Nord Eclair - 12 octobre 2008 - Chirurgie

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Nord Eclair - 12 octobre 2008 - Chirurgie
UNE DE NORD ECLAIR EDITION DU DIMANCHE 12 OCTOBRE
« Mieux payer les chirurgiens, mieux rembourser les Français »
Pour le Dr Philippe Cucq, président de l’Union des chirurgiens de
France, il faut revaloriser la rémunération de ces spécialistes.
Indispensable pour opérer au juste prix et pour redonner de
l’attrait
à
cette
profession
qui
séduit
moins.
Vous annoncez la mort programmée de la chirurgie française. Vous
ne jouez pas sur les peurs ? >> Non. On en est là. La démographie
médicale est en panne. Et, dans certaines spécialités comme la chirurgie
viscérale, digestive ou thoracique, c’est encore plus critique. Les enjeux sont
très graves. Comment allons-nous garantir l’offre de soins dans les dix
prochaines années ?
Votre constat porte sur la chirurgie hospitalière publique ou privée ? >> Les deux. Même si l’exercice est
différent, les deux sont en danger. Aujourd’hui, 65 % de la chirurgie est assurée par le privé. Et en ambulatoire, on en
est à 80 %. Les actes sont les mêmes, le métier est le même mais les conditions d’exercice sont différentes.
Votre mouvement de grève des actes non urgents intervient au moment où vous êtes en pleine
négociation avec le gouvernement. Un moyen de pression ? >> Actuellement, des syndicats de médecins non
représentatifs négocient avec le gouvernement. C’est inadmissible. C’est avec les professionnels véritablement concernés
qu’il faut discuter.
Finalement, vous défendez, en priorité, dans ces négociations, les dépassements d’honoraires des
chirurgiens libéraux ? >> La moitié des actes de chirurgie faits par les chirurgiens en secteur 2 le sont au tarif
Sécurité sociale. Ce n’est pas nous qui l’affirmons, ce sont les chiffres de l’Assurance Maladie. Les abus, nous sommes les
premiers à les dénoncer. Il faut sanctionner les fraudes, les dessous de table mais dire aussi que l’immense majorité des
chirurgiens sont des professionnels de qualité. Notre chirurgie est encore une référence mondiale mais nos tarifs sont les
plus bas d’Europe. Il faut que les chirurgiens soient mieux rémunérés et que les Français soient mieux remboursés. C’est
à ces conditions qu’ils auront accès à une médecine de qualité. • PROPOS RECUEILLIS PAR FL.T.
Santé : par qui serons-nous opérés demain ?
Plusieurs syndicats de chirurgiens ont lancé un appel à poser les bistouris cette semaine. Ils décrivent
une chirurgie en danger.
Un constat à nuancer et à replacer dans le contexte des négociations en cours sur la rémunération des
actes.
FLORENCE TRAULLÉ > malaise dans les blocs opératoires. À partir de ce lundi, et pour une semaine, l’Union des
chirurgiens de France, qui regroupe près de la moitié des chirurgiens en exercice, appelle les praticiens à faire la grève
des soins non urgents. « La chirurgie hospitalière publique est dans un état catastrophique. La chirurgie
libérale est en danger. Il faut trouver des solutions, mais les trouver avec les chirurgiens », prévient le Dr
Philippe Cucq, le président de l’Union des chirurgiens de France. Une fois lancé il aligne les raisons de s’inquiéter. La
démographie médicale (l’âge moyen des chirurgiens est de 54 ans), la difficulté à trouver des chirurgiens dans une partie
des hôpitaux de France, surtout les plus éloignés des métropoles attractives, l’insuffisante rémunération des actes, le
blues d’une profession qui séduit moins les étudiants en médecine les plus brillants, l’arrivée de chirurgiens étrangers «
qui n’ont pas tous les qualifications qu’on est en droit d’attendre de chirurgiens ». Le Dr Philippe Breil,
président du syndicat des chirurgiens viscéraux et digestifs, assure que « les pouvoirs publics ne sont pas inquiets
car ils disposent d’un réservoir inépuisable de médecins étrangers ». Une fausse bonne solution pour ces
chirurgiens qui vantent la formation, très sélective, à la française. « Il y a quelques années, on alertait en posant
la question : "comment serons-nous opérés demain ?". Aujourd’hui, la question est : "par qui serons-nous
opérés demain ?" », lance le Dr Philippe Cucq, alarmiste.
Revalorisation insuffisante
Mais, derrière toutes ces questions, il y a celle qui vient de mettre le feu aux poudres. La rémunération. « Les actes de
chirurgie n’ont pas été revalorisés depuis vingt ans », martèlent les différents syndicats de médecins. Si tous les
chirurgiens libéraux reconnaissent que la revalorisation des actes n’est pas suffisante face à l’augmentation des charges,
des primes d’assurances, du coût des assistants médicaux, il en est pour admettre néanmoins que la situation a tout de
même évolué. « Oui, il y a des grosses difficultés dans la profession », convient le Dr Alain-Noël Dubart,
chirurgien orthopédique qui se partage entre privé (La Louvière, à Lille) et public (l’hôpital d’Armentières), « mais il ne
faut pas non plus dire, comme certains, que la chirurgie va dans le mur ». Certes « quand vous mettez bout
à bout toutes les difficultés, bien identifiées, que les chirurgiens rencontrent, cela explique que beaucoup
de jeunes médecins préfèrent s’orienter vers des spécialités plus rémunératrices » mais annoncer la mort
prochaine de la chirurgie française lui semble très exagéré.
Derrière la fronde des chirurgiens qui menacent de poser le bistouri, il y aurait surtout des questions financières ? « En
2004, il y a eu un protocole d’accord entre chirurgiens, Assurance Maladie et ministère de la Santé, conclu
parce que les chirurgiens menaçaient de faire la grève générale . Un des points de l’accord était d’ouvrir le
secteur 2 aux chirurgiens en secteur 1 (ndlr : sans dépassement d’honoraires) qui n’avaient pu y accéder. Le
problème, c’est que quatre ans plus tard, ce n’est toujours pas fait.Beaucoup ont le sentiment d’avoir été
floués. Alors, évidemment, quand le gouvernement parle de créer un secteur optionnel (lire en page 3), c’est
la levée de boucliers ».
Pour éviter d’être taxés de se crisper sur la seule question de la rémunération et d’éluder les problèmes de fond de la
chirurgie qui sont également ceux de tout le système de soins français, certains comme le Dr Treil disent ne pas «
comprendre un gouvernement qui institue les franchises médicales mais ne veut pas franchir l’obstacle
intellectuel de dire : les tarifs en vigueur ne veulent plus rien dire. Aujourd’hui, la cotation de l’acte
d’ablation de l’utérus d’une chatte par un vétérinaire est plus élevée que l’hystérectomie pratiquée sur
une femme. Surréaliste ! » •
ÉCLAIRAGE
Moins de chirurgiens dans la région qu’ailleurs en France À l’instar de la plupart des spécialités, le nombre de
chirurgiens dans le Nord – Pas-de-Calais est nettement inférieur à celui de la moyenne française. Selon une étude de la
DRASS (Direction régionale des affaires sanitaires et sociales) dont les chiffres remontent malheureusement à 2004
(mais ils auraient peu évolué depuis), la densité de chirurgiens dans la région est de 6,2 pour 100 000 habitants. Avec
un différentiel assez important entre Nord (7,2) et Pas-de-Calais (4,5) qu’explique en partie le poids de la métropole
lilloise. À titre de comparaison, la moyenne française (hors DOM-TOM) affiche une densité de 7,8 pour 100 000
habitants.
Le projet de « secteur optionnel » qui met le feu aux poudres. C’est une idée de l’Assurance Maladie, soutenue
par le ministère de la Santé. Objectif affiché : réguler les dépassements d’honoraires.
Actuellement, 84 % des chirurgiens libéraux sont en secteur 2 (celui qui permet des dépassements d’honoraires). «
Mais, si on regarde les chiffres fournis par l’Assurance Maladie elle-même, la moitié des actes réalisés par
ces chirurgiens sont, de fait, facturés au tarif Sécurité sociale. Alors, arrêtons de dire que les chirurgiens
exagèrent et de faire peser sur eux une partie du déficit de la Sécu », s’emportent les chirurgiens syndiqués qui
défendent le mouvement de grève. Le secteur « optionnel » serait un intermédiaire entre le secteur 1 (tarif Sécu) et le
secteur 2, permettant des dépassements d’honoraires allant de 30 à 50 % sur les deux tiers des actes. « Une fausse
bonne idée », pour le Dr Cuq qui y voit « la disparition à terme du secteur 2
La chirurgie n’attire plus autant qu’avant les étudiants en médecine
Longtemps, ce fut la plus prestigieuse des spécialités. Dans une profession qui se féminise énormément, la chirurgie
séduit moins qu’avant. Même si, au dernier concours de l’internat, on observe un redressement de tendance.
«On forme 20 chirurgiens viscéraux en France chaque année, alors qu’on sait qu’il en faut un pour 30 000
habitants. Vu la pyramide des âges des chirurgiens, ça ne suffira pas pour remplacer ceux qui vont partir
en retraite dans dix ans », prévient le Dr Jacques Caton, président du syndicat des chirurgiens
orthopédistes. Il affirme même que la chirurgie n’attire plus. Ou tout au moins beaucoup moins qu’avant.
« Avant, toutes les possibilités en chirurgie partaient dans les premières au concours de l’internat. Ce
n’est plus vrai aujourd’hui ». « Effectivement, on a constaté une désaffection des internes pour la
chirurgie » , reconnaît le professeur François-René Pruvot, chef du service de chirurgie digestive et transplantations à
l’hôpital Huriez (CHRU de Lille). Il cite l’exemple de ce concours récent où « on pouvait former six nouveaux
internes
en
chirurgie
mais
on
en
avait
deux
ou
trois,
pas
plus
».
Cela dit, il observe aussi un renversement de tendance au dernier concours de l’internat et s’en félicite. Pourquoi ? «
Peut-être parce qu’on a cessé de pleurer sur notre sort, ce qui faisait logiquement fuir les jeunes ». Dans sa
spécialité, la chirurgie viscérale, « les nouvelles techniques (coelioscopie, transplantation, chirurgie du
cancer) ont été mises en valeur. Ça doit également jouer » .
Une spécialité lourde
Nicolas Briez, interne en chirurgie à Lille, l’a également constaté. « En 2003, au concours de l’internat à Lille,
personne n’a choisi la chirurgie viscérale. Cette année, il y avait 18 demandes d’étudiants pour 12 postes
». Il observe que si la chirurgie n’attire plus autant les meilleurs étudiants, la chirurgie viscérale est encore plus à la
peine. « Les opérations sont très longues. Un traumatologue ou un urologue peut faire 7 à 10 interventions
dans la journée. Ce n’est pas le cas en chirurgie viscérale ». Pourtant, c’est cette spécialité lourde, avec des
risques opératoires plus importants qu’ailleurs, avec des suites plus lourdes à gérer pour le chirurgien, qu’il a choisie. Au
total, 14 ans d’études. Pierre Cholewinski, lui, vise plutôt la chirurgie orthopédique. « Moins de risque vital qu’en
viscéral, moins de gardes, plus d’opérations programmées », c’est aussi un choix de vie. Il vient de passer
l’internat et commence bientôt son premier stage en chirurgie à l’hôpital de Boulogne-sur-Mer.
« La profession se féminise énormément » , observe le Dr Caton « et les femmes choisissent plutôt des
spécialités où elles pourront gérer plus facilement leur temps de travail. Ce n’est pas le cas avec la
chirurgie où il y a des gardes, des astreintes, des horaires très lourds ». C’est le choix de cette future
dermatologue. « Quand j’ai choisi de faire médecine, je voulais être chirurgien. La spécialité reine. La plus
prestigieuse. Celle qui, dans mon esprit, était réservée aux meilleurs. Mais j’ai aussi envie de préserver ma
qualité
de
vie.
Je
n’ai
pas
envie
de
bosser
80
heures
par
semaine
».
Très bien classée à l’internat, elle aurait pu opter pour la chirurgie. « Je n’ai pourtant pas hésité et je ne suis pas
la seule dans mon cas ».
• FL.T.