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La surtaxation du capital en France DiDier MaillarD Professeur au Cnam La mise à contribution du « capital » au financement de diverses causes s’est intensifiée et le mouvement semble devoir se poursuivre : après le RSA, bientôt les retraites et la résorption du déficit public. Dans ce contexte, il est utile de faire un point de la situation actuelle en termes de niveau réel de prélèvement sur l’épargne et le patrimoine. Une fois ce constat réalisé, il paraît nécessaire de voir comment pourrait ou devrait évoluer la taxation du capital en se souvenant qu’une taxation trop forte créé toute une industrie du contournement de l’impôt qui finit par devenir parasitaire. L a taxation du capital est aujourd’hui très lourde en France, souvent confiscatoire (en ce sens qu’après impôts l’épargnant est appauvri, et non pas enrichi par son épargne, et que donc l’impôt ampute non seulement le revenu de la propriété mais encore sa substance même). La surtaxation du capital a des effets négatifs importants, qui ne se concrétisent que progressivement. Elle pose en outre problème au regard du respect du droit et de l’éthique. Elle est enfin un facteur à prendre en compte par l’industrie de la gestion de patrimoine et de la gestion d’actifs et du conseil dans ces domaines : si les produits de placement à motivation fiscale ont souvent constitué des pièges pour les épargnants, et s’il faut bien continuer à ne pas retenir l’argument fiscal au premier rang dans les choix d’investissements et de placements, l’ingénierie fiscale n’en est pas moins souvent en situation de créer plus de valeur (pour l’épargnant, sinon pour la collectivité) qu’une bonne gestion financière. 1 er trimestre 2011 • 75 Politiques Publiques Quelques définitions nécessaires Faut-il parler de taxation de l’épargne, de taxation du patrimoine, de taxation du capital (on évite soigneusement de parler de taxation de l’investissement) ? Derrière ces vocables se cache en fait une même et unique réalité. L’épargne est la partie du revenu qui n’est pas immédiatement consommée. C’est un flux, que l’on peut mesurer à l’échelle de l’année, du trimestre, du mois, etc. Elle est employée à financer, directement ou indirectement au travers de placements, l’investissement (l’épargne des uns sert aussi à financer la désépargne d’autres). Mais il y a fondamentalement égalité l’épargne et l’investissement.1 Taxer l’épargne, c’est taxer l’investissement et taxer l’investissement, c’est taxer l’épargne. L’accumulation des strates d’épargnes constituées dans le temps donne le patrimoine. L’accumulation des strates d’investissements (qui sont au bout du compte des acquisitions de biens non destinés à la consommation immédiate et à la satisfaction que cela procure, mais à être utilisés pour produire d’autres biens et services) donne le capital productif. Taxer le capital, c’est taxer le patrimoine ; taxer le patrimoine, c’est taxer le capital2. Il faut enfin noter que l’épargne est formée à partir du revenu, puisqu’elle en constitue la partie non consommée. Or le revenu s’obtient dans nos sociétés par le travail, salarié et non salarié, immédiat ou différé au travers des pensions contributives. Au bout du compte, le patrimoine et le capital ne sont pas autre chose que du concentré de travail3. Les régimes d’imposition du rendement du capital Le patrimoine et le capital sont imposés selon plusieurs modalités : il existe des taxes périodiques sur la valeur du patrimoine ou du capital, des taxes sur la transmission 1. On ne retrouve pas cette égalité au strict niveau d’un pays, car une épargne intérieure peut financer un investissement à l’étranger, et vice versa. 2. Il arrive fréquemment que l’épargnant, ou le détenteur de patrimoine, soit établi dans un pays et qu’une partie de ses investissements, et le capital correspondant, soient localisés dans un autre pays. L’épargnant aura à subir une combinaison de prélèvements dans les deux juridictions. 3. Pour une personne donnée, une partie du patrimoine peut provenir de l’héritage, c’est-à-dire du revenu non consommé des ascendants. Savoir si cette origine doit faire l’objet d’un traitement fiscal différent est une question souvent posée. La réponse à cette question relève de l’existence, et du poids, de la fiscalité des successions. 76 • Sociétal n°71 La surtaxation du capital en France d’une génération à la suivante, et des taxes sur les transactions lorsque les placements sont réalloués. Et il existe par ailleurs des taxes directement assises sur le rendement du capital. Toutes ces taxes ajoutent leurs effets. Le rendement du capital peut s’exprimer de deux façons : par un flux, qui portera alors la qualification de « revenu du capital », ou par une plus-value, c’est-à-dire une appréciation du placement ou de l’investissement depuis l’origine. Dans les revenus figurent les intérêts, les dividendes, les loyers. Les deux expressions du rendement sont économiquement équivalentes : si l’on ne souhaite pas recevoir de flux d’un placement ou d’un investissement qui en produit, on peut toujours réinvesAvant 1975, tir ces flux jusqu’au terme souhaité. Et si l’on souhaite les plus-values recevoir des flux d’un placement ou d’un investissement n’étaient pas qui n’en produit pas, à des fins de consommation, on imposées en France. Depuis, peut toujours en céder une fraction. l’imposition du rendement est Aujourd’hui, les deux expressions du rendement font devenue la règle. l’objet d’une imposition, ce qui n’a pas toujours été le cas. Avant 1975 en France, les plus-values n’étaient pas imposées (Il existe encore aujourd’hui des pays n’imposant pas les plus-values). Et une large part des placements échappaient à l’impôt sur le rendement. L’exemple le plus marquant est l’assurance vie (qui en outre échappait à toute imposition sur les successions). L’imposition du rendement est devenue la règle. Seuls quelques placements, comme le livret A, voient leur rendement échapper à toute imposition, mais avec des contraintes : un plafond, ou des règles d’utilisation des fonds comme les PEL conduisant normalement à un rendement avant impôt plus faible (ce qui n’a cependant pas été constaté ces deux dernières années avec le livret A, dont le rendement a largement dépassé celui des placements monétaires de marché). Quant aux plus-values, elles bénéficiaient jusqu’à il y a peu d’une exonération, sous un plafond en termes de cessions annuelles. Mais ce plafond a été fortement réduit et ne concerne pas les prélèvements sociaux. Il devrait même tomber à zéro prochainement. On appellera le régime 0 ce régime d’exonération fiscale totale du rendement, minoritaire et en voie d’extinction. Et on recensera les régimes d’imposition selon leur degré de sévérité. 1 er trimestre 2011 • 77 Politiques Publiques Le régime d’imposition dépend de la nature du placement ou de l’investissement (actions, obligations, immobilier, etc.) mais aussi de l’enveloppe dans laquelle le placement ou investissement est détenu (en direct, dans un fonds mutuel, dans un bon de capitalisation, un contrat d’assurance vie). Il existe donc une grande multiplicité de régimes d’imposition. Nous nous intéresserons à cinq d’entre eux, qui sont à nos yeux représentatifs de la palette. Il existe une grande multiplicité de régimes d’imposition en fonction de la nature du placement ou de l’investissement. Le régime 1 concernera les rendements qui sont exonérés de prélèvements fiscaux mais supportent les prélèvements sociaux, aujourd’hui de 12,1 % (il faut noter qu’il n’y a rien de contributif dans ce prélèvement, qui n’apporte aucun droit à celui qui le paie ; il s’agit économiquement, malgré la dénomination de prélèvements sociaux, d’un pur impôt). Ce régime s’applique aux produits d’épargne logement, à l’assurance vie sous un certain plafond, ainsi qu’aux placements producteurs de revenus détenus pas des épargnants non soumis à l’impôt sur le revenu. Le régime 2 est le régime de référence des contrats d’assurance vie, avec un prélèvement fiscal aujourd’hui de 7,5 % venant s’ajouter au prélèvement social, soit au total 19,6 %. Le régime 3 est le régime du prélèvement libératoire commun, fixé aujourd’hui à 18 %, auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux, aboutissant à 30,1 %. C’est également le régime commun d’imposition des plus-values mobilières. Les plus-values immobilières sont imposées, à un taux un peu plus faible (16 %), après un abattement dépendant du nombre d’années de détention (les plus-values sur la résidence principale sont exonérées). Comme illustration du poids fortement croissant de la fiscalité du capital, on pourra noter que le taux du prélèvement libératoire commun a doublé en vingt ans : s’il est de 30,1 % en 2010, il était de 15 % en 1990. Le régime applicable aux loyers est celui de l’impôt sur le revenu, compris entre 0 et 40 %, auxquels s’ajoutent là encore les prélèvements sociaux. Dans ce cas toutefois, une partie de ces prélèvements sociaux (5,1 %) est déductible de l’impôt sur le revenu. Dans le cas d’un épargnant non imposable, on se retrouve dans le régime 78 • Sociétal n°71 La surtaxation du capital en France 1. Dans le cas d’un épargnant imposé au taux maximum sur les loyers, qui correspondra au régime 4, le taux d’imposition effectif est de 50,06 % (12,1 % + 40 % × (1-5,1 %)). Enfin, le régime applicable aux dividendes est soit l’imposition, après un abattement de 40 %, sur le revenu, soit le prélèvement libératoire commun, avec application dans les deux cas des prélèvements sociaux. Le régime du prélèvement libératoire sera la plupart du temps moins défavorable. Mais les dividendes sont distribués à partir de bénéfices ayant subi auparavant l’impôt sur les sociétés, dont le taux de droit commun est de 33 1/3 %. Cette double imposition était atténuée naguère par le mécanisme de l’avoir fiscal, qui a disparu et a été remplacé, dans le cas de l’imposition sur le revenu, par l’abattement de 40 %. Au total, l’imposition à l’impôt sur les sociétés, au prélèvement libératoire commun et aux prélèvements sociaux conduit à une imposition de 53,4 % (1/3 + 2/3 de 30,1 %). Ce sera le taux du régime 5, qui s’applique aux dividendes mais aussi aux plus-values sur actions4. Aujourd’hui, l’imposition Il faut noter que les conséquences d’un impôt à un taux du rendement déterminé sur le passage du rendement brut (nominal) du capital est d’un placement ou investissement à son rendement net très défavorable aux investisseurs (nominal) dépend – certes modérément – du timing de acceptant de l’imposition : il vaut mieux que l’imposition intervienne prendre un le plus loin possible dans le temps pour l’épargnant5. risque. Il faut noter aussi que l’imposition du rendement du capital est dissymétrique, ce qui est très désavantageux pour les investisseurs acceptant de prendre un risque. Lorsque l’investissement se révèle un succès, le bénéfice, le revenu, ou la plus-value sont taxés au taux en vigueur. Lorsque l’investissement se révèle perdant, la perte, ou la moinsvalue, sont au mieux imputables sur des gains ou plus-values entrant dans la même catégorie fiscale ; ils sont, dans une situation intermédiaire, reportables en déduction de gains ou de plus-values entrant dans la même catégorie ; et ils sont au pire non déductibles et non reportables. 4. Sur longue période, et en moyenne, on peut considérer que la valorisation des entreprises suit les bénéfices après impôt non distribués. 5. Voir « Finance et impôt », Document de Recherche n° 24 de la chaire de Banque du Cnam, disponible sur www. cnam.fr/deg/banque. 1 er trimestre 2011 • 79 Politiques Publiques Le système fiscal taxe ainsi au taux plein les rendements positifs, et ne rembourse pas immédiatement, ou rembourse avec retard ce qui conduit à une moindre valeur actuarielle, le produit du taux de l’impôt par la perte ou la moins-value. L’« espérance » du taux effectif d’imposition (la moyenne pondérée en fonction de la distribution attendue des gains et des pertes) est ainsi supérieure, d’un peu ou de beaucoup, au taux facial6. Le rôle majeur de l’inflation Tout placement ou investissement génère des flux qui reviennent à l’épargnant. Le total des flux reçus, qui arrivent plus tard dans le temps, excède normalement la valeur de l’investissement : le rendement est alors positif. Le principe de la taxation du rendement est d’imposer cet excédent du cumul des flux par rapport à l’investissement, sous forme de revenu du capital en cours de vie ou de plus-value au terme. L’idée est que l’épargnant s’est enrichi de cet excédent sur la période, et que l’enrichissement doit être soumis à l’impôt. En France, la taxation effective du rendement réel est bien supérieur au taux d’imposition facial. En réalité, une partie de cet enrichissement est fictif, car les flux reçus ont un pouvoir d’acheter des biens et services qui décline avec le temps, du fait de l’inflation. L’excédent réel est plus faible, le taux de rendement réel de l’investissement ou du placement est inférieur au taux de rendement nominal. En France (et dans la plupart des autres pays), c’est l’excédent nominal, et donc le taux de rendement nominal qui est frappé. Il en résulte une taxation effective du rendement réel bien supérieure à ce qui ressort de la considération du taux d’imposition facial. Pour illustrer ce point, supposons un taux d’imposition facial de 20 %. Un taux de rendement (annuel) de 3 % correspond, avec un taux d’inflation de 2 %, à un taux de 6. Le fait de pas rembourser immédiatement en cas de perte ou de moins-value atténue l’impact de la conjoncture des marchés financiers (et immobilier éventuellement) sur les recettes publiques tirées de la taxation du capital, mais elles n’en demeurent pas moins très sensibles à cette conjoncture. On peut s’interroger sur la pertinence de faire reposer le financement de systèmes sociaux sur ce type de recettes. 80 • Sociétal n°71 La surtaxation du capital en France rendement réel de 1 %7. Après impôt, le taux de rendement nominal est de 2,4 % (3 % - 0,2 × 3 %). Le taux de rendement réel après impôt est de 0,4 %. Le taux d’imposition effectif du rendement réel est donc de 60 %, trois fois supérieur au taux facial ! L’exemple cité est conforme à la règle commune, et ne constitue pas une exception. Il est difficile d’attendre sur longue période un taux d’inflation annuel inférieur à 2 %. La Banque centrale européenne définit son objectif de stabilité des prix comme une hausse annuelle de l’ordre de 2 %. C’est presque exactement ce qu’elle a livré pendant ses dix premières années d’existence. Pour l’avenir, on peut toujours évoquer une perspective de déflation ou au contraire un retour de l’inflation8. Si l’on regarde le passé, l’inflation moyenne sur le siècle écoulé a été proche de 10 % en France, et a même atteint 2,5 % dans l’exemplaire Suisse. Les vertueuses Banques centrales allemande et suisse ont laissé l’inflation s’installer à près de 4 % en moyenne sur la période 1973-1992. Un taux réel de 1 % à 1,5 % correspond à ce qu’il est possible d’attendre d’un placement à risque très limité (il est difficile aujourd’hui d’affirmer d’un placement qu’il est absolument sans risque !), comme un placement monétaire ou une obligation indexée sur les prix émise par un État solide. Quant aux placements risqués, on peut en attendre un supplément de rendement, au prix du risque assumé. Il a paru raisonnable dans notre étude sur longue période de limiter à 5-6 % le rendement réel brut qu’il est possible d’attendre sur des placements d’un risque comparable à celui d’un portefeuille d’actions. Sur longue période, le rendement des placements est, en moyenne, encadré par le rendement « économique »9 qu’il est possible d’obtenir sur le capital productif. Pour une économie arrivée à maturité voire vieillissante comme l’économie française, ce rendement (réel brut) atteint 2-2,5 %10, en ligne avec ce que laisse attendre la « règle d’or de la croissance ». Si des placements peu risqués permettent d’obtenir 1-1,5 %, on voit que pour les placements risqués il est difficile de dépasser 3-4 % de rendement réel brut. 7. À peu de choses près : rendements et inflation se composent, et ne s’ajoutent pas (voir Finance et impôt, document cité). L’écart est minime dans cet exemple. 8. Voir « Placements monétaires : risque et rendement », Document de recherche de la chaire de Banque du Cnam, disponible sur www.cnam.fr/deg/banque 9. Rapport entre l’excédent brut d’exploitation, corrigé de la consommation de capital (amortissements) et de la part rémunérant le travail non salarié, au capital productif. 10. Voir « Le partage de la richesse produite entre travail et capital », Rémy Prud’Homme, Commentaire n° 128, Hiver 2009-2010. 1 er trimestre 2011 • 81 Politiques Publiques Le tableau ci-après donne, pour les 5 régimes d’imposition retenus, la relation entre le rendement réel net et le rendement réel brut. RENDEMENT RÉEL NET Rendement réél brut Régime Taux facial 1% 2% 3% 4% 5% 6% 1 12,10 % 0,64 % 1,52 % 2,40 % 3,28 % 4,16 % 5,04 % 2 19,60 % 0,42 % 1,22 % 2,03 % 2,83 % 3,64 % 4,44 % 3 30,10 % 0,11 % 0,81 % 1,51 % 2,21 % 2,90 % 3,60 % 4 50,06 % - 0,48 % 0,02 % 0,52 % 1,02 % 1,52 % 2,01 % 5 53,40 % - 0,58 % - 0,12 % 0,35 % 0,82 % 1,28 % 1,75 % Il est possible d’en déduire un taux effectif d’imposition, celui qui fait passer du rendement réel brut au rendement réel net. Les taux effectifs d’imposition qui en résultent sont donnés dans le tableau suivant. TAUX D’IMPOSITION EFFECTIF Rendement réél brut Régime Taux facial 1% 2% 3% 4% 5% 6% 1 12,10 % 35,80 % 23,96 % 20,01 % 18,03 % 16,85 % 16,05 % 2 19,60 % 58,03 % 38,82 % 32,41 % 29,21 % 27,29 % 26,01 % 3 30,10 % 89,12 % 59,61 % 49,77 % 44,85 % 41,90 % 39,94 % 4 50,06 % 148,22 % 99,14 % 82,78 % 74,60 % 69,69 % 66,42 % 5 53,40 % 158,11 % 105,75 % 88,30 % 79,58 % 74,34 % 70,85 % Ces taux s’appliquent au rendement réel et résultent des seuls impôts sur les revenus du capital et les plus-values. En fait, il est possible de montrer que, au premier ordre, l’imposition du rendement nominal revient à la superposition d’une imposition du rendement réel au taux facial et d’un impôt annuel sur le patrimoine dont le taux serait le produit du taux facial et du taux d’inflation. Les deux impositions érodent le rendement réel et le font parfois passer en terrain négatif. Ce ne sont pas les seuls impôts qui érodent le rendement réel. Les impôts annuels explicites sur le patrimoine ou le capital vont diminuer encore le rendement réel pour l’épargnant. Il en va ainsi de l’impôt sur la fortune (ISF) pour les personnes physiques qui y sont soumises. Il peut, dans le cas de patrimoines élevés, ôter jusqu’à 82 • Sociétal n°71 La surtaxation du capital en France 1,8 % de rendement annuel. Il y a peu de configurations où avec un tel prélèvement le rendement réel reste positif, ce qui donne une caractéristique indéniablement confiscatoire au système. Sur les actifs immobiliers, la taxe foncière constitue un impôt annuel qui va réduire le rendement. La taxe professionnelle, assise sur la valeur comptable des immobilisations des entreprises, était une imposition annuelle sur le capital. Le dispositif de remplacement, avec une taxe foncière et une contribution sur la valeur ajoutée (qui comprend la rémunération du capital et les amortissements), constitue une taxe sur le rendement et une taxe annuelle sur le capital, qui va réduire le rendement des investissements. Quelle taxation ? Après ces considérations d’économie positive, quelles préconisations mettre en avant dans un cadre d’économie normative ? Le patrimoine et le capital doivent-ils être taxés, tout d’abord ? La réponse, sur le plan économique et sur le plan de l’équité, n’est pas évidemment positive. L’épargne s’est constituée sur un revenu qui a subi l’impôt (et, en France, toutes les cotisations et contributions afférentes). Est-il juste de taxer plus lourdement ceux qui diffèrent la consommation de leur revenu que ceux qui le consomment immédiatement, même si – et c’est Il n’est pas le principe de l’épargne – le fait de différer leur apporte forcément juste normalement in fine un peu plus de consommation ? de taxer plus lourdement ceux qui diffèrent la Sur le plan économique, la taxation du patrimoine et du consommation capital n’est pas anodine, même si, par la nature même de leur revenu du processus d’investissement, les effets peuvent être que ceux qui le consomment longs à se faire sentir. Au niveau individuel, l’impact sur immédiatement. l’épargne d’un alourdissement de sa fiscalité n’est pas évident, du fait de la concurrence entre un effet substitution (épargner devient moins avantageux car on obtient moins de pouvoir d’achat futur pour une renonciation immédiate à la consommation) et un effet revenu (pour s’assurer un niveau de consommation futur donné, il faut davantage épargner) (C’est le célèbre arbitrage entre l’effet Mundell Tobin et l’effet Pigou…). 1 er trimestre 2011 • 83 Politiques Publiques Le bouclage économique efface l’effet revenu et il reste globalement moins d’épargne, donc à terme moins de capital, une augmentation de la rémunération brute du capital, une baisse de la productivité du travail et une baisse des salaires (certains modèles d’équilibre général aboutissent d’ailleurs à la conclusion que la taxation du capital est la pire de toutes les taxations envisageables). L’ouverture des économies est de nature à accélérer les réponses à une aggravation de la taxation du capital et du patrimoine. Le patrimoine n’est certes pas facilement délocalisable, car cela nécessite la délocalisation du détenteur, mais il n’est pas entièrement captif. Et le pari qui consisterait à se reposer sur l’épargne étrangère pour financer un capital productif national a révélé en maintes occasions ses effets pervers. Quelles que soient ses motivations, quel que soit son horizon, l’objectif d’un épargnant est que la transformation d’un renoncement immédiat en une consommation future soit la plus efficace possible, c’est-à-dire que le rendement réel après impôt soit le plus élevé possible pour un risque raisonnable. Il y a deux maillons importants dans la chaîne de la gestion de patrimoine, que celle-ci soit le fait de l’épargnant luimême ou des professionnels qui l’assistent : • la gestion financière, ou, de manière plus moderne, la gestion d’actifs ou de portefeuille, dont l’objectif est d’obtenir le meilleur rendement brut d’impôt pour un niveau de risque donné ; • la gestion de la fiscalité, l’ingénierie fiscale, dont la finalité est de limiter l’écart entre rendement brut et rendement net. Contrairement à la gestion financière qui vise à obtenir le meilleur rendement brut d’impôt pour un risque donné, la gestion de la fiscalité n’apporte pas de bénéfice collectif. 84 • Sociétal n°71 Quand cet écart s’apparente à une crevasse voire à un gouffre, il est optimal d’allouer plus de ressources au deuxième maillon qu’au premier. Or la gestion de la fiscalité n’apporte pas de bénéfice collectif, alors que la gestion financière, en participant à l’allocation du capital dans l’économie, a une utilité sociale en plus de l’utilité privée. Si taxation du capital il y a, elle devrait donc être simple et modérée. Elle ne doit pas passer par l’impôt progressif sur le revenu, qui englobe l’imposition du travail et du capital, car il n’y a aucune raison pour que le trans- La surtaxation du capital en France fert de pouvoir d’achat vers le futur soit plus pénalisé pour un travailleur qualifié bien rémunéré que pour un travailleur peu qualifié. Il n’est pas exclu de donner une certaine progressivité en fonction du patrimoine, mais cela passe (comme c’est le cas aujourd’hui de façon imparfaite) par une quotité de revenus et plus-values non imposable. Le prélèvement libératoire (sur les revenus et les plus-values) devrait idéalement être unifié (il ne devrait pas en revanche y avoir d’imposition supplémentaire pour les dividendes et plus-values sur actions émanant d’entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés). Il devrait : • être calculé sur un revenu réel (pour un coupon d’intérêt) et une plus-value réelle, et être fixé à un niveau non confiscatoire (au maximum 50 %, dans l’esprit du bouclier fiscal) ; • être calculé sur un revenu nominal, ou des plus-values nominales, comme aujourd’hui, mais son taux devrait être fixé de sorte qu’en rythme de croisière, avec une inflation de l’ordre de 2 %, il ne soit pas confiscatoire pour un placement de risque moyen rapportant le rendement réel moyen du capital. Un taux de 20 % (tout compris) apparaît un maximum Avec des taux d’imposition du rendement réel à ces limites, il n’y pas de place pour des impôts annuels sur le patrimoine, comme l’ISF. 1 er trimestre 2011 • 85