La taille minimale, une voie pour la maîtrise des coûts de

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La taille minimale, une voie pour la maîtrise des coûts de
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Technique
La taille minimale, une voie pour la
maîtrise des coûts de production ?
Jacques ROUSSEAU
ICV - La Jasse de Maurin - 34970 Lattes - France.
Alain CARBONNEAU
Agro Montpellier IHEV - 2 Place Viala - 34000 Montpellier, France.
Hernan OJEDA
INRA Unité Expérimentale de Pech Rouge - 11430 GRUISSAN, France.
Face à la crise, est-il possible de
réduire les coûts de production
à l’hectare de façon significative
pour s’adapter à la concurrence,
notamment sur les segments entrée/cœur de gamme ? La taille représente un poste important des
coûts de production (20 à 25 %).
Est – il possible de s’en passer,
partiellement ou totalement ?
À l’étranger, il est possible de
découvrir dans de nombreux
vignobles (Italie, Espagne, Australie, Californie, Chili etc.) des
modes de conduite visant à réduire ces temps de travaux : cordons simplement prétaillés (taille
en haie, photo 1), cordons prétaillés et nettoyés rapidement à
la main (photo 2), et même cordons non taillés et non prétaillés
(minimum pruning ou taille minimale, photo 3).
L’intérêt économique de ces pratiques est évident : réduction, voire
disparition de la taille et des relevages, soit une économie de 20
à 30 % par an et par ha, et une
augmentation significative de la
capacité de production par UTH
(figure 1).
Mais quel est l’impact sur la qualité des raisins et des vins, notamment dans nos vignobles ?
Quelle pérennité pour une vigne
conduite de cette façon ? C’est
le but des essais mis en place
par l’INRA, l’Agro Montpellier
et l’IHEV, et l’ICV, pour évaluer
le comportement de la vigne
conduite en taille minimale et
l’impact sur la maturation des
raisins et la qualité des vins.
 Photo 1 : Aspect de cordon
taillé mécaniquement avec
finition manuelle.
 Encadré 1 : Le principe de la taille minimale
 Photo 2 : Taille mécanique
avec nettoyage manuel sur
Merlot, Frioul, mars 2006.
 Tableau 1 : Comparaison des rendements entre espalier
et taille minimale depuis 1999 sur le Merlot de Montpellier
(secteur peu fertile, non taillé depuis 1997).
La taille minimale consiste à former un cordon que l’on laisse libre de se
développer dès la formation : ni ébourgeonnage, ni taille des sarments, ni
prétaille. Les sarments se développent librement, sans aucun écimage,
sauf les rognages latéraux nécessaires pour permettre le passage des
machines.
Le cordon est positionné en hauteur (1,20 à 1,40 m) de façon à permettre
un port retombant de la vigne sans que les sarments ne retombent au sol :
le raisin reste ainsi correctement aéré.
La vigne s’auto-régule rapidement : une partie seulement des bourgeons
débourrent, la croissance des sarments est fortement ralentie, la fertilité
diminue : moins d’inflorescences par sarment, de petite taille, avec un
nombre réduit de baies.
Dans les années qui suivent la formation du cordon, on assiste à une
surproduction très importante, qui pénalise la maturation du raisin. Au
bout de 2 à 4 ans, dans les situations de vigueur modérée, l’équilibre est
atteint et le raisin mûrit normalement (tableau 1)
Modalité
Espalier
Taille
minimale
14,5
9,75
9,8
12,2
-
7,5
5,1
Moyenne
2000/2006
8,87
24,3
12,7
9,8
18,3
14,7
7,3
9,5
11,52
1999 2000 2001 2002 2004 2005 2006
Dispositif expérimental
 Photo 3 : Merlot en
non-taille, Espagne,
septembre 2006.
Sur 3 sites du Languedoc ont été mis en place des essais comparant
taille minimale et cordon en espalier :
• Sur une parcelle de Merlot, à Montpellier, plantée en 1984 et transformée en 1994, non taillée depuis 1997 sur deux secteurs : un secteur fertile (alluvions récentes profondes) et un sol de mi-coteau, de
profondeur moyenne, sans rationnement excessif en haut.
• Sur des parcelles de Syrah et de Mourvèdre, en coteau calcaire, à
Gruissan (INRA Pech rouge), avec des sols superficiels subissant un
fort desséchement estival. Les cordons ont été formés en 2003, et la
vigne n’est plus taillée depuis.
Sur ces différents sites sont notés l’évolution du rendement, les conditions de développement du feuillage, les conditions de maturation
du raisin ; les vins ont été vinifiés en cave expérimentale dans des
conditions standardisées, et dégustés par des jurys experts.
Les résultats concernant les essais de l’INRA de Pech rouge feront
l’objet d’une communication détaillée au prochain GESCO.
OCTOBRE 2006 REVUE DES ŒNOLOGUES N° 121
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Incidence sur la vigueur
La taille minimale entraîne une réduction rapide de la vigueur qui
se traduit par :
• Des sarments petits (diamètre 4 à 6 mm) et courts (6 à 9 entrenœuds).
• Un feuillage plus pâle.
• Peu ou pas d’entrecœurs ou de pampres.
• Des baies plus petites (-33 %) : la différence apparaît très tôt, dès
fermeture de la grappe.
• Un arrêt de croissance précoce (ralentissement de la croissance
des apex dès la floraison).
• Une fertilité par sarment plus faible : moins de grappes, plus petites, et aucun grappillon.
 Photo 4 : Merlot en taille
minimale en situation fertile.
(septembre 2004, Agro
Montpellier)
En situation fertile, en l’absence de maîtrise de vigueur par l’enherbement, la taille minimale entraîne une forte surproduction, avec
des problèmes d’entassement de feuillage et de végétation favorables au botrytis et ne permettant pas une maturité correcte du
raisin (photo 4).
Sur le Merlot de Montpellier, en secteur peu fertile, le rendement moyen
depuis 2000 (une fois la période de surproduction finie) est supérieur
de 30 % en taille minimale en comparaison avec l’espalier.
La taille minimale modifie significativement les composantes du
rendement (tableau 2) :
• Un nombre de grappes plus élevé (+ 59 à 73 %).
• Des grappes plus légères (-41 %) et moins compactes.
15
Taille minimale
13
Espalier
11
9
7
Incidence sur le rationnement hydrique
Au domaine de l’INRA à Pech rouge (11, Gruissan), sur un sol superficiel sur calcaire fragmenté en coteau, favorable à une forte vigueur
printanière suivie d’un rationnement hydrique rapide en été, les rangs
en taille minimale sont beaucoup plus sensibles au rationnement
hydrique que le cordon de Royat. En 2005, cela a entraîné une défoliation très importante après véraison sur Mourvèdre, préjudiciable
à la maturité du raisin (photo 5).
Incidence sur le rendement
Dans les premières années qui suivent la formation du cordon et
l’abandon de la taille, la vigne en taille minimale subit une augmentation importante de rendement pouvant aller jusqu’à plus du double
du rendement du cordon. Pendant cette période, le raisin a du mal à
mûrir correctement, et est sensible au développement du botrytis.
Au bout de quelques années, la fertilité et le rendement diminuent.
Sur les parcelles de vigueur modérée, le rétablissement se fait en
2 à 3 ans. Sur les parcelles à forte vigueur, les rendements peuvent
rester élevés plus longtemps, tant que la vigueur n’a pas été régulée,
par exemple par l’enherbement.
5
3
1
Nov.
Déc.
Jan.
Fév.
Mar.
• Un nombre de baies par grappe
plus faible (-19 à 36 %).
• Des baies plus petites (-8 à
27 %).
Incidence sur la
maturation
Pendant la phase de surproduction, l’excès de raisin empêche
une bonne maturation. Ainsi, en
2005 la Syrah de Pech rouge en
taille minimale, avec un rendement de 6,8 kg par pied contre
1,7 kg/pied sur l’espalier, a subi
un blocage complet de maturation (figure 2).
Une fois la régulation du rendement faite, la maturation se dé-
 Tableau 2 : Évaluation des composantes du rendement à la récolte en 2005 (Merlot Montpellier)
Modalité
Poids d’une grappe
(g)
Moyenne Écart type Moyenne Écart type Moyenne Écart type
Espalier F
29,2
6,0
2,68
0,71
91,2
11,3
TM F
50,6
20,1
2,73
1,16
53,8
7,0
Espalier PF
28,0
6,8
2,25
0,68
82,2
17,3
TM PF
44,5
14,1
2,20
0,88
48,6
9,1
Nb grappes
Poids raisin (kg)
REVUE DES ŒNOLOGUES N° 121 OCTOBRE 2006
 Photo 5 : Mourvèdre en
espalier (à gauche) et en
taille minimale (à droite) à
l’INRA Pech rouge, 31/08/05
 Figure 1 : Comparaison des temps de travaux sur cordon de
Royat et en Taille Minimale.
Temps de travail (h/ha)
TECHNIQUE
Principaux résultats.
Poids
d’une
baie (g)
1,49
1,09
1,38
1,27
Nb baies/grappe
Moyenne Écart type
55
6,9
44,7
5,8
53,6
11,3
34,6
6,4
Avr.
Mai
Jui.
Juill.
Aoû.
Sep.
Oct.
roule normalement en taille minimale. Le chargement en sucres et
en anthocyanes par baie est plus
faible (figure 4) que sur espalier,
mais du fait de la petite taille des
baies, la richesse technologique
des moûts est comparable à légèrement supérieure à celle atteinte sur l’espalier (figure 5). Le
raisin peut subir un léger retard
sur la taille minimale, pouvant
aller jusqu’à 5 à 10 jours.
Incidence sur les profils
des vins
Les suivis de maturité sur raisin
en 2005 ont montré une faible
incidence du mode de conduite.
Les essais antérieurs ont montré
que la taille minimale entraîne
parfois un retard de maturation
de quelques jours. Pendant la période de surproduction des premières années, il y a un blocage
de la maturité avec des raisins en
nette sous-maturité et des vins
marqués par cette caractéristique. Des essais sont en cours
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Espalier
100
Taille minimale
80
60
40
20
Nb
grappes
Poids d'une
grappe (g)
Nb
Poids d'une
baies/grappe baie (x50)
Taille minimale
Espalier
4/8 8/8 12/8 16/8 20/8 24/8 28/8 1/9 5/9 9/9 13/9 17/9 21/9 25/9
% Vol.
 Figure 4 : Évolution du chargement en sucres et en
antocyanes par baie sur Merlot en 2005 : comparaison espalier
et taille minimale
Quantité par baie
250
200
150
Sucres E
Sucres TM
ApH1 E
ApH1 TM
100
0
 Figure 3 : Évolution des degrés potentiels sur Syrah de Pech
rouge en 2005 (vigne non taillée depuis 2003).
13
12
11
10
9
8
7
6
5
4
3
2
1
300
50
0
0,35
0,30
0,25
0,20
0,15
Sucres E
Sucres TM
ApH1 E
ApH1 TM
0,10
0,05
0,00
7/8
17/8
pour vérifier s’il est possible de
valoriser ces raisins par la production de vins à faible teneur
en alcool.
Une dégustation comparée des
vins issus de cordon de Royat,
de lyre et de taille minimale, à
partir de la parcelle de Merlot de
l’Agro Montpellier a été réalisée
le 9/2/05 par un jury de l’INRA, de
l’Agro et de l’ICV. Ont été comparés des vins issus des millésimes
27/8
6/9
16/9
2000 à 2004. Cette dégustation a
mis en évidence des différences
significatives entre les modes de
conduite, et permis d’identifier un
profil assez spécifique des vins
issus de taille minimale, qui est
apparu assez constant d’un millésime à l’autre.
Les vins issus de la modalité en
taille minimale présentent un profil très spécifique par rapport aux
TECHNIQUE
120
 Figure 5 : Évolution du degré potentiel et de ApH1sur Merlot
en 2005 : comparaison taille minimale et espalier.
Sucres g/l ApH1/10 (mg/l)
 Figure 2 : Comparaison des composantes du rendement sur
Merlot (Agro Montpellier, 01/09/05).
7/8
17/8
27/8
6/9
16/9
deux autres modalités :
• La robe est moins intense, mais avec une nuance très vive, violacée, même après 4 ans : il serait intéressant de comparer la teneur
en malvidine avec celle des autres modalités
• Le nez est peu intense, peu complexe, mais dominé par des arômes
de fruits rouges, de confiture, assez agréable et frais
• La bouche est peu concentrée, et paraît parfois diluée par rapport
aux autres, mais avec toujours un équilibre intéressant : gouleyante,
peu astringente, peu desséchante, peu agressive.
• Un vin fruité, léger, sans défaut, adapté à des marchés d’entrée de
gamme, remarquable par sa régularité et le maintien de ses caractéristiques dans le temps.
Les vins issus de lyre ouverte se traduisent, à l’opposé, par un volume
important, une plus forte concentration, une structure tannique présente mais agréable et fondue, avec toutefois une tendance à l’évolution au niveau de la robe et des arômes, et souvent un côté un peu
brûlant dû à une forte richesse en alcool. Ils donnent un profil de vin
très différent, mais également constant dans le temps.
Les vins issus de l’espalier se rapprochent plus de la structure et de
la concentration de la lyre, mais avec apparemment une plus grande
variabilité du profil en fonction du millésime. Souvent également
brûlants, ils ne présentent pas toujours une structure tannique bien
fondue, et offrent un profil olfactif assez intense, mais qui varient des
notes fruitées aux notes évoluées selon le millésime.
Recommandations pour la mise en place d’une
parcelle en taille minimale.
Le développement de cette technique nécessite encore beaucoup de
prudence. Un certain nombre de problèmes techniques ne sont pas
encore parfaitement maîtrisés : comment réguler la surproduction
des premières années, comment arriver rapidement au bon équilibre vigueur/rendement en fonction de la fertilité des sols, comment
éviter le stress hydrique.
Il est cependant d’ores et déjà possible de faire des recommandations
aux vignerons qui souhaiteraient tester cette nouvelle voie, notamment pour éviter des erreurs importantes.
Dans le choix de la parcelle et la plantation
• Choisir une parcelle ni trop fertile, ni trop sensible au rationnement
hydrique,
• Planter des rangs larges (minimum 2,50 m, si possible 3 m), en
évitant de les mettre en travers du vent
OCTOBRE 2006 REVUE DES ŒNOLOGUES N° 121
TECHNIQUE
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• Dimensionner un palissage très solide, capable de supporter sans
fléchir la masse de végétation : attention notamment à la solidité
des piquets de tête et des amarres, et au diamètre et à la tension
du fil porteur.
• Compte tenu de la sensibilité de la taille minimale au stress hydrique, il est préférable de l’implanter sur des parcelles où l’irrigation
est possible.
• Éviter de conduire en taille minimale des cépages tardifs (Cabernetsauvignon) qui risqueraient de ne pas mûrir
mentation du nombre de bourgeons par souche)
• Par une période de taille mécanique les premières années
• Par des traitements à l’étéphon
Dans la formation du tronc et du cordon
• Former soigneusement et rapidement le cordon (ce qui demande
un travail plus important que pour une plantation classique, et peut
prendre un an de plus).
• Fertilisation azotée et irrigation appropriée les premières années
• Ébourgeonnage du tronc (2 passages par an)
• Attachage (3 à 4 passages par an)
• Ne plus tailler dès la formation du cordon (éviter de rabattre les
sarments à 2/3 yeux après la première année de croissance)
Conclusion
Limiter l’excès de rendement les premières années
• Par l’enherbement et la fertilisation raisonnée
• Par l’allongement des cordons (diminution de la vigueur par aug-
REVUE DES ŒNOLOGUES N° 121 OCTOBRE 2006
Ces techniques restent encore à
valider pour certaines.
Les observations réalisées sur la
parcelle expérimentale de Merlot
de l’Agro Montpellier montrent
que de 2000 à 2006, la taille minimale entraîne une production
supérieure de 30 % par rapport
à l’espalier. Le raisin arrive à une
composition technologique comparable, avec parfois quelques
jours de retard. Cependant, les
baies en taille minimale sont plus
petites (- 25 %), et ont un niveau
de chargement en sucres et en
anthocyanes par baies plus faibles. Les vins sont fruités et légers, bien adaptés à des marchés
d’entrée de gamme. La taille minimale peut offrir une possibilité
de diminution significative des
coûts de production pour ces
marchés. Ces résultats peuvent
être obtenus sur des parcelles de
fertilité moyenne, sans rationnement estival excessif.
n
NDLR : Les références bibliographiques
concernant cet article sont disponibles
sur simple demande auprès de la Revue
des Œnologues.
- Par courrier : joindre une envelop­pe
af­franchie, avec les références de l’article
- Sur internet : www.oeno.tm.fr

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