Etopia - Femmes et développement durable

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Etopia - Femmes et développement durable
Aurélie FILIPPETTI, Conseillère d¹arrondissement du 5ème et membre du Conseil de quartier "
Jardin des Plantes ".
Fille de mineurs lorrains, Aurélie Filippetti est normalienne. Devenue professeur de lettres classiques,
elle mène aujourd'hui en parallèle une carrière de militante écologiste. Elle est élue municipale dans le
Ve arrondissement de Paris. Son premier roman, 'Les derniers jours de la classe ouvrière' a été
largement salué par la critique.
Date de publication : 17/9/2003
«Une seule terreur, tenace, un jour peut-être elle jugerait ses parents.»
Extrait du livre 'Les Derniers Jours de la classe ouvrière'
RÉSUMÉ DU LIVRE
Aurélie Filippetti nous raconte l'agonie d'une industrie jadis fer de lance de l'économie française. Avec
fierté et respect, elle, la fille de mineur, évoque son enfance à Longwy... En hommage à une
population disparue, écrasée par les patrons et les restructurations industrielles.
L'Express - Elise Carlin (23 Octobre 2003)
Elle ressuscite ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n'y croyaient pas, jusqu'à la fin vouloir un monde
meilleur, le Parti, le syndicat, l'idéal communiste, (...) Elle dit aussi les doutes, les désillusions, "mille
vies bafouées, réduites à néant". Aurélie Filippetti s'est échappée d'un monde en ruine. Rescapée
d'une culture morte, elle écrit contre l'oubli et contre le mépris. Celui des autres, le sien aussi.
Lire-Jean-Rémy Barland (1er Décembre 2003)
Sans beaucoup de dialogues, avec une lucidité amère, notamment sur les engagements prostaliniens du parti communiste français, Aurélie Filippetti signe un puissant roman de feu, de colère et
de larmes. Un livre digne et droit, à l'image de tous les acteurs de ce drame. Et le livre d'une styliste
humaniste, possédant un univers romanesque original.
Aurélie Filippetti.- Les derniers jours de la classe ouvrière : Roman.- Paris : Stock, 2003, 189 p.,
15 €
« Il y a six millions d’ouvriers en France aujourd’hui, six millions d’ouvriers dont
plus personne ne parle. Qui racontera leur histoire, sinon leurs enfants, pour
peu qu’ils aient eu la chance de faire des études, et de mesurer la distance qui
les sépare désormais à tout jamais de leur milieu d’origine - ce mélange inédit
de culture italienne, communiste, et ouvrière. Que ce soit la mine ou la
sidérurgie, ce monde-là était solidaire, car « à la mine, un homme seul est un
homme mort ». Personne, ou si peu, ne leur a rendu hommage, personne, ou si
peu, n’a dit leur héroïsme quotidien - pourtant héros ils le furent, du travail, à
huit cents mètres sous terre ou dans la fournaise du laminoir, de la guerre, de la
résistance à la guerre d’Algérie. Héros enfin dans leur ultime combat contre
l’assassinat programmé de leur région d’adoption, la Lorraine, où de plans
sociaux en restructurations, plusieurs centaines de milliers d’emplois furent
fracassés en vingt ans. Et les mines fermées. Les usines rasées. Ce roman vise
à leur rendre une petite part de justice... » A.F
Livres. Les mineurs de fer, ces héros
Des enfants de Lorraine se mettent à écrire. Parmi eux, Aurélie Filippetti. À son contact, la
classe ouvrière veut encore faire parler d’elle.
En hommage à ce père disparu trop tôt et parce que le deuil est impossible, Aurélie Filippetti, fille et
petite-fille de mineur, subtile normalienne de trente ans, a écrit les Derniers Jours de la classe
ouvrière. Elle y a mis cinq ans de sa vie. Une vie commencée à Audun-le-Tiche, Pays-Haut, Lorraine.
Une région au passé prestigieux, où l’or avait la couleur du minerai de fer, poussière tueuse, où le
travail avait valeur de solidarité, de dignité, d’engagement politique. Un bout de terre, aujourd’hui
laminé, où ses héritiers expatriés tentent lors du retour d’y retrouver ce qui a disparu. Une mémoire
vivante dont ils veulent encore se souvenir.
Vous racontez l’histoire de votre famille - Italiens immigrés en Lorraine, communistes -, comment s’est
imposée l’histoire de ce livre ?
Aurélie Filippetti. L’idée de ce livre est venue de ma prise de conscience que cette histoire-là n’est pas
du tout connue, en tout cas, pas assez à mon sens : l’histoire de ces immigrés italiens ou polonais
venus travailler en Lorraine - c’était valable aussi pour le Nord - qui ont été pour moi des vrais héros
de l’épopée industrielle, et qui ont été balayés et jetés aux oubliettes de l’histoire d’une manière qui
me semblait injuste. J’avais envie de leur rendre justice.
Pourquoi avoir choisi une forme d’écriture fragmentée, éclatée, pour signifier une Lorraine en
lambeaux ?
Aurélie Filippetti. Effectivement. Je crois que la forme doit correspondre au fond, à ce que l’on veut
faire passer, à ce que l’on veut exprimer. Écrire un roman avec des personnages et une chronologie
linéaire aurait été contraire à ce que je voulais exprimer, c’est-à-dire la violence sociale énorme qui
s’exerçait à l’encontre de ces gens, et pour cette violence-là, il fallait que je trouve un moyen
esthétique, au sens littéraire, de l’exprimer.
C’est vrai que les chapitres sont venus naturellement et cela correspond bien à tous ces destins
brisés.
Dès 1920, avec l’arrivée d’immigrés italiens mais aussi polonais ou ukrainiens, la Lorraine se forge
une identité...
Aurélie Filippetti. C’était comme un microcosme, des gens qui étaient à la fois immigrés, c’est vrai
beaucoup d’Italiens, ouvriers et mineurs. Au sein de la classe ouvrière, c’était très particulier, ils
étaient presque l’archétype de la classe ouvrière, avec la solidarité.
...Une certaine noblesse de la classe ouvrière.
Aurélie Filippetti. Une fierté, une dignité. Et puis il y avait le militantisme communiste quoique certains
en disent. J’ai eu des retours du livre - en général très positifs - mais il y en qui sont venus me dire :
mais enfin tout le monde n’était pas communiste là-bas. Oui, peut-être mais quand même beaucoup
ou alors ils étaient à la CGT, c’était avant tout des gens de gauche, profondément à gauche, il ne faut
pas se raconter d’histoires. Cette petite société de mineurs était donc tout à la fois un mélange
d’italianité, de militantisme politique et de culture de classe.
Vous écrivez : " À la mine, un homme seul est un homme mort. "
Aurélie Filippetti. C’était la phrase que mon père, que les mineurs répétaient tout le temps. Mon père
me racontait, comme il était militant syndical et politique, pour le punir, il avait été envoyé dans les
galeries, tout seul. Il me disait : huit heures, tout seul, au fond d’une galerie, tu ne peux pas savoir ce
que c’est.
Ces hommes entretenaient un attachement viscéral au travail. N’est-ce pas non plus la catastrophe du
travail que vous décrivez ?
Aurélie Filippetti. C’est un des grands thèmes, à mon avis. Aujourd’hui, dans tout le discours qu’on
entend sur le travail, il y a un renversement, une rhétorique que je trouve indécente. Les gens des
classes populaires ont envie de travailler, ils en sont fiers quand ils le peuvent. Culpabiliser les
chômeurs en disant qu’ils sont au chômage parce qu’ils ne veulent pas travailler, mais enfin qui parle
et de qui parle-t-on ? Quand on voit tous ces ouvriers, qui pendant les cent cinquante ans de
l’industrialisation à outrance, ont trimé comme des brutes, aujourd’hui, on leur dit : c’est de votre faute,
vous ne travaillez pas assez ou vous n’êtes pas assez compétitifs, et que l’on culpabilise leurs
enfants, c’est vraiment indécent.
Ce travail, ils l’avaient dans la peau, jusqu’à la fin, et pourtant, ils l’aimaient ce travail...
Aurélie Filippetti. C’est très paradoxal. C’est difficile pour certains de comprendre comment ils
pouvaient aimer un travail si dur. Ils étaient à la fois conscients qu’ils avaient des métiers très
dangereux, où ils étaient exploités, et en même temps, ils en étaient fiers, fiers de la société qu’ils
avaient créée, le fait de travailler ensemble, de manière collective, les solidarités, les luttes qui avaient
eu lieu et qu’ils avaient gagné pour des droits.
Il y avait l’idée d’un progrès social, qu’ils faisaient partie de la classe ouvrière, qu’ils avaient une
fonction très importante dans la société, qui était valorisée par le Parti communiste français. Avec le
déclin du PCF, c’est aussi cela qui a disparu. Le titre de mon livre, les Derniers Jours de la classe
ouvrière, c’est ça pour moi. Ce n’est pas dire du tout qu’il n’y a plus d’ouvriers en France, bien au
contraire, c’est dire, on ne parle plus de classe ouvrière, c’est cette valorisation du monde ouvrier qui
a disparu, en particulier du discours politique, et ça, c’est tragique.
Quand on entend des jeunes dire, on ne veut pas être ouvrier, on ne peut pas leur en vouloir, ces
métiers-là sont dévalorisés. Ils savent que leurs parents ont été pris pour de la chair à usine, on ne
peut pas leur en vouloir d’être méfiants. À Metz, j’ai rencontré une jeune fille qui travaillait dans l’un
des derniers hauts fourneaux, à Hayange, elle avait lu le livre, en avait parlé avec ses collègues, et
elle s’était demandée : on fait le même travail que nos parents, pourquoi a-t-on perdu cette solidaritélà, que s’est-il passé ?
Vous sentez-vous dépositaire d’une mémoire commune ?
Aurélie Filippetti. Je suis l’une des dépositaires. À partir du moment où j’avais cette mémoire, où je
vivais cette histoire, j’avais l’impression d’avoir été témoin de quelque chose d’extraordinaire, d’unique
et de rare, et j’avais le devoir d’en parler.
Que pouvait signifier pour vous le reniement de l’héritage, " trouver ridicule cet accent lorrain, un jour
honte de sa culture et n’en plus parler " ?
Aurélie Filippetti. C’était ma peur, j’avais cette angoisse - un peu moins depuis le livre - de me dire que
finalement, j’allais trahir. Mon père avait toujours refusé d’être autre chose qu’ouvrier, sauf délégué
mineur, là il était élu par les camarades, mais moi j’avais accepté de faire des études, donc j’avais
peur de trahir.
Ce père mort qui ouvre et clôt le livre reste fidèle à son engagement mais aussi toujours en proie au
doute...
Aurélie Filippetti. C’est étrange, c’est comme s’il n’y avait pas eu d’autre issue que la mort. Mon père
avait toujours été habité par le doute, mais je crois comme tous les militants communistes. Il fallait
vraiment être inconscient pour ne pas se poser de questions, sauf les apparatchiks, mais eux avaient
leur intérêt propre. J’ai toujours vu mon père douter, être dans des contradictions, entre ce qu’il
pensait vraiment et ce qu’il devait dire aux camarades, parce que pour les convaincre de suivre la
ligne, eh bien c’est lui qui devait les convaincre, et même quand il doutait, il faisait comme s’il ne
doutait pas !
Vous semblez critique face à ces permanents du PCF qui intimaient à la base l’ordre d’exécuter ?
Aurélie Filippetti. Prague a été un très bon exemple. Au moment de Prague, il y eu cet espoir,
d’ailleurs le PCF va réprouver et condamner l’URSS, et le lendemain, chambardement, il fallait de
nouveau suivre la ligne.
Mon père avait en lui très fort le mythe du Parti communiste italien. Heureusement qu’il y avait le PCI
parce que cela leur donnait encore le sentiment d’être communistes.
Lorsque je retourne en Lorraine, je recherche les traces de ce qui n’est plus...
Aurélie Filippetti. On a l’impression que ce qui est perdu, sera perdu définitivement. Quand on va làbas et qu’on se dit, là il y avait une usine, il y avait 7 000 personnes, il n’y a plus rien, c’est une
manière de dire, il ne s’est rien passé, de nier le travail et le courage de ces hommes, c’est
insupportable. La mémoire ouvrière et industrielle est fondamentale.
Entretien réalisé par
Virginie Gatti
Aurélie Filipetti, les Derniers Jours de la classe ouvrière, Éditions Stock 194 pages, 15 euros.