Le point sur… Le rapport Oméga-6/Oméga

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Le point sur… Le rapport Oméga-6/Oméga
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Le point sur…
Le rapport Oméga-6/Oméga-3 dans
l’équilibre alimentaire :
Biochimie, métabolisme et conséquences
physiopathologiques
Le rapport Oméga-6/Oméga-3 est considéré aujourd’hui comme un critère déterminant
dans la prévention des maladies cardiovasculaires, métaboliques, immunologiques,
neurologiques et cancéreuses. Si les métabolites de ces deux acides gras sont
complémentaires dans un certain nombre de fonctions, ils entrent en compétition
pour la synthèse des eicosanoïdes et de leurs dérivés oxygénés. La balance entre
Oméga-6 et Oméga-3 module les voies de signalisations cellulaires et l’expression
de gènes, conditionnant l’incidence de nombreuses pathologies. La diversification des
sources alimentaires en Oméga-3 doit permettre de corriger ce rapport actuellement
trop élevé pour se rapprocher des nouveaux ANC.
Mots clés :
Acides gras polyinsaturés, ANC
Oméga-6/Oméga-3,
Eicosanoïdes, Prostaglandines,
Leukotriènes, Transcription génique.
Dr Bernard Schmitt, Endocrinologue, Centre Hospitalier de Bretagne Sud.
Directeur du Centre d’Enseignement et de Recherche en Nutrition Humaine (CERNh), Lorient.
L
a prévalence des maladies cardiovasculaires, des
cancers et du diabète, confirme, en termes de santé
publique, l’importance des déséquilibres alimentaires
de nos sociétés et l’urgence à promouvoir des mesures
de prévention efficaces. Or, après trois décennies de
chasse systématique à l’excès de cholestérol, la responsabilité de certains acides gras (AG) alimentaires a été
confirmée [1-3], conduisant à réduire les saturés (AGS),
à bannir les trans (AGt) et à promouvoir la consommation des monoinsaturés (AGMI) et surtout des polyinsaturés (AGPI), mis à l’honneur à travers le régime méditerranéen.
Rappels historiques
C’est en 1886, en Allemagne, qu’une huile possédant
une structure “diène” est isolée à partir de la graine de
lin. Cette huile de lin, “Leinöl” en allemand, donnera son
nom à l’acide linoléique (LA). Un an plus tard, un autre
acide gras à structure “triène” est isolé dans la même
huile de lin : c’est l’acide alpha-linolénique (ALA). La mise
en évidence chez le rat de troubles liés à la carence en
AGPI ou “low fat disease” (retard de croissance, chute
des poils, desquamation de la peau) et corrigés par l’apport d’acide linoléique, confère à ces AGPI un caractère
indispensable et les font improprement appeler “Vitamine
Tableau 1 Les principales découvertes scientifiques concernant les lipides.
Dates
Découverte
Chercheur
1813
1re description des acides gras
Chevreul
1884
Acide linoléique (LA)
Sacc
1888
Acide 움-linolénique (ALA)
Hazura
1923-1929
Description de la “low fat disease” et de la vitamine F
Burr et Evans [4]
1930
Différences fonctionnelles entre LA et ALA
Burr et Burr [5]
1935
Acide eïcosapentaénoique (EPA)
Matsuda
1942
Acide docosahexaénoique (DHA)
Matsuda
1950
Acide arachidonique (AA)
Holman
1964
Rôle de l’AA et de l’EPA dans la synthèse des eicosanoïdes
Bergström [6]
1982
Synthèse des Eicosanoïdes : Prix Nobel
Bergström,
Samuellson, Vane
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Tableau 2 Principales études épidémiologiques et cliniques sur les lipides.
Dates
Etude
Champ
Réf
1967
Seven countries study
Prévention primaire
[10]
1971-1972
Esquimaux du Groënland
Prévention primaire
[11]
1978-79
Inuits : EPA et prévention des MCV
Prévention primaire
[12]
1982
MRFIT
Prévention primaire
[13]
1989
Inuits (suite) : rôle du poisson
Prévention primaire
[12]
1989
DART
Prévention secondaire MCV
[14]
1994
Lyon’s diet heart study
Prévention secondaire MCV
[15]
1999
GISSI
Prévention secondaire MCV
[16]
2000-2010
Etudes “Bleu Blanc Cœur®”
Prévention secondaire obésité / diabète / MCV
[17-19]
F” [7]. Les découvertes s’enchaînent alors (Tab. 1).
Holman propose la nomenclature “Oméga” en 1964. La
même année, Bergström décrit le rôle des AGPI dans la
synthèse des eicosanoïdes, ce qui lui vaudra en 1982 le
Prix Nobel [6, 8], ouvrant la voie à d’autres découvertes
fondamentales : rôle des différentes catégories d’eicosanoïdes, compétition entre les Oméga-6 et les Oméga-3,
rôle du DHA, rôle des AGPI dans la régulation génique
et les voies de signalisation. Parallèlement, des études
épidémiologiques ont confirmé le bénéfice de la consommation des Oméga-3. De nombreuses études cliniques
ont étayé ces données dans le cadre de la prévention des
maladies cardiovasculaires, métaboliques et du cancer
(Tab. 2). Ces travaux sonnent le glas du paradigme du
cholestérol comme facteur prépondérant du risque cardiovasculaire et éclairent d’un jour nouveau le rôle des
acides gras polyinsaturés [9].
Métabolisme
Un peu de nomenclature…
Les acides gras représentent plus de 80 % de la masse
molaire des lipides de l’organisme. Ils sont définis par
le nombre de carbones (longueur de la chaine carbonée, paire ou impaire), le nombre de doubles liaisons,
la position de la 1re double liaison par rapport au carbone n-terminal, la nature géométrique de celles-ci (cis
ou trans), la présence de ramification ou de cycle.
Dans la nomenclature normalisée des AG, les atomes de
carbone sont numérotés à partir de l’extrémité carboxyle
(nomenclature en delta). Toutefois, une famille d’acides
gras polyinsaturés est définie par la position de la double liaison la plus proche de l’extrémité méthyle terminale (cette position étant invariable pour une famille
d’AG donnée). Comme la numérotation du carbone porteur de cette double liaison va changer au fur et à
mesure que la chaine s’allonge par l’extrémité carboxyle, on utilise une nomenclature de type n - y (n =
nombre variable de carbones de la chaine ; y = nombre
de carbones en partant de n, jusqu’à la 1re double liaison). Par analogie avec l’alphabet grec (oméga = dernière lettre), l’usage consacre l’équivalence de “Oméga3” pour “n-3” et “Oméga-6” pour “n-6”. (Fig. 1)
(d’après P. Legrand)
Devenir métabolique
Figure 1 - Structure biochimique de l’acide
linoléique (LA) et de l’acide a-linolénique (ALA)
136
Dans le réticulum endoplasmique, les précurseurs des
Oméga-3 (l’acide a-linolénique, ou ALA, ou C18:3 n-3)
et des Oméga-6 (l’acide linoléique, ou LA, ou C18:2
n-6), vont subir une série de transformations biochimiques. Cette bioconversion est une succession de
désaturations (augmentation du nombre de doubles liaisons) et d’élongations (augmentation du nombre de carbones sur la chaîne), qui aboutit à des “dérivés à
longue chaîne”. Les plus remarquables d’entre eux sont,
pour les Oméga-6, l’acide arachidonique (AA ou
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amélioration de la transmission synaptique cholinergique et dopaminergique [23], du fonctionnement du
système nerveux central [24], de la déformabilité des
érythrocytes[25], etc.
Précurseurs de médiateurs lipidiques
Figure 2 - Synthèse des acides gras polynsaturés
et des dérivés oxygénés des elcosanoïdes
C20:4 n-6) et, pour les Oméga-3, l’EPA (C20:5 n-3) et
le DHA (C22:6 n-3). L’AA et l’EPA ont une importance
particulière car ils sont les précurseurs des eicosanoïdes
oxygénés : prostaglandines, prostacyclines, thromboxanes et leukotriènes. (Fig. 2)
La concurrence Oméga-6/Oméga-3.
Ces deux familles entrent en compétition au niveau des
Δ6 et Δ5-désaturases, la balance penchant en faveur
de la voie métabolique dont le précurseur est le plus
biodisponible. Un excès d’Oméga-6 favorisera la synthèse du DPA (C22:5 n-6) au détriment de l’EPA et du
DHA. A l’inverse, un apport suffisant en Oméga-3 bloquera la synthèse des longues chaines Oméga-6 au
niveau de l’AA, et favorisera celle de l’EPA et du DHA.
Les fonctions cellulaires des AGPI
A partir des éicosanoïdes (AGPI à 20 atomes de carbone), l’acide arachidonique pour les Oméga-6 et l’EPA
pour les Oméga-3, sont synthétisées des molécules oxygénées, les prostanoïdes, qui jouent un rôle essentiel
dans la régulation métabolique des organismes vivants
[26]. Ces prostanoïdes possèdent 20 atomes de carbone
dont un cycle à 5 atomes de carbone. Ce sont des
médiateurs lipidiques de signalisation paracrines et autocrines qui activent de nombreux récepteurs membranaires couplés à des protéines G. Il existe quatre familles
principales d’eicosanoïdes oxygénés : les prostaglandines (PG), les prostacyclines (PGI), les thromboxanes
(TX), synthétisées grâce la Cyclooxygénase (COX) et les
leukotriènes (LT), actifs dans les leucocytes et les macrophages, synthétisés grâce à la lipoxygénase (LOX). A
côté de ces quatre familles, il existe d’autres classes de
molécules se rattachant aux eicosanoïdes, parmi lesquelles les résolvines, les isofuranes, les isoprostanes, les
lipoxines et les endocannabinoïdes [27]. (Fig. 3)
• Synthèse des Prostaglandines et leukotriènes
Ils sont synthétisés à partir des AGPI estérifiés constitutifs des phospholipides membranaires : DGLA (C20:3
n-6) et AA (C20:4 n-6) pour les Oméga-6, EPA (C20:5
n-3) pour les Oméga-3. Ceux-ci sont libérés sous l’action de la phospholipase A2 (cPLA2, spécifique des
phospholipides qui portent un ‘AA, un EPA ou un DGLA
sur le second carbone) et des phospholipases C (PLC,
qui hydrolysent les diacylglycérols). La cPLA2 génère
Fournisseurs d’énergie
A l’instar des autres acides gras, les AGPI entrent massivement et rapidement dans la voie catabolique et fournissent de l’énergie par la b-oxydation mitochondriale.
Fluidifiants membranaires
Les membranes cellulaires sont composées d’une double couche phospholipidique dont les caractéristiques
physicochimiques dépendent de la nature des acides
gras constitutifs. Chaque double liaison cis introduit une
angulation de la molécule de 120° qui augmente son
occupation spatiale et confère aux membranes une plus
grande fluidité.
Les Oméga-3 ayant plus de doubles liaisons que les
Oméga-6, contribuent davantage à cette fluidité.
Celle-ci a de nombreuses conséquences positives : meilleur transfert des informations transmembranaires en
particulier au niveau des rafts lipidiques [20-21]; amélioration de la fonction rétinienne et prévention de la
dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) [22],
Figure 3 - La famille des eicosanoïdes oxygénés.
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kinases, l’expression de son gène codant. C’est ce surplus de prostaglandines synthétisées en situation
inflammatoire par la COX-2 qui est responsable de
l’augmentation globale du taux de prostaglandines de
type 2 dont on connaît le rôle délétère. La COX-2 est
également stimulée par l’inflammation chronique dite
« de bas grade » qui caractérise l’obésité, le syndrome
métabolique ou le diabète de type 2. Ces pathologies
constituent pour cette raison des facteurs de risque cardiovasculaires importants. (Fig. 4)
Figure 4 - Les compétitions entre familles n-6 et
n-3 pour les 46 et 45 désaturases
et la cycloosygénase
(d’après P. Legrand)
également des lysophospholipides qui sont des facteurs
d’activation des plaquettes. Les eicosanoïdes (AA ou
EPA) ainsi libérés sont soumis à l’action des deux systèmes enzymatiques localisés dans les microsomes de
pratiquement tous les organes : la cyclooxygénase
(COX) qui produit les prostanoïdes ; la lipoxygénase
(LOX) qui génère les leukotriènes. A côté d’une production basale, cette synthèse est activée par les phénomènes inflammatoires qui auto-entretiennent l’activation
des phospholipases [28]. La COX existe sous deux
formes : la COX-1, présente en permanence, est responsable de la production basale des prostaglandines.
La COX-2, induite par des agents inflammatoires
(TNF움, cytokines) qui stimulent, par la voie des MAP-
Figure 5 - Conséquences physiopathologiques
du rapport Oméga-6 / Oméga-3 sur l'activité des
eicosanoïdes oxygénés (D’après P. Legrand)
138
• Rôle des eicosanoïdes oxygénés
Les eicosanoïdes oxygénés sont des médiateurs lipidiques qui contrôlent de nombreuses fonctions biologiques et jouent le rôle d’hormones autocrines et paracrines dans la plupart des cellules de l’organisme. Les
prostaglandines sont à l’origine des processus de l’inflammation [28], de l’immunité [29], modulent l’agrégation plaquettaire et l’adipogenèse [30] et participent
à la cancérogenèse [31].
• Les oméga 6, précurseurs des thromboxanes de type 2,
ont un effet thrombogène et inflammatoire. Elles favorisent l’agrégation plaquettaire. Dans l’inflammation aiguë,
une vasoconstriction transitoire sous la dépendance de la
thromboxane TXA2 est suivie de la production de PGE2
et LTB4, également dérivés des Oméga-6, et responsables
d’une vasodilatation (rubor, calor) et d’un œdème local
(tumor). Ces phénomènes initiaux libèrent des cytokines
pro-inflammatoires qui stimulent l’activité de la COX-2
entrainant l’augmentation des taux de PGE2, responsables d’une stimulation neuronale nociceptive (dolor) et
puissant agent pyrétique. Si l’isoforme COX-2 est surtout
responsable de l’inflammation, la COX-1 agit davantage
sur l’agrégation plaquettaire. L’aspirine et les AINS agissent en bloquant la COX-2 et ont ainsi une action antiinflammatoire et antipyrétique [32].
• A l’inverse, les Oméga-3 sont précurseurs des prostacyclines PGI3 et des prostaglandines PGD3 qui ont un
effet anticoagulant et anti-inflammatoire. Elles stimulent
les défenses immunitaires et sont antiallergiques. La
principale action des prostacyclines est d’empêcher
l’agrégation des plaquettes. C’est aussi un vasodilatateur efficace. Elles ont des effets opposés aux thromboxanes, ce qui suggère un mécanisme homéostatique
entre ces deux hormones en réponse à la lésion d’un
vaisseau sanguin.
Il existe une compétition entre AA (Oméga-6) et EPA
(Oméga-3) pour la COX. La synthèse des prostaglandines de type 2 est favorisée lorsque les oméga 6 sont
dominants (ce qui est le cas général dans les sociétés
industrialisées, contribuant à l’émergence des pathologies ischémiques, métaboliques et cancéreuses). A l’inverse, les prostaglandines de type 3 qui ont un effet
protecteur sont favorisées lorsque l’apport en Oméga-3
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(d’après G. Ailhaud)
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Figure 6 - Rôle de l’acide arachidonique dans
le recrutement et la maturation des adipocytes.
est suffisant. Cette compétition explique le rôle décisif
du rapport Oméga-6/Oméga-3 sur la santé. Enfin, le
DHA a un effet direct “anti-COX” comparable à celui
de l’aspirine, et ses dérivés docosatriènes ont un effet
antiradicalaire.
Modulateurs de la transcription génique
Les acides gras ont une importante fonction régulatrice
au niveau des gènes. Ils agissent par l’intermédiaire de
« facteurs de transcription » qui permettent ou non à un
gène de s’exprimer. Parmi ces facteurs de transcription,
citons :
- Les récepteurs nucléaires : PPAR (Peroxisome proliferator-actived receptors), le récepteur aux rétinoïdes RXR
(Retinoid X receptor), sur lesquels les AGPI et les eicosanoïdes se fixent directement pour les activer.
- La SREBP-1c (Sterol regulatory element binding protein-1c), qui permet de moduler l’expression génique et
l’activité des enzymes de la lipogenèse [33]
• Le rôle des récepteurs nucléaires
Les AGPI et leurs dérivés oxygénés sont des ligands des
récepteurs nucléaires PPAR [34]. Une fois activés par
leurs ligands et liés sous forme d’un dimère au récepteur
RXR, les PPAR움 et initient une suite de réactions permettant au gène cible de s’exprimer. Les récepteurs
nucléaires PPAR움 sont exprimés dans le foie, le tissu adipeux brun, les muscles, et sont impliqués dans le catabolisme lipidique et le transport des lipoprotéines. Les
PPAR움, exprimés essentiellement dans le tissu adipeux
blanc, régulent la capture des LDL oxydées par le macrophage et la différenciation adipocytaire [33]. Le rapport
Oméga-6/Oméga-3 va être déterminant dans la modulation de ces activités métaboliques [35]. (Fig. 6)
• L’inactivation de SREBP-1c
La SREBP-1c (sterol regulatory element binding protein1c) est une protéine de signalisation essentiellement
localisée dans le réticulum endoplasmique du foie, du
muscle et du tissu adipeux Son activation permet l’expression des gènes codants de la lipogenèse (Fig. 7).
L’invalidation du gène codant pour la SREBP-1c par les
Oméga-3 à longue chaine bloque ainsi la lipogenèse
[36-38], stimulent la 웁-oxydation mitochondriale et
peroxysomale et la transcription de protéines de transport des acides gras (VLDL), expliquant leur rôle hypotriglycéridémiant. La SREBP-1 est également impliquée
dans la régulation de l’homéostasie glucidique [39]. Un
excès d’Oméga-6 est ainsi associé à l’insulino-résistance, responsable de l’obésité, du syndrome métabolique et du diabète de type 2.
Le déséquilibre de la balance
Oméga-6/Oméga-3
Des conséquences humaines dramatiques
La balance Oméga-6 / Oméga-3 est donc essentielle
dans le contrôle du poids, la diminution de la résistance
à l’insuline et la prévention du diabète de type 2. Le déficit d’incorporation en EPA et DHA et, en corolaire, l’excès de dérivés de l’AA provoquent une réponse inflammatoire de bas grade qui a d’importantes conséquences
délétères pour la santé. Les pathologies concernées sont
au premier chef les maladies cardiovasculaires, l’altération de la régulation du système nerveux central et de la
rétine, les maladies auto-immunes, les maladies inflammatoires et la cancérogenèse (Tab. 3).
Or, l’ensemble de ces pathologies connaissent une progression alarmante depuis la fin de la dernière guerre
mondiale, n’épargnant plus aucun pays dans le monde.
Figure 7 - Régulation des gènes de la lipogenèse
par la modulation de l’expression du gène de la
SREBP-1C par les AGPI.
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Tableau 3 Conséquences d’un excès d’Oméga-6 par rapport aux Oméga-3.
Processus stimulé
Conséquences physio-pathologiques
Recrutement des adipoblastes
Différenciation irréversible en adipocytes
Stimulation de la lipogénèse
Inhibition de la 움-oxydation
Résistance à l’insuline
Prise de poids
Obésité
Syndrome métabolique
Diabète type 2
Oméga-6/Oméga-3
Réponse inflammatoire de bas grade
La mise en évidence d’une transmission trans-générationnelle des mécanismes contrôlant l’expression
génique de l’adipogenèse chez le rat [33] modulée par
le rapport Oméga-6/Oméga-3, renforce l’hypothèse
d’une responsabilité majeure du modèle alimentaire
contemporain, particulièrement riche en Oméga-6 en
raison du système de production agricole actuel, dans
la véritable épidémie mondiale d’obésité et de diabète
de type 2 à laquelle nous assistons [40].
Désordre alimentaire en cause
Comment en est-on arrivé à cette situation ? Il existe un
consensus pour incriminer les changements de notre
modèle alimentaire. Le Tableau 4 reprend l’évolution de
la consommation de lipides durant les quarante dernières années. Si leur consommation a effectivement
augmenté au delà des recommandations actuelles, la
part des graisses d’origine animale est restée quasi-
Maladies cardiovasculaires
Maladies du système nerveux
central et de la rétine
Maladies auto-immunes
Maladies inflammatoires
Cancérogénèse
ment stable sauf pour les fromages (+ 5 %). A l’inverse,
la consommation des huiles végétales et des margarines a explosé, suivant en cela les recommandations
diététiques. Les consommations de volailles (réputées
moins grasses) et surtout de poissons, parés de toutes
les vertus nutritionnelles, ont aussi fortement augmenté
sur la période considérée.
A ces données de consommations brutes, s’ajoutent
aussi des données qualitatives. Ainsi, les huiles végétales sont majoritairement des huiles de tournesol riches
en LA (C18:2 n-6) et des huiles de palme saturées
(C16:0), alors que les régimes animaux se caractérisent par un emploi de plus en plus fréquent de maïs et
de soja, deux graines elles aussi très riches en C18:2
n-6. En agrégeant ces données quantitatives et qualitatives, on constate une augmentation très importante du
ratio Oméga-6/Oméga-3, qui passe de 5 en 1960 à
Tableau 4 Evolution de la consommation lipidique en France de 1960 à 2000.
Exprimé en grammes de lipides par jour pour un adulte. AET : apport énergétique total.
g/jour/adulte
140
1960
2000
TOTAL
75 (31% AET)
104 (43% AET)
Huiles végétales & Margarines.
19
37
Lipides issus du lait
(dont beurre)
27
(20)
33
(20)
Lipides issus du porc
11
12
Lipides issus des œufs
3
3
Lipides issus des volailles
1
3
Lipides issus du poisson
1
3
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• La prise de poids est davantage corrélée à la quantité d’énergie totale apportée par un régime qu’à sa
teneur en lipides. Pour être en mesure de fournir suffisamment d’AGPI, la part des lipides totaux doit être
comprise entre 35 % et 40 % des apports énergétiques
totaux (AE), pour un régime proche de 2000 Kcal/j.
• La classification traditionnelle AGPI–AGMI–AGS est
abandonnée au profit d’une classification comprenant
les AG indispensables (ceux que l’organisme ne peut
synthétiser, ou qu’il synthétise en quantité insuffisante) et
les AG non indispensables (ceux, y compris les dérivés
à longue chaine, que l’organisme peut synthétiser en
quantité suffisante à partir des précurseurs) (Tab. 5)
• Parmi les acides gras saturés, seuls trois sont isolés
comme potentiellement athérogènes lorsqu’ils sont
consommés en excès : ce sont les acides laurique,
myristique et palmitique. Les autres AGS ne paraissent
23 en 2000. Le rôle de la composition des acides gras
alimentaires dans celle des acides gras corporels a été
parfaitement mis en évidence dans l’étude “Aquitaine”
[41] ou par l’étude longitudinale de la composition du
lait maternel [42]
Les nouvelles recommandations de l’AFSSA
La priorité en matière de santé publique et de prévention du risque est dorénavant de rétablir impérativement
un rapport Oméga-6/Oméga-3 inférieur à 5 par une
augmentation significative de l’apport en Oméga-3
(ALA, EPA, DHA) et une limitation des Oméga-6. Face
à ce défi, l’AFSSA vient de réactualiser les apports
nutritionnels conseillés (ANC) pour les AG [43]. Ses
experts se sont basés sur l’analyse détaillée des publications scientifiques, qui a fait apparaitre plusieurs
points :
Tableau 5 Les principaux acides gras et les nouvelles recommandations de l’AFSSA.
(ANC : apports nutritionnels recommandés. AET : apport énergétique total)
ANC (% AET)
(g/j)
Remarques
8,8
Besoins conditionnés par le nécessaire équilibre avec
l’ALA afin d’assurer une synthèse suffisante d’EPA et de
DHA et leur incorporation dans les tissus. (ratio LA/ALA
= 4)
2
Extrêmement catabolisable et très faiblement converti
en DHA
0,25
Aspect indispensable lié à sa très faible bioconversion
à partir de l’ALA
EPA + DHA doit être > 0,5 g/j
AG indispensables
A. linoléique :
LA, C18:2 n-6
4%
A. 움-linolénique
ALA, C18:3 n-3
1%
A. docosahexaénoïque
DHA, C22:6 n-3
0,113 %
AG non indispensables
A. eicosapentaénoique
EPA, C20:5 n-3
0,25
Si l’apport en ALA est suffisant, le taux de conversion
chez l’homme permet de couvrir les besoins
A. laurique, C12:0
A. myristique, C14:0
A. palmitique, C16:0
<8%
Distingués parmi les AG saturés, car ce sont les seuls
dont l’excès est athérogène
Total AGS
<12 %
Par précaution, l’apport des AGS totaux est limité à
12 %
A. oléique, C18:1 n-9
A. arachidonique
AA, C20:4 n-6
A. stéaridonique
A. docosapentaénoïque
Autres monoinsaturés
A. ruménique (trans)
A. linoléique conjugué, CLA
15 à 20 %
Majoritaire des monoinsaturés. En dessous de 15 %
des AE, risque de laisser la place aux AGS athérogènes
Groupe hétérogène d’AG polyinsaturés.
Les données disponibles sont insuffisantes pour définir
un besoin physiologique et des ANC.
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pas néfastes. Ainsi, l’ANC pour la somme des trois premiers est fixée à la limite supérieure de 8 g/l, alors
qu’elle est fixée à 12 g/l pour l’ensemble des AGS.
CONCLUSION
Le rapport Oméga-6/Oméga-3 est déterminant dans
l’expression d’un certain nombre de fonctions physiologiques majeures chez l’homme.
La compétition entre les précurseurs de ces deux
familles conditionne l’équilibre entre les divers acides
gras et leurs dérivés oxygénés. En conséquence elle
conditionne les voies de signalisation cellulaire et l’expression de gènes de susceptibilité capables de modifier le fonctionnement du système nerveux central et de
la rétine, la réaction inflammatoire, l’adipogenèse, la
résistance à l’insuline, la thrombogenèse et la prolifération cellulaire. La diversification des sources alimentaires en oméga 3 doit permettre de corriger ce rapport
actuellement trop élevé et de se rapprocher des nouveaux ANC.
n
Bibliographie
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