de nouveaux enjeux pour la sociologie des rapports sociaux de sexe

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de nouveaux enjeux pour la sociologie des rapports sociaux de sexe
Recherches sociologiques 1999/3
C. St-Hilaire: 23-42
Le paradoxe de l'identité et le devenir-queer
du sujet : de nouveaux enjeux pour la sociologie
des rapports sociaux de sexe
par Colette St-Hilaire *
Ce texte analyse les enjeux que pose, pour la sociologie des rapports sociaux de
sexe, l'émergence des courants Queer et "transgenres" dans les milieux universitaires anglo-saxons. L'auteur situe historiquement ces courants, en présente
les principaux axes théoriques et décrit les pratiques auxquelles ils s'articulent.
En mettant en dialogue les théories féministes et queer, le texte propose une réflexion sur les paradoxes de l'identité et invite la sociologie des rapports sociaux de sexe à revoir ses catégories et à élargir son objet afin d'être en mesure
d'analyser la portée de ce devenir-queer du sujet sexué.
En même temps que le mouvement des femmes s'imposait comme l'un
des grands mouvements sociaux de la seconde moitié de ce siècle, l'étude
des rapports sociaux de sexe gagnait en légitimité jusqu'à s'institutionnaliser dans de nombreux programmes universitaires, particulièrement en
Amérique du Nord et dans plusieurs pays occidentaux anglo-saxons, mais
aussi en Europe et dans certains pays du Sud 1. Quoique des tensions aient
toujours marqué les rapports entre ces programmes et les mouvements de
femmes, leur interdépendance reste indéniable. On ne s'étonnera pas alors
que l'essoufflement des uns affecte la progression des autres, d'autant
plus que de nouvelles forces sociales revendiquent maintenant d'occuper
le terrain des rapports de sexe: pensons aux gais et lesbiennes, eux-mêmes en passe d'être doublés par les mouvements queer et transgenres, les-
• Collège Édouard-Montpetit, Longueil (Québec).
1 Pour une analyse de l'évolution des études féministes et de leurs modèles théoriques, voir DESCARRIES F. (1998). Il faut noter cependant que l'analyse de Francine Descarries exclut les théoriciennes déconstructionnistes et queer telles Braidotti (BRAID01TI R., 1994), Butler (BUTLER J., 1990,
1993, 1997), Gatens (GATENS M., 1996), Grosz (GROSZ E., 1994), Haraway (HARAWAY D. J.,
1991,1997b), Probyn (PROBYN E., 1996) et Sedgwick (SEDGWICK E. K., 1990).
24 Recherches Sociologiques, 1999/3 - Rapports sociaux de sexe
quels en appellent à un au-delà de la binarité sexuelle et même à l' abandon de toute référence identitaire 2.
Quels sont les enjeux de ces transformations du point de vue d'une sociologie des rapports de sexe ? Que les femmes ne soient plus au centre de
la politique sexuelle, ou, pire encore, qu'on range le féminisme parmi les
forces réactionnaires, ne va pas sans susciter de l'anxiété dans les programmes d'études féministes 3. Cette anxiété est-elle légitime? L'appel à
dépasser la binarité du sexe annonce-t-il un autre effacement des femmes
et le retour en force du mâle générique dans les savoirs et les pratiques ?
Comment lire cette profusion de discours, d'identités, de mobilisations qui
débordent et contestent les catégories usuelles: homme, femme, gai, lesbienne, hétérosexuel ?
La tentation est forte dans certains milieux de se porter à la défense des
frontières reconnues du sexe et de se retrancher derrière une sociologie
des rapports hommes-femmes. Sans sacrifier à ce qui pourrait n'être qu'une mode, une attitude moins rigide s'impose: «Non pas prédire, mais être
attentif à l'inconnu qui frappe à la porte» (Deleuze, 1989 :191).
Cet inconnu se présente de plus en plus sous les diverses figures de la
mouvance queer. Je tenterai d'en tracer le portrait pour ensuite faire ressortir les questions qui devraient être prises en compte dans une sociologie
des rapports sociaux de sexe.
J. La mouvance queer: discours et pratiques
À l'origine, le terme queer était utilisé pour désigner, de manière péjorative, les homosexuels: "He's queer! C'est un pédé !". Jusqu'à ce que
des militants gais et des militantes lesbiennes américains se réapproprient
l'expression avec défi et en exposent l'hétéronormativité : "We're here,
we're queer! ". Leur geste n'était pas sans rappeler celui des militants du
Black Power qui, dans les années 1960, scandaient "Black is beautiful".
Avec les années, le qualificatif queer a fini par recouvrir un ensemble de
discours et de pratiques associés à la transgression des frontières de la
différence des sexes et de l'hétéronormativité. Aujourd'hui, les lesbiennes,
les gais, les personnes bisexuelles, travesties, transsexuelles ou intersexuées, les sados-masos et autres "hors-la-loi du sexe" 4 sont les principaux habitants de la planète queer.
2 Montréal illustre parfaitement cette émergence de nouvelles forces. La communauté gaie et lesbienne
y célèbre chaque année, en juillet, une semaine de fierté gaie. Organisée sous le thème de Divers/cité, la
fête de 1998 a mobilisé des centaines de milliers de personnes dans des activités telles qu'un défilé de
chars allégoriques, une soirée culturelle multiethnique et un spectacle de travestis en plein air pour toute
la famille ... Les médias ont révélé que la fête gaie attirait maintenant plus de personnes que la SaintJean Baptiste, la fête nationale des Québécois!
On imagine difficilement une semaine de fierté
féministe arriver aux mêmes résultats.
3 Chez les francophones du Québec, on parle volontiers de programmes d'études féministes; dans les
milieux angle-saxons, on utilise généralement l'expression Women Studies (Études des femmes). Une
différence qui ne semble guère affecter les approches retenues.
4 L'expression est de Ki Namaste (NAMASTE K., 1996).
C. St-Hilaire 25
Au niveau politique, les courants queer ont connu leur impulsion à la
fin des années 1980 aux États-Unis, au plus fort des mobilisations contre
le sida et en pleine montée de la droite, alors qu'était fortement ressentie
la nécessité d'une alliance de toutes les forces, laquelle ne pouvait être
basée que sur des affinités et des intérêts provisoires, sans égard à
l'identité, à l'orientation ou aux pratiques sexuelles. Queer Nation, Act
Up, Lesbian Avengers, OutRage! sont parmi les groupes ayant le plus incarné ce militantisme queer, non conventionnel, postidentitaire, décentralisé, local, s'exprimant au moyen de sit-in, d'affichage, de parodies et
de manifestations culturelles de toutes sortes. Le sida n'explique toutefois
pas tout. Il est maintenant reconnu que le mouvement queer s'est construit
non seulement dans la lutte contre l'État et la droite américaine, mais qu'il
constitue aussi une réaction à l'institutionnalisation des mouvements gais
et lesbiens, aux illusions réformistes qu'ils portaient et à leurs effets d'exclusion relativement à la race ou à certaines pratiques sexuelles marginales (Gamson, 1996 :399 ; Jagose, 1996 :62).
Au niveau théorique, les courants queer ont vu le jour dans les programmes d'études gaies et lesbiennes et, dans certains cas féministes, à la
faveur d'une réflexion plus générale sur l'identité résultant entre autres de
l'influence des philosophes poststructuralistes dans les universités anglosaxonnes 5. Les composantes théoriques et militantes de la mouvance
queer vivent des rapports tendus, comme il en existe dans tous les mouvements (Lauretis, 1991 :xvii ; Goldman, 1996 :170).
Les courants queer proposent un modèle analytique qui met en lumière
les incohérences dans les relations supposées stables entre sexe, genre et
désir (Jagose, 1996 :3). Cette analyse a été amorcée il y a plusieurs années
déjà par des théoriciennes féministes comme Gayle Rubin (Rubin, 1975,
1984), Adrienne Rich (Rich, 1982), Monique Wittig (Wittig, 1980) et Nicole-Claude Mathieu (Mathieu, 1989), lesquelles ont placé la question de
la contrainte à l'hétérosexualité au cœur de leur analyse du système de sexe/genre (Haraway, 1991 :137). Dans ces théories, la binarité du sexe apparaît comme une catégorie construite, comme le résultat d'un système
d'appropriation, d'un système social de genre, hétéronormatif, au service
de la reproduction. Aux côtés de l'homme et de la femme émerge la figure
de la lesbienne, une lesbienne devenue sujet, elle qui devait n'être que
l'Autre, une Autre constituée et invisibilisée dans le mouvement de création du sujet et de son illusoire autonomie.
Mais malgré l'étonnante actualité de ces thèses au regard de la théorisation du sexe, elles apparaissent aujourd'hui prisonnières d'une vision
très moderniste du sujet et de la libération sexuelle. Wittig soutient en effet que la femme lesbienne se situe au-delà de la catégorie sexe, donc
5 Voici quelques
David Halperin,
Elizabeth Grosz,
paradoxalement,
noms associés aux courants queer: Teresa de Lauretis, Judith Butler, Diana Fuss,
Alexander Dot y, Jeffrey Escoffier, Elspeth Probyn, Steven Seidman, Eve Sedgwick,
Michael Warner. Les femmes et lesbiennes sont bien représentées dans ce courant qui,
fait l'objet de plusieurs critiques dans les rangs lesbiens et féministes.
26 Recherches Sociologiques, 1999/3 - Rapports sociaux de sexe
qu'elle échappe à l'appropriation et au pouvoir (Wittig, 1980 :81), tandis
que Rich valorise la lesbienne féministe, qu'elle place à une extrémité
d'un continuum lesbien, faisant d'elle le sujet historique de la libération
de toutes les femmes (Rich, 1982 :33). Rubin, pour sa part, insiste sur le
caractère social de toute activité humaine, y inclus la sexualité, qu'elle
conçoit comme emprisonnée dans le système de genre, mais elle n'envisage pas moins un au-delà du système de sexe/genre, un monde peuplé de
créatures androgynes, sans genre mais non sans sexe, des sujets autonomes libérés de la contrainte du système de genre (Rubin, 1975/1997 :54).
Un autre pas allait être franchi avec le travail de Judith Butler, lequel
apparaît tout à fait novateur puisqu'il remet en question non seulement la
naturalité du sexe, mais aussi l'autonomie du sujet et les stratégies de libération. Dans Gender Trouble, Butler analyse la configuration du pouvoir
qui est à l'origine de la construction de la relation binaire entre les sexes et
de la stabilité de cette relation (Butler, 1990). Qu'adviendrait-il de cette
stabilité, se demande-t-elle, si le régime de l'hétéronormativité était pointé
du doigt comme responsable de la production de ces catégories ? Délogeant le sexe de tout fondement métaphysique, Butler suggère que le genre produit lui-même la catégorie naturelle "sexe" qui paraît le fonder:
Le genre ne doit pas être conçu simplement comme l'inscription
d'une signification culturelle sur un sexe déjà donné (une conception
juridique) ; le genre doit aussi désigner l'appareil précis de production au sein duquel les sexes eux-mêmes sont constitués. En conséquence, le genre n'est pas à la culture ce que le sexe est à la nature;
le genre désigne aussi les moyens discursifs et culturels par lesquels
la "nature sexuée" ou le "sexe naturel" est produit et établi comme
"prédiscursif", antérieur à la culture, une surface politiquement neutre sur laquelle la culture agit (Butler, 1990 :7) 6.
En d'autres termes, au lieu de considérer le sexe comme le donné biologique non théorisable sur lequel viendrait s'inscrire un élément culturel,
le genre, divisant et hiérarchisant les humains en deux catégories distinctes, à la fois naturelles et culturelles, Butler suggère que la catégorie
ontologique "sexe" est elle-même produite et naturalisée dans le genre,
véritable appareil de production du sexe, matrice de pouvoir phallocentriste et hétéronormative. Dans cette approche, la stabilité même des catégories homme-femme, hétérosexuel-homosexuel, devient problématique,
tout comme les mouvements qui prétendent en faire le fondement de leur
lutte. L'influence poststructuraliste, ou plus précisément une lecture américaine de Foucault et de Lacan, est décelable dans cette conceptualisation
de l'identité comme une fiction, provisoire et contingente, dépendante des
régimes de pouvoir. En effet, chez Butler, il n'existe pas de sujet qui soit
antérieur à son sexe ou à son genre; le sujet lui-même est constitué dans
l'actualisation des normes des régimes de sexualité en vertu de ce que
Butler appelle la performativité du genre:
6 Traduit par nous.
C. St-Hilaire 27
Le genre est performatif dans la mesure où il est l'effet d'un régime
régulateur de différences des sexes au sein duquel les genres sont
divisés et hiérarchisés sous la contrainte. Les contraintes sociales, les
tabous, les interdits et les menaces de punition opèrent dans la répétition ritualisée des normes, et cette répétition constitue la scène temporelle de la construction et de la déstabilisation des genres. Il n'y a
pas de sujet qui précède ou exécute cette répétition des normes. Dans
la mesure où cette répétition crée un effet d'uniformité de genre, un
effet stable de masculinité ou féminité, elle produit et déstabilise la
notion de sujet elle-même, parce que le sujet n'est intelligible que
dans une matrice de genre. [... ] Il n'y pas de sujet qui soit "libre"
d'échapper à ces normes ou de les négocier à distance; au contraire,
le sujet est rétroactivement produit par ces normes dans leur répétition, précisément comme leur effet (Butler, 1997a: 16-17) 7.
Le sujet - le sujet en général et le sujet sexué - apparaît donc chez
Butler comme le produit de régimes de contrainte. Son existence n'est pas
antérieure à ces régimes 8. Son identité, bien qu'elle ne soit pas réductible
à la contrainte, ne saurait être le fondement d'une libération. Se libérer
exigera plutôt de déloger de leur fondement métaphysique ces catégories
qui organisent la production des sujets sexués et les inscrivent dans les
limites du phallocentrisme et de la contrainte à l'hétérosexualité.
Avec le temps, les travaux et les auteurs se sont multipliés, et le vocable
queer a fini par recouvrir une grande variété de positions théoriques dont
les contours sont difficiles à établir: ils réfèrent à l'idée d'une fluidité,
d'une suspension de l'identité; à la remise en question de la viabilité et de
l'utilité politique des catégories de l'identité sexuelle; à la transgression
des normes sexuelles, à la multiplication des identités et des pratiques
marginales. Être queer, c'est brouiller les frontières, mélanger les genres,
promouvoir l'instabilité et l'indécidabilité des identités. Pour certains, être
queer va plus loin que l'affirmation d'une sexualité alternative: cela signifie sortir des catégories de la différence sexuelle et des identités gaies
pour permettre l'expression d'une multiplicité de transgressions, tant au
niveau sexuel que religieux ou ethnique. Être bisexuel, juif ou noir, c'est
aussi être queer: «Dans l'univers queer, être queer signifie que tous ne
sont pas queer de la même manière. Cela suppose une volonté d'articuler
sa propre queeritude» (Daümer, 1992 :100, cité in Goldman, 1996 :170) 9.
Dans la même veine, Jeffrey Escoffier écrit:
La politique queer offre une possibilité de franchir les frontières de
la race et du genre. Elle suppose le rejet d'une logique minoritaire de
tolérance ou de simple représentation de ses intérêts. En effet, la politique queer représente une impulsion croissante vers J'inclusion;
7 Traduit par nous.
8 Butler s'écarte ici du féminisme matérialiste français (Delphy, Mathieu et Wittig, par exemple) qui n'a
pas renoncé à l'idée d'un sujet humain antérieur aux rapports sociaux qui l'emprisonnent.
9 Traduit par nous.
28 Recherches Sociologiques, 1999/3 - Rapports sociaux de sexe
plus précisément, elle exige une résistance aux régimes du normal
(Escoffier, 1994 :135, cité in Goldman, 1996 :170) 10.
Devant cet assaut contre les identités particulières, la contestation n'a
pas tardé à se manifester. Des gais et lesbiennes disent maintenant redouter un autre geste totalisant, une approche si inclusive qu'elle homogénéise, fait disparaître la diversité, soumet tout à une nouvelle logique du
même; ils et elles craignent une appropriation de leur lutte, sa dissolution
dans l'indifférencié, sa cooptation par des universitaires dont les intérêts
ne coïncident pas toujours avec ceux de la communauté. Dans d'autres
milieux, chez les minorités bisexuelles ou transsexuelles par exemple, on
croit retrouver sous ce nouveau nom la même vieille hégémonie des gais
et lesbiennes sur l'ensemble des minorités sexuelles, ou encore la même
vieille hégémonie des seuls hommes gais, un reproche entendu du côté des
lesbiennes aussi. Dans la gauche, on reproche aux queer leur prédilection
pour la résistance symbolique, leur apolitisme, leur mépris face aux
conditions matérielles de l'oppression (Gamson, 1996 :400-403 ; Goldman, 1996 :171 ; Jagose, 1996 :101-123 ; Turcotte, 1996 :118-121 ; Wilson A. R., 1997 :100-107 ; Phelan, 1997 :3-6). Gloria Anzaldua, sympathique à la cause queer, traduit bien ces malaises lorsqu'elle écrit:
Queer est devenu un mot-valise faussement unificateur dans lequel
on fourre pèle-mêle les queer de toutes les races, ethnies et classes.
À certains moments nous avons besoin de cette protection pour resserrer nos rangs contre le monde extérieur. Mais même quand nous
cherchons à nous y abriter, nous ne devons pas oublier qu'elle homogénéise, efface nos différences (Anzaldua, 1991 :250, cité in
Goldman, 1996 :171) 11.
Mais les queer sont à peine sortis des milieux marginaux que déjà se
profilent des concurrents. Parce que le terme queer serait trop associé au
mouvement des gais et des lesbiennes, certains ont revendiqué une approche transgenre, plus apte selon eux à inclure des pratiques de transgression
des catégories sexuelles allant au-delà de l'orientation sexuelle. Ki Namaste écrit:
Le terme "transgenre" est utilisé pour désigner les vies et les expériences d'un groupe diversifié de personnes vivant hors normes relativement aux catégories de sexe/genre (i.e. des catégories où la biologie d'un corps est censée déterminer comment une personne vivra et
entrera en relation avec le monde social). La communauté des personnes transgenrées comprend des transsexuels (pré-, post- et non
opérés), des travestis, des drag queens, des passing women, des hermaphrodites, des stones hutches et divers hors-la-loi du sexe qui défient les taxonomies régulatrices du sexe et du genre (Namaste,
1996 :208) 12.
JO Traduit par nous.
11 Traduit par nous.
12 Traduit par nous.
C. St-Hilaire 29
Dans son introduction au numéro spécial de GLQ : A Journal of Lesbian and Gay Studies consacré aux études transgenres, Susan Stryker
écrit:
Dans cette introduction, j'utilise "transgenre" non pas pour caractériser une identité particulière ou une manière particulière d'expérimenter son corps, mais plutôt comme un mot-valise couvrant une
vaste gamme d'effets corporels qui perturbent ou dénaturalisent les
rapports établis, dans une matrice hétéronormative, entre l'anatomie
d'un individu à la naissance, la catégorie de genre assignée de manière non consensuelle, les identifications psychiques avec des images du corps sexué et/ou du sujet sexué, et la performance de fonctions sociales, sexuelles ou familiales d'un genre spécifique. [... ] Je
propose en fait dans cet essai de concevoir l'approche transgenre
comme une interprétation hétérodoxe de queer, c'est-à-dire comme
une conceptualisation des phénomènes queer fondée sur les vues des
personnes qui contestent la naturalisation de l'hétéronormativité
d'une manière qui peut inclure, sans s'y limiter, les orientations ou
choix d'objet homosexuels. La transsexualité, par extension, peut
aussi être queer (Stryker, 1998 :145) 13.
II. Les nouvelles visibilités du sexe
Queer ou transgenres, les discours contestant la naturalité et la binarité
du sexe prolifèrent, gagnent en visibilité et même s'institutionnalisent.
Depuis une dizaine d'années, les publications queer ont envahi les milieux
universitaires anglo-saxons des pays industrialisés et le nom de Judith
Butler retentit maintenant dans tous les colloques. Ainsi, la revue Differences a publié deux numéros sur le sujet, en 1991 et 1994 ; GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies a aussi dédié un numéro aux théories
queer en 1993 ; une publication spécialisée, Critical InQueeries, a été
créée en Australie en 1995; des revues comme Sociological Theory, Socialist Review, Social Text ont aussi consacré des numéros entiers aux
courants queer (Jagose, 1996 :2). Les anthologies et les ouvrages théoriques ne se comptent plus, rapidement suivis de la production transgenre.
Ainsi, en février 1998, un grand quotidien de Toronto, le Globe & Mail,
publiait un article sur le thème du Gender Bending (le détournement du
genre). Il était question, dans ce texte, non seulement de la popularité
grandissante des études transgenres dans les universités nord-américaines,
mais des implications plus larges de la présence de professeurs transsexuels, transgenrés ou travestis dans ces institutions (Wilson R., 1998). En
effet, à York (Toronto), à Berkeley et à California State (Californie), à
McGill (Montréal) et à Lancaster (Grande-Bretagne), pour ne citer que
quelques cas, des professeurs, masculins ou féminins, affichent maintenant des identités sexuelles qui brouillent la cohérence des catégories de la
binarité hétéronormative.
13 Traduit par nous.
30 Recherches Sociologiques. 1999/3 - Rapports sociaux de sexe
À Harvard, un groupe de travail vient de proposer d'ajouter l'identité de
genre à la liste des identités couvertes par les lois contre la discrinùnation,
afin de protéger les droits des personnes transsexuelles et travesties.
L'Université d'Iowa s'est déjà dotée d'une telle politique. On imagine les
implications, juridiques notamment, de ces décisions : verrons-nous apparaître le droit à l'identité de genre dans la liste des droits humains? "L'indisponibilité de l'état civil", c'est-à-dire le fait qu'il soit la seule prérogative de l'État, sera-t-elle mise en cause? Si c'était le cas, si le sexe
cessait d'être construit légalement en fonction de la division hétérosexuelle du travail de reproduction, l'un des fondements juridiques du régime de
sexualité s'effondrerait, ouvrant la voie à la production de nouvelles normes sexuelles.
Nouvelles visibilités aussi du côté des publications et des colloques:
GLQ : A Journal of Lesbian and Gay Studies vient de publier un numéro
consacré à l'émergence des études et des mouvements transgenres. Quatre
autres publications scientifiques s'apprêtent à faire de même et une revue
spécialisée vient d'être créée, The International Journal of Transgenderism (Stryker, 1998 :146). L'expression "transgender" ouvre sur 47.000
sites internet ...
Plus importante encore, peut-être, est la mobilisation politique des
minorités sexuelles. Dans son introduction au numéro de GLQ cité
précédemment,
Susan Stryker propose deux explications à l'intérêt
grandissant porté aux minorités sexuelles: d'une part, la condition postmoderne et la crise qu'elle instaure dans la représentation du sujet, dans le
constat d'une distance entre le signifiant et le signifié, entre le genre et le
sexe notamment; d'autre part, la prise de parole que favorise cette condition postmoderne et la rencontre, devenue inévitable, dans les quartiers
des grandes villes, dans les universités ou dans les réseaux internet, de
toutes ces identités non conformes aux catégories dominantes du régime
de la sexualité (Op.cit. :147).
L'exemple d'Intersex Society of North America (ISNA) me permettra
d'illustrer ce point. Créé en 1993, ISNA est un organisme voué à la défense des intérêts des personnes intersexuelles, victimes des mutilations
perpétrées par ce qu'elles considèrent comme un establishment médical au
service du régime binaire et hétéronormatif de la sexualité 14. ISNA relie
maintenant des personnes intersexuées de plusieurs continents, documente
sur les torts qui leur ont été infligés, organise des retraites de guérison et,
tout en acceptant l'assignation d'un genre à la naissance, exerce des pressions auprès des autorités médicales pour mettre fin aux interventions n'ayant pour but que la normalisation des corps. Depuis, les groupes se sont
multipliés aux États-Unis et ils ont formé des alliances avec divers autres
groupes dont les champs d'action vont de la défense du transsexualisme à
14 La plupart des interventions chirurgicales sur des enfants intersexués consistent à procéder à l'ablation des organes externes et à la construction d'un vagin, dans une logique qui exclut la jouissance des
femmes.
C. St-Hilaire 31
la promotion de la diversité sexuelle en général. Des groupes similaires
ont vu le jour en Angleterre, en Allemagne, au Japon, et des médecins et
psychiatres ont commencé à les appuyer (Chase, 1998 :200). Il existe
également un organisme international, the International Gender Transient
Affinity, qui se consacre à la promotion des personnes transgenrées (Ekins/
King, 1996 :xi).
Quels sont les enjeux de toute cette mouvance du point de vue de la
sociologie des rapports sociaux de sexe? Queer ou transgenres, il est indéniable que ces discours et pratiques interpellent les analyses sociologiques actuelles, notamment parce qu'ils obligent à revoir la distinction
sexe/genre qui a dominé bon nombre d'études depuis une vingtaine d'années. En effet, si le recours au concept de genre dans la théorie sociologique a permis de combattre le déterminisme biologique, de mettre en
lumière le caractère culturel et donc variable des identités masculine et féminine et d'ouvrir de nouvelles possibilités de rapports sociaux entre les
sexes, les analyses ont le plus souvent laissé la catégorie "sexe" non questionnée. On l'a décrétée stable, donnée, prédiscursive, présociale; on en a
fait le fondement matériel donné et fixe d'identités de genre variables. Ce
faisant, on a préservé l'idée de la naturalité du sexe, de la complémentarité
naturelle du sexe mâle et femelle pour la reproduction; on a laissé intacte
la binarité sexuelle et présumé une continuité sexe-genre-désir.
Les théories queer viennent bousculer cette logique: le "il y a deux
sexes" est délogé de son fondement métaphysique et devient objet d'investigation et de déconstruction. Ce qui n'est pas sans conséquence. En
effet, une fois écartée l'idée de la stabilité de la catégorie "sexe", que devient la différence sexuelle? Que devient la catégorie "femme" ? Doit-on
l'oublier et revenir au sujet humaniste, tel que l'ont suggéré depuis longtemps des féministes modernistes, héritières de Simone de Beauvoir?
Doit-on aller plus loin encore? Les mobilisations queer et transgenres relèguent-elles le mouvement des femmes aux oubliettes, avec les autres
débris des luttes identitaires dépassées? Annoncent-elles la fin d'une certaine sociologie des rapports de sexe, enfermée dans I'hétéronormativité et
la dichotomie homme-femme?
Il m'apparaît que le renouvellement de la sociologie des rapports de
sexe exige de relever le défi queer et de jeter un nouvel éclairage sur la
catégorie sexe.
ID. Par-delà la libération et l'émancipation :
entrer dans le dilemme
Les débats autour de la pertinence de la catégorie "femme" hantent les
milieux féministes depuis une bonne quarantaine d'années. Simone de
Beauvoir a peut-être donné le ton. Sous sa bannière, dans une perspective
de libération moderniste, des féministes matérialistes - je pense ici à
Christine Delphy - ont fait l'hypothèse de l'existence d'une nature humaine polymorphe, antérieure aux catégories de sexe et de genre, et em-
32 Recherches Sociologiques, 1999/3 - Rapports sociaux de sexe
prisonnée dans ces catégories (Delphy, 1991). Se libérer signifie ici se libérer de la contrainte du masculin et du féminin, de l'hétérosexuel et de
l'homosexuel. Dans ce féminisme qu'on a qualifié d'universaliste, l'identité sexuée est destinée à disparaître. Ce courant s'inscrit tout droit dans la
tradition héritée des Lumières selon laquelle toute différence risque d'être
un prétexte à l'exclusion. La catégorie femme est donc politiquement dangereuse 15. Dans ce féminisme de l'universel, «il y a de l'un», selon l'expression de Françoise Collin, et il s'agit d'y inscrire les femmes (Collin,
1995 :670).
Mais, depuis les années 1970, nombre de féministes ont plutôt choisi de
revendiquer une identité de femme, une identité antérieure au féminisme,
que le féminisme doit représenter, déployer, rendre visible. Ce modèle
identitaire fonctionne tantôt selon une logique communautaire, une logique "égalité et différence", à l'image des groupes ethniques; tantôt
selon un postulat psychanalytique ou anthropologique: il y a du deux, qui
est un un et un non-un (Op.cit. :671). Que ce soit dans sa variante essentialiste (le féminisme radical américain par exemple 16), sociologique ou
anthropologique (les analyses de rapports sociaux de sexe ou de genre 17),
la tâche de ce féminisme est de conquérir des espaces dans une perspective d'émancipation des femmes. L'identité est ici un prérequis de la lutte
politique, le fondement de la mobilisation des femmes.
Au cours de la même période, un autre courant a vu le jour, davantage
déconstructionniste, influencé notamment par la pensée des philosophes et
psychanalystes poststructuralistes tels Foucault, Deleuze, Derrida, Lacan:
les identités y sont conçues comme des processus ; elles se construisent
dans le langage et dans les pratiques sociales. Dans le cas des femmes,
l'identité sexuelle se constitue sous le mode de l'exclusion ou de l'absence. Mais cette identité peut cependant émerger dans l'écriture et dans l'action, se recomposer, se déployer et s'affirmer. Elle demeure néanmoins
contingente et provisoire, jamais antérieure au social et au symbolique.
L'idée de la représentation d'une identité de femme est problématique car,
selon l'expression de Kristeva, «La femme, ça n'est jamais ça» (Kristeva,
1974). Pour plusieurs de ces théoriciennes, l'affirmation identitaire demeure pourtant essentielle dans la lutte politique des femmes puisque la
domination masculine se nourrit précisément de leur invisibilité. La tâche
15 Au nom de cet universalisme, Delphy s'est prononcée contre la parité politique telle que la revendique toute une partie du mouvement des femmes en France. Voir Le Monde diplomatique, mars 1997,
pp.6-7.
16 Il est toujours réducteur d'amalgamer dans une même catégorie des auteurs dont les trajectoires sont
singulières. Je me permets néanmoins de signaler quelques noms de théoriciennes qui ont pensé la catégorie "femme" dans une optique de différence ou de spécificité, dans la foulée du féminisme radical
américain: Robin Morgan (MORGAN R., 1970), Shulamith Firestone (FIRESTONE S., 1971),le Boston
Women's Health Collective (BOSTON WOMEN'S HEALTH COLLECTIVE, 1973), Mary Daly (DALY
M., 1978), Carol Gilligan (GILLIGAN C., 198611982), Catherine MacKinnon (MACKINNON C., 1989).
17 En France, signalons les travaux des sociologues des centres de recherche comme le CEDREF (Université de Paris VII), le GEDISST (CNRS) ou le CEFUP (Université de Provence), ou les écrits d'une anthropologue comme Françoise Héritier (HÉRITIER F., 1996).
C. St-Hilaire 33
de ce féminisme est donc de faire advenir cette identité, si précaire et
dangereuse qu'elle soit, soit dans l'écriture, soit dans la construction d'un
espace social et politique pour les femmes 18.
Françoise Collin évoque ce déchirement dans ce qu'elle appelle «le tragique du sujet» : la difficile tâche d'affirmation politique d'un sujet-femme qui doit se penser comme non-sujet s'il veut éviter l'enfermement
dans l'identité (Collin, 1992 :132). Rosi Braidotti propose pour sa part un
féminisme nomade: le sujet féministe nomade est celui qui a renoncé à
tout désir de fixité ; celui qui recherche les transitions, les déplacements ;
c'est une entité politique défmie et affirmée par les femmes dans la confrontation de leurs multiples différences de classe, d'âge, de race, de préférence sexuelle (Braidotti, 1994 :131) 19.
Chez plusieurs de ces féministes - qu'on a aussi qualifiées de féministes de la différence sexuelle -, la dimension contraignante de l' identité est analysée mais secondarisée, au nom de la nécessité et de la centralité de la lutte des femmes. Braidotti, par exemple, affirme sans ambages :
Se dire féministe de sexe féminin suppose qu'on accorde la priorité
aux questions de genre, ou, plutôt, de différence sexuelle (voir "Sexual Difference as a Political Project") dans la reconnaissance des différences entre les femmes (Braidotti, 1994 :4) 20.
D'autres, comme Françoise
temps le un et le deux :
Collin, proposent
d'assumer
en même
Il s'agit donc de sortir de toute métaphysique des sexes, celle de l'un
et celle du deux, sans gommer la réalité effective du deux mais sans
se prononcer a priori sur ce qui dans le deux relève de données
historico-sociales ou de données transhistoriques. En effet, le débat
nature/culture est un débat sans issue et qu'on pouvait croire périmé.
Quand il s'agit de l'humain il n'y a pas de nature qui ne soit prise
dans le langage, et il n'y a pas de langage qui ne s'incarne dans un
donné (Collin, 1995 :674).
Le un et le deux? Françoise Collin n'a certes pas tort de nous inviter à
travailler le dilemme, ses tensions, ses continuités et ses ruptures. Mais
dans le contexte de la montée des mouvements queer et transgenres, le un
et le deux sont mis au banc des accusés au nom de l'indécidabilité du sexe
et de la contingence de toute identité. Ni un, ni deux, le sujet serait devenu
insaisissable.
18 Les noms de Luce Irigaray, Hélène Cixous, Julia Kristeva, Françoise Collin et Rosi Braidotti viennent ici à l'esprit. Mais encore là, les nuances s'imposent: Cixous adopte une stratégie d'écriture féminine, mais rejette le féminisme comme mouvement identitaire ; Kristeva se distancie aussi de tout militantisme.
19 Traduit par nous.
20 Traduit par nous.
34 Recherches Sociologiques, 1999/3 - Rapports sociaux de sexe
IV. Le paradoxe du sujet
C'est en quelque sorte la mort du Sujet qui fait retour. La mort de
l'Homme (l'un) et celle de la Femme (le non-un du deux). Attardons-nous
donc encore une fois à cette agonie. On a souvent imputé ces morts à Foucault. Il est vrai que, dans ses premières œuvres, il a surtout mis en lumière des mécanismes d'enfermement: il a analysé comment le fou, le criminel, l'Homme ne se fondaient sur aucun universel, et développé l'idée
qu'ils étaient constitués historiquement, par des jeux de pouvoir auxquels
ils ne pouvaient échapper. Que la libération donc était une illusion, et au
premier chef la libération sexuelle, le sexe étant devenu le site de l' assujettissement lui-même.
Cependant, les derniers travaux de Foucault et les commentaires sur son
œuvre, ceux de Deleuze notamment, autorisent une autre lecture: la mort
du sujet - si l'on tient à garder l'expression - serait la mort d'un certain
sujet, du sujet abstrait, conçu comme antérieur aux savoirs et pratiques qui
le constituent, sujet apparu mystérieusement, hors du champ du pouvoir.
Le sujet foucaltien, s'il n'est jamais en extériorité face aux dispositifs qui
l'induisent, s'il est saturé de social et de pouvoir, n'en est pas moins sujet.
. À condition de définir ce sujet comme le produit temporaire, instable et
précaire d'un processus comportant de multiples dimensions matérielles et
symboliques, des dimensions plus ou moins contradictoires, à la fois conscientes et inconscientes. L'existence de divers états subjectifs, de leurs
différences, de leurs contradictions ouvre la voie à la constitution d'un sujet singulier, instable, contingent. Dans l'interstice créé par la dynamique
complexe de la subjectivité, le sujet déborde, il excède les dispositifs dont
il est issu. Il existe à son propre insu (Badiou, 1993 :42). Il se fait agent,
acteur social. Le sujet n'est pas mort, il est produit, créé, né 21.
Vu sous cet angle, le sujet sexué, le sujet-homme ou le sujet-femme,
par exemple, serait la résultante d'un ensemble dynamique formé des
théories sur la différence des sexes (biologie, psychanalyse, anthropologie, religion ... ), des institutions et des pratiques auxquelles ces théories
s'articulent (mariage, famille, hétérosexualité ... ), des rapports de pouvoir
qui traversent cet ensemble.
Mais ce sujet sexué est instable: toujours constitué au carrefour de
plusieurs dispositifs, toujours en excès par rapport à ce qui le produit, toujours en train de s'en échapper, de se constituer en soi, en plus-value du
dispositif (Deleuze, 1989 :187). D'où sa possibilité de création, de parole,
de déplacement. Si le sujet vient au monde dans l'actualisation de matrices de pouvoir, ces matrices ne sortent pas intactes de cette actualisation.
«Au contraire, en s'actualisant, le pouvoir court le risque d'emprunter une
autre forme et une autre direction» (Butler, 1997b :21) 22.
21 Pour une discussion de cet\e question, voir Paul Smith (SMITH P .• 1988).
22 Traduit par nous.
c. St-Hilaire 35
Deleuze ne dit pas autre chose lorsqu'il évoque la possibilité que des
lignes s'échappent du tracé dans le processus de formation du sujet. Ce
qui lui permet de dire que tout dispositif de pouvoir comporte une certaine
«teneur en nouveauté» :
Tout dispositif se définit ainsi par sa teneur en nouveauté et créativité, qui marque en même temps sa capacité de se transformer, ou
déjà de se fissurer au profit d'un dispositif de l'avenir, à moins au
contraire d'un rabattu de forces sur ses lignes les plus dures, les plus
rigides ou solides. En tant qu'elles s'échappent des dimensions de
savoir et de pouvoir, les lignes de subjectivation semblent particulièrement capables de tracer des chemins de création, qui ne cessent
d'avorter, mais aussi d'être repris, modifiés, jusqu'à la rupture de
l'ancien dispositif (Deleuze, 1989 :190).
Comment intégrer cette conception du sujet à une réflexion sociologique sur l'identité et le mouvement social des femmes ? Entendons par
identité le fait de se reconnaître, de revendiquer ou de se voir attribuer une
appartenance à une catégorie socialement construite : identité sexuelle,
nationale, religieuse etc. Identité et subjectivité ne sont donc pas équivalentes. Aucun sujet ne se laisse contenir dans une ou des identités. Et en
vertu de diverses procédures d'exclusion, les identités se présentent selon
des modalités propres : celle de l'apparente autonomie du sujet ou celle de
son altérité constitutive; homme ou femme, hétérosexuel ou homosexuel,
normal ou dégénéré. La constitution du sujet n'est donc jamais indépendante des catégories identitaires. Par le langage, le sujet se constitue dans
le déploiement et redéploiement de ces catégories socialement construites,
dans le cadre de divers dispositifs de contrôle et de régulation.
L'identité sexuelle, par exemple, l'appartenance à l'une des deux catégories binaires du sexe, est une chose qui nous est imposée. Et il s'ensuit
tout un ensemble de régulations. Il en va ainsi de toutes les catégories :
ethniques, religieuses, etc. Or, ces catégories sont ce par quoi nous pensons, nous entrons en relation avec les autres, nous agissons. C'est dire
que, dans le processus de constitution du sujet, le prix même de l' existence est la subordination à des catégories (Butler, 1997b :20), à leur définition, aux normes qui les régissent. Le sujet ainsi constitué n'est jamais
pur, authentique: la femme, l'homosexuel ne sont pas des figures intactes
réprimées par le pouvoir; elles sont constituées par le pouvoir, un pouvoir
productif. Ce qui remet en question l'idée d'une libération, laquelle suppose un sujet authentique, antérieur au pouvoir, autonome.
Mais l'identité, même subordonnée, ne se réduit pas à la contrainte.
Nous sommes attachées à ce qui nous contraint et nous enferme, non seulement parce que c'est là le prix de notre existence, mais parce que les catégories identitaires sont aussi le point de départ de notre créativité et de
nos plaisirs. En effet, la répétition du langage, des normes et des pratiques
identitaires peut donner lieu à des déplacements et des transformations.
Dans le mouvement, dans la parole, des glissements s'opèrent, et la répétition n'est jamais la copie conforme de ce qu'elle entend répéter. Ainsi,
36 Recherches Sociologiques, 1999/3 - Rapports sociaux de sexe
agir comme femme, comme homosexuel, c'est, d'une certaine manière,
endosser les catégories qui fondent le régime de la différence des sexes et
de l'hétéronormativité. C'est également les mobiliser contre elles-mêmes:
dans la prise de parole de la femme, de l'homosexuel, du travesti, c'est
l'Autre qui vient hanter le sujet dit abstrait et révéler son illusoire indépendance.
Et qui voudrait renoncer à la force politique que confère le ralliement
identitaire ? C'est le plus souvent dans la reconnaissance d'affinités
sexuelles, religieuses, nationales ou autres, si temporaires, précaires et
fictives soient-elles, que des sujets - qui ne sont jamais réductibles à la
catégorie à laquelle ils s'identifient - acquièrent la force de combattre les
institutions qui sont les sites matériels de leur oppression. Ce faisant, ils
ne réussissent parfois qu'à reproduire les catégories qui les nomment et
même à renforcer les exclusions qu'elles supposent 23 ; mais parfois, sous
l'effet de leurs subjectivités en excès, ils arrivent à déplacer les frontières
du pouvoir et de la domination. Les catégories de l'identité demeurent
ainsi ouvertes, redéployables, vulnérables en quelque sorte 24.
Pour résumer, le paradoxe de l'identité serait le suivant: les catégories
identitaires sont en même temps ce par quoi nous existons - donc ce par
quoi nous pouvons penser et agir - et ce par quoi nous sommes subordonnés et nous subordonnons. De ce point de vue, tout mouvement social
identitaire, y inclus le mouvement féministe - toutes tendances confondues - est paradoxal.
Ce que l'analyse poststructuraliste et le courant queer mettent en lumière, ce sont les limites d'une stratégie axée essentiellement sur le déploiement des identités. Si les catégories à partir desquelles se déploient
les luttes sont non seulement des bases d'affirmation, mais aussi des outils
de régulation, si elles sont figées et mises au service de rapports d'oppression - et c'est certainement le cas des catégories sexuelles -, il devient stratégique de les déconstruire. En se rappelant que déconstruire une
identité n'est pas la rejeter, mais la questionner afin d'identifier les versions de cette identité qui pourraient être politiquement dommageables ou
au contraire constituer une ouverture de l'espace politique.
En répétant également que le refus de toute identité tel que le propose
un certain radicalisme queer ou transgenre est tout aussi problématique:
on n'échappe jamais totalement à la représentation politique. D'ailleurs, le
refus de toute représentation pourrait bien cacher une ruse du pouvoir:
devenir queer pourrait signifier mettre en place une nouvelle contrainte, la
contrainte à la non-identité, à l'indifférencié; une non-identité qui pourrait bien annoncer le retour en force d'une masculinité générique.
23 Françoise Collin discute cette question dans "Praxis de la différence. Notes sur le tragique du sujet"
(COLLIN F., 1992). Elle évoque la tentation qui guette les opprimés lorsqu'ils se constituent en sujets
politiques: celle de se prendre pour des dieux.
24 Butler discute la vulnérabilité des catégories à partir d'une analyse psychanalytique dans laquelle elle
s'écarte des théories classiques et refuse de concevoir un Ordre symbolique qui serait antérieur au social
et lui imposerait sa Loi (BlJILER J., 1997b :21).
C. St-Hilaire 37
Les identités nous arrivent avec leurs contraintes et leurs possibilités;
la tâche n'est pas d'abandonner ces identités, mais de les questionner et de
les faire entrer dans le champ du politique. Non pas renoncer à l'identité,
mais la déloger de ses fondements métaphysiques afin d'affaiblir les systèmes oppressifs qui se nourrissent de ces fondements. Non pas abandonner la catégorie "femme", mais reconnaître qu'elle est partie intégrante
d'un dispositif axé sur la contrainte à l'hétérosexualité reproductrice, et la
déconstruire pour la redéployer dans d'autres stratégies de pouvoir:
Déconstruire le sujet du féminisme ne consiste pas, dès lors, à censurer son usage, mais, au contraire, à faire éclater le terme sous de
multiples significations, à l'émanciper des ontologies maternelles ou
racialistes auxquelles il a été limité, et à en faire un site d'émergence
de significations inattendues (Butler, 1995 :50) 25.
Comment les mouvements sociaux peuvent-ils traduire dans la pratique
cette reconnaissance du caractère paradoxal de l'identité? En prenant des
risques, dont celui de l'incertitude quant à la stratégie. En étant toujours là
où on ne les attend pas, en bricolant à la manière de Lévi-Strauss:
Tant dans la pensée que dans l'agir, il faut savoir "bricoler" au sens
que Lévi-Strauss donne à ce mot, passer d'un outil à l'autre en fonction des nécessités, ne pas avoir peur de se contredire car se contredire est tout simplement changer de registre ou de point de vue, et
c'est la condition même de l'avancée de la pensée: préférer la rigueur à l'immobilisme et la cohérence à l'homogénéité. Car la raison
est polyglotte (Collin, 1995 :674).
Mais encore ? Prenons le cas de la recherche sur les nouvelles technologies de reproduction. Tout un courant féministe mène la lutte sur ce
front à partir du principe de la défense de l'intégrité de l'expérience de la
maternité. Sans nier la justesse de cette lutte - il est indéniable que les
nouvelles technologies de reproduction (NTR) déploient de nouvelles formes de contrôle préjudiciables aux femmes -, il est intéressant de voir la
question sous d'autres angles. En effet, en appeler à l'intégrité de l'expérience maternelle renvoie à la naturalité du sexe et de la différence des
sexes, à la naturalité de la reproduction et de l'hétérosexualité. C'est réitérer le fondement du dispositif que le féminisme prétend combattre. Une
autre conception du sujet et de l'identité sexuelle invite à voir autrement
les NTR : en même temps qu'elles mettent en place de nouveaux contrôles
susceptibles de renforcer la domination des experts et des réseaux financiers sur la reproduction - sans parler de la domination masculine - les
NTR ouvrent la voie à un déplacement de la catégorie "mère" ; elles autorisent des mères "non appropriées", mères lesbiennes, mères sans pères,
déstabilisant par là les catégories de la binarité sexuelle et de la contrainte
à l'hétérosexualité.
25 Traduit par nous.
38 Recherches Sociologiques, 1999/3 - Rapports sociaux de sexe
Ce qui ne signifie pas qu'il faille renoncer à toute catégorie identitaire.
Prenons la revendication de la parité politique en France, l'affirmation
identitaire par excellence. Des opposantes féministes à la parité s'opposent
à ce qu'on enferme ainsi les femmes dans leur sexe, qu'on fasse du sexe la
base de la conquête d'un espace politique. Au risque de sembler contradictoire, je soutiendrai que la revendication de la parité est peut-être celle
qui, en politique, brouille le plus les frontières des catégories sexuelles. En
effet, dans la modernité républicaine, il semble que la frontière entre les
sexes se maintienne précisément par cette "tenue à distance" 26 des femmes face au politique. La parité est peut-être, dans ce cas, le mouvement
qui déplace le plus les catégories de la différence sexuelle.
V. Le devenir-queer du sujet
Comment imaginer alors ce sujet, debout sur un sol instable, au carrefour de plusieurs routes? Rosi Braidotti (1994) nous propose la figure du
nomade: son féminisme est un mouvement d'affirmation de sujetsfemmes qui cherchent moins à représenter une identité de femme conçue
comme antérieure à la lutte qu'à faire advenir une différence sexuelle dans
une optique de multiplicité et de débordement de la catégorie "sexe", dont
la binarité a été jusqu'à ce jour déployée et subsumée dans une logique
masculiniste du même.
Haraway, biologiste et historienne de la science, emprunte une voie similaire : la figure emblématique de son féminisme est le cyborg, une créature dont l'identité même est indécidable, à la fois organisme et machine
(Haraway, 1991). Selon Haraway, nous sommes déjà des cyborgs: c'est
notre ontologie. Nous devons désormais chercher nos plaisirs non pas
dans la seule protection des frontières de l'humain, non pas dans la stabilité de la catégorie "sexe", mais dans la reconfiguration, la multiplicité, la
dispersion de ces catégories.
Nomades ou cyborg, les nouvelles figures du sujet sexué interpellent la
sociologie des rapports sociaux de sexe et constituent une invitation pressante à en élargir les cadres.
26 L'expression
1997).
est de Sarah Kofman, et elle est reprise par Marie-Blanche
Tahon (TAHON M.B.,
C. St-Hilaire 39
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