Le financement participatif, ou l`investissement par les internautes

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Le financement participatif, ou l`investissement par les internautes
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//// Le Dossier
Le financement participatif,
ou l’investissement par
les internautes
La notion de «financement participatif» (ou crowdfunding pour nos amis
shakespeariens) est assez facile à comprendre intrinsèquement puisqu’il s’agit,
of course, de faire participer des gens
pour financer quelque chose. On ne peut
pas dire que ce soit novateur dans la mesure où l’on a pu croiser ce genre d’actions par le passé dans nos quotidiens
respectifs.
La fanfare du coin qui, par exemple,
vend de la choucroute au porte-à-porte
pour financer ses nouveaux uniformes
est une forme de financement participatif. Tout comme la vente de vin annuel
du club de football du village pour s’offrir de nouveaux ballons.
On peut même imaginer une sorte
d’énorme campagne de financement
participatif ce qu’ont mis en place certains pays (dont les USA en particulier)
durant les années 40 pour financer la
guerre avec la vente des «obligations de
guerre» au peuple qui, donc, prêtait de
l’argent à son gouvernement en faisant la
banque. Rationner d’un côté, emprunter
de l’autre, ça ne s’invente pas. La statue
de la Liberté elle-même a fait l’objet de
l’une des premières campagnes de financement participatif, avec des fonds
levés grâce à divers événements et justifiant alors bien un «cadeau du peuple
français au peuple américain».
Bon. Ça, c’était pour la petite Histoire
parce que, aujourd’hui, si le principe
reste le même, le financement participa-
tif est avant tout un concept développé
sur Internet et rendu populaire – et efficace! – grâce aux réseaux sociaux. Ainsi,
n’importe qui peut désormais tenter de
financer son projet via des plateformes
Internet comme wemakeit, kickstarter,
ulule ou encore kisskissbankbank (oui,
ça existe vraiment, ce nom).
PRENONS UN EXEMPLE
AU HASARD
Je suis un musicien et je veux sortir un
disque. Problème: je n’ai pas un rond,
ma musique n’est pas très populaire
(imaginons que je joue du heavy metal
ou que j’aie un orchestre de kazoos) et
donc je n’intéresse pas les sociétés de
production musicale. En revanche, je
sais qu’il existe un public pour ce que
je fais (ou pas, mais imaginons que oui)
et je pense que ce public serait prêt à
me donner de l’argent pour enregistrer
et produire mon disque. Je m’inscris
donc sur une plateforme de financement
participatif, j’y explique mon projet de
sortir un disque de heavy metal joué au
kazoo (je crois que je tiens un truc là) et
je fixe un objectif financier à atteindre.
Mettons: 12 000 CHF. Et je propose à
tout un chacun de me donner de l’argent
en échange de contreparties:
• Pour 25 CHF: le gentil donateur reçoit le CD
• Pour 50 CHF: le gentil donateur reçoit le CD et le Vinyl
• Pour 100 CHF: le gentil donateur reçoit le CD, le Vinyl, un Kazoo au logo
de mon groupe et un mot de remerciement dédicacé
• Pour 500 CHF: tout ce qui précède et
un concert privé dans son salon
Et ainsi de suite…
Si je parviens à réunir les 12’000 francs
en un mois, l’objectif est atteint, je reçois donc mon argent (moins les «taxes»
prélevées par la plateforme) et je réalise
mon projet novateur qui aura beaucoup
de succès. Si je n’atteins pas la cible, je
ne peux pas réaliser mon projet, et donc
les gentils donateurs ne sont pas prélevés de la somme qu’ils ont offerte et on
se quitte bons amis.
Une plateforme comme Ulule (plateforme francophone) indique que 66%
des projets sont parvenus à leurs objectifs ou les ont dépassés, financés par plus
d’un million de personnes et pour un total avoisinant les 55 millions de francs.
En 2015, la blogueuse et dessinatrice
française Laurel propose un projet, pour
sortir une BD en autoproduction, dont
l’objectif de financement est de 10 000
francs. Un mois plus tard, elle a récolté
près de 290’000 francs. Objectif atteint
à... 2860%. Sur le même site, un collectif de vidéastes Youtube a battu tous les
records en récoltant 750’000 francs, sur
un objectif de 40’000, pour la réalisation d’un film.
Jérémie Bertarionne
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//// Le Dossier
Une possibilité pour
la recherche?
Dans le domaine de la recherche et
des technologies, des plateformes dédiées existent aussi et les modèles de
financement participatifs sont légion.
Crowdsourcing (partage de compétences), crowdlending (prêt), ou encore
crowdinvesting, des opportunités de financement de projets répertoriées dans
un document officiel du Secrétariat à
l’économie (seco) à l’attention de Forum Tourisme Suisse (voir ci-contre).
De nombreuses startup comptent sur
les modèles participatifs pour se lancer
ou pour financer leurs produits et permettre leur commercialisation, à l’instar
de knocki, cette startup qui propose un
dispositif permettant de «connecter»
n’importe quoi (mur, porte, table) et de
transformer ce n’importe quoi en surface tactile.
Le financement participatif peut également servir d’indicateur pour une levée
de fonds plus significative auprès d’industriels ou de mécènes. Si un produit
rencontre un grand succès auprès du
grand public, il aura plus de chance
d’être repéré et accepté par des bailleurs
de fonds d’importance.
Il est plus difficile, toutefois, de l’envisager pour financer un projet HES
mais ses «cousins», le crowdsourcing
en particulier, peuvent représenter de
nouvelles alternatives pour les projets
de recherche. Sans oublier que, tout simplement, le financement participatif peut
permettre à une startup, ou une spin off
de démarrer grâce à un produit novateur
à condition qu’il puisse intéresser une
«foule» (crowd).
Jérémie Bertarionne
UN PEU DE VOCABULAIRE...
Dans son document de travail sur le «Crowdfunding – nouvelles
possibilités pour les financements du public» à l’attention de
Forum Tourisme Suisse 2015, le Secrétariat d’état à l’économie
(seco) donne les définitions suivantes:
Crowdinvesting (ou investissement participatif)
Dans le crowdinvesting, il s’agit souvent moins du financement d’un projet que de
l’obtention de fonds propres ou d’un financement mezzanine pour les entreprises
dans un stade précoce de développement (start-ups) ou les entreprises nécessitant une énorme augmentation de capital. En contrepartie, les investisseurs
reçoivent des parts dans l’entreprise (actions) ou dans le cas de financements
mezzanine, ils participent au succès de l’entreprise.
Crowdlending (ou prêt participatif)
Dans le crowdlending, la recherche d’un crédit pour un projet déterminé est au
premier plan. Les prêteurs reçoivent des paiements d’intérêts, dont la hauteur
dépend du risque encouru par l‘emprunteur, en contrepartie de l’octroi du crédit.
En général, des intérêts sont payés. Mais à l’instar du crowdsupporting décrit
ci-après, il existe aussi des projets avec une rémunération en nature (par ex.
chèques-cadeaux annuels pour l’obtention d’une prestation).
Crowdsupporting (ou soutien participatif)
Dans le crowdsupporting, l’investisseur reçoit une contrepartie non monétaire.
La créativité des entreprises en quête de capitaux est sans limites. Il s’agit le
plus souvent de contreparties sous la forme de produits ou services liés au projet
(par ex. invitations à des manifestations, éditions spéciales, traitement VIP, etc.).
Crowddonating (ou don participatif)
Les contributions de soutien versées ici sont des dons qui ne sont généralement
pas liés à des contreparties. Les campagnes de crowddonating sont le plus souvent lancées pour des projets sociaux, caritatifs ou culturels. Dans la pratique, il
est difficile de faire une nette distinction avec la catégorie précédente.
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//// Le Dossier
Le Crowdsourcing
Rencontre avec Ulysse Rosselet
Avoir une idée, ne pas vraiment savoir
comment la réaliser et la déposer sur internet en invitant chacun à trouver une
solution. C’est un peu le principe du
crowdsourcing, un cousin du crowdfunding, mais qui ne consiste plus à récolter
l’argent d’une masse d’inconnus, mais
leurs compétences. Mémoires vives a
rencontré Ulysse Rosselet, Professeur
chargé d’enseignement HES à la Haute
école de gestion Arc et chercheur à l’Institut du management et des systèmes
d’information. Il travaille actuellement
sur un projet lié au crowdsourcing, un
concept qui fait ses preuves auprès de
l’industrie depuis quelques années.
Le crowdsourcing, ou «production participative», vise donc à utiliser la créativité, l’expertise ou l’intelligence d’un
maximum de personnes pour réaliser le
projet, ou trouver une solution à un problème.
Dans le cas de la plateforme i-Brain,
créée par la HES-SO Valais et la HESSO Fribourg, par exemple, il s’agit de
récolter des idées. On y trouve notamment des projets pour fêter le Bicentenaire du Valais (2015) avec, pour les
meilleures propositions, un gain d’un
week-end wellness dans le canton. Ou
une recherche de pistes pour développer
la mobilité, avec des bons à la clé pour
ceux qui proposeront les meilleures
idées.
UN OUTIL TRÈS PUISSANT
Pour Ulysse Rosselet, le crowdsourcing
«est un outil très puissant pour réunir
des compétences issues de plusieurs esprits, et donc pour trouver des solutions
ou des idées véritablement novatrices».
En outre, le système a l’avantage de pouvoir être économique puisque, en général, on ne parle pas d’une rétribution en
espèces sonnantes et trébuchantes pour
les participants à un projet de crowdsourcing, mais plutôt de contreparties
offertes par la société qui lance le projet.
«Le système est souvent utilisé pour des
opérations marketing, poursuit-il. Une
grande société très connue pourrait par
exemple demander à ses clients de pro-
poser des recettes de burgers, et vendre
celui qu’elle aura jugé comme le meilleur, exploitant ainsi une idée quasiment
gratuite, en profitant au passage pour
faire sa pub».
Mais cela peut aussi, et surtout, être un
outil pour des sociétés leur permettant
de ne pas avoir à recruter quelqu’un à
long terme pour réaliser un projet. Dans
certains cas, des compétences et des
idées de personnes qui n’auraient peutêtre jamais été amenées à travailler ensemble peuvent être mises en commun.
Le projet Flexcrowd mené par Ulysse
Rosselet s’articule autour de ces principes.
«Le système
permet
également
de réaliser
des opérations
marketing»
Ulysse Rosselet
LE PROJET FLEXCROWD
«Ce projet consiste d’abord à analyser
un maximum de plateformes web axées
crowdsourcing, et elles sont nombreuses,
dans le but de guider une personne ou
une entreprise par rapport à la question
de comment réaliser son opération de
crowdsourcing. Finalement, une application web permettra de recommander
un processus de crowdsourcing ainsi
que les plateformes appropriées.»
Selon lui, les possibilités du crowdsourcing sont mal comprises et beaucoup de
projets peuvent être mal définis et lancés sur les mauvaises plateformes. Pour
Ulysse Rosselet, Flexcrowd permettra
de faire la distinction entre une opération de communication, la résolution
d’un problème d’innovation, la définition du déroulement de l’opération, et
enfin, la recherche de la meilleure plateforme de lancement.
Jérémie Bertarionne
Mathias Froidevaux
CROWDFUNDING, TRAVAUX
DE BACHELOR ET MANDAT
A l’occasion des derniers travaux de
Bachelor, plusieurs étudiants de la
HE-Arc travaillant sur la recherche de
fonds (fundraising) dans les domaines
de l’événementiel et du sport ont fortement développé l’élément crowdfunding pour des organismes et des clubs
sportifs réputés.
Par ailleurs, fin mai 2016, un projet
mené par l’institut du Management
des villes et du territoire (IMVT) de
la HEG Arc sur mandat de la coopérative SFLL au Locle a abouti à la
récolte de 25’000 francs. En 45 jours
de campagne, plus d’une cinquantaine
de backers ont versé leur contribution.
L’argent récolté servira à restaurer les
escaliers de l’établissement. Dans ce
projet, La HEG Arc a été chargée de la
veille, de l’étude des clients potentiels,
du choix de la plateforme et du lancement de l’action.
Mathias Froidevaux
CROWDFUNDING AUGMENTÉ
Deux ingénieurs français, Vincent
Alvo et Yann Cocatrix, ont créé www.
busybee.io. Un concept novateur de
crowdfunding augmenté, spécialisé
dans les objets design, innovants, intelligents et/ou connectés. Ils oeuvrent
dans le financement par prévente, l’industrialisation et la commercialisation
des produits.
Un projet sur Busybee se déroule en
quatre phases:
1 le buzz pour créer son
réseau d’influence et construire
sa communauté;
2 le crowdfunding;
3 la gestion de l’industrialisation;
4 la commercialisation.
Depuis sa création en juin 2014, la
plateforme a financé des projets pour
plus de 110 mio d’euros.
Magali Babey