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Revue des livres Comprendre la Pologne Anna
Paczesniak et Jean-Michel De Waele (dir.), Paris :
L’Harmattan, 2015, 290 pages.
Amélie Zima
Revue d’études comparatives Est-Ouest / Volume 47 / Issue 03 / September 2016, pp 185 - 190
DOI: 10.4074/S0338059916003077, Published online: 28 October 2016
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Amélie Zima (2016). Revue d’études comparatives Est-Ouest, 47, pp 185-190 doi:10.4074/
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Revue des livres
Comprendre la Pologne
Anna Paczesniak et Jean-Michel De Waele (dir.), Paris : L’Harmattan,
2015, 290 pages.
Le but affiché de l’ouvrage collectif dirigé par Anna Paczesniak et
Jean-Michel de Waele est de combler « un vide dans la littérature francophone » (p. 10) sur les transformations post-communistes de la Pologne
en prenant pour parti de n’avoir que des contributions d’auteurs polonais.
Il est vrai que peu d’ouvrages ont été consacrés exclusivement à la
Pologne post-communiste. Cependant plusieurs études transversales ou
thématiques ont déjà permis de cerner en partie des processus comme la
conversion des élites communistes, l’européanisation, les questions mémorielles ou les questions partisanes1. Néanmoins, ce livre collectif présente
l’avantage de dresser un panorama assez large de la Pologne contemporaine. En effet, ses neuf chapitres portent sur la transition, la politique historique, le système partisan, l’opinion publique et la confiance, l’intégration européenne, la politique extérieure, la politique économique et sociale,
la religion et l’agriculture.
Plusieurs éléments intéressants peuvent être relevés dans un certain
nombre de chapitres, notamment concernant la mémoire, la politique étrangère et la religion.
Dans le chapitre consacré à « l’héritage du passé et la politique de
mémoire », Antoni Dudek part du postulat que la politique historique n’est
pas « une tentative cynique d’instrumentalisation de l’histoire pour les
besoins politiques courants » (p. 46), mais un conflit débuté à la fin du
XIXe siècle entre deux visions de l’histoire, que pour simplifier, il qualifie
de libérale et de conservatrice. Cette dichotomie se retrouve tant parmi les
publicistes et les hommes politiques que parmi les historiens ou dans l’opinion publique. Les libéraux, représentés par le journal Gazeta Wyborcza
ou les partis UW et PO, plaident pour « la neutralité officielle de l’État
1. Entre autres : MINK Georges et SZUREK Jean-Charles (1999), La grande conversion :
le destin des communistes en Europe de l’Est, Paris : Seuil ; ROGER Antoine, dir. (2004),
Des partis pour quoi faire ? La représentation politique en Europe centrale et orientale,
Bruxelles, Bruylant ; NEUMAYER Laure (2006), L’enjeu européen dans les transformations postcommunistes, Paris, Belin ; MINK Georges et BONNARD Pascal (2010), Le passé
au présent : gisements mémoriels et actions historicisantes en Europe centrale et orientale,
Paris : Michel Houdiard ; HEURTAUX Jérôme et ZALEWSKI Frédéric (2012), Introduction
à l’Europe postcommuniste, Bruxelles : De Boeck.
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dans le domaine de la formation de la conscience historique » (p. 47). Ils
adoptent une réflexion critique sur le passé, rompant avec une historiographie cultivant une vision héroïque et martyrologique des Polonais. A
contrario, les conservateurs, dominants au sein du parti PiS et s’appuyant
sur des institutions comme l’Institut de la mémoire nationale (IPN) et le
Musée de l’insurrection de Varsovie, estiment que la politique historique
doit souder la communauté nationale, mobiliser des partisans et être un
outil de politique extérieure. L’État doit donc diffuser un message positif
sur l’histoire. Pour A. Dudek, cette vision sera dominante à moyen terme
car les classes sociales les plus jeunes, qui ont la vision la plus négative de
la Pologne socialiste, la partagent. Actuellement le conflit s’articule principalement sur l’évaluation de la Pologne socialiste : son indépendance
vis-à-vis de l’URSS, sa nature totalitaire et son bilan socio-économique.
À cela, d’autres questions se sont greffées : le pogrom de Jedwabne pour
les libéraux et la catastrophe de Smolensk pour les conservateurs. Par ailleurs, ce conflit a une incidence de taille sur le champ historique polonais puisque les historiens délaissent ces questions pour des sujets moins
controversés. De fait, cet article est soucieux de restituer les positions des
différents acteurs. Il montre bien la politisation des enjeux historiques,
particulièrement sensible depuis l’éclatement du bloc Solidarnosc. Enfin il
rend compte des controverses qui ont entouré la création et le fonctionnement de l’IPN, à la fois centre de recherche et tribunal, même s’il écarte un
peu rapidement les critiques formulées à son encontre.
Dans un autre registre, le chapitre d’Andrzej Dybczynski sur « la politique étrangère polonaise » propose une analyse pertinente en établissant
une chronologie en trois phases depuis 1989. La première, dominée par
la figure du ministre des Affaires étrangères Krzysztof Skubiszewski de
1989 à 1993, avait pour but de fixer des stratégies qui ont perduré malgré
les changements de gouvernement. La seconde, de 1993 à 2004, visait à
obtenir les adhésions à l’Otan et à l’UE comme moyen de garantir la sécurité mais surtout la souveraineté du pays. La dernière, après 2004, s’est
distinguée par un fort américanisme puis par la prise de conscience de
l’asymétrie de la relation, ce qui a conduit à un retour vers une dimension
européenne, symbolisée par le Partenariat oriental ou l’engagement dans
la révolution orange ukrainienne. En sus de ce découpage pertinent, l’auteur montre bien que la politique étrangère polonaise est façonnée par les
perceptions que les hommes politiques ont de l’histoire. La volonté de surmonter le dilemme de l’encerclement, auquel était confrontée la Pologne,
coincée entre l’Allemagne et la Russie, s’inscrit dans ce cadre de réflexion,
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de même que les relations avec la Lituanie. Cependant, ce panorama de
la politique étrangère accorde une place trop succincte aux groupements
régionaux, surtout au groupe de Visegrad. Si ce dernier n’est pas institutionnalisé et n’est pas forcément l’espace de politiques communes, il reste
un forum de rencontres régulières entre dirigeants où des décisions peuvent
être prises.
Dans un autre domaine, l’article de Slawomir Mande, consacré au « rôle
de la religion et de l’Église catholique », apporte un éclairage original sur
la place de cette institution en Pologne à partir d’une méthode quantitative. L’auteur démontre que l’ancrage territorial ecclésial est très faible :
tant le nombre de religieux que de paroisses est inférieur à d’autres pays
comme la France ou l’Italie. De même l’action sociale de l’Eglise est très
peu développée et les écoles confessionnelles, au même nombre qu’en
France, sont tenues par des associations laïques. De fait, pour l’auteur, la
puissance et l’importance de l’Église ne se basent pas sur ses capacités
institutionnelles mais sur son aptitude à mobiliser sur la base « d’une narration nationale-­catholique » (p. 230). Cela le conduit à nuancer la thèse de
« liens “éternels” de la polonité et de la religion » (p. 251) et à montrer que
ce fut une suite « d’événements plus ou moins fortuits » (p. 252) durant la
période communiste qui assura à l’Eglise polonaise une position d’autorité
incontestée. Ce fut d’ailleurs dans les années quatre-vingt, à la suite de la
création de Solidarnosc et de l’état de guerre, que le sentiment religieux
couplé au patriotisme fut le plus fort. Cependant, depuis la mort de JeanPaul II, une tendance à la sécularisation est amorcée, particulièrement chez
les plus jeunes. Si cette tendance se poursuit au rythme actuel, l’auteur
conclut que dans vingt ans, la Pologne sera dans la moyenne des pays européens concernant le sentiment religieux. De fait, ce chapitre déconstruit
l’étiquette de pays très catholique traditionnellement accolée à la Pologne.
Cependant cet ouvrage présente quelques angles morts et biais. D’un
point de vue formel, on peut regretter que l’introduction soit si courte et
serve principalement à présenter les différents chapitres. Il est également
regrettable que l’ouvrage ne comporte pas de bibliographie générale.
Toutefois le biais le plus important est une tendance à homogénéiser. À
maintes reprises, les auteurs évoquent « la Pologne », « l’Église », « les
campagnes ». Le chapitre de Maria Winclawska consacré aux « attitudes,
opinions et comportements politiques » aurait pu permettre d’éclater ces
monolithes mais l’auteure n’analyse pas réellement les nombreuses statis-
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tiques données. L’influence du catholicisme dans le manque de confiance
est une hypothèse proposée en note de bas de page (p. 112) et l’évocation
de la théorie de Giddens pour expliquer le repli sur soi des Polonais n’intervient qu’en conclusion sous une forme interrogative (p. 125). Certains
paradoxes et chiffres demanderaient pourtant à être analysés. Ainsi comment expliquer que les Polonais « apprécient le système démocratique »
(p. 124) mais que la participation électorale soit si faible ? Pourquoi les
Polonais de l’ancien secteur autrichien s’identifient-ils à la droite (p. 117) ?
Par ailleurs, l’auteure emploie un certain nombre d’anthropomorphismes
(« la société s’est sentie fatiguée », p. 97) et de jugements de valeurs (« un
nombre inquiétant » p. 104, « un résultat décevant », p. 120) qui n’apportent rien à l’analyse.
De plus, les acteurs sont souvent invisibles, hormis quelques présidents
et ministres. Or qui sont « les experts » qui assistèrent les ministres, ceux
qui portèrent la réforme du système d’aide sociale ou de la politique éducative ou, dans un autre domaine, les négociateurs de l’intégration à l’UE
et à l’OTAN ? Cette absence d’intérêt pour les acteurs explique sans doute
pourquoi les auteurs ne se penchent pas sur l’évolution du système syndical
après 1989 ou sur la conversion des partis du système communiste (PZPR
et ZSL) en acteurs politiques du nouveau régime.
Par ailleurs, la vision donnée de la société polonaise est extrêmement
lisse : les tensions qui la traversent sont évoquées très succinctement. Dans
le chapitre de Dorota Maron, « La politique économique et sociale », les
réformes majeures entreprises dans les années quatre-vingt-dix, comme la
privatisation et les réformes des systèmes de santé et de retraite, semblent
n’avoir soulevé aucun débat alors même que l’auteur montre que leur
coût social a été important en termes de « chômage, pauvreté et exclusion
sociale » (p. 209-213). D. Maron ne s’étend pas du tout sur les critiques ou
les « controverses » (p. 220). De même, S. Mandes n’évoque que très marginalement les questions de l’avortement et de l’enseignement religieux à
l’école alors qu’elles génèrent encore de fortes divisions. D’autres chapitres
se démarquent de cette approche, comme « Le monde rural et l’agriculture
dans le processus de changements », par Malgorzata Michalewska-Pawlak.
Elle rappelle que les différentes réformes du secteur agricole ont provoqué
deux cycles de manifestations paysannes (1989-1993 et 1997-2001). Elle
évoque aussi les formes de sociabilité locales comme le Cercle des fermières ou l’Union des sapeurs-pompiers. Néanmoins, l’auteure, de façon
paradoxale, qualifie « les milieux ruraux (d’) égarés et passifs » (p. 278).
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Finalement cet ouvrage, publié en 2016, pâtit surtout de ne pas traiter
des dynamiques contemporaines de la Pologne : la victoire du PiS aux
élections de 2015 et les conséquences sur l’état de droit et la démocratie,
comme le conflit autour du Tribunal Constitutionnel, la création de partis
politiques (Nowoczesna ou Kukiz’15) ou de mouvements sociaux comme
le KOD. Dans le domaine de la politique étrangère, l’annexion de la Crimée et la guerre en Ukraine ne sont pas évoquées, or elles ont des répercussions majeures sur la Pologne, comme l’a montré le sommet de l’Otan
à Varsovie en juillet 2016.
Cependant le premier chapitre, portant sur « La transition vers la démocratie en Pologne », ne permettrait pas de penser les évolutions actuelles,
car il se situe dans un cadre transitologique. Sans reprendre in extenso ici
les failles de la transitologie, force est de constater qu’un cadre empirique
qui envisage « la consolidation » (p. 41) comme la dernière phase d’un
processus de démocratisation dont les « règles n’ont été contestées par
personne » (p. 41) ne peut permettre de concevoir la mise en place d’une
dérive illibérale par l’actuel gouvernement PiS.
Amélie Zima, postdoctorante à l’Institut de recherche stratégique de
l’École militaire (IRSEM)
La Pologne au cœur de l’Europe, de 1914 à nos jours. Histoire
politique et conflits de mémoire
Georges Mink, Paris : Buchet-Chastel, 2015, 660 pages.
Que faire pour d’un côté ne pas oublier notre propre passé et de l’autre
qu’il ne nous submerge pas outre mesure, que « les morts ne gouvernent
pas les vivants » ? D’une certaine façon, tout le livre de Georges Mink est
une tentative de réponse à ces questions fondamentales posées en conclusion.
De nombreuses synthèses ont déjà été écrites sur l’histoire de la Pologne
au XXe siècle, mais le livre du sociologue polono-français est en comparaison exceptionnel, au moins pour un aspect. L’auteur développe constamment sa narration sur deux niveaux : les événements, qui constituèrent le
fil conducteur de l’histoire de la Pologne, de l’éclatement de la première
guerre mondiale à nos jours, et parallèlement une analyse continuelle des
« jeux mémoriels ». Pour le lecteur polonais, ces derniers vont probable-
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