Ah, c`est dur la vie !

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Ah, c`est dur la vie !
Ah, c’est dur la vie !
« Ce soir, dans votre ville, je serais le maitre absolu. Ce soir, dans votre ville, mon
pouvoir va vous mettre à mes pieds. Ce soir, dans votre ville, je vous tiendrai dans le creux
de ma main. Ce soir, dans votre ville, Le cirque, mon cirque, s’arrête et Auguste le clown
[moi], prends le contrôle de vos esprits.
Qui parmi vous n’a jamais rêvé d’être clown, ou acrobate, ou écuyer, ou dompteur,
ou Monsieur Loyal, ou simplement de repriser des costumes, si c’est pour vivre dans nos
roulottes colorées, de cuisiner sur un feu de bois, et de faire chaque soir rêver un public, son
public ?
Très bien. Ça, c’est vos rêves. Ma réalité, la réalité, est bien différente. Les roulottes
rouge et jaunes tirées par de lourds percherons ont laissé la place à des camping-cars ou à
des caravanes tirées par de superbes voitures tous terrains. Les nuits étoilées autour d’un
feu de bois se sont transformées en mauvais feuilleton américain regardé sur un écran plat.
Même vous, vous avez changé. Notre public était ébahi quand une colombe jaillissait de la
manche du magicien, ou quand un chien faisait un salto. Aujourd‘hui, les petits enfants
cherchent d’où proviennent les plumes du sillage du Maître, et les autres replongent dans
leur I-phone dernière génération dès que les lions paraissent.
Cependant, moi, Auguste, j’exerce toujours le même pouvoir. Mes tours ne varient
pas, et cependant vous font rire. Dès que j’entre sur la piste, on éteint les portables, on se
tait et on se prépare à rire. Je suis et reste une vedette universelle et intemporelle.
Eh, bien, je vous l’annonce, j’en ai assez. Pourquoi devrais-je être toujours aussi
drôle ? On rit de moi. Etre clown n’a rien d’attrayant. Et, quand je rencontre une jolie fille, au
deuxième rendez vous la question tombe :
« Tu fais quoi dans la vie ?
-Je… Je suis clown. »
Fin de la relation. Ah, ouais, un clown, c’est sympa, marrant, quoique sortit du chapiteau,
autant aller regarder Gad Elmaleh, c’est pareil voire mieux ! Mais, c’est pas sérieux, une
relation avec un clown, non mais t’es folle, t’as vu ce qu’il gagne, et puis il peut perdre son
contrat, et t’es tellement sympa que tu pourras pas lui refuser de lui prêter de l’argent, et…
Ras le bol des meilleures copines pleines de conseils ! Pff…
Au fond, un clown, qu’est ce que c’est ? Un homme comme les autres, sorti d’un
siècle passé, qui s’accroche à un rêve le coupant de toute existence normale ? Un poète
incompris et malmené par la vie ?
Je n’ai jamais voulu être clown. On ne m’a pas laissé le choix. Dans ma famille, on
travaille au cirque. Ma famille est le cirque. Déjà, ma sœur a épousé un banquier et est
actuellement prof de maths dans un lycée, mère de deux enfants. Je n’ai jamais vu mes
neveux. Si j’avais écouté mes rêves, ma mère en serai morte de chagrin. Ses deux enfants, la
quittant, quittant le cirque, et même pas pour un autre directeur offrant un salaire plus
élevé ! Mon Dieu quelle horreur !
Le cirque est un cycle vicieux. Quand on y met un doigt, ne serait-ce que celui de la
famille et du destin, on se retrouve entrainé.
Mon rêve, c’est d’être directeur de banque.
Vous voyez, être clown est un véritable supplice.
Quoi ? Vous voulez prendre ma place ? Après tout ce que je vous ai dit ? Vous êtes
banquier ? Et vous voulez être clown ? É…échanger nos places ? Quoi ??Mais…mais non,
je…J’aime le cir…quoi ? Vous êtes malade ? Vivre en ville ? Dire adieu à mon camping-car et à
mon écran plat ? Je… mais j’ai un contrat, moi ! Vous céder mon poste ? Hors de
question !!Mon métier est le plus beau du monde !! Devenir banquier ? Quelle idée ridicule
et totalement… Qu’est-ce qui ne va pas ? Vous pleurez ? Mais… je… enfin, voyons, vous êtes
un grand garçon, quand même ! Quoi ? C’est votre femme ? Ah. Ok. Vous voulez la fuir ? Je
comprends. Je vais vous confier un secret : j’ai fait pareil il y a cinq ans. Non, mes parents
n’ont jamais travaillé au cirque. Pourquoi je vous ai raconté tout ça ? Eh… j’avais peur qu’on
me pique mon poste. Hein ?euh une minute. Entrez ! Vous êtes… MURIEL !!!Mais…Qu’est ce
que tu fais ici ? Tu…euh…n’as pas changé en cinq ans… Quoi ? Tu n’es pas là pour moi ?
Mais…Ah ! Pour lui ! Le banquier…c’est ton nouveau mari ? Ah c’est…euhm inattendu. Euh,
je vous laisse vous débrouiller, je dois, euhm, entrer en piste. Oui oui on se retrouve à la fin,
bien sur ! Des… explications ? Oui oui oui, d’accord, pas de problème. »
« L’Auguste !!Grouille-toi !! C’est qui cette bonne femme, là, les visites c’est à la fin
du spectacle ! Eh !!Réponds-moi ! Où tu vas ? »
Sans un mot, le clown sortit du chapiteau, une mimique affolée sur le visage. Il sauta
dans sa voiture et démarra à toute vitesse. En haut de la côte il s’arrêta, et un autre homme
monta à côté de lui, laissant tomber un badge d’accès aux coffres d’une banque.

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