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 UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
MÉTHODE D'ENSEIGNEMENT DU THÉÂTRE
DE ROBERT WILSON
TRAVAIL ÉCRIT
PRÉSENTÉ
DANS LE CADRE DU COURS
(EST-5027) FONDEMENTS DE L'ENSEIGNEMENT DU THÉÂTRE
PAR
NICOLAS LAMONDE BOISVERT
DÉCEMBRE 2012
Le monde du théâtre n'a jamais cessé d'évoluer dans toutes ses sphères depuis le
jour de sa création, chose qui restera toujours à déterminer. Tous les théoriciens y sont
forcément pour quelque chose. Certains ont été oubliés, d'autres ont marqué la scène
mondiale de façon remarquable. Au-delà de cela, chacun d'eux a passé des heures
incalculables à enseigner des théories ou des pratiques, en espérant transmettre un savoir
artistique qui saura alimenter le théâtre de demain. Cependant, est-ce que cet
acharnement à vouloir enseigner sa méthode au prochain est véritablement essentiel?
Robert Wilson croit que non. Ce dernier fait partie des metteurs en scène qui ont
influencé la scène théâtrale moderne du XXe siècle. Par son instinct et sa volonté de voir
le théâtre comme un moment présent, une action soudaine, ou un moment de réflexion, il
réussira à changer la perception du théâtre chez plusieurs. Ce texte élaborera d'abord une
légère biographie de cet homme, avant de se concentrer sur ses théories et ses pratiques.
D'autre part, il traitera plus spécifiquement des différentes façons d'enseigner la matière
de Robert Wilson dans un milieu scolaire.
Avant d'étaler sa vie, Bob Wilson est un acteur, un auteur, un chorégraphe, un décorateur,
un éclairagiste, un metteur en scène et un peintre né au Texas en 1941. On le décrit aussi
comme un plasticien, étant donné qu'il œuvre dans le domaine de l'expression artistique
en utilisant plusieurs, voire pratiquement toutes les possibilités. Du corps humain à la
peinture, cet homme artiste polyvalent fait profiter le monde théâtral de toutes ses
connaissances, et ce dès son arrivée. D'ailleurs, il avoue lui-même s'être intéressé au
théâtre en raison de sa médiocrité. Ce pourquoi, il explorera toutes les types de
représentations, que ce soit l'expérimental ou l'opéra, afin de formuler une réponse
critique à tous ces genres avec son style de théâtre qui lui sera propre. Dès la fin des
années soixante, il met en scène sa première pièce : '' The King of Spain '' (1969).
Cependant, ce n'est que deux ans plus tard que son nom franchira les frontières
américaines avec son spectacle '' Deafman Glance '' (1971). À ce moment, on commence
rapidement à déceler le style de Wilson qui remet en doute plusieurs conventions non
écrites. Par exemple, en 1972, il fera la présentation d'un spectacle d'une durée d'environ
vingt-quatre heures intitulé '' Overture ''. C'est ce genre d'explorations qui font voyager le
nom de Wilson à travers la planète. Ses spectacles sont un parfait mixte d'architectures,
de musique (opéra), de travail corporel, de lumières, de danse, de peinture, etc. Bref, il
réussit à intégrer plusieurs formes d'arts qui suscitent beaucoup le regard du spectateur.
Les gens s'attachent immédiatement aux effets visuels que le metteur en scène réussit à
faire avec son théâtre d'image. Finalement, c'est la réalisation de la pièce '' Einstein on the
Beach '' (1976), qu'il fera avec l'aide de Philip Glass que l'on considérera comme son plus
grand succès à ce jour. Encore une fois, Bob Wilson joue avec des principes jamais vus
auparavant : « une actrice noire qui n'incarne pas une actrice noire, ou les corps ne sont
pas ceux de danseurs: des hommes gros par exemple1. » De plus, on invitait les
spectateurs à circuler durant les cinq heures de représentation, afin de créer une
esthétique particulière et une certaine proximité entre les déplacements des acteurs et de
ceux du public. Bref, Robert Wilson continue, encore aujourd'hui de monter quelques
spectacles qui poursuivent les brisures de conventions traditionnelles qui ont caractérisé,
entre autres, son style particulier. D'ailleurs, ce style, aussi fascinant soit-il, vient principalement de l'instinct de
Robert Wilson. En effet, ce dernier affirme lui-même « qu'il ne pourrait pas toujours
expliquer les raisons pour lesquelles il a pris une telle décision, mais qu'il appréciait
l'effet donné. » (Wilson, 1977, p. 217) On peut rapidement relier cette mentalité à celle
du surréalisme. Et c'est en raison de ces illuminations soudaines qu'il arrivera à créer un
théâtre d'images où l'interdisciplinarité des arts règne. Bob Wilson construit ses
spectacles avec une structure scénique parfaite, avant même de penser à toucher au texte.
Il consacrera beaucoup de temps à la confection de l'espace avant de commencer. Tout ce
qui compose le spectacle interne (lumières, décors, temps de représentation, emplacement
des objets, etc.) est pensé et réglé au moindre détail. De cette façon, il s'assure que
l'image produite est toujours de qualité. Cet acharnement envers la qualité des images
restera toujours dans le but d'enlever toute la psychologie derrière le spectacle. Wilson a
toujours été contre la psychologie au théâtre. Ce dernier veut arriver à faire réfléchir le
1 ArtWiki : http://www.technoromanticism.com/wiki/wakka.php?wiki=EinsteinBeach spectateur, non pas sur ce qui est raconté, mais bien sur ce qu'il voit. Selon lui, son
théâtre n'est pas fait pour raconter, mais pour susciter l'imagination des spectateurs afin
que chacun y trouve une interprétation particulière. Pour y arriver, en plus de la qualité
visuelle obtenue, il demande une lenteur extrême de la part de ses acteurs. Selon Bob
Wilson, la lenteur dévoile des mouvements que l'on n'aurait jamais vu si celui-ci avait été
fait dans la vitesse. C'est cette lenteur qui ouvre l'imagination du spectateur. Le travail
corporel est primordial au spectacle. Chaque mouvement doit être d'une précision
incalculable et d’une lenteur imperceptible. Ensuite, Wilson travaille les improvisations
sans paroles avec ses acteurs. Ces improvisations corporelles sont répétées de
nombreuses fois afin d’éliminer toutes traces de gestes parasites ou inutiles. Après les
avoir répétées plusieurs fois, le mouvement devient tellement mécanique, qu’il en est
devenu naturel pour l’acteur. Ce dernier est maintenant à l’aise avec chacun des
mouvements au point de ne plus avoir à penser sur scène. C’est de cette façon que Robert
Wilson aimerait que tous les acteurs fonctionnent. Selon lui, la formation d’acteur n’est
pas nécessaire. Il suffit simplement de travailler de façon ardue chaque geste, chaque
intention intérieure. Ce dernier mot est assez important dans les critères de Wilson. Tout
doit provenir de l’intérieur. L’acteur doit jouer avec son propre sentiment intérieur et il
doit le faire pour lui. Un acteur qui joue pour le spectateur n’est pas un bon acteur
wilsonnien. Enfin, après que tout soit entre mêlées (la musique, les mouvements,
l’éclairage, etc.), le texte peut s’interposer, seulement s’il est nécessaire. Wilson croyait
fermement que dans la majorité du temps, il est possible que le texte n’ait pas besoin
d’être cité, puisque le corps parle déjà. Si le texte s’avère à transposer des idées qui sont
essentielles à la beauté et qu’il s’agence correctement à l’image envoyée au spectateur,
celui-ci a bel et bien sa place au sein de la représentation. Cependant, la lenteur est encore
de mise. Wilson considère la parole et le texte comme une musique, plus celle-ci est
lente, plus il est possible de reconnaître la qualité des notes. Finalement, tout ce qu’il aura
exploré et mis en scène a permis l’avancement du théâtre moderne. On a qu’à regarder du
côté de Robert Lepage et son théâtre d’images que l’on pourrait considérer comme l’un
des héritiers du travail de Bob Wilson. Cependant, comme il a été mentionné dans
l’introduction, ce dernier ne croit pas à ce partage de méthode. Il voit plutôt cela comme
« une véritable perte de temps. C’est un peu comme [demander] à Andy Warhol
comment faire un film. Ça a marché pour Andy, mais ça ne marcherait pas forcément
pour qui que ce soit d’autre. » (Wilson, 1977, p. 225) Selon lui, l’important est de
continuer de travailler de façon authentique. C’est ce qu’il a toujours fait et c’est de cette
façon que le théâtre peut poursuivre son évolution.
Cependant, l’enseignement de sa théorie n’est pas quelque chose d’impossible.
Sans le vouloir, Robert Wilson a laissé tout un legs de méthodes et de pratiques théâtrales
aux générations qui ont suivi. D’ailleurs, il apprenait lui-même à des enfants comment
jouer dans ses productions. Selon lui, « les enfants sont visuellement très doués lorsqu’ils
sont encore jeunes. » (Wilson, 1977, p. 222) Il arrivait à leur faire faire des tâches
précises au sein de la pièce et cela s’est avéré un succès à chaque fois. Pour réussir à faire
un tel exploit avec la jeunesse d’aujourd’hui, il faudrait suivre une démarche rigoureuse,
mais qui porterait éventuellement ses fruits. D’abord, il serait primordial d’enseignement
l’importance de la discipline et de la concentration sur scène. Pour se faire, l’enseignant
devrait avoir en sa possession une classe en concentration théâtre avec plus de trois cours
par semaine afin de pratiquer souvent et ainsi de créer une habitude chez l’élève. À
travers ces cours, l’exploration de plusieurs types d’art s’impose. L’élève doit acquérir
des habiletés en danse, ou en chant, ou encore en peinture. De cette façon, le jeune est
plus libre de créer lorsqu’il possède plus d’une ressource. Cependant, avant même de
travailler une autre aptitude que son corps, il doit être capable de jouer de façon à l’aise
avec celui-ci. Il doit apprendre comment marcher sur scène, comment se tenir, comment
transposer la lenteur dans un mouvement naturel. Pour pratiquer tout cela, l’enseignant
peut faire appel aux improvisations. Que ce soit sur des sujets quotidiens ou des thèmes
plus profonds, l’important est de faire travailler le corps de l’élève. En leur faisant faire
une même improvisation avec les mêmes mouvements plusieurs fois, pour ainsi rendre le
mouvement du jeune naturel et quasi mécanique. Ensuite, cette même improvisation peut
se faire de façon extrêmement lente, tout en ajoutant de la précision et une intention
véritable derrière chaque geste. De plus, l’enseignant devra adopter une attitude cognitive
face à l’apprentissage du jeune, tout en gardant en tête que chaque élève est unique et
pense différemment. D’ailleurs, l’enseignant devra inviter ses élèves à faire preuve
d’autonomie en ce qui concerne leurs décisions. Ils devront faire confiance à leur instinct
et de le pousser jusqu’au bout. D’autre part, cet enseignement devra faire abstraction de
toute psychologie de l’art ou de toute présentation de trame narrative que l’on pourrait
qualifier de « bonbon ». Il sera plutôt question de favoriser le développement de leur
appréciation de l’art sans psychologie comme la danse, la peinture, la musique, tout en
les interrogeant sur ce qu’ils ont vu, comment ils l’ont interprété, etc. Ensuite de cela, il
sera possible de faire des ateliers de mimes corporels, en développant l’esprit
métaphorique du geste, sans avoir à faire à la parole. De cette façon, ils développeront
non seulement leur jeu corporel, mais aussi leur jeu intérieur et personnel. Ils devront
éviter à tout prix de vouloir jouer dans le but faire comprendre au spectateur, ou de jouer
« gros ». Tout doit se passer à l’intérieur du jeu de l’élève. Si l’émotion est ainsi
ressentie, il n’y a aucun besoin de vouloir l’exprimer. Une fois que le jeune a compris
toutes ces théories, la précision (en terme de temps) et son évolution dans l’espace ne
pourront qu’être meilleures qu’en travaillant sans cesse. En effet, Robert Wilson a luimême donné un conseil aux jeunes débutants de la profession dans un entretien :
La chose la plus importante, c’est de travailler sans cesse, en sachant
que neuf fois sur dix, il ne se passe rien. Et subitement, quelque chose
va se passer. Il ne faut pas se décourager quand ça ne marche pas. Il
faut continuer à travailler. Si on continue assez longtemps et assez
intensément, on finit par trouver quelque chose. (Féral, 2001, p. 372)
Cet enseignement sera sans aucun doute rigoureux et pour des élèves motivés et
passionnés de théâtre. Autrement, il est possible que certains éprouvent de la difficulté
avec un tel programme de théâtre.
En conclusion, Robert Wilson influencera la scène mondiale avec brio et il saura
laisser sa marque personnelle dans chacun de ses spectacles. La précision des corps, la
lenteur, et l’absence de toute psychologie feront de son théâtre l’un des plus populaires
des années soixante-dix. Enfin, si Wilson ne croit pas en la pédagogie et à tout
enseignement derrière le théâtre, Stanislavski n’aurait pas fait long feu avec sa formation
d’acteur et Boal n’aurait jamais réussi à convaincre le moindre opprimé de ce monde. Il
est tout de même intéressant de constater à quel point il croyait à l’authenticité de son
théâtre moderne. Cependant, dans cette époque où l’on considère que tout a déjà été fait,
Wilson a peut-être raison de dire que c’est inutile de propager sa méthode puisque cela ne
mènera probablement à rien pour un autre. C’est au tour du suivant de formuler sa
théorie, de fonder ses pratiques qui lui seront propres. Malgré cela, la tendance des
anciens théoriciens nous pousse à croire que tout part de quelque chose, ou plutôt de
quelqu’un qui aura fait un chemin pour le prochain.
BIBLIOGRAPHIE
Féral, Josette. Mise en scène et jeu de l’acteur : Entretiens Tome II, Jeu, Canada, 1998.
pp. 362-372.
Quadri, Franco., Bertoni, Franco. et Stearns Robert. Robert Wilson, Plume, Paris, 1997.
240 p.
Wilson, Robert. « Réponses », Tel Quel, nos 71-73 (pp. 217-225)

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