Le REER de la grosse légume
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Le REER de la grosse légume
LE REER DE LA GROSSE LÉGUME Texte de Léo-Paul Lauzon, professeur au département des sciences comptables et titulaire de la Chaire d’études socio-économiques de l’Université du Québec à Montréal Ah que j’aimerais, parfois, vous parler dans mes textes de femmes, mais malheureusement, je n’y connais rien. Pardon, en théorie, je m’y connais énormément, ayant même lu des encyclopédies sur ce sujet, mais c’est quand vient le temps d’appliquer mes connaissances abstraites en pratique que je «choke» littéralement. Moi qui connais par cœur de beaux poèmes sensuels de Beaudelaire par exemple, je ne sais que dire «Hein, qu’est-ce que tu manges pour être belle de même?» quand je rencontre une dame. Ou encore, moi qui connais la merveilleuse chanson «Il n’y a pas d’amour heureux» de Georges Brassens, ne suit en mesure de dire, dans ces situations très délicates, que «Me semble vous avoir déjà vue quelque part». C’est pourquoi, aujourd’hui, je vais me défouler sur vous de mes nombreux et pénétrants complexes en vous entretenant d’un sujet très rébarbatif et pas du tout sexy mais combien important pour les finances publiques et le maintien de nos programmes sociaux et de nos biens publics pour les générations actuelles et futures. Le bon côté de ça, c’est que ça va éloigner et chasser vos mauvaises pensées que vous avez à l’occasion pour ne pas dire souvent. Donc, dans cet article, mes amis et les autres, je vais vous expliquer comment un abri fiscal, à priori très inoffensif, comme les régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER) et dans une moindre mesure les régimes de pension agréés (RPA), admissibles fiscalement jusqu’à 18 000$ par année au fédéral et au provincial, coûtent en manque à gagner fiscal à chaque année 20 milliards$ à Ottawa et 4 milliards$ à Québec. Voilà bien une autre démonstration de ce que j’entends lorsque je vous dis que nos gouvernements se privent volontairement de recettes fiscales par des mesures qui ne privilégient qu’une minorité de nantis. Par des politiques fiscales scandaleuses adoptées comme celles favorisant les REER, les gains de capitaux des riches (qui ne sont imposés qu’à 50% alors que le revenu du travail du monde ordinaire est totalement imposable), les odieuses options d’achats d’actions accordées aux dirigeants d’entreprises (qui sont ans les faits des salaires en bonne et due forme, mais qui ne sont également imposés qu’à 50%), les fiducies de revenu (un véhicule fiscal qui permet à plusieurs multinationales très rentables de ne payer aucun impôt sur le revenu), les revenus de dividendes (qui sont dorénavant imposables à un taux dérisoire), sans compter la tolérance et la complicité de vos politiciens face à l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux à coups de milliards de dollars (88 milliards$ en 2004, selon Statistique Canada) pratiquée par ceux qui nous font souvent la leçon et qui sont les premiers à toujours vouloir taxer le monde ordinaire, font qu’au fil des ans on défiscalise allégrement la richesse et les revenus de la minorité possédante. Pendant ce temps, vos élus qui sont faibles et soumis avec les forts et forts et fanfarons avec les faibles, vous disent qu’au nom de la responsabilité, de l’équité intergénérationnelle et de la modernité, il faut absolument taxer davantage le monde ordinaire, qui s’est appauvri au cours des dernières années en termes de revenu d’emploi, toujours selon Statistique Canada, par des mesures fiscales très régressives, qui frappent de front la classe moyenne, soit la tarification de services publics comme l’électricité, l’eau, les garderies, l’éducation, les permis de conduire, les autoroutes, la santé, le transport en commun, etc. Taxer davantage la classe moyenne c’est toujours pour eux incontournable et inévitable et détaxer le gratin c’est toujours nécessaire et impératif. Vos gouvernements sont des lâches qui privilégient les intérêts supérieurs de la minorité possédante au détriment de la majorité dépossédée et c’est vous autres qui les porter continuellement au pouvoir. Vous êtes exploités jusqu’au trognon par vos gouvernements, par le patronat et leurs porte-queues et me semble souvent que vous en redemandez. La solution passe par l’élection de gouvernements socialistes, mais ça vous fait peur. Première question, juste pour vous, qui peut placer 18 000$ par année dans un REER, si 80% des contribuables québécois déclarent un revenu fiscal de moins de 30 000$ par année, selon les dires mêmes de l’ex-ministre libéral des finances, monsieur Yves Séguin, fiscaliste et avocat de son métier? En 2002, selon les données de l’Agence des douanes et du revenu du Canada, seulement 26,4% des contribuables canadiens ont cotisé à un REER (25,9 milliards$), soit 6 037 280 d’individus sur 22 853 660 et 16,4% ont contribué à un RPA (7,6 milliards$), soit 3 749 020 contribuables. Puis, en 2004, Statistique Canada nous signale que seulement 30% des Canadiens admissibles ont investi de leur argent dans un REER. Voilà bien un autre abri fiscal qui ne sert qu’à une minorité de personnes. Et mes amis, la cotisation médiane de cette minorité de 30% ayant investie dans un REER fut de 2600$ au Canada en 2004 et de 2400$ au Québec, toujours selon Statistique Canada. Deuxième question : sachant déjà que c’est une minorité de 30% qui investit dans les REER ne pourrait-on pas abolir cet abri fiscal au nom des intérêts supérieurs de la majorité? Ainsi, le gouvernement fédéral pourrait, par l’abolition des REER et des RPA, augmenter ses recettes fiscales d’environ 20 milliards$ chaque année et le Québec 4 milliards$ l’an. Par cette mesure fiscale toute simple qui ne surtaxe personne mais qui élimine seulement un privilège fiscal qui ne profite qu’à une minorité, nos gouvernements pourraient investir ces milliards de dollars dans nos programmes sociaux, rembourser la dette publique, si cela leur en dit, et surtout augmenter les pensions de vieillesse gouvernementales qui profiteraient à tous comme le souhaite l’ensemble de la population tel qu’illustré par le titre de cet article du Journal de Montréal du 8 janvier 2005 : «Les Québécois préfèrent les régimes de pension aux REER». Moi j’appelle ça une politique de gros bon sens qui proviendrait d’un gouvernement vraiment responsable. Mais, c’est beaucoup trop beau pour être vrai. Le puissant lobby des riches individus et des institutions financières comme les banques et Power Corp., par le biais de ses filiales Investors, Mackenzie, Great West Life, Canada Life, London Life et ses véhicules de propagandes comme La Presse, Le Soleil, Le Quotidien, La Tribune, Le Droit et le Nouvelliste s’y opposeront farouchement car les REER constituent pour ces dernières une grosse mine d’or. En passant, je serais aussi personnellement perdant par l’abolition des REER et des RPA, mais faut arrêter de pensez uniquement à nos propres intérêts personnels et penser un petit brin aux autres d’ici et d’ailleurs. Oh non, venez pas me seriner que l’abolition des RPA défavoriserait les syndicats et leurs caisses de retraite. Premièrement, il n’y a au Canada qu’environ le tiers des travailleurs qui sont syndiqués, ce qui fait que l’autre deux-tiers n’ont aucun RPA et pas de caisse de retraite. Deuxièmement, il y a beaucoup de travailleurs syndiqués qui ont de petites caisses de retraite qui sont fonction de leur petits salaires annuels. En vérité, je vous le dis, l’ensemble des travailleurs syndiqués ou pas y gagnerait par l’abolition pure et simple des REER et des RPA jumelée à une augmentation des pensions de vieillesse gouvernementales. Cette mesure fiscale est faisable et souhaitable à la fois en termes moral et économique. Je le sais trop bien que je vais décevoir et choquer nombreux de mes fans, si j’en ai vraiment, mais disons que l’on fait juste ramener la cotisation maximale annuelle aux REER et aux RPA de 18 000$ à 8 000$, ce qui serait encore nettement plus élevé que la cotisation médiane actuelle de 2 600$ l’an au Canada et de 2 400$ au Québec. Et bien, sans abolir ce privilège fiscal disponible à une minorité, le gouvernement fédéral augmenterait ses recettes fiscales d’environ 10 milliards$ l’an et le gouvernement du Québec de 2 milliards$. Me semble que cette mesure fiscale de compromis, qui me fera passer pour un gars à droite sur l’échiquier politique, devrait faire l’unanimité pour les gens de bonne foi qui ont à cœur la survie de nos services sociaux pour les générations d’aujourd’hui et de demain. Le manque à gagner fiscal annuel de 20 milliards$ au fédéral et de 4 milliards$ au Québec attribuable au privilège fiscal des REER et des RPA, tels que calculés par Statistique Canada et par le ministère des finances du Québec, comprend le coût fiscal des cotisations annuelles, de la non-imposition des revenus accumulés dans cet abri fiscal de luxe et l’imposition des retraits. Faut bien vous signaler qu’en plus des cotisations annuelles des REER et des RPA qui sont déductibles fiscalement, les revenus accumulés dans ces abris fiscaux ne sont pas imposables. Et venez pas me dire que les gouvernements vont récupérer leur argent au moment des retraits qui sont imposables. Premièrement, les calculs de Statistique Canada quant au manque à gagner annuel de 20 milliards$ en tiennent compte et deuxièmement un revenu encaissé dans 30 ou 40 ans a une valeur actuelle de presque zéro, c’est le principe des valeurs actualisés des flux monétaires futurs. Comme si ce n’était pas assez comme utilisation scandaleuse des fonds publics, vos gouvernements ont levé l’an passé la limite de contrôle étranger des placements investis dans les REER et dans les RPA. Ce qui fait, qu’avec nos propres fonds publics, on encourage l’investissement de ces deniers publics à l’étranger. Ces folleries doivent cesser. Pour appuyer le bien-fondé de mes recommandations qu’il faille abolir au plus crisse l’abri fiscal constitué par les REER et les RPA qui ne sert qu’à une minorité et investir les milliards de dollars ainsi épargnés par nous gouvernements pour rehausser les pensions de vieillesse pour tous, j’ai retracé, encore juste pour vous et parce que je vous aime beaucoup, quelques articles de journaux au titre révélateur, qui démontrent que la population est d’accord avec moi : - «Selon Statistique Canada, un ménage sur trois n’a pas les ressources financières pour profiter de la retraite», le Journal de Montréal du 14 janvier 2002; «Plusieurs Canadiens comptent encore sur l’État pour leur retraite», La Presse du 26 août 2002; «Les Canadiens sont incapables d’économiser pour leur retraite», Les Affaires du 15 février 2003; «Les jeunes n’ont pas de REER», Le Devoir du 3 mars 2003; «Plusieurs retraités touchent des pensions insuffisantes» le Journal de Montréal du 7 novembre 2003; «Trois Canadiens sur quatre craignent la disette à la retraite», Le Devoir du 31 août 2004. Me semble que ça ne peut pas être plus clair quant à la pertinence de mes propositions. Qu’à cela ne tienne, il y aura toujours des gros crosseurs qui défendront continuellement des politiques économiques, sociales et fiscales qui profitent principalement au monde extraordinaire et qui appauvrissent encore plus le monde ordinaire, comme l’Institut C.D. Howe de Toronto, un organisme patronal, dont le titre de cet article de La Presse du 30 janvier 1996 illustre très bien sa véritable nature : «C.D. Howe préconise le remplacement des régimes de rentes d’État par des REER» et aussi comme cet économiste de service à l’école des Hautes études commerciales qui a dit ceci dans La Presse du 2 mai 1996 et dont le journaliste Maurice Jannard en a fait le titre de son article : «Les régimes publics de pension devront être moins généreux». Des petites gens qui font vomir. Et je vous ai gardé pour la fin une perle d’ignorance et de mépris provenant de Jon Cockerline de l’Association des courtiers en valeurs mobilières (ACCOVAM) reproduite dans Le Journal de Montréal du 9 novembre 2002 sous la plume du journaliste Sébastien Ménard, portant le titre de : «Hausse du plafond REER réclamée». Au premier paragraphe ont peut lire ceci : «Les mieux-nantis (sic) de la société devraient pouvoir contribuer annuellement à leur REER deux fois plus (sic) qu’ils ne peuvent le faire actuellement estime l’ACCOVAM». Et puis, dans l’article, Jon Cockerline lâche le morceau suivant, signe de son ignorance crasse et qu’il nous prend vraiment pour des valises et des grosses en plus de ça : «Reconnaissant que cette hausse profitera surtout aux personnes les mieux nantis de la société (sic), M. Cockerline indique cependant qu’elle ne pénalisera aucunement les plus petits épargnants (sic)». Des REER et des RPA qui coûtent déjà 20 milliards$ par année au fédéral et 4 milliards$ par année au Québec ne coûteront rien de plus à personne que d’augmenter le plafond annuel à 27 000$ comme le souhaite le monsieur et son organisme. Et comme si ce n’était pas assez comme arnaque fiscale, il y a aussi le plan de retraite individuel (PRI), qui comme il est signalé dans la revue des comptables agrées du mois de janvier 2004, s’assimile à un REER mais est beaucoup généreux fiscalement et s’adresse non pas aux nantis mais bel et bien aux «bien nantis» tel que mentionné dans l’article et qui peut donner droit à une cotisation annuelle maximale de 158 873$ au cadre supérieur. Pancho, va me chercher ma bouteille de rhum cubain avant que je pique une autre crise.