Châtelaine904.21 Ko10/2010 - Zind
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Châtelaine904.21 Ko10/2010 - Zind
L’Alsace à déguster J’y allais pour les vins blancs. J’ai craqué pour le fromage munster et le pain d’épice, les paysages bucoliques, les maisons à colombages, les vignerons... et les vigneronnes. [ Par Nicole Labbé | Photos : Dominique Lafond | Recettes : Heidi Bronstein ] photo : À Riquewihr, classé l’un des « plus beaux villages de France », cette enseigne est une œuvre de Hansi, célèbre illustrateur du pays. Page de droite: dans la capitale, Strasbourg, l’incontournable quartier de la Petite France. 186 octobre 2010 ChÂtelaine ChÂtelaine octobre 2010 187 Mittelbergheim a préservé le cachet d’un village du XVIIe siècle. D’ici, les marcheurs peuvent atteindre les vignobles et profiter de majestueux points de vue sur la vallée du Rhin, les montagnes des Vosges et celles de la Forêt-Noire, de l’autre côté du fleuve, dans l’Allemagne voisine. 188 octobre 2010 ChÂtelaine Photo : Christian lacroix (doré du lac) photo : C’est merveilleux ! Les grappes luisantes, dorées et rosées qui s’amoncellent dans les bacs. Le muscat qui éclate sous ma dent. L’odeur grisante du moût. J’en suis sens dessus dessous. Et dire que c’est dans un entrepôt de béton que se grave cette image, l’une des plus émouvantes de ma semaine alsacienne ! Je suis à Riquewihr, village-vedette du coin, réputé depuis des siècles pour ses vins et sa beauté unique toujours intacte. Tandis qu’une masse de touristes arpente les rues médiévales, dans la cour de la coopérative Dopff & Irion, les vignerons défilent pour décharger le fruit des vendanges. Il y a de l’effervescence dans l’air ! Surtout que le réfractomètre, qui indique le degré d’alcool qu’on devrait tirer du raisin, affiche environ 12˚. Avec le poids des fruits, ce chiffre détermine les revenus de la récolte. L’année sera bonne ! Un pays de carte postale Si je suis venue en Alsace, c’est quasiment juste pour ses vins, des blancs à plus de 90 %, dont le fameux riesling (un des meilleurs cépages au monde, selon bien des experts). Dans cette région, la plus petite de France, les vignobles sont découpés en carrés, triangles, rectangles. Entre le Rhin et les Vosges, le paysage est un immense patchwork traversé par la route des vins, 170 kilomètres d’expériences gustatives. Ils sont près de 5 000 vignerons en Alsace. Beaucoup, héritiers de parcelles de terre, vendent leurs raisins aux gros producteurs ou aux coopératives. C’est ce que m’explique Bernard Nast, sommelier chez Dopff & Irion, en me racontant avec entrain qu’il participe lui-même aux vendanges. J’ai peine à imaginer cet élégant monsieur avec une hotte sur le dos. Mais ici, faire cette récolte en famille, à l’automne, est une tradition. Attablée à la terrasse panoramique du Château d’Isenbourg, un hôtelrestaurant parmi les plus cotés au pays, je savoure le moment. La vue sur les vignes est spectaculaire et le sommelier parle avec passion de la cuisine et des vins locaux. Belle tranche de vie... J’ai atterri en Alsace il y a quelques jours. Strasbourg, la capitale, est la parfaite porte d’entrée pour un séjour gastronomique, ses commerces regorgeant de charcuteries et foie gras, de gros bretzels et de bredeles, petits gâteaux de Noël en vitrine toute l’année. Il faut dire que la région est reconnue pour ses multiples marchés de Noël, celui de la capitale, tenu depuis plus de 400 ans, étant le plus ancien de France. J’ai vite cédé au charme des maisons à colombages. Et puis, oui, les énormes bouquets de géraniums accrochés aux 1 Doré du Lac au riesling recette page 222 2 3 nº1 Le sandre est un poisson prisé dans les recettes alsaciennes. Notre adaptation est à base de doré. nº2 Michel Habsiger fabrique le traditionnel pain d’épice. nº3 Les familles Dopff et Irion ont commencé à produire du vin dès le XVIe siècle. ChÂtelaine octobre 2010 189 2 3 Sur la route des vins Rieslings bien vifs, gewurztraminers aromatiques, crémants rafraîchissants. Résumons ainsi l’éventail des plaisirs de ce séjour. Et ajoutons à cela des vins de terroir, nectars divins aux personnalités propres – géologiquement parlant, le sol alsacien est une sacrée mosaïque ! Avis aux intéressés, un tel voyage demande un minimum de préparation. Comme dans tout pays de vignobles, il faut être bien renseigné. Sinon, pauvre touriste, on risque de perdre la tête devant les multiples affiches invitant à prendre un verre. Dans le lot, d’agréables comptoirs de dégustation de grandes maisons et des caves réputées à ne pas rater. Difficile de raconter toutes mes petites aventures chez les viticulteurs, de Riquewihr à Pfaffenheim. Mais voici, en vrac, mes plus exquises. nº1 L’Alsace est le paradis des amateurs de vin blanc ! nº2 Les restos offrent la flammeküche dans une infinité de déclinaisons. nº3 Philippe Blanck dans la cour de la maison familiale. Le temps s’arrête pour une petite dégustation. 190 octobre 2010 ChÂtelaine DeS BLANCS alsaciens à moins de 30 $, disponibles ici : Riesling Dopff & Irion Alsace 2009 (Code SAQ : 00210773) 14,60 $ Riesling Hugel Alsace 2008 (Code SAQ : 00042101) 17,95 $ Gewurztraminer Léon Beyer Alsace 2005 (Code SAQ : 00978577) 23,80 $ Pinot gris « Barriques » Ostertag photo : flammekÜche recette page 224 Photo : Christian lacroix (flammekÜche). stylisme: heidi bronstein (cuisine) et sylvain riel (accessoires) 1 fenêtres m’ont séduite. Je n’avais pas fini d’en voir ! Enfin, mon premier repas, Chez Yvonne, m’a plongée dans une Alsace de carte postale. Ce resto perpétue, en plus chic, l’esprit des winstubs, brasseries populaires où on dégustait non pas de la bière mais du vin local, et cela clandestinement à l’époque où les occupants allemands encouragaient plutôt la consommation de leurs propres appellations. Coq au riesling, salade de saucisse et fromage et autres plats robustes sont servis ici par des hôtesses en costume traditionnel. Le lendemain, à Gertwiller, près de Strasbourg, j’ai savouré le fameux pain d’épice, le vrai de vrai. Michel Habsiger est l’un des derniers à le confectionner de façon artisanale selon la recette originale. Sa boutique, Lips, est une folichonne maisonnette à la Hansel et Gretel et ses gourmandises font retomber en enfance. Il fallait voir le sourire du pâtissier quand Sylvie s’est mise à lui parler en dialecte alsacien. Sylvie, c’est ma chauffeuse de taxi. Elle m’accompagnera tout au long du voyage. Elle m’a ensuite fait grimper dans les Vosges, chez un jeune couple de fromagers, Vincent et Angélique Minoux. Leur munster au lait cru est une pure merveille. Et leur troupeau de vaches, comme posées en oblique dans les pâturages, une autre carte postale. J’ai terminé la journée à Niedermorschwihr, où m’a reçue Christine Ferber. Cette célèbre pâtissière, chocolatière et confiturière – au Japon, elle est aussi connue qu’une rock star – fait l’objet de toutes sortes d’anecdotes. Pour l’avoir vue à l’œuvre, je peux en témoigner : c’est bien elle, et personne d’autre, qui remplit chacun de ses petits pots de confiture. Oui, a-t-elle confirmé en riant, il lui arrive d’enlever les poils des framboises à la pince à épiler et, en effet, les fruits sont ici traités un à un et elle ne garde que les meilleurs. Alsace 2007 (Code SAQ : 00866681) 25,75 $ ChÂtelaine octobre 2010 191 Kougelhopf recette page 226 1 2 3 Epfig Un peu en retrait de la route des vins, André Ostertag accueille – quand c’est possible – les amateurs qui passent. Cet Alsacien formé en Bourgogne est réputé pour faire les choses à sa façon. Il élève le vin en barriques, certaines en chêne neuf (pas vraiment la tendance ici), et a depuis longtemps adopté la biodynamie (une méthode de culture bio tenant compte, entre autres facteurs, de l’influence des planètes). Sur certaines étiquettes de ses bouteilles, des dessins de sa femme, Christine Colin. Pour les vins de fruits (de cépages), bouteille verte et images de ceps s’élançant vers le ciel comme des corps dansants. Pour les vins de pierre (du terroir), vendangés plus tard, verre sombre et illustrations de racines. Et pour les vendanges tardives, bouteille transparente laissant admirer la couleur du vin et étiquette minimaliste. Quand je pars, André Ostertag me remet non pas une de ses bouteilles, mais un livre de ses poèmes. Et me prie de vous transmettre cette information : « On reconnaît un bon vin au fait qu’il ne nous donne pas, le lendemain, un mal de tête. » Wettolsheim Plus au sud, François Barmès renchérit : « Et vous dormirez bien. » Sur leur domaine, Barmès Buecher, sa femme Geneviève et lui pratiquent aussi la biodynamie. Le soir venu, nous partageons un repas au Rendez-vous de Chasse, resto gastronomique de l’hôtel Bristol, dans la charmante ville de Colmar, pas loin. Mémorable ! Grâce au menu, élaboré à partir des vins raffinés de la maison Barmès (dont leur festif Crémant d’Alsace, vendu à la SAQ). Grâce aussi à la passion et à la bonne humeur pétillante du couple, amoureux fou de l’accent québécois. Eguisheim, Turckheim, Kientzheim Aux environs de Colmar, trois villages viticoles, trois grandes maisons, trois géants. Au sens propre comme au figuré ! À Eguisheim, Marc Beyer, digne représentant de la maison Léon Beyer, reconnue depuis 13 générations pour ses vins secs irréprochables, me conduit galamment jusqu’aux vignobles dans sa luxueuse voiture, afin de me faire admirer le village depuis les collines environnantes. Je n’oublierai pas son regard amusé, alors que je descends, les pieds couverts d’épines de ronces, le long des vignes et vergers, à la recherche de quetches (prunes) – que je finis par trouver ! Le deuxième, Olivier Humbrecht, est aussi grand que le premier. Tout droit venu de ses vignobles, il me rejoint, chaussé de larges bottes, dans l’édifice contemporain qui abrite les caves du domaine Zind Humbrecht, à Turckheim. La construction, aux trois quarts enfouie sous terre, a été conçue pour tirer le meilleur parti des outils modernes. « Mais, précise-t-il, je travaille de façon plus traditionnelle que ne le faisait mon père dans son bâtiment traditionnel. » nº1 Au Relais des trois épis, boulangerie de la famille Ferber, on cuit le kougelhopf, une grosse brioche alsacienne. nº2 Chez plusieurs viticulteurs, ces belles grappes sont cueillies à la main. nº3 Superbe vin de vendanges tardives de la maison Ostertag. 192 octobre 2010 ChÂtelaine 1 2 3 Je rencontre Philippe Blanck, le troisième géant, à Kientzheim. Très sympathique gaillard : imaginez, il nous invite, Dominique la photographe et moi, dans la maison familiale, où il débouche une bouteille du domaine Paul Blanck millésimée 1978, année de naissance de Dominique. Puis, bouteille entamée sous le bras, il nous accompagne chez Flamme & Co, à Kaysersberg, le village voisin, où nous nous gavons de flammeküche. À la manière alsacienne, nous partageons ces tartes flambées variées en en commandant une, puis une autre... jusqu’à la tarte dessert aux pommes et calvados. Riquewihr Cette fois, chez Hugel et fils, ce sont les cousins Jean Frédéric et Marc André, 20 ans, qui me font fièrement visiter leurs caves, sous des bâtiments du XVIe siècle. Comme ils racontent l’histoire de leur célèbre famille, je m’informe de la présence des femmes dans la lignée. J’apprends ainsi que Charlotte, 18 ans, a l’intention de prendre part à l’entreprise. « Si on l’accepte », souligne un des jeunes hommes, le plus sérieusement du monde. Kaysersberg Vous l’aurez compris, les femmes ne sont pas nombreuses dans ce milieu. Mais il y a Colette Faller et ses filles, Catherine et Laurence. À la mort de son mari, en 1979, elle a pris les rênes du Domaine Weinbach. Quand je débarque chez elle, dans la cour d’un ancien couvent, au milieu du clos des Capucins, j’ai l’impression d’être dans un film historique ! Catherine me fait goûter pas moins d’une quinzaine de leurs vins sublimes. Ensuite, quel honneur, un repas traditionnel – choucroute, jambon, saucisse, pommes de terre – m’attend dans l’immense cuisine. Colette Faller, malgré mes questions, reste discrète sur son entrée dans l’univers masculin du vin alsacien. Si ce n’est ceci : « On interdisait la présence des femmes dans les confréries et les dégustations sous prétexte que leur parfum altérait le nez du vin. Et leurs cigares, alors ? » Je termine par cette image. C’est le matin. J’observe les grappes de cyclistes et de marcheurs prendre tout guillerets la route des vins. Alors, je me fais une promesse : je reviendrai et goûterai l’Alsace de cette façon-là aussi ! nº1 Eh oui ! le bretzel est né en Alsace. Aujourd’hui, on le trouve dans plein de boutiques. nº2 Ici, les marchands de géraniums font fortune, c’est sûr ! nº3 Trésors conservés dans une cave de Riquewihr, village emblématique de l’histoire vinicole du pays. En plus sur le web Pour découvrir d’autres photos de cette région et obtenir toutes mes adresses : chatelaine.com/alsace 194 octobre 2010 ChÂtelaine