de la
Maison de la musique à Porto (Portugal), de la librairie centrale de
Seattle ou encore des nouveaux
magasins Prada à Beverly Hills et à
New York, va définitivement
mettre sa ville sur la carte de l’architecture internationale.
Dessiné par son cabinet, Office
for Metropolitan Architecture
(OMA), « De Rotterdam » tire son
nom de l’un des paquebots de
l’ancienne Holland America Line,
qui a transporté des milliers de
migrants européens vers les
États-Unis au début du siècle dernier. Il est plus facile à retenir que
l’endroit où il se trouve : le Wilhelminapier, un quai du vieux port
devenu un petit Manhattan sur la
Meuse, avec plusieurs tours abritant les sièges sociaux de grandes
sociétés. Accessible par le pont
Erasmus, déjà emblématique de
l’audace architecturale de Rotterdam, l’immeuble est situé entre la
tour KPN (la société de télécommunications nationale) et un
­terminal pour croisières.
Entièrement rasé par les bombardements allemands pendant la
Seconde Guerre mondiale, Rotterdam n’a pas cessé depuis de se
reconstruire et de se réinventer. Le
plus grand port d’Europe a pris
l’habitude de tout décliner au
superlatif. Son dernier projet
­d ’extension, Maasvlakte II,
démarré en 2010, va notamment
doubler la taille du port avec un
terrain de 3 000 hectares construit
en mer, pour un montant de 3 milliards d’euros.
Des baies vitrées du sol
au plafond
Nouvelle ville dans la ville, « De
Rotterdam » occupe au sol une
surface équivalente à un terrain de
football, mais s’élance sur
150 mètres, pour cumuler sur ses
41 étages l’impressionnant total de
160 000 mètres carrés de bureaux,
commerces et logements. Les trois
tours ont été sobrement baptisées
West Tower, Mid Tower et East
Tower. Elles se distinguent par des
déboîtements à mi-hauteur, un
style qu’affectionne Rem Koolhaas,
comme beaucoup d’architectes construction ait pu finalement
néerlandais. Le concept essentiel ­commencer, a commenté Rem
tient à l’usage multiple du bâti- Koolhaas au lancement des trament. « Une très grande structure vaux. L’un des effets positifs de la
faite de petits morceaux collés crise économique tient à la chute
ensemble, chaque élément ayant son des coûts des matériaux de
propre caractère », explique Rem construction, qui a donné un nouvel
Koolhaas.
élan à ce projet au long cours. »
Ces tours transparentes offriront Alors que le secteur de la construcdes vues aussi panoramiques que tion est en pleine récession aux
Pays-Bas, « De Rottervertigineuses sur la ville,
dam » a trouvé deux
le fleuve et les nuages.
Signe distinctif du builbanques pour le financer :
ding : son ouverture
FGH Bank et Rabobank.
maximale sur l’extérieur, millions
Il est porté par un prod’euros, c’est
avec des baies vitrées le coût de la
moteur privé, « De Rotallant du sol au plafond. construction
terdam » B.V., formé par
Les 240 appartements des trois tours
MAB Development, une
mis en vente par Amvest, de l’ensemble
société d’aménagement
de La Haye qui a déjà
via sa filiale dénommée architectural.
transformé l’Ooster44floors, sont partis
comme des petits pains, en partie dokseiland à Amsterdam, mais
en raison de leurs prix accessibles aussi OVG Projectontwikkeling, un
– un élément essentiel de la philo- constructeur qui développe les prosophie du projet. De toutes tailles, jets à dimension sociale. La munices logements ont été vendus à un cipalité de Rotterdam, l’un des
maximum de 3 600 euros le mètre partenaires du projet, y occupera
carré (pour un 50 mètres carrés à une place centrale. Tous les ser180 000 euros) et un minimum de vices de la mairie vont emménager
2 500 euros (pour un 300 mètres dans les 40 000 mètres carrés de
carrés à 750 000 euros).
bureaux qui vont leur revenir dans
Le projet, dont les premiers plans la Mid Tower.
Pour la ville, dirigée depuis 2008
remontent à 1997, est longtemps
resté dans les cartons en raison de par le maire travailliste d’origine
son coût. « C’est un miracle que la marocaine Ahmed Aboutaleb, il ne
340
s’agit pas seulement d’une opération de prestige. « La ville verticale
sera un modèle de développement
urbain et durable pour les décennies
à venir », affirme Hamit Karakus,
un conseiller municipal. La
construction aura recours à de
l’énergie durable, puisant dans l’eau
de la Meuse les moyens de se refroidir. Les promoteurs ont conclu un
accord avec la firme Eneco pour
une solution écologique globale.
Parmi les mesures prévues, des
détecteurs automatiques de
lumière du jour et de présence pour
économiser l’énergie, ainsi que des
ascenseurs économiques recyclant
leur propre énergie.
Aussi rentable
que durable
L’immeuble devrait être aussi rentable que durable : un hôtel quatre
étoiles de la chaîne NH Hotels est
incorporé dans la structure, avec ses
285 chambres et un centre de
conférence. Une galerie marchande, située dans les six étages de
la base de l’édifice, sera disposée
autour d’une place publique,
­Rotterdam Square, conçue pour
être lumineuse par tous les temps.
Au total, l’édifice devrait voir passer
5 000 personnes par jour et sera
ouvert 24 heures sur 24.q
territoires / International
23
VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012 LA TRIBUNE
Harrison, la ville qui voulait devenir dortoir
nouveau et
intéressant
Harrison, dans le New Jersey, située à vingt-cinq minutes de train de New York, a décidé de se transformer
en ville-dortoir. Neuf promoteurs vont investir 650 millions de dollars, un tiers de la ville va être reconstruit.
Pascal Giberné, à New York
A
vec une population
décroissante et ses carcasses d’usines abandonnées, la ville de Harrison, dans le
New Jersey, s’est pendant longtemps demandée si elle avait un
avenir. Située aux abords de
Newark, cette cité, qui en 1910 avait
été surnommée par le président
William Howard Taft « la ruche de
l’industrie américaine », dépérissait
lentement mais sûrement le long
de la rivière Passaic. Aujourd’hui,
l’heure du renouveau a sonné pour
Harrison. Son maire, Raymond
McDonough, a décidé de transformer sa commune, située à vingtcinq minutes de New York via le
PATH (Port Authority Trans Hudson, sorte de TER local), en villedortoir pour jeunes célibataires
débutant dans le monde du travail.
Un tiers de la ville va donc être
reconstruit avec la création de
3 000 nouveaux logements. Neuf
promoteurs ont décidé d’investir
650 millions de dollars dans les dix
années à venir avec la promesse de
Repères
Le nouveau visage de Harrison : la
rue Sommerset, près de la gare. [DR]
LES CHIFFRES DU RENOUVEAU
3 000 ( Le nombre de logements
en cours de construction.
1 860 dollars ( Le loyer moyen
à Harrison, contre 3 000 dollars
dans les villes voisines.
650 millions de dollars (
L’investissement total à Harrison,
engagé sur dix ans, par neuf
promoteurs immobiliers.
256 millions de dollars (
Investissement pour la nouvelle
gare, à 25 minutes de New York.
bénéficier d’abattements fiscaux
pendant les trente prochaines
années. « Cela va sauver la ville »,
explique le maire d’Harrison qui,
voici quelques années, s’était mis à
rêver – en vain – quand l’acteur et
metteur en scène Robert De Niro
était venu lui soumettre l’idée d’y
construire un grand studio de
cinéma. « Quelle alternative nous
reste-t-il aujourd’hui ? se demande,
désemparé, l’élu local. Cela va créer
des emplois locaux, j’espère. »
La pierre angulaire de cette
renaissance est la rénovation de la
station du PATH de Harrison.
Nouvelle gare, nouveau
stade : la ville attire
Vieille de 76 ans, elle va subir un
lifting à 256 millions de dollars afin
d’augmenter sa capacité et de se
moderniser. Deux millions de
­passagers ont transité par la gare
en 2011, ce chiffre devrait passer à
3,4 millions en 2022. Chapeauté
par Raymond McDonough, le
­projet a vu le jour en 1998 quand
des retraités sont venus le voir en
pleurant dans son bureau pour lui
dire qu’ils ne pouvaient plus payer
leurs impôts locaux.
Les premières constructions
commencèrent à la fin de 2001,
avant d’être interrompues et mises
en hibernation, à la suite de l’attaque du 11 septembre. Onze ans
plus tard, le projet est devenu
­réalité, la ville se métamorphose.
Ouvert au public en 2010, le
stade de 25 000 places de l’équipe
de football des New York Red
Bulls de Thierry Henry a coûté
200 millions de dollars et attire
des aficionados de la mégapole
new-yorkaise.
A l o r s q u e l e s p re m i e r s
immeubles flambant neufs
poussent le long du bord de la
rivière, la question est désormais
de savoir si Harrison, ville de cols
bleus, va devenir une cité résidentielle prisée comme ses voisines
Hoboken et Jersey City, il y a
quelques années.
Les loyers seront plus bas à Harrison avec un prix moyen de
1 860 dollars par mois, à comparer
aux 2 900 dollars d’Hoboken et
aux 3 000 dollars de Jersey City.
« Harrison a un énorme potentiel,
explique Peter J Cocoziello,
­président d’Advanced Realty, l’un
des promoteurs immobiliers. Elle
a une station de trains moderne,
elle va fonctionner 24 heures sur
24, il sera plus rapide de se rendre
à New York depuis Harrison que
pour un habitant de l’Upper West
Side d’aller au Village. »q
On en parle à Bruxelles
Idée cadeau : des œuvres d’art pour égayer l’Europe
Q
ui n’a pas vu un touriste errant autour
du Rond-Point Schuman ou du Parlement européen, à Bruxelles, à la
recherche d’un symbole de l’Union
européenne à côté duquel se faire photographier ne sait pas ce qu’est aimer l’Europe. Parce
qu’il faut bien le dire, il n’y a rien ou si peu dont on
puisse ramener fièrement l’image à la maison en
disant : « J’étais dans la capitale de l’Europe. »
Au pied du Berlaymont, l’immeuble siège de l’exécutif, des hordes d’Européens mais aussi de Chinois, de
Japonais posent stoïquement devant les lettres
« Commission européenne ». Fascinant ! Ils ne
remarquent généralement pas le monument dressé
à quelques pas de là en l’honneur de Robert Schuman, ce grand bonhomme, né allemand à Luxembourg, diplômé de droit à Bonn, ministre des Affaires
étrangères puis président du Conseil sous la
IIIe République (française) et porteur de la première
communauté européenne.
Ils ne sont pas aveugles. Simplement, c’est
un bloc noir sinistre. Le monsieur, qui faillit entrer au
séminaire et mourut sans descendance, était certes
ascétique. Mais était-ce une raison pour lui donner à
titre posthume la froideur et la dureté d’un bloc de
granit ? Aux abords du Parlement, les suffrages popu-
laires se portent, faute de mieux, sur une statue noire,
elle aussi évoquant les chefs-d’œuvre de l’art soviétique et portant à bout de bras un énorme euro barré,
symbolisant la monnaie unique. Depuis quelque
temps, une photo grandeur nature en plan américain
du président du Parlement Martin Schulz lui fait
concurrence. On en frissonne !
Que les touristes stupéfaits se rassurent,
les privilégiés qui ont la chance de pouvoir arpenter
les couloirs de la Commission et du Parlement ne sont
pas mieux lotis. La coulée de toiles d’éminents inconnus des années 1970 et 1980 qui ornent leurs murs
donnerait presque envie d’exhumer, si elle n’était de
si sinistre mémoire, l’expression « entartete Kunst »,
« l’art dégénéré », comme disaient les nazis pour qualifier et interdire l’art moderne. Les gouvernements
nationaux – dont l’Union européenne est tout de
même la fille ! – n’ont-ils jamais pensé à la doter de
quelques œuvres dignes de la grandeur qu’ils prétendent lui donner ?
La moindre résidence d’ambassadeur français, le
moindre sous-secrétariat d’État peut puiser dans les
ressources presque infinies du mobilier national pour
égayer ses salles de réunion de quelques pendules
empire, éclairer ses murs d’une tapisserie d’Aubusson,
voire d’un dessin de Chagall ou de Matisse. À Berlin,
la chancellerie, pourtant si sobre, rayonne des toiles
des expressionnistes allemands. À Bruxelles, le désert
symbolique est une politique.
Et les choses ne vont pas en s’arrangeant. Il est loin le
temps où les Postes française et allemande se tiraient
la bourre pour honorer les « pères fondateurs », émettant entre 1968 et 1980, à quelques années d’intervalle,
des timbres à l’effigie des « citoyens d’honneur européens » Robert Schuman et Jean Monnet.
Au moment de faire l’euro, nos autorités n’ont
pas sauté sur l’occasion pour étoffer de conserve ce
panthéon de sacrés bonshommes. Pas du tout. Rompant avec une tradition millénaire, incapable de puiser
dans les trésors de cette histoire commune dont ils
prétendent qu’elle les rapproche, nos éminences sont
allées chercher des abstractions (un pont, une arche,
etc.) pour « figurer » l’Europe. Si les agences de notation avaient du sens politique, elles auraient dû faire
de ce renoncement un indice infaillible que les choses
allaient mal tourner.
Une lueur d’espoir point toutefois à l’horizon 2014,
avec l’ouverture d’un musée de l’Europe dans un gigantesque institut dentaire désaffecté du parc Léopold,
petit joyau du début du siècle dernier. En attendant,
pour 2013, si on organisait un concours de prêts
d’œuvres venant de toute l’Europe ? q
© DR
Le carnet de notre correspondante, Florence Autret
24 Vos finances
LA TRIBUNE VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012
fonds indiciels cotés, appelés aussi ETF ou trackers, rencontrent un succès croissant depuis la crise financière,
le bon Les
car ils ont l’avantage de la simplicité et affichent des frais de gestion bas. En Europe, et notamment en France, ces fonds
plan
sont pourtant peu connus du grand public. La faute aux réseaux de distribution qui les mettent rarement en avant.
Pour investir en toute simplicité,
traquez les trackers
Nous avons également signé un partenariat avec Pimco afin de lancer
des produits dits “passifs intelligents” ou gérés activement. À ce titre
nous avons créé le PIMCO European Advantage Government Bond
ETF sur les obligations souveraines,
qui pondère les pays en fonction de
leur PIB et non du poids de leur
dette », énumère Ludovic Djebali.
A
Rachel Montero
lors qu’ils s’imposent progressivement comme l’un
des véhicules d’investissement les
plus utilisés au niveau mondial, les
ETF (exchange trade funds),
dénommés aussi trackers, sont
assez méconnus du grand public.
Leur principe est pourtant très
simple : ce sont des fonds d’investissement, cotés en Bourse, qui
reproduisent les performances
d’un indice boursier. En d’autres
termes, ils permettent à un investisseur de détenir l’équivalent d’un
indice boursier donné sans avoir à
acheter (en proportion) toutes les
actions qui composent ledit indice.
Y souscrire directement
auprès de sites Internet
« Aux États-Unis, les encours
d’ETF ont atteint fin octobre les
1 150 milliards de dollars, tandis
qu’en Europe ils dépassent maintenant à peine les 317 milliards de
Des produits à
la fiscalité allégée
L’accès aux matières premières
est également facilité par ce type de
produits avec toutefois un bémol,
les ETF ne peuvent, pour des raisons réglementaires en Europe,
investir sur une seule matière première comme c’est le cas aux ÉtatsUnis où le SPDR Gold par exemple,
un ETF investi sur l’or, bat des
records en termes d’encours.
Les ETF s’imposent comme un des véhicules d’investissement les plus utilisés au monde. [DR]
Dernier avantage, un grand
nombre de ces produits émis par
de ce fait les fonds d’investissement ETF calé sur l’indice MSCI Emer- la baisse ou deux fois la hausse de la des fournisseurs européens sont
qui affichent des frais de gestion ging Market et s’exposer très facile- performance quotidienne du éligibles au plan d’épargne en
actions (PEA) et displus élevés que les ETF. Aux États- ment à cette classe d’actifs aux CAC 40. Ce type de produits
Unis, les ETF ont été amenés à se horaires de cotation des Bourses rencontre un vrai succès
posent donc d’une fiscadévelopper fortement, européennes. La plupart de ces pro- auprès des particuliers et
lité allégée. « La plupart
notamment auprès de la duits sont en effet cotés sur des cela depuis déjà de nom- milliards de
des ETF de Lyxor invesclientèle de particuliers places financières accessibles faci- breuses années », indique dollars. C’est le tis sur des indices actions
lorsque la rémunéra- lement en Europe, les produits de Valérie Lalonde. Les ETF montant des
sont éligibles au PEA, y
tion des intermédiaires Lyxor, par exemple, sont générale- permettent également encours d’ETF
compris lorsqu’il s’agit
d’ETF hors zone euro
financiers s’est faite ment cotés sur Nyse-Euronext. d’accéder aux dernières en Europe,
fin octobre, à
davantage sur la base Autre exemple, « nos produits en innovations en matière de comparer aux
comme les ETF indexés
de conseils financiers », dollar sont cotés à Londres et nos gestion d’actifs et au savoir- 1 150 milliards
sur la Chine ou autres
relate Ludovic Djebali. produits en euro à Francfort », pré- faire de gérants internatio- atteints aux
pays émergents. Ces ETF
En France, pour accéder à ces cise encore Ludovic Djebali.
naux reconnus. « Nous États-Unis.
doivent pour des raisons
produits, les épargnants peuvent
Des prises de risque modérées avons créé il y a près de deux
réglementaires être
y souscrire directement auprès de sont également possibles avec ces ans un ETF en collaboration avec constitués d’un panier d’actions comsites Internet de trading, comme produits. « Nous proposons un ETF Man GLG, dont l’objectif est de sur- prenant au moins 75 % d’actions
Boursorama, Fortuneo, etc., ou en qui permet de s’exposer à deux fois performer l’indice MSCI Europe. européennes, ce qui est possible
les réclamant à leur conseiller
grâce à la réplication synthétique »,
bancaire ou à leur gestionnaire focus
précise Valérie Lalonde.
habituel.
Ces produits, comme tout instruAutre avantage de ces produits :
ment financier, ne sont cependant
ils permettent d’accéder facilepas exempts de risque. Ces trackers
ment à l’ensemble des classes
relèvent de la classe d’actifs du
d’actifs, y compris les plus exosous-jacent. À ce titre, ils
connaissent donc volatilité et
tiques et les plus innovantes. Les
Pendant de nombreux mois, la sphère financière a été
fournisseurs d’ETF ont ainsi créé
baisse des cours, par exemple, pour
agitée par un débat opposant les ETF physiques et synun très grand nombre de fonds
des fonds actions, ou évolution des
thétiques. Schématiquement, les premiers répliquent la
capables de suivre une multitude
taux d’intérêt pour des fonds obliperformance des indices en utilisant un swap, méthode
d’indices : ceux des grandes places
gataires. Ils présentent aussi des
fréquente parmi les sociétés de gestion françaises ; a
financières (CAC 40, Eurostoxx
risques spécifiques, certains procontrario, les seconds achètent les titres et répliquent de
T50, Dax, FTSE, Dow Jones, etc.),
duits sophistiqués pouvant s’appacette façon les indices, cette méthode étant plutôt l’apamais aussi des indices sectoriels
renter à des « boîtes noires ».
nage des ETF anglo-saxons. Face à ce débat, aux enjeux
ou encore des indices émergents
Il n’en demeure pas moins que ces
éminemment concurrentiels, le régulateur européen a
mono-pays (Brésil, Russie, Chine,
produits, ayant été sous le feu de la
tranché et a renvoyé dos à dos les deux méthodes, arguant
Inde, etc.) ou globaux (BRIC,
critique (lire encadré), doivent
que chacune possède des risques spécifiques et exigeant
faire preuve d’une très grande
autres émergents, etc.).
dans les deux cas une plus grande transparence. q R.M.
Un particulier souhaitant par
transparence et, dans leur grande
exemple investir sur les actions
majorité, restent faciles à comémergentes pourra ainsi acheter un
prendre pour des particuliers. q
317
En Europe, les ETF ne
peuvent pas investir
sur une seule matière
première, comme c’est
le cas aux États-Unis.
dollars », indique Ludovic Djebali,
directeur des ventes chez Source.
Sur le Vieux Continent, leur développement est en effet essentiellement le fait d’investisseurs institutionnels. « Aux États-Unis, les
particuliers représentent 50 à 60 %
de la clientèle des ETF, alors qu’en
Europe, cette clientèle ne représente
que 10 % des encours », indique
Valérie Lalonde, porte-parole de
Lyxor Asset Management.
En cause : les réseaux de distribution qui s’y intéressent peu. Les
ETF étant gérés de façon passive
sans l’intervention de gérants, ils
affichent des frais de gestion
faibles compris entre 0,15 % et
0,85 % pour les indices les plus
complexes à répliquer. Ces produits sont donc peu rémunérateurs pour les réseaux de distribution. « Certains réseaux de
distribution se rémunérèrent en
partie sur la base de commissions
rétrocédées par les producteurs de
produits financiers, ils privilégient
ETF physique versus
synthétique, un faux débat
Vos finances
25
VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012 LA TRIBUNE
Petits maîtres…
mais bons filons
e
investir Du xviii  siècle à la période moderne,
d’Harpignies à Max Jacob, le marché
de la peinture ancienne regorge d’artistes
abordables, à découvrir ou à redécouvrir.
autrement
Didier Laurens
M
oins spéculatif que celui de
l’art contemporain, le
marché de la peinture
ancienne est soutenu par des collectionneurs qui achètent selon
leurs goûts tout en profitant du
paratonnerre fiscal lié à ce type
d’investissement. Si les maîtres du
xviiie siècle français comme Fragonard ou Boucher sont inabordables,
des artistes moins connus restent
accessibles à partir de 4 000 à 5 000
euros. Voire moins. Tel Jean-Baptiste Le Prince, un contemporain de
Boucher, qui a effectué un séjour
aventureux en Russie, dont il a
ramené des paysages et des scènes
de genre. Ses dessins se négocient à
partir de 1 500 euros.
En ce qui concerne le xixe siècle,
la donne est plus compliquée. Son
aspect académique ne fait plus
vraiment recette, même si la cote
de peintres comme Jean-Léon
Gérôme, l’animateur du mouvement néogrec, ou de Cabanel, l’un
des grands « pompiers » du
second Empire, progressent régulièrement. « Parmi les petits
maîtres français avec un bon
potentiel, je citerai, notamment
Henri-Joseph Harpignies, un paysagiste dont certaines œuvres sont
très abordables », conseille notamment Alexis Borde, expert en
tableaux anciens.
Les meilleures affaires
datent du xixe siècle
Comme il est de bon ton à son
époque, Harpignies effectue des
voyages initiatiques en Italie. Il en
ramènera des aquarelles qui, pour
la seconde période, anticipent
A Village Roadway d’Henri-Joseph Harpignies, 1891. Certains tableaux de l’artiste, peints à Paris ou dans
l’Yonne, sont proposés à partir de 5 000 euros. [The Bridgeman Art Library]
déjà le pré-impressionnisme. Ses
paysages italiens sont déjà chers
mais certains tableaux peints à
Paris ou dans l’Yonne, où il possédait une maison, sont proposés à
partir de 5 000 euros.
Mais c’est plutôt dans la peinture
symboliste de la fin du xixe que l’on
trouve encore le plus d’œuvres
sous-cotées. Dans ce sérail,
Ménard, dont la famille fréquentait
notamment les peintres de l’école
de Barbizon, est une pépite. Qu’il
s’agisse de pastels ou d’huiles, cer-
taines œuvres se négocient à moins
de 5 000 euros. De même, les peintures d’un petit maître symboliste
comme Osbert sont à regarder avec
attention. Comptez au minimum
3 000 euros pour un beau dessin ou
une petite aquarelle.
Le marché du xxe siècle se tient et
c’est, par exemple, en se portant
sur les tableaux d’artistes comme
Mathurin Méheux que l’on fera
bonne pioche, à condition d’aimer
les marines. « Certains dessins de
Méheux sont achetables à partir
Sicav obligations euro long terme :
la sécurité récompensée
le classement
de la semaine
Les échanges sont particulièrement nourris entre les
« pro-actions » et les « proobligations ». Les premiers
mettent en avant les excellents
niveaux de rendements offerts
actuellement par les dividendes des entreprises cotées.
Les seconds vantent la sécurité
du placement et la récurrence
des coupons versés, même si
les problèmes de la zone euro
sont venus remettre en question bien des certitudes en
matière de risque…
Chiffres à l’appui, les investisseurs qui auraient misé ces
trois dernières années sur les
obligations européennes long
terme n’ont, certes, pas à se
plaindre. En moyenne, les
Sicav spécialisées sur ce segment enregistrent une hausse
de 12,5 % sur un an (au
7 dé­cembre 2012). Sur trois
ans, la progression atteint
14,8 %. De très belles performances à l’heure où nombre
d’investisseurs se demandent
où aller chercher du rendement dans un contexte de taux
d’intérêt court terme historiquement bas. La donne n’est
pas évidente pour les gérants
de cette poche obligataire long
terme. Ils doivent en effet,
savoir choisir entre des obligations aux taux tentants – mais
un peu plus risqués – et des
titres rassurants, mais ne délivrant quasiment aucun gain.
Tout le calcul résidant dans
l’anticipation de la pentification, autrement dit du moment
où, sur le marché obligataire,
les taux longs deviennent ou
redeviennent supérieurs aux
taux courts. Car aujourd’hui,
les taux longs sont bas, voire
plus bas que les taux courts.
Ces choix sont particulièrement cruciaux car, si l’on
regarde les performances des
différents produits sur un an,
on voit que l’écart entre les
meilleurs et les moins bons
est impressionnant : + 22,5 %
pour le premier, – 18,5 % pour
le dernier. Reste le risque de
bulle obligataire. Devant le
désamour des investisseurs
pour les actions, les opérateurs boursiers ne jurent plus
que par les obligations. Toutes
les émissions actuelles sont
quasiment exclusivement
composées de titres obligataires, voire d’obligations
convertibles en actions.
Avec le risque, en cas de revirement, de voir les cours des
obligations connaître
quelques déconvenues. En
attendant, cet engouement est
une aubaine pour les entreprises qui empruntent dans
d’excellentes conditions. q Pascale Besses-Boumard
Performance sur 1 an
Performance sur 3 ans
1/ R Euro Crédit (Rothschild et Cie)
22,5 %
21,3 %
2/ Unofi-Oblig (Finogest)
17,4 %
15,1 %
3/ Dexia bonds Euro long term
17,2 %
20,4 %
4/ LBPAM obli long terme
15,7 %
17,5 %
5/ Regard obligations long terme (Pro BTP)
13,9 %
12,3 %
6/ BNP Paribas oblipar
13,7 %
16,2 %
7/ Goldman Sachs euro fixed income
13,6 %
15,5 %
8/ Pioneer Euro bond A
13,2 %
17,6 %
9/ Fideuram fund Euro bond medium risk
12,9 %
15,0 %
10/ KBC renta medium Euro
12,8 %
19,3 %
Source : Europerformance, a Six Company
d’environ 1 000 euros et il va faire
l’objet d’une exposition au musée de
la Marine, ce qui soutiendra sa
cote », assure Alexis Borde.
Autre personnalité à privilégier,
Max Jacob qui ne fut pas seulement un immense poète, mais
aussi un bon peintre. Si les décors
qu’il a dessinés pour les ballets
russes de Diaghilev sont recherchés, certains paysages réalisés à la
gouache, se dénichent à partir de
3 000 à 4 000 euros. Ce sont des
opportunités à ne pas manquer. q
2,95 % Ma tante
s’intéresse à la santé
des plus précaires
le chiffre Non, ce n’est pas le taux
décrypté d’un crédit immobilier
bon marché. C’est plutôt le fruit d’un constat
alarmant : aujourd’hui, bon nombre de Français repoussent ou renoncent à certains frais
médicaux peu ou pas remboursés par la Sécurité sociale et les mutuelles. C’est vrai pour les
lunettes. C’est vrai aussi pour les prothèses
dentaires. Sans parler des frais d’hospitalisation prolongés, conduisant les malades à
contracter dans l’urgence et donc dans de
mauvaises conditions des crédits à la consommation. Ces derniers, on le sait, sont bien plus
chers que les autres types de crédits.
Une offre dédiée aux personnes
sans emploi, sans mutuelle
Fort de ce constat, le Crédit municipal de
Paris, habituellement positionné sur les prêts
sur gages, a eu l’idée de lancer un prêt santé
au taux fixe particulièrement bas de 2,95 %.
Prêt susceptible d’être débloqué en l’espace
de 48 heures après étude du dossier. Une offre
pour le moins iconoclaste qui peut s’avérer
très utile en cas de besoin pour de nombreuses personnes. La baisse des taux d’intérêt donne manifestement plein d’idées aux
différents établissements bancaires.
Sachant que cette offre est essentiellement
dédiée aux personnes subissant de plein fouet
la hausse du coût de la vie ou celles se retrouvant sans emploi ou sans mutuelle, voire les
deux. Les prêts sur gages traditionnellement
proposés par le Crédit municipal de Paris
s’adressent déjà majoritairement à ce type de
clientèle. q
26 les analyses
LA TRIBUNE VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012
rigueur : la Défense
toujours en première ligne
À quelques semaines de la publication du Livre blanc, qui va entériner le décrochage de la France en matière d’efforts militaires,
des voix s’élèvent pour prévenir des méfaits d’une telle politique.
© DR
D
Michel
Cabirol
rédacteur en chef
du service
industrie
ésarmer la France semble devenu
aujourd’hui largement plus
facile – politiquement, entendons-nous bien – que de réduire
la dépense publique dans sa globalité. Or, une telle absence de
volonté politique risque de coûter cher au pays dans un monde si incertain… même
s’il ne faut évidemment pas l’espérer. « La dépense
publique, en France, représente 56 % du PIB. Quand
on enlève 1,5 % pour la défense, il reste 54,5 %. Sans
doute y a-t-il, dans cette masse, des marges de
manœuvre à explorer », s’interroge le général d’armée, Jean-Louis Georgelin, ancien chef d’étatmajor des armées, poste qu’il a occupé du 4 octobre
2006 au 24 février 2010. Simple et de bon sens.
Comme le sont en général les Pyrénéens, JeanLouis Georgelin étant né à Aspet, petit village au
pied des Pyrénées.
Une armée respectée
à travers le monde
Avec le nouveau Livre blanc qui sera publié en janvier, le gouvernement Ayrault, comme tant d’autres
auparavant, y compris celui de François Fillon, va
continuer de mettre sous pression une armée
aujourd’hui encore respectée à travers le monde et
une industrie de la défense performante. Évidem-
ment, ce ne sera pas dit en des termes aussi brutaux,
des « gadgets » seront évoqués pour camoufler cette
sévère coupe dans le budget de la Défense qui se prépare dans l’indifférence générale : Europe de la
défense, mutualisation, « pooling and sharing »,
« smart defence »
Aujourd’hui, les armées françaises comptent
225 000 hommes et femmes (donc des emplois…)
et représentent 1,5 % du PIB, soit 8 à 9 % du budget
de l’État. À la fin de la guerre froide, elles étaient
fortes de 500 000 hommes, et coûtaient 15 % du
budget de l’État, soit 2,7 % du PIB. « L’effort de
défense était, aux normes OTAN – c’est-à-dire hors
pensions et hors gendarmerie –, de 2 % du PIB en
1997, avant de se stabiliser ces dix dernières années
entre 1,6 et 1,7 %, a récemment expliqué devant le
Parlement le chef d’état-major des armées, l’amiral
Édouard Guillaud. En 2012, il est de 1,55 %. À l’horizon de 2015, il dépassera à peine 1,3 % ».
Quel autre budget a connu et va connaître une cure
d’amaigrissement aussi violente ? Sûrement pas les
collectivités locales, l’Éducation nationale… sans
oublier la dette. « Aucun corps de l’État ne s’est
réformé comme nos armées. C’était nécessaire,
logique. Que chacun en prenne honnêtement
conscience. Par deux fois en une dizaine d’années,
elles ont été auscultées, mises à plat, amputées, restructurées, parfois avec une inutile brutalité », rap-
Aujourd’hui, les armées françaises comptent 225 000 hommes et femmes et représentent 8 à 9 % du budget de l’État.
À la fin de la guerre froide, elles étaient fortes de 500 000 hommes, avec 15 % du budget de l’État. [FREDERICK FLORIN/AFP]
pelle pour sa part le général Georgelin. La défense
a déjà fait son effort pour le redressement des
dépenses publiques. Le corps militaire n’est pas le
seul à constater ce désarmement massif, alors
qu’experts et stratèges constatent parallèlement
un accroissement des dépenses militaires dans le
monde. Le premier président de la Cour des
comptes, Didier Migaud, que l’on ne peut suspecter
ni de partialité ni de militarisme à tous crins, s’en
inquiète même. « La France ne peut donc pas rester
indifférente à ces enjeux. Il n’appartient pas à la
Cour d’en juger, mais c’est une donnée de l’équation
stratégique en matière de défense », explique-t-il.
Un budget qui représente 4,8 % du PIB
aux États-Unis et 1,55 % en France
De quoi parle-t-on ? Des efforts en matière de
défense. Ils « ont été importants aux États-Unis, en
Russie et dans les pays émergents, notamment en
Asie ; ils se sont maintenus en France et se sont
réduits dans la plupart des autres pays européens »,
rappelle le premier président de la Cour des
comptes. Et de constater que « les budgets de la
défense cumulés des pays européens demeurent inférieurs à la moitié du budget américain ». Ce dernier
s’élève à 547 milliards d’euros, soit 4,8 % du PIB
national… contre 1,55 % du PIB en France, qui se
classe au sixième rang mondial quand on y intègre
les pensions (39 milliards d’euros).
« Cette position pourrait se dégrader rapidement si
les pays émergents poursuivent leur effort. À l’échelle
européenne, un décrochage peut s’observer avec le
Royaume-Uni : l’effort britannique, de 52 milliards
d’euros en parité de pouvoir d’achat, dépasse désormais l’effort français de 14 milliards et cet écart
devrait se maintenir au cours des prochaines
années », souligne Didier Migaud. Et de conclure
sévèrement : « De tels écarts entre les efforts de
défense dans le monde peuvent entraîner des ruptures
technologiques et une évolution des rapports de puissance entre les États. » Ce serait clairement de
l’aveuglement de ne pas comprendre que cette politique de rabotage systématique du budget de la
défense va inexorablement entraîner la France vers
un déclassement.
L’aggravation de la situation des finances publiques
et les impératifs du désendettement existent bel et
bien. Mais les choix politiques, qui sont faits pour
choyer l’électorat de tel ou tel parti, ne sont pas à la
hauteur des défis de la France dans un monde instable. Comme tant d’autres gouvernements, celui de
Jean-Marc Ayrault gère le pays sans vision ni ambition. « Si tu veux la paix, prépare la guerre (Si vis
pacem, para bellum) », un adage que semblent avoir
oublié les politiques.
Enfin, presque tous. Car la commission des Affaires
étrangères, de la Défense et des Forces armées du
Sénat s’inquiète elle aussi de tels arbitrages budgétaires. Son rapport « Forces armées : peut-on encore
réduire un format juste insuffisant ? » fait autorité.
Fera-t-il pour autant des émules ?
« La puissance militaire, c’est un peu comme l’oxygène de l’air : on ne se rend pas compte de son utilité
quand on n’a pas besoin de l’utiliser, mais, lorsqu’on
s’aperçoit qu’il fait défaut, il est toujours trop tard
pour réagir », rappelle avec son franc-parler le général Georgelin. q
les analyses
27
VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012 LA TRIBUNE
Les marchés financiers, la drogue
monti et la peur du manque
Le président du Conseil italien a, durant des mois, apaisé les marchés, qui paniquent
maintenant de son possible départ. Efficacité… ou effet psychotrope ? La réalité
– économique, politique et sociale – italienne plaide pour la seconde option.
© DR
L
Romaric
Godin
rédacteur en chef
adjoint économie
a toxicomanie est un des pires fléaux
de notre époque. Un fléau si répandu
qu’il n’épargne même pas les marchés financiers et les grands médias
économiques. Il ne s’agit pas ici de
dénoncer l’usage dans les salles de
trading – ou de rédaction – de produits psychotropes prohibés par la loi, mais plutôt
d’une drogue d’un nouveau genre : Mario Monti.
L’usage du Monti est certes apaisant. Depuis sa
nomination, l’Italie a progressivement disparu des
inquiétudes des marchés, remplacée par l’Espagne ou
même la France. Chacun voulait se convaincre et
convaincre les autres qu’il « fallait être patient », que
« la croissance allait revenir », que « Mario Monti fait
le travail nécessaire ». Le nom du président du Conseil
italien avait un aspect magique qui réduisait à néant
tous les doutes. On avait beau présenter les inquiétants chiffres économiques, les cinq trimestres de
récession, les effets sociaux de la rigueur, la désagrégation de la société, rien n’y faisait : Mario Monti était
alors mis en avant, tel un totem rassurant.
Mais toute drogue a son redoutable revers. L’oubli
de la réalité et l’euphorie qu’elle procure ne sont que
passagers. Lorsque vient le manque, la réalité dans
toute sa triste vérité réapparaît au sujet qui alors
désespère et réclame à nouveau son stupéfiant. C’est
à ce malheureux processus auquel l’on a assisté il y a
une dizaine de jours lorsque les marchés et les éditorialistes européens ont découvert que Mario Monti
risquait de quitter la scène. Le taux italien a fortement
augmenté, les éditorialistes européens ont paniqué :
sans Mario, qu’allait devenir l’Europe ?
En cas de manque, le sujet se crée souvent de fausses
frayeurs. Dans ce cas, Silvio Berlusconi a joué ce rôle.
Il est pourtant clair que le Cavaliere ne peut pas redevenir président du Conseil. Son parti est très loin dans
les sondages, lui-même n’est plus guère populaire.
Surtout, à l’exception de la Ligue du Nord, aucun parti
n’accepterait de s’allier avec lui. Or la Ligue est autant
à l’agonie que le parti berlusconien…
Le bilan du président du
conseil est catastrophique
En réalité, et c’est une des constantes de la toxicomanie, l’addiction est souvent plus dangereuse que la
réalité que l’on veut oublier. Car elle l’aggrave. Ainsi
en est-il du gouvernement Monti. Politiquement et
économiquement. D’abord politiquement. En faisant
croire à l’Europe que seul un gouvernement technocratique était à même de régler les problèmes de l’Italie, il a réduit à néant la confiance des investisseurs
dans le personnel politique italien et, plus généralement dans la démocratie italienne. Les marchés et les
partenaires de Rome n’ont alors plus eu qu’une
crainte : voir revenir le choix démocratique en Italie.
Ceci a également eu pour conséquence de réduire à
néant la confiance des Italiens eux-mêmes dans leurs
institutions. Résultat : la République italienne vacille
sur ses bases et l’opposition populiste du blogueur
Beppe Grillo atteint presque 20 % des intentions de
vote. Sur le plan économique, nul besoin de s’attarder.
Les « réformes » mises en place par Mario Monti se
sont souvent limitées à des coupes budgétaires qui ont
conduit à une récession grave. Comme l’Espagne et la
Grèce, l’Italie est, depuis l’arrivée de Mario Monti,
entrée dans une
spirale déflationniste dont
elle aura grand
peine à s’extirper. Le bilan du
président du
C o n s e i l e st
catastrophique :
uniquement des
trimestres de
contraction du
PIB. Il faut être
un économiste
allemand convaincu par les vertus déflationnistes pour
croire que de ces ténèbres surgira la lumière.
En tout cas, même l’OCDE s’est inquiétée de l’incapacité de faire jouer les stabilisateurs économiques.
L’Italie, qui bénéficie d’une industrie exportatrice
performante, n’a pas profité de cette politique. C’est
la preuve par l’exemple de l’échec de la politique de
réduction massive et rapide des déficits censée
redresser la compétitivité. Dans ces conditions, c’est
bien cette politique qui mène l’Italie à la ruine et qui
doit inquiéter les agences et les investisseurs. Au lieu
de quoi, c’est elle qui les rassure. Du coup, la démission du gouvernement Monti, comme tout sevrage,
apparaît comme une crise difficile à surmonter. Mais
c’est une crise nécessaire afin de désintoxiquer définitivement les marchés de l’illusion Monti.
Et que l’Italie puisse enfin retrouver un rapport
sain avec le reste de l’Europe. q
«
Les réformes
de Monti
se sont limitées
à des coupes
budgétaires qui
ont conduit à une
récession grave. »
Europe : c’est encore loin, l’union bancaire ?
L’accord sur la supervision bancaire est probablement le meilleur qui pouvait
être trouvé, compte tenu des divergences entre les pays européens.
Il ne faudrait cependant pas imaginer que l’union bancaire est pour demain.
© DR
U
Sophie
Rolland
journaliste
ne fois n’est pas coutume, la plupart des observateurs sont d’accord : politiquement, une étape
cruciale vient d’être franchie par
l’Europe. Le compromis arraché
au petit matin du jeudi
13 décembre, après quatorze
heures de discussions animées en conciliant des
positions a priori irréconciliables, ouvre la voie vers
l’union bancaire.
Une concession de taille a été faite à l’Allemagne :
le relèvement du seuil à partir duquel les banques
seront directement supervisées par la zone euro.
Seules seront concernées les 150 à 200 banques dont
les actifs sont supérieurs à 30 milliards d’euros ou
représentent un cinquième du PIB de leur pays d’origine. Les caisses d’épargne et les petites banques
allemandes très liées aux politiques locaux sont donc
épargnées. En contrepartie, à la moindre difficulté,
la BCE pourra reprendre la main sur les petites
banques.
« C’est un bon compromis : il permet d’avancer vers
l’union bancaire et il ne dénature pas les propositions
de la Commission européenne », juge l’économiste de
Natixis, Alan Lemangnen.
Après cette première étape (nécessaire), de nombreux autres compromis devront encore être trouvés
avant la mise en place d’une véritable union bancaire. « Avant de pouvoir parler d’une véritable intégration bancaire, il faudra finaliser au moins trois
législations européennes essentielles : celle qui doit
mettre en œuvre les normes prudentielles de Bâle III,
celle qui permettra d’harmoniser le système de garantie des dépôts et celle qui organisera la résolution des
faillites bancaires », avance David Benamou, président d’Axiom AI.
la BCE assumera ses nouvelles
missions à partir du 1er mars 2014
Or les échéances ne cessent d’être repoussées. La
directive dite CRD 4 qui concerne le cadre de
Bâle III ne sera pas appliquée au 1er janvier comme
cela était prévu initialement, mais plutôt au 1er juillet, voire au 1er janvier 2014. Les États de l’Union
européenne et le Parlement européen ne sont toujours pas parvenus à conclure un accord sur le nouveau cadre réglementaire. Quand il aura été trouvé,
une partie des dispositions devront encore être
transposées dans les droits nationaux. Certes, la plupart des grandes banques européennes se confor-
ment déjà aux nouvelles exigences. Il n’empêche, le
signal envoyé est tout sauf positif. L’accord sur l’harmonisation des cadres nationaux de garantie des
dépôts est, lui, prévu pour l’année prochaine. Il faudra en revanche attendre un peu plus longtemps (fin
2013 ou 2014) avant qu’une véritable autorité de
résolution des crises bancaires voie le jour.
Concernant les raisons immédiates pour lesquelles le mécanisme de supervision a été mis en
place – à savoir les difficultés des banques espagnoles –, l’accord trouvé dans la nuit de mercredi à
jeudi pose presque plus de questions qu’il n’apporte
de réponses. Personne ne peut déduire du communiqué diffusé ni des déclarations qui ont suivi la
rencontre des ministres des Finances européens à
quelle date le MES pourra recapitaliser directement les banques en difficulté.
Seul élément concret : la BCE assumera ses nouvelles missions à partir du 1er mars 2014 (initialement, le 1er janvier 2014 était évoqué). Un retard est
cependant possible (et presque déjà prévu) : l’institution pourra décider de repousser cette date si
elle n’est pas prête.
Le problème est que certains pays comme Chypre
ne pourront pas attendre mars 2014. Si l’aide aux
banques chypriotes doit transiter par le budget de
l’État, la dette du pays explosera. De quoi plonger le
petit pays dans une situation aussi insoutenable que
celle de la Grèce. Reste à convaincre l’Allemagne
qu’il ne faudrait pas en arriver là… q
28 Les idées
LA TRIBUNE VENDREDI 21 décembre 2012
soutenir les collectivités
pour relancer l’emploi
L’initiative européenne de croissance, impulsée par François Hollande et décidée
par le sommet de juin dernier, donnera à la BEI les moyens d’accroître de 30 %
ses concours à l’économie française. C’est en s’appuyant sur le partenariat novateur
qu’elle a noué avec les collectivités territoriales que le bras financier des politiques
européennes donnera son plein effet au volontarisme anticrise européen.
© DR
L
Philippe
de
Fontaine
Vive
Vice-Président
de la Banque
européenne
d’investissement
(BEI), l’institution
financière
de l’Union
européenne
es nombreuses ampliations de la
crise, venue de la finance anglosaxonne, qui ont submergé l’économie mondiale depuis l’été 2007 ont
durement frappé l’activité en
Europe, accentuant le désarroi de
nos opinions face à la mondialisation et son scepticisme envers le projet européen.
Pourtant, force est de constater que la France est
largement bénéficiaire non seulement de la gouvernance et des mécanismes de solidarité mis en place
par les chefs d’État et de gouvernement européens,
mais aussi des appuis que les institutions de l’Union
européenne sont à même de déployer au soutien de
son économie : concours des « fonds structurels »
gérés par la Commission ; prêts, capital-investissement et assistance technique mis en œuvre par la
Banque européenne d’investissement.
Paradoxalement, dans un pays où la culture jacobine est encore très prégnante, c’est par un dialogue
fécond avec les collectivités territoriales que l’action
contra-cyclique de la BEI a trouvé sa pleine expression face à la crise.
ramener l’investisseur privé vers
le financement de l’économie réelle
Il n’y a pourtant rien d’étonnant à cela : c’est en
régions que se crée 70 % de la richesse nationale et
les collectivités territoriales sont un moteur essentiel de l’investissement en France ; non seulement
par le volume des 50 milliards d’euros qu’elles investissent directement chaque année, mais aussi par les
nombreux autres projets qu’elles impulsent ou
confortent, et dont elles confient la réalisation au
secteur privé.
Si les deux tiers de ces investissements publics sont
autofinancés par l’impôt, le solde (soit quelque
15 milliards annuellement) relève
du financement par l’emprunt
dont la crise a précisément remis
en cause les mécanismes,
jusqu’alors essentiellement portés
par le secteur bancaire.
À cet égard, trois enseignements
émergent des années de crise que
nous venons de traverser : en premier lieu, il convient de ramener
l’investisseur privé vers le financement de l’économie réelle et
notamment des projets d’utilité
collective ; or, sur les quelque
16 000 milliards d’épargne actuellement sous gestion en Europe des 27, seul 1 % est
orienté vers le financement des infrastructures.
Ensuite nos acteurs économiques sont tétanisés par
«
l’incertitude réglementaire, que celle-ci soit prudentielle – Bâle III ou Solvency II, ce qui retient les
banques comme les assureurs éloignés du financement à long terme de l’économie –, ou qu’elle soit
fiscale, ce qui refrène la volonté
des entreprises d’investir, donc
d’embaucher. Enfin, en période de
contrainte des ressources
publiques, il convient de réserver
l’usage de ces disponibilités à la
catalyse de l’investisseur privé et
non à son remplacement ou à son
éviction.
C’est fort de ce triple constat que
la BEI a repensé ces cinq dernières années son portefeuille
d’interventions en France, en privilégiant la concertation avec les collectivités territoriales françaises : régions au premier chef, mais
aussi départements, métropoles et communautés
urbaines. Il s’agissait d’unir nos efforts et nos compétences respectives autour des thèmes européens
porteurs que sont la structuration du ­territoire, la
transition énergétique, l’amélioration de la qualité
de vie sociale et environnementale des villes, la promotion de l’innovation par les PME.
De cette rencontre, nous sommes devenus des partenaires naturels : les collectivités par leur connaissance des besoins de leurs populations et par leur
dynamisme à créer des projets qualitatifs ; la BEI en
tant que bras armé des politiques européennes et
ingénieur financier, capable de mobiliser à ses côtés
le secteur bancaire privé et les marchés financiers
ainsi que les acteurs financiers publics (Caisse des
dépôts, Grand Emprunt, Oséo, etc.) pour accroître
la mobilisation du capital à des fins socialement et
économiquement utiles pour la collectivité.
La BEI est ainsi à même, par ses
concours aux collectivités locales
ou à leurs concessionnaires et
opérateurs délégués, de sécuriser
annuellement le financement
d’investissements collectifs en
France à hauteur de plus de 6 milliards d’euros. Cela s’exprime
dans des domaines aussi divers
que le financement de nouvelles
lignes TGV (comme Tours-Bordeaux, Bretagne-Pays de Loire, le
TGV-Est phase II et le contournement de Nîmes-Montpellier),
de multiples systèmes de transports collectifs dans 27 villes et une dizaine de
réseaux TER, la rénovation de lycées et collèges, la
réhabilitation de quartiers dégradés et de logements
«
Les
collectivités
locales sont un
moteur essentiel
de l’investissement
en France ; la BEI
est à leur côté. »
La BEI a
établi une
relation privilégiée
avec chacune
des régions
métropolitaines et
toutes les grandes
villes de France. »
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La Tribune
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LA TRIBUNE NOUVELLE. S.A.S.
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Rédaction
sociaux, l’assainissement et les hôpitaux, mais aussi
le financement de trois plans régionaux de soutien
aux énergies renouvelables, ainsi que plusieurs fonds
d’investissement en faveur des PME. Parallèlement,
la Banque s’attache à appuyer l’innovation des
grandes entreprises, par exemple en soutenant la
R&D et la mise en place du système « Autolib’ », le
déroulement de la fibre optique à haut débit au bénéfice des PME et des particuliers, la transition énergétique de nos constructeurs automobiles, ou en
mettant en place un programme d’assistance technique à l’amélioration du bilan
énergétique des bâtiments
­scolaires de Paris.
Bien que d’intérêt collectif, plusieurs de ces investissements sont
réalisés en gestion déléguée au
secteur privé, ce qui suppose la
mise en place d’une ingénierie
financière spécifique destinée à
atténuer le risque encouru par
l’investisseur. C’est ainsi que,
outre nos prêts classiques, nous
avons développé une gamme
d’instruments de partage de risques au soutien des
projets en partenariat publice-privé (PPP) : apports
de fonds propres, de garanties, voire de rehaussement de crédit pour les emprunts obligataires émis
par des sociétés véhiculaires assumant la réalisation
d’infrastructures (les fameux « project bonds »).
Rédactrice en chef : Pascale Besses-Boumard.
Rédactrice en chef adjointe : Séverine Sollier.
Laura Fort, Christine Lejoux, Sophie Rolland,
Mathias Thepot. ( Édition : Jean-Pierre Alesi.
( Correspondants : Florence Autret (Bruxelles).
Rédacteur en chef Hebdo : Jean-Louis
Alcaïde. Jean-Pierre Gonguet.
latribune.fr
( Rédactrice en chef : Perrine Créquy.
réalisation R&A
( Direction artistique : Anne Terrin.
( Rédacteur en chef édition : Alfred Mignot.
le concours de la bei dépassera en 2013
le seuil historique de 7 milliards d’euros
Une étude récente menée auprès de 55 collectivités
françaises importantes illustre les résultats de cette
politique. Assumant 12 % du financement direct des
collectivités locales, la BEI s’est confirmée, aux côtés
de la Caisse des dépôts, comme essentielle au maintien du niveau de l’investissement public français en
2011 ; l’action européenne de la BEI aura permis de
mettre en place non seulement une alternative aux
concours bancaires en forte régression (passant de
94 % à 54 %), mais aussi de conforter la capacité
d’emprunt des collectivités comme de leurs concessionnaires, sur les marchés financiers qui représentent actuellement près de 16 % du financement des
projets collectifs.
Ainsi que s’y est engagé le président de la Banque,
M. Werner Hoyer, lors de sa récente audition par
l’Assemblée nationale, l’initiative européenne de
croissance bénéficiera du très fort appui de la BEI
qui augmentera de 30 % ses concours à l’économie
française en 2013. Le volontarisme européen face à
la crise, exprimé au plus haut niveau de la gouvernance, est ainsi relayé sur le terrain par la BEI dont
les concours en France dépasseront le seuil historique des 7 milliards en 2013 : ici encore, la relation
privilégiée de la banque de l’Union européenne avec
chacune de nos régions métropolitaines et toutes les
grandes villes de France sera le pivot d’un nouvel
essor pour un meilleur vivre ensemble en France,
comme en Europe. q
Secrétaire de rédaction : Sarah Zegel.
Révision : Cécile Le Liboux, Francys Gramet.
( Infographies  : ASKmedia.
(
(
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JCG Medias, SARL Communication
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et des régions Jean-Claude Gallo. Conseiller
éditorial François Roche. Directrice Stratégie et
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80800 Fouilloy. No de commission paritaire :
0514 C 85607.
ISSN : 1277-2380.
Un supplément gratuit LA TRIBUNE DES
RÉGIONS est inséré dans cette édition.
Les chroniques
29
VENDREDI 21 décembre 2012 LA TRIBUNE
L’INFLATION NE SERAIT PLUS
L’ENNEMI PUBLIC N° 1
au cœur de Face à une stratégie de désendettement qui ne fonctionne pas, des
voix commencent à s’élever pour réclamer un débat international
sur les nouveaux objectifs que les banques centrales pourraient
se donner, faisant passer au second plan le contrôle strict de la hausse des prix.
la crise
À
© DR
suivre l’actualité des banques
centrales aux États-Unis et au
Royaume-Uni, une réflexion
vient soudain à l’esprit :
serions-nous à l’aube d’une
véritable révolution ? Dans les
deux principaux centres de la
finance mondiale, la lutte contre l’inflation – cette
mission gravée sur leur fronton – est en passe d’être
reléguée au second plan au profit d’un nouvel objectif prioritaire : la relance de la croissance afin de
faciliter le désendettement et de stabiliser le système financier international.
François
Leclerc
Ancien conseiller
au développement
de l’Agence
France-Presse
Il tient la chronique
de « L’actualité
de la crise » sur le
blog de Paul Jorion.
Il est l’auteur de
Fukushima, la
fatalité nucléaire
(éditions Osez la
République Sociale !,
octobre 2012, 11 € ).
Viser un taux de croissance nominal
justifiant la création monétaire
Aux États-Unis, le Comité de politique monétaire
de la Fed (FOMC) a mis les petits plats dans les
grands et lancé un nouveau programme de création
monétaire de 40 milliards de dollars par mois, afin
d’acheter, sans limitation de durée, de la dette
­fédérale, ce qui, ajouté à ses achats mensuels de
titres hypothécaires de 45 milliards de dollars,
devrait encore gonfler son bilan de 2 500 à
3 500 milliards de dollars d’ici à la fin de 2013. Le
FOMC a, d’autre part, décidé de maintenir son taux
directeur quasiment à zéro, en le liant à trois
­facteurs : un taux de chômage restant au-dessus de
6,5 %, des p
­ erspectives d’inflation à moyen terme
ne déviant pas de plus d’un demi-point par rapport
aux 2 %, et des attentes d’inflation à plus long terme
« bien arrimées ».
Une partie aux implications plus radicales se joue
au Royaume-Uni, à la faveur de la nomination de
Mark Carney, l’actuel gouverneur de la Banque du
Canada, à la tête de la Banque d’Angleterre en juin
2013. Le futur gouverneur a exposé sans attendre
ses conceptions générales de politique monétaire,
préconisant d’abandonner la
cible d’inflation de 2 % – datant
de vingt ans – pour lui substituer
comme nouvelle cible un taux de
croissance nominale (la combinant avec l’inflation), justifiant
une relance de la création monétaire, quitte à accepter une poussée inflationniste. Aux grands
maux les grands remèdes, étant
donné « la nature exceptionnelle
de la situation » qu’il enregistre !
George Osborne, le chancelier
de l’échiquier qui l’a choisi, empêtré dans une stratégie de désendettement qui ne fonctionne pas,
souhaite qu’un débat international s’engage à propos des nouveaux objectifs que les banques centrales pourraient se donner.
«
Confrontée à la déflation, la nouvelle équipe du
Parti libéral démocrate du Japon, qui vient de remporter les élections, n’a pas non plus fait mystère
de ses intentions quant à la politique qu’il entend
voir la Banque du Japon mener, afin de sortir de
cette trappe grâce à l’inflation !
Si, par la force des choses, l’inflation n’est plus
l’épouvantail qu’elle était (sauf à Berlin), ne seraitce pas parce que les banquiers centraux observent
que les masses de liquidités déjà déversées ne
gonflent que les prix des actifs financiers, créant une
nouvelle bulle, alors même que la précédente n’est
pas complètement dégonflée ?
la menace principale
reste la déflation
Le danger n’est peut-être pas là où on l’attend, dans
un monde qui ne fonctionne plus
comme avant, où la transmission
à l’économie de l’inflation résultant de l’augmentation de la masse
monétaire s’opère mal dans le
contexte de récession actuel, où la
menace principale reste la déflation, et où le risque d’euthanasier
les rentiers paraît maîtrisable.
Faisant bande à part, la BCE
s’est elle aussi octroyée une nouvelle mission : stabiliser la crise de
la dette de la zone euro. Et pour ce
qui est de la croissance, elle est alignée sur la stratégie faisant de la réalisation de mesures structurelles
et d’austérité publique son préalable et son levier.
Mais quelle que soit la stratégie choisie, la relance
sera-t-elle vraiment au rendez-vous ? q
Les masses
de liquidités
déjà déversées
ne gonflent que
les prix des actifs
financiers, créant
une nouvelle bulle. »
Légiférer sur la rémunération des dirigeants ?
Un projet de loi sur la rémunération des dirigeants devrait être
au cœur des déposé début 2013, a déclaré le ministre de l’Économie et des
© DR
entreprises
Héger
GABTENI
© DR
Professeur
associé à l’ESG
Management
School, paris
Adil BAMI
Professeur
associé à
l’ISCAE-Casablanca
I
Finances, Pierre Moscovici. Mais est-ce la bonne approche ?
nterrogé début décembre par la mission
parlementaire « Gouvernance des grandes
entreprises » de l’Assemblée nationale, le
ministre de l’Économie relevait que les
excès de certaines rémunérations, férocement décriés par l’opinion publique,
étaient le reflet d’une gouvernance
défaillante. Ce dernier point justifie que l’on se
penche davantage sur un sujet aussi sensible que
celui de la rémunération des « grands patrons ».
La rémunération de nos dirigeants revêt des
­terminologies et des formes diverses au nombre desquelles nous retrouvons le salaire fixe (ou de base),
les primes de bienvenue ou golden hello, les bonus,
les stocks options, l’attribution d’actions gratuites,
les golden parachutes, les retraites chapeau, les avantages en nature, les jetons de présence, etc.
Le débat fait rage depuis plus d’une décennie et traduit un manque de transparence et de pédagogie en
la matière, bien que des efforts aient été réalisés,
notamment avec la promulgation de la loi NRE du
15 mai 2001, qui imposait que les rémunérations perçues par les mandataires sociaux des sociétés anonymes soient détaillées au sein du rapport de gestion.
Cette avancée en la matière fut freinée deux années
plus tard par la promulgation de la loi de sécurité
financière (LSF) de 2003 qui n’imposait alors l’obligation de publication des rémunérations des mandataires sociaux qu’aux seules sociétés cotées.
Tandis que certains préconisent le tout réglementaire et le plafonnement pur et simple des rémunérations des dirigeants, d’autres arguent pour une
rémunération fonction de la performance des entreprises considérées. Cette seconde proposition est
confirmée théoriquement par les travaux de Hall et
Liebman (1998), qui mirent en évidence la relation
entre rémunération des dirigeants et performance
de leur société.
les dérives opportunistes à l’origine de
l’opprobre sur les « grands patrons »
Ils ont notamment démontré le caractère incitatif
que pouvaient avoir certaines formes de rémunération des dirigeants sur la performance de leur entreprise. À ce titre, les rémunérations indexées sur les
performances des entreprises telles que les stocks
options permettent de faire converger les intérêts
des actionnaires et des dirigeants et ainsi de bannir
les éventuels comportements opportunistes du dirigeant, générateurs de coûts d’agence (coûts de
recherche informationnelle, coûts de surveillance…)
au sens de Jensen et Meckling (1976).
Ce sont ces dérives opportunistes illustrées par les
cas Vivendi en 2002, Carrefour en 2005, ou encore
Vinci en 2008 qui jetèrent l’opprobre sur les « grands
patrons du CAC ».
Les lois NRE en 2001, Breton en 2005 ou Tepa en
2007 se sont toutes heurtées à la question houleuse
de la rémunération des dirigeants et ont notamment
permis de générer plus de transparence en la
matière. Néanmoins, la question de la légitimité de
ces rémunérations jugées excessives par l’opinion
publique et les actionnaires reste posée. Un arrêté
publié au Journal officiel du 25 octobre 2012 avait
déjà déclenché les hostilités en plafonnant les rémunérations des dirigeants des entreprises détenues
directement ou indirectement par l’État – une cinquantaine (EDF, Areva, La Poste, la SNCF…). Le
chiffre retenu, 450 000 euros par an, représentait
vingt fois le salaire le plus bas dans ces entreprises.
Dans ce contexte caractérisé par la mise en place
d’un contrôle réglementaire pour le secteur public,
et par la préparation d’outils d’encadrement pour le
secteur privé, se pose la question de l’attractivité
dans un marché des cadres dirigeants largement
mondialisé.
Légitimer ces rémunérations en les soumettant
notamment au vote des actionnaires, apporteurs de
capitaux, semblerait être la solution d’équilibre sur
ce marché. Le vote des actionnaires relatif à la rémunération des dirigeants ou « say on pay » pourrait
être envisagé comme une partie de la solution.
­Légiférer ou légitimer ? Le débat reste ouvert. q
30 L’interview
LA TRIBUNE VENDREDI 21 DÉCEMBRE 2012
Pierre moscovici
ministre de l’économie et des finances
« Le french bashing est
une mode, un sport… »
Dans un entretien accordé à La Tribune, le locataire de Bercy revient sur l’action récente
du gouvernement en faveur de la compétitivité qui, selon lui, favorise la France qui gagne.
Il affirme sa confiance dans la capacité de l’économie tricolore à surmonter la crise actuelle
et à continuer à jouer un rôle majeur en Europe.
Propos recueillis par Romaric Godin,
Fabien Piliu et Sophie Rolland
(La Tribune – La rédaction de La Tribune a décidé de par-
ler, en cette fin d’année, de « cette France qui gagne », alors que
tous les indicateurs sont au rouge. Incongru ?
Pierre Moscovici – Il serait surtout incongru d’ignorer
nos atouts : la France, c’est une économie solide et diversifiée, la cinquième puissance économique mondiale, l’une
des dettes les plus sûres et les plus recherchées de la zone
euro, et une voix qui compte en Europe. Je n’ai jamais
caché la gravité de la situation, l’ampleur des défis à relever
ou des réformes à accomplir. Mais nous avons pour nous
cette base solide, une grande capacité d’écoute et de mobilisation, et surtout, une vraie volonté politique de réformer
nos structures économiques. C’est ce que me disent, d’ailleurs, nos partenaires internationaux, les investisseurs et
les agences de notation.
Que peut faire le gouvernement pour relancer
l’industrie ? À quand une bonne nouvelle dans
le domaine industriel, comme, par exemple,
une reprise de l’emploi manufacturier ?
Ce gouvernement est à l’écoute des
besoins des entreprises, qui ont un réel
problème de marges qui les empêchent
d’investir et d’embaucher. Nous avons
décidé d’appliquer rapidement les
mesures du « pacte national pour la
croissance, la compétitivité et l’emploi »,
et notamment la première d’entre elles,
le crédit d’impôt pour la compétitivité et
l’emploi [CICE, ndlr]. Le CICE va alléger le
coup du travail de 20 milliards d’euros en
deux ans, et nous l’avons conçu pour changer
les anticipations des entreprises et les inciter
à débloquer leurs décisions d’investissement et surtout d’embauches
dès 2013. Ce CICE s’ajoute
à d’autres mesures,
comme la pérennisation et
(
même l’extension du crédit impôt recherche ou l’appui à
la trésorerie des entreprises. Ce pacte, c’est plus de compétitivité pour plus de croissance, plus de croissance pour
plus d’emplois. Le cap est le même : inverser la courbe du
chômage à la fin de 2013. L’emploi, c’est bien l’objectif que
le gouvernement vise.
( La fiscalité actuellement en vigueur favorise-t-elle la France
qui gagne ? La concurrence fiscale de certains pays n’est-elle
pas, de ce point de vue, un danger pour le pays ?
Elle favorise la France qui innove et qui travaille, elle
­protège la France qui souffre et qui peine. Elle vise à taxer
la rente et non le risque, typiquement celui pris par l’entrepreneur. C’est le sens de nos réformes fiscales, qui
­rétablissent la progressivité de l’impôt en demandant plus
à ceux qui peuvent le plus, tout en préservant les
conditions de rebond de la croissance. Il faut
comprendre le sens des nouvelles recettes
que nous avons créées : elles sont là
pour réduire le déficit public, et elles
s’accompagnent par ailleurs d’une
baisse de la dépense publique qui
sera supérieure à la hausse des
recettes sur l’ensemble du mandat. 2013 est la marche la plus
haute, mais nous prévoyons de
stabiliser et de baisser les
­p rélèvements par la suite –
nous avons même commencé à
le faire avec le crédit d’impôt
pour la compétitivité et l’emploi.
Cela ne doit pas nous empêcher
d’être très vigilants sur la concurrence fiscale et de pousser à plus
d’harmonisation en Europe. C’est la
raison pour laquelle François Hollande a annoncé la renégociation de
nos conventions fiscales,
avec la Suisse et avec la
Belgique en particulier.
« Nous ne cherchons pas à nous conformer
à un
modèlexxxxxxxxx
ultralibéral »,
Légende
xxxxxxxx
xxxxxxx
[PVEdrune]
affirme le ministre de l’Économie et des
Finances.
xxxxxxxxx
xxxxxxxxxxx
xxxxxxx. [P. VEDRUNE]
( Le french bashing est à la mode hors de nos frontières. Peut-
il fragiliser la perception de la France par les marchés ?
­Comment pouvez-vous lutter contre ce sentiment ?
Le french bashing est une facilité, un cliché, une mode et,
pour certains, presque un sport. Il faut rester serein et
répondre dans un dialogue nourri et soutenu avec les investisseurs – je le fais très régulièrement –, expliquer et
convaincre, inlassablement… et exiger d’être jugés sur nos
résultats.
Je ne constate pas de défiance des marchés à notre égard.
Au contraire, nos taux d’intérêt restent très bas. Peut-être
y a-t-il un temps d’observation, de fortes attentes. Mais il
y a aussi la reconnaissance que les lignes bougent, qu’il se
passe quelque chose de nouveau, que le rythme des
réformes, qui nous est propre, est soutenu. Pour autant,
nous ne cherchons pas non plus à nous inspirer et à nous
conformer à un modèle ultralibéral et prédateur.
( L’avenir industriel de la France ne se joue-t-il pas au niveau
européen ? Dans ce cas, quel rôle peut jouer la France dans la
nouvelle architecture institutionnelle de l’Europe et de la zone
euro ?
Un rôle de premier plan, comme elle l’a fait depuis six mois
en faisant adopter le Pacte de croissance en juin – une
première étape cruciale pour réorienter la construction
européenne, avec un soutien accru à l’investissement et à
la croissance grâce à l’augmentation des moyens de la BEI,
la mise en place de project bonds et la mobilisation des
fonds structurels non utilisés –, en soutenant le Mécanisme Européen de
Stabilité [MES] et les
nouvelles capacités
d’intervention de la
Banque centrale
européenne, en faisant le choix historique d’une supervision bancaire
intégrée, afin de combattre à la racine les
causes mêmes des
déséquilibres dont
souffre notre système
financier. La crise de
la zone euro est en train de passer. Nous avons levé les
doutes sur l’existence de notre monnaie et nous sommes
en train de montrer que l’Europe mérite la confiance des
investisseurs, qu’elle a un avenir brillant. Il faudra demain
continuer à trouver des remèdes à nos maux, améliorer
encore la gouvernance de l’Europe, et construire sur cette
base l’Union politique. La France est très présente sur ces
sujets – j’y consacre une part très importante de mon
temps ; elle est et restera en première ligne de ce combat.
«
La crise
de la zone
euro est en train de
passer. Nous avons
levé les doutes
sur l’existence
de notre monnaie. »
( Au regard de l’état des balances commerciales respectives
de la France et de l’Allemagne, la comparaison permanente avec
notre voisin vous paraît-elle justifiée ?
L’Allemagne et la France sont les deux plus grandes économies de la zone euro. Elles ont donc une responsabilité particulière pour dessiner les voies de la sortie de
crise. C’est ce que nous avons fait, avec l’aboutissement
des négociations sur le soutien à la Grèce ou sur l’union
bancaire. Donc, il y a ce travail commun au niveau européen. Et puis il y a, en cohérence, un travail que chacun
doit faire au niveau national pour soutenir l’activité et
la croissance. La France a un déficit commercial de plus
de 70 milliards d’euros : cela veut dire qu’il faut réformer
nos structures économiques, les rendre plus compétitives pour se projeter vers le monde avec force et ambition. C’est tout l’objet du pacte de compétitivité adopté
le 6 novembre par le gouvernement. À l’inverse,
­l’Allemagne a un important excédent commercial : cela
veut dire qu’elle a des marges de manœuvre pour
­soutenir sa demande intérieure, ce qui aurait un effet
d’entraînement important en Europe.
Relancer l’activité et la croissance en zone euro est la
­responsabilité de tous : les pays excédentaires et les pays
déficitaires, mais avec des recettes évidemment différentes
au sein de chaque pays. L’important étant de ne pas perdre
de vue l’intérêt européen… qui est aussi le nôtre. q

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