1. Seconde Guerre mondiale

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1. Seconde Guerre mondiale
Les secrets des grands espions
1. Seconde
Guerre
mondiale
DR
On ne vit que deux fois. James Bond
aurait-il apprécié ce coupé Allard,
devant lequel son modèle, l’agent
double Dusan Popov, pose avec fierté,
au lendemain de la guerre ?
éditions de la rue
Si lors de la Grande Guerre on assiste
à l’émergence du chiffrage et des
réseaux, la seconde conflagration
mondiale exacerbe l’espionnage, qui
va peser bien plus lourd dans le
déroulement du conflit. Prolifération
d’agents doubles de haut vol, recours
à des opérations spéciales inédites :
la guerre secrète est née.
Les secrets des grands espions s econde guerre mondiale
Dusan Popov
(1912-1981)
Rien que pour vos yeux
Né en Serbie, Popov fit des
étincelles en infiltrant l’Abwehr
au bénéfice du MI5. Une
révélation pour le jeune officier
de marine Ian Fleming, qui, en
1941, fut chargé de le surveiller le
temps d’une mission. Douze ans
plus tard, Fleming publiait
« Casino Royale ». James Bond
était né. Après la guerre,
Popov (ici, avec Janine, épousée
en 1946) fera prospérer, à partir
de la France, son entreprise
d’import-export.
James Bond,
c’est lui !
Modèle. Son nom est
Popov. Dusan Popov.
Ian Fleming l’a vu à
l’œuvre.
Par François-Guillaume Lorrain
A
éditions de la rue
près avoir écrit « Casino Royale » en
1953, Ian Fleming avoua sa dette :
son modèle pour James était un certain Popov. Dusan Popov, né en 1912 en
Serbie. Surnommé au MI5 « Tricycle » en
raison de son penchant pour la cabriole à
trois. Des yeux bleu-gris, un air hautain,
un faible pour les chansons de Hoagy Carmichael. Lorsqu’il publia ses Mémoires,
en 1974, « Dusko » Popov, qui jusque-là
avait gardé le silence sur les services rendus à Sa Majesté, fut interrogé sur cette
postérité. « C’est une insulte à mon intelligence. James Bond, dans la vraie vie, n’aurait
pas survécu quarante-huit heures. Ce personnage est fantaisiste, irréaliste. » Mais avec
flegme il avait ajouté : « J’imagine que je suis
coincé avec cette histoire de Bond. »
Sur le plan opérationnel, l’original n’a
pas à rougir de la comparaison avec sa copie. Devenu antinazi après s’être frotté aux
nervis gestapistes lorsqu’il faisait ses études
de droit en Allemagne, c’est là-bas qu’il fit
la rencontre décisive : Johann « Johnny »
Jebsen, qui infiltra l’Abwehr pour mieux
l’affaiblir. Après la guerre, Popov passera
près d’un an à retrouver l’assassin allemand de Jebsen, qu’il exécutera. En 1940,
Jebsen contacte son ami Popov à Belgrade
pour l’inciter à se jeter dans la gueule du
lion nazi tout en proposant ses services au
MI5. Le beau Serbe commence par persuader les Allemands que l’Angleterre est cernée par un cercle infranchissable de mines.
Puis, en septembre 1941, il s’envole pour
les Etats-Unis, chargé par l’Abwehr de remplir un formulaire sur… Pearl Harbour.
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L’occasion pour Popov de croiser Hoover.
Mais le très puritain patron du FBI le prend
en grippe et tente de brûler sa couverture,
ce qui vaudra au séducteur, lors de son retour en Europe, quelques sueurs froides.
Dans ses Mémoires, Popov, rancunier, accusera Hoover d’avoir négligé l’intérêt de
l’Axe pour Pearl Harbour. Par la suite, Popov se rend en Espagne pour vérifier que
les Allemands sont bien tombés dans le
panneau de l’opération Mincemeat : faire
croire qu’un débarquement aura lieu dans
les Balkans et en Sardaigne, non en Sicile.
Il balade aussi à Gibraltar un officier de
l’Abwehr devant la doublure du général
Montgomery pour lui laisser penser que
ce dernier ne peut pas être en train de préparer le D-Day en Angleterre. Dans cette
vaste opération d’intox sur le Débarquement (Fortitude), Popov tentera aussi
d’avertir le MI6 que Cicéron (voir pages
­suivantes) est un agent allemand.
Mais la grande scène qui l’immortalisera eut lieu le 6 août 1941 au casino d’Estoril. Le Portugal, pays neutre, est alors
l’eldorado des espions. Popov y a sa couverture, une affaire d’import-export, qu’il
fera fructifier après la guerre, installé à
Grasse. Ce 6 août, Popov doit échanger
des dollars remis par l’Abwehr contre de
fausses livres sterling que le MI5 lui a remises. But de la manœuvre : faire financer
le renseignement anglais par les nazis.
Dans un coin, un jeune officier de la marine britannique chargé de le surveiller,
car avec les agents doubles on n’est jamais
trop prudent. Son nom : Ian Fleming.
Comme celui-ci s’en souviendra dans « Casino Royale », Popov provoque la banque
– un juif néerlandais nommé Bloch, rebaptisé « Le Chiffre » dans le roman – et risque
tout l’argent de l’Abwehr – 50 000 dollars –
sur la table. Personne ne suit. Popov fait
un esclandre et s’en va en insultant la compagnie. Fleming prend des notes. La l­ égende
est en marche §
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