Télécharger l`article - Institut de l`entreprise

Transcription

Télécharger l`article - Institut de l`entreprise
La surtaxation
du capital en France
DiDier MaillarD
Professeur au Cnam
La mise à contribution du « capital » au financement de diverses causes s’est
intensifiée et le mouvement semble devoir se poursuivre : après le RSA, bientôt les
retraites et la résorption du déficit public. Dans ce contexte, il est utile de faire un point
de la situation actuelle en termes de niveau réel de prélèvement sur l’épargne et le
patrimoine. Une fois ce constat réalisé, il paraît nécessaire de voir comment pourrait
ou devrait évoluer la taxation du capital en se souvenant qu’une taxation trop forte
créé toute une industrie du contournement de l’impôt qui finit par devenir parasitaire.
L
a taxation du capital est aujourd’hui très lourde en France, souvent confiscatoire (en ce sens qu’après impôts l’épargnant est appauvri, et non pas
enrichi par son épargne, et que donc l’impôt ampute non seulement le
revenu de la propriété mais encore sa substance même).
La surtaxation du capital a des effets négatifs importants, qui ne se concrétisent que
progressivement.
Elle pose en outre problème au regard du respect du droit et de l’éthique.
Elle est enfin un facteur à prendre en compte par l’industrie de la gestion de patrimoine et de la gestion d’actifs et du conseil dans ces domaines : si les produits de
placement à motivation fiscale ont souvent constitué des pièges pour les épargnants,
et s’il faut bien continuer à ne pas retenir l’argument fiscal au premier rang dans les
choix d’investissements et de placements, l’ingénierie fiscale n’en est pas moins souvent en situation de créer plus de valeur (pour l’épargnant, sinon pour la collectivité)
qu’une bonne gestion financière.
1
er
trimestre
2011
• 75
Politiques Publiques
Quelques définitions nécessaires
Faut-il parler de taxation de l’épargne, de taxation du patrimoine, de taxation du
capital (on évite soigneusement de parler de taxation de l’investissement) ? Derrière
ces vocables se cache en fait une même et unique réalité.
L’épargne est la partie du revenu qui n’est pas immédiatement consommée. C’est un
flux, que l’on peut mesurer à l’échelle de l’année, du trimestre, du mois, etc. Elle est
employée à financer, directement ou indirectement au travers de placements, l’investissement (l’épargne des uns sert aussi à financer la désépargne d’autres). Mais il y a
fondamentalement égalité l’épargne et l’investissement.1 Taxer l’épargne, c’est taxer
l’investissement et taxer l’investissement, c’est taxer l’épargne.
L’accumulation des strates d’épargnes constituées dans le temps donne le patrimoine.
L’accumulation des strates d’investissements (qui sont au bout du compte des acquisitions de biens non destinés à la consommation immédiate et à la satisfaction que
cela procure, mais à être utilisés pour produire d’autres biens et services) donne le
capital productif. Taxer le capital, c’est taxer le patrimoine ; taxer le patrimoine, c’est
taxer le capital2.
Il faut enfin noter que l’épargne est formée à partir du revenu, puisqu’elle en constitue
la partie non consommée. Or le revenu s’obtient dans nos sociétés par le travail, salarié
et non salarié, immédiat ou différé au travers des pensions contributives. Au bout du
compte, le patrimoine et le capital ne sont pas autre chose que du concentré de travail3.
Les régimes d’imposition du rendement du capital
Le patrimoine et le capital sont imposés selon plusieurs modalités : il existe des taxes
périodiques sur la valeur du patrimoine ou du capital, des taxes sur la transmission
1. On ne retrouve pas cette égalité au strict niveau d’un pays, car une épargne intérieure peut financer un investissement à l’étranger, et vice versa.
2. Il arrive fréquemment que l’épargnant, ou le détenteur de patrimoine, soit établi dans un pays et qu’une partie
de ses investissements, et le capital correspondant, soient localisés dans un autre pays. L’épargnant aura à subir une
combinaison de prélèvements dans les deux juridictions.
3. Pour une personne donnée, une partie du patrimoine peut provenir de l’héritage, c’est-à-dire du revenu non
consommé des ascendants. Savoir si cette origine doit faire l’objet d’un traitement fiscal différent est une question
souvent posée. La réponse à cette question relève de l’existence, et du poids, de la fiscalité des successions.
76 • Sociétal n°71
La surtaxation du capital en France
d’une génération à la suivante, et des taxes sur les transactions lorsque les placements
sont réalloués. Et il existe par ailleurs des taxes directement assises sur le rendement
du capital. Toutes ces taxes ajoutent leurs effets.
Le rendement du capital peut s’exprimer de deux façons : par un flux, qui portera
alors la qualification de « revenu du capital », ou par une plus-value, c’est-à-dire une
appréciation du placement ou de l’investissement depuis l’origine. Dans les revenus
figurent les intérêts, les dividendes, les loyers.
Les deux expressions du rendement sont économiquement équivalentes : si l’on ne
souhaite pas recevoir de flux d’un placement ou d’un
investissement qui en produit, on peut toujours réinvesAvant 1975,
tir ces flux jusqu’au terme souhaité. Et si l’on souhaite
les plus-values
recevoir des flux d’un placement ou d’un investissement
n’étaient pas
qui n’en produit pas, à des fins de consommation, on
imposées en
France. Depuis,
peut toujours en céder une fraction.
l’imposition du
rendement est
Aujourd’hui, les deux expressions du rendement font
devenue la règle.
l’objet d’une imposition, ce qui n’a pas toujours été le cas.
Avant 1975 en France, les plus-values n’étaient pas imposées (Il existe encore aujourd’hui des pays n’imposant pas les plus-values). Et une large
part des placements échappaient à l’impôt sur le rendement. L’exemple le plus marquant est l’assurance vie (qui en outre échappait à toute imposition sur les successions).
L’imposition du rendement est devenue la règle. Seuls quelques placements, comme le
livret A, voient leur rendement échapper à toute imposition, mais avec des contraintes :
un plafond, ou des règles d’utilisation des fonds comme les PEL conduisant normalement à un rendement avant impôt plus faible (ce qui n’a cependant pas été constaté
ces deux dernières années avec le livret A, dont le rendement a largement dépassé celui
des placements monétaires de marché).
Quant aux plus-values, elles bénéficiaient jusqu’à il y a peu d’une exonération, sous un
plafond en termes de cessions annuelles. Mais ce plafond a été fortement réduit et ne
concerne pas les prélèvements sociaux. Il devrait même tomber à zéro prochainement.
On appellera le régime 0 ce régime d’exonération fiscale totale du rendement, minoritaire et en voie d’extinction. Et on recensera les régimes d’imposition selon leur
degré de sévérité.
1
er
trimestre
2011
• 77
Politiques Publiques
Le régime d’imposition dépend de la nature du placement ou de l’investissement
(actions, obligations, immobilier, etc.) mais aussi de l’enveloppe dans laquelle le placement ou investissement est détenu (en direct, dans un fonds mutuel, dans un bon
de capitalisation, un contrat d’assurance vie). Il existe donc une grande multiplicité
de régimes d’imposition. Nous nous intéresserons à cinq d’entre eux, qui sont à nos
yeux représentatifs de la palette.
Il existe
une grande
multiplicité
de régimes
d’imposition
en fonction de
la nature du
placement ou de
l’investissement.
Le régime 1 concernera les rendements qui sont exonérés
de prélèvements fiscaux mais supportent les prélèvements
sociaux, aujourd’hui de 12,1 % (il faut noter qu’il n’y a
rien de contributif dans ce prélèvement, qui n’apporte
aucun droit à celui qui le paie ; il s’agit économiquement,
malgré la dénomination de prélèvements sociaux, d’un
pur impôt). Ce régime s’applique aux produits d’épargne
logement, à l’assurance vie sous un certain plafond, ainsi
qu’aux placements producteurs de revenus détenus pas
des épargnants non soumis à l’impôt sur le revenu.
Le régime 2 est le régime de référence des contrats d’assurance vie, avec un prélèvement fiscal aujourd’hui de 7,5 % venant s’ajouter au prélèvement social, soit au total
19,6 %.
Le régime 3 est le régime du prélèvement libératoire commun, fixé aujourd’hui à
18 %, auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux, aboutissant à 30,1 %. C’est également le régime commun d’imposition des plus-values mobilières.
Les plus-values immobilières sont imposées, à un taux un peu plus faible (16 %),
après un abattement dépendant du nombre d’années de détention (les plus-values
sur la résidence principale sont exonérées).
Comme illustration du poids fortement croissant de la fiscalité du capital, on pourra
noter que le taux du prélèvement libératoire commun a doublé en vingt ans : s’il est
de 30,1 % en 2010, il était de 15 % en 1990.
Le régime applicable aux loyers est celui de l’impôt sur le revenu, compris entre 0
et 40 %, auxquels s’ajoutent là encore les prélèvements sociaux. Dans ce cas toutefois, une partie de ces prélèvements sociaux (5,1 %) est déductible de l’impôt sur le
revenu. Dans le cas d’un épargnant non imposable, on se retrouve dans le régime
78 • Sociétal n°71
La surtaxation du capital en France
1. Dans le cas d’un épargnant imposé au taux maximum sur les loyers, qui correspondra au régime 4, le taux d’imposition effectif est de 50,06 % (12,1 % + 40 % ×
(1-5,1 %)).
Enfin, le régime applicable aux dividendes est soit l’imposition, après un abattement
de 40 %, sur le revenu, soit le prélèvement libératoire commun, avec application dans
les deux cas des prélèvements sociaux. Le régime du prélèvement libératoire sera la
plupart du temps moins défavorable. Mais les dividendes sont distribués à partir de
bénéfices ayant subi auparavant l’impôt sur les sociétés, dont le taux de droit commun est de 33 1/3 %. Cette double imposition était atténuée naguère par le mécanisme de l’avoir fiscal, qui a disparu et a été remplacé, dans le cas de l’imposition sur
le revenu, par l’abattement de 40 %.
Au total, l’imposition à l’impôt sur les sociétés, au prélèvement libératoire commun
et aux prélèvements sociaux conduit à une imposition de 53,4 % (1/3 + 2/3 de
30,1 %). Ce sera le taux du régime 5, qui s’applique aux dividendes mais aussi aux
plus-values sur actions4.
Aujourd’hui,
l’imposition
Il faut noter que les conséquences d’un impôt à un taux
du rendement
déterminé sur le passage du rendement brut (nominal)
du capital est
d’un placement ou investissement à son rendement net
très défavorable
aux investisseurs
(nominal) dépend – certes modérément – du timing de
acceptant de
l’imposition : il vaut mieux que l’imposition intervienne
prendre un
le plus loin possible dans le temps pour l’épargnant5.
risque.
Il faut noter aussi que l’imposition du rendement du capital est dissymétrique, ce qui
est très désavantageux pour les investisseurs acceptant de prendre un risque. Lorsque
l’investissement se révèle un succès, le bénéfice, le revenu, ou la plus-value sont taxés
au taux en vigueur. Lorsque l’investissement se révèle perdant, la perte, ou la moinsvalue, sont au mieux imputables sur des gains ou plus-values entrant dans la même
catégorie fiscale ; ils sont, dans une situation intermédiaire, reportables en déduction
de gains ou de plus-values entrant dans la même catégorie ; et ils sont au pire non
déductibles et non reportables.
4. Sur longue période, et en moyenne, on peut considérer que la valorisation des entreprises suit les bénéfices après
impôt non distribués.
5. Voir « Finance et impôt », Document de Recherche n° 24 de la chaire de Banque du Cnam, disponible sur www.
cnam.fr/deg/banque.
1
er
trimestre
2011
• 79
Politiques Publiques
Le système fiscal taxe ainsi au taux plein les rendements positifs, et ne rembourse
pas immédiatement, ou rembourse avec retard ce qui conduit à une moindre valeur
actuarielle, le produit du taux de l’impôt par la perte ou la moins-value. L’« espérance » du taux effectif d’imposition (la moyenne pondérée en fonction de la distribution attendue des gains et des pertes) est ainsi supérieure, d’un peu ou de
beaucoup, au taux facial6.
Le rôle majeur de l’inflation
Tout placement ou investissement génère des flux qui reviennent à l’épargnant. Le
total des flux reçus, qui arrivent plus tard dans le temps, excède normalement la
valeur de l’investissement : le rendement est alors positif.
Le principe de la taxation du rendement est d’imposer cet excédent du cumul des flux
par rapport à l’investissement, sous forme de revenu du capital en cours de vie ou de
plus-value au terme. L’idée est que l’épargnant s’est enrichi de cet excédent sur la période,
et que l’enrichissement doit être soumis à l’impôt.
En France,
la taxation
effective du
rendement
réel est bien
supérieur au
taux d’imposition
facial.
En réalité, une partie de cet enrichissement est fictif,
car les flux reçus ont un pouvoir d’acheter des biens et
services qui décline avec le temps, du fait de l’inflation.
L’excédent réel est plus faible, le taux de rendement réel
de l’investissement ou du placement est inférieur au
taux de rendement nominal.
En France (et dans la plupart des autres pays), c’est l’excédent nominal, et donc le taux de rendement nominal qui est frappé. Il en résulte
une taxation effective du rendement réel bien supérieure à ce qui ressort de la considération du taux d’imposition facial.
Pour illustrer ce point, supposons un taux d’imposition facial de 20 %. Un taux de
rendement (annuel) de 3 % correspond, avec un taux d’inflation de 2 %, à un taux de
6. Le fait de pas rembourser immédiatement en cas de perte ou de moins-value atténue l’impact de la conjoncture
des marchés financiers (et immobilier éventuellement) sur les recettes publiques tirées de la taxation du capital, mais
elles n’en demeurent pas moins très sensibles à cette conjoncture. On peut s’interroger sur la pertinence de faire
reposer le financement de systèmes sociaux sur ce type de recettes.
80 • Sociétal n°71
La surtaxation du capital en France
rendement réel de 1 %7. Après impôt, le taux de rendement nominal est de 2,4 % (3 %
- 0,2 × 3 %). Le taux de rendement réel après impôt est de 0,4 %. Le taux d’imposition
effectif du rendement réel est donc de 60 %, trois fois supérieur au taux facial !
L’exemple cité est conforme à la règle commune, et ne constitue pas une exception.
Il est difficile d’attendre sur longue période un taux d’inflation annuel inférieur à
2 %. La Banque centrale européenne définit son objectif de stabilité des prix comme
une hausse annuelle de l’ordre de 2 %. C’est presque exactement ce qu’elle a livré
pendant ses dix premières années d’existence. Pour l’avenir, on peut toujours évoquer
une perspective de déflation ou au contraire un retour de l’inflation8. Si l’on regarde
le passé, l’inflation moyenne sur le siècle écoulé a été proche de 10 % en France, et
a même atteint 2,5 % dans l’exemplaire Suisse. Les vertueuses Banques centrales
allemande et suisse ont laissé l’inflation s’installer à près de 4 % en moyenne sur la
période 1973-1992.
Un taux réel de 1 % à 1,5 % correspond à ce qu’il est possible d’attendre d’un placement à risque très limité (il est difficile aujourd’hui d’affirmer d’un placement qu’il
est absolument sans risque !), comme un placement monétaire ou une obligation
indexée sur les prix émise par un État solide.
Quant aux placements risqués, on peut en attendre un supplément de rendement,
au prix du risque assumé. Il a paru raisonnable dans notre étude sur longue période
de limiter à 5-6 % le rendement réel brut qu’il est possible d’attendre sur des placements d’un risque comparable à celui d’un portefeuille d’actions.
Sur longue période, le rendement des placements est, en moyenne, encadré par le rendement « économique »9 qu’il est possible d’obtenir sur le capital productif. Pour une
économie arrivée à maturité voire vieillissante comme l’économie française, ce rendement (réel brut) atteint 2-2,5 %10, en ligne avec ce que laisse attendre la « règle d’or de
la croissance ». Si des placements peu risqués permettent d’obtenir 1-1,5 %, on voit que
pour les placements risqués il est difficile de dépasser 3-4 % de rendement réel brut.
7. À peu de choses près : rendements et inflation se composent, et ne s’ajoutent pas (voir Finance et impôt, document cité). L’écart est minime dans cet exemple.
8. Voir « Placements monétaires : risque et rendement », Document de recherche de la chaire de Banque du Cnam,
disponible sur www.cnam.fr/deg/banque
9. Rapport entre l’excédent brut d’exploitation, corrigé de la consommation de capital (amortissements) et de la part
rémunérant le travail non salarié, au capital productif.
10. Voir « Le partage de la richesse produite entre travail et capital », Rémy Prud’Homme, Commentaire n° 128,
Hiver 2009-2010.
1
er
trimestre
2011
• 81
Politiques Publiques
Le tableau ci-après donne, pour les 5 régimes d’imposition retenus, la relation entre
le rendement réel net et le rendement réel brut.
RENDEMENT RÉEL NET
Rendement réél brut
Régime
Taux facial
1%
2%
3%
4%
5%
6%
1
12,10 %
0,64 %
1,52 %
2,40 %
3,28 %
4,16 %
5,04 %
2
19,60 %
0,42 %
1,22 %
2,03 %
2,83 %
3,64 %
4,44 %
3
30,10 %
0,11 %
0,81 %
1,51 %
2,21 %
2,90 %
3,60 %
4
50,06 %
- 0,48 %
0,02 %
0,52 %
1,02 %
1,52 %
2,01 %
5
53,40 %
- 0,58 %
- 0,12 %
0,35 %
0,82 %
1,28 %
1,75 %
Il est possible d’en déduire un taux effectif d’imposition, celui qui fait passer du
rendement réel brut au rendement réel net. Les taux effectifs d’imposition qui en
résultent sont donnés dans le tableau suivant.
TAUX D’IMPOSITION EFFECTIF
Rendement réél brut
Régime
Taux facial
1%
2%
3%
4%
5%
6%
1
12,10 %
35,80 %
23,96 %
20,01 %
18,03 %
16,85 %
16,05 %
2
19,60 %
58,03 %
38,82 %
32,41 %
29,21 %
27,29 %
26,01 %
3
30,10 %
89,12 %
59,61 %
49,77 %
44,85 %
41,90 %
39,94 %
4
50,06 %
148,22 %
99,14 %
82,78 %
74,60 %
69,69 %
66,42 %
5
53,40 %
158,11 %
105,75 %
88,30 %
79,58 %
74,34 %
70,85 %
Ces taux s’appliquent au rendement réel et résultent des seuls impôts sur les revenus
du capital et les plus-values.
En fait, il est possible de montrer que, au premier ordre, l’imposition du rendement
nominal revient à la superposition d’une imposition du rendement réel au taux facial
et d’un impôt annuel sur le patrimoine dont le taux serait le produit du taux facial et
du taux d’inflation. Les deux impositions érodent le rendement réel et le font parfois
passer en terrain négatif.
Ce ne sont pas les seuls impôts qui érodent le rendement réel. Les impôts annuels
explicites sur le patrimoine ou le capital vont diminuer encore le rendement réel
pour l’épargnant. Il en va ainsi de l’impôt sur la fortune (ISF) pour les personnes
physiques qui y sont soumises. Il peut, dans le cas de patrimoines élevés, ôter jusqu’à
82 • Sociétal n°71
La surtaxation du capital en France
1,8 % de rendement annuel. Il y a peu de configurations où avec un tel prélèvement
le rendement réel reste positif, ce qui donne une caractéristique indéniablement
confiscatoire au système.
Sur les actifs immobiliers, la taxe foncière constitue un impôt annuel qui va réduire le
rendement. La taxe professionnelle, assise sur la valeur comptable des immobilisations
des entreprises, était une imposition annuelle sur le capital. Le dispositif de remplacement, avec une taxe foncière et une contribution sur la valeur ajoutée (qui comprend la
rémunération du capital et les amortissements), constitue une taxe sur le rendement et
une taxe annuelle sur le capital, qui va réduire le rendement des investissements.
Quelle taxation ?
Après ces considérations d’économie positive, quelles préconisations mettre en avant
dans un cadre d’économie normative ?
Le patrimoine et le capital doivent-ils être taxés, tout d’abord ? La réponse, sur le
plan économique et sur le plan de l’équité, n’est pas évidemment positive.
L’épargne s’est constituée sur un revenu qui a subi l’impôt (et, en France, toutes les
cotisations et contributions afférentes). Est-il juste de taxer plus lourdement ceux
qui diffèrent la consommation de leur revenu que ceux
qui le consomment immédiatement, même si – et c’est
Il n’est pas
le principe de l’épargne – le fait de différer leur apporte
forcément juste
normalement in fine un peu plus de consommation ?
de taxer plus
lourdement ceux
qui diffèrent la
Sur le plan économique, la taxation du patrimoine et du
consommation
capital n’est pas anodine, même si, par la nature même
de leur revenu
du processus d’investissement, les effets peuvent être
que ceux qui
le consomment
longs à se faire sentir. Au niveau individuel, l’impact sur
immédiatement.
l’épargne d’un alourdissement de sa fiscalité n’est pas
évident, du fait de la concurrence entre un effet substitution (épargner devient moins avantageux car on obtient moins de pouvoir d’achat
futur pour une renonciation immédiate à la consommation) et un effet revenu (pour
s’assurer un niveau de consommation futur donné, il faut davantage épargner) (C’est
le célèbre arbitrage entre l’effet Mundell Tobin et l’effet Pigou…).
1
er
trimestre
2011
• 83
Politiques Publiques
Le bouclage économique efface l’effet revenu et il reste globalement moins d’épargne,
donc à terme moins de capital, une augmentation de la rémunération brute du capital, une baisse de la productivité du travail et une baisse des salaires (certains modèles
d’équilibre général aboutissent d’ailleurs à la conclusion que la taxation du capital est
la pire de toutes les taxations envisageables).
L’ouverture des économies est de nature à accélérer les réponses à une aggravation de
la taxation du capital et du patrimoine. Le patrimoine n’est certes pas facilement
délocalisable, car cela nécessite la délocalisation du détenteur, mais il n’est pas entièrement captif. Et le pari qui consisterait à se reposer sur l’épargne étrangère pour
financer un capital productif national a révélé en maintes occasions ses effets pervers.
Quelles que soient ses motivations, quel que soit son horizon, l’objectif d’un épargnant est que la transformation d’un renoncement immédiat en une consommation
future soit la plus efficace possible, c’est-à-dire que le rendement réel après impôt
soit le plus élevé possible pour un risque raisonnable. Il y a deux maillons importants
dans la chaîne de la gestion de patrimoine, que celle-ci soit le fait de l’épargnant luimême ou des professionnels qui l’assistent :
• la gestion financière, ou, de manière plus moderne, la gestion d’actifs ou de
portefeuille, dont l’objectif est d’obtenir le meilleur rendement brut d’impôt
pour un niveau de risque donné ;
• la gestion de la fiscalité, l’ingénierie fiscale, dont la finalité est de limiter l’écart
entre rendement brut et rendement net.
Contrairement
à la gestion
financière qui
vise à obtenir
le meilleur
rendement brut
d’impôt pour un
risque donné,
la gestion de la
fiscalité n’apporte
pas de bénéfice
collectif.
84 • Sociétal n°71
Quand cet écart s’apparente à une crevasse voire à un
gouffre, il est optimal d’allouer plus de ressources au
deuxième maillon qu’au premier. Or la gestion de la
fiscalité n’apporte pas de bénéfice collectif, alors que
la gestion financière, en participant à l’allocation du
capital dans l’économie, a une utilité sociale en plus de
l’utilité privée.
Si taxation du capital il y a, elle devrait donc être simple
et modérée. Elle ne doit pas passer par l’impôt progressif sur le revenu, qui englobe l’imposition du travail et
du capital, car il n’y a aucune raison pour que le trans-
La surtaxation du capital en France
fert de pouvoir d’achat vers le futur soit plus pénalisé pour un travailleur qualifié
bien rémunéré que pour un travailleur peu qualifié. Il n’est pas exclu de donner une
certaine progressivité en fonction du patrimoine, mais cela passe (comme c’est le
cas aujourd’hui de façon imparfaite) par une quotité de revenus et plus-values non
imposable.
Le prélèvement libératoire (sur les revenus et les plus-values) devrait idéalement être unifié (il ne devrait pas en revanche y avoir d’imposition supplémentaire pour les dividendes
et plus-values sur actions émanant d’entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés).
Il devrait :
• être calculé sur un revenu réel (pour un coupon d’intérêt) et une plus-value
réelle, et être fixé à un niveau non confiscatoire (au maximum 50 %, dans l’esprit du bouclier fiscal) ;
• être calculé sur un revenu nominal, ou des plus-values nominales, comme
aujourd’hui, mais son taux devrait être fixé de sorte qu’en rythme de croisière,
avec une inflation de l’ordre de 2 %, il ne soit pas confiscatoire pour un placement de risque moyen rapportant le rendement réel moyen du capital. Un taux
de 20 % (tout compris) apparaît un maximum
Avec des taux d’imposition du rendement réel à ces limites, il n’y pas de place pour
des impôts annuels sur le patrimoine, comme l’ISF.
1
er
trimestre
2011
• 85